René Nkowa

Vivre heureux et mourir jeune

On dit qu’on ne cueille pas l’argent des arbres, comme de vulgaires papayes. Le livre de la Genèse dit même qu’on mangera son pain à la sueur de son front. Soit. Personne ne cueille des billets de banque des arbres, mais toujours est-il qu’il existerait une catégorie de gens qui, chaque matin, trouvent des liasses de billets frais sous leur oreiller. On a donné une dénomination à ce type de personnes : les « vivre heureux et mourir jeune ». Il s’agit d’individus qui, au lieu de subir une interminable vie de misère, ont délibérément choisi d’écourter leur passage sur terre. En échange d’une existence à cent à l’heure, faite de jouissances de toutes sortes. On serait tenté d’y assimiler les voleurs, les faussaires, les trafiquants de tout poil, les prostituées, les groupies et j’en passe. Que non ! Au Cameroun, les vivre heureux et mourir jeune sont ceux qui passent par des moyens qui ne sont pas de notre monde, souvent d’outre-tombe, pour s’enrichir.

Qui est un « vivre heureux et mourir jeune » ?

C’est quelqu’un qu’on a conditionné. C’est-à-dire qui, en contrepartie d’une quantité infinie d’argent, doit accomplir des actes qui sortent de l’entendement. Voilà comment on les reconnaît :

Ils coïtent à tout va

Il faut ici distinguer l’amateur(trice) de fous ou de folles, de vierges, de carrefours, de cimetières et même de cadavres.

Lieu-dit Terminus St Michel. Il y a, à cet endroit, un ancien abribus qui a été investi par nombre de personnes handicapées mentales. Pour faire simple, tout le monde les appelle fous. La présence des fous à cet endroit de la ville attirait à une époque une curieuse caste : celle des personnes qui garaient leurs grosses berlines, en descendaient, relevaient leur jupe ou baissaient leur pantalon et allaient copuler avec le fou ou la folle qu’ils trouvaient là, au vu et au su de tous. Leur petite affaire terminée, ils remontaient dans leur auto et s’en allaient. Selon certains, par ce geste, ils venaient de s’assurer quelques mois ou années d’opulence.

Il en est de même avec le chasseur de vierges. Lui, il sévit partout. La précocité sexuelle de nos jeunes a causé bien des soucis. On ne peut plus parier sur l’innocence d’une demoiselle lorsqu’elle a déjà passé le cap des douze ans. La conséquence étant que les amateurs de terrains non encore conquis se retrouvent obligés d’aller fouiller l’entre-jambes des fillettes, parfois âgées de moins d’un an.

Si un jour, vous croisez deux individus en plein ébats au milieu d’un carrefour, fermez les yeux de votre bambin et continuez votre route. Ce sont là deux personnes qui son train de fabriquer leur richesse. Idem si vous vous retrouvez nez-à-nez avec un couple qui s’envoie en l’air sur une tombe dans un cimetière. Les plus bizarres ce sont ces gens qui vont dans les morgues sauter les macchabées

Ils vendent les leurs à tour de bras

Qu’un homme perde son épouse, de quelle que manière que ce soit, il est le premier suspecté. Qu’elle ait succombé d’une maladie chronique ou qu’elle soit morte des suites d’un accident de la circulation, on porte des regards accusateurs sur lui. Il en est de même si ses enfants crèvent. Immanquablement, quelqu’un dans un commentaire sortira : « pourquoi plaignez-vous son sort ? Il a vendu sa femme et ses enfants. Vous pensez que tout cet argent qu’il a provient d’où ? » Si vous posez la question de savoir à qui il les a vendus à celui qui sort une ânerie pareille, la réponse sera simple : « à ceux qui l’ont conditionné non ? »

Quand tu perds femme, enfants et que par contre tu deviens misérable, ce n’est pas le chagrin qui te consume. C’est que ton sacrifice n’a pas été accepté – ou n’est pas suffisant. Tu remarqueras alors que tu ne reçois plus de visites. Personne n’ose plus s’approcher de toi, de peur d’être le prochain sur ta liste macabre. Et quand tu finis par décéder, personne n’est surpris. « Voilà, il ne pouvait plus donner personne. Sa malchance là l’a pris lui-même ».

Autrefois, un homme s’était écroulé et est mort de suite. Sa maison a été vidée par sa femme dès la fin des obsèques. On nous raconta bien après qu’il avait pour ambition vendre sa femme et ses enfants afin de s’enrichir. L’épouse, ayant senti le coup venir, était allée se blinder* avec ses enfants. Ne pouvant plus atteindre ceux-ci, le sort funeste s’était retourné contre l’homme.

Que deviennent toutes ces personnes vendues ? Eh ben, elles partent travailler ! C’est ainsi qu’il y a quelques années, un faux revenant a réussi à faire croire aux esprits crédules qui ne manquent pas à Douala que pendant son bref voyage de l’autre côté, il avait été au Brésil. Il affirmait avoir vu Marc-Vivien Foé qui labourait dans un champ, tandis que Kotto Bass y jouait de la guitare. Ce qui corrobora derechef l’hypothèse de ceux qui avaient vu dans le mort subite de ces deux jeunes un phénomène qui était tout sauf naturel. Il s’avéra plus tard que le revenant était en fait un malade mental qui ressemblait juste à un homme décédé auparavant.

Ce sont les passagers des avions de nuit

Ils ont défrayé la chronique à Douala il y a quelques années. Il ne se passait pas un mois sans qu’ils ne se manifestent. L’histoire est immuable : une paisible famille est réveillée en pleine nuit par le bruit d’une masse s’écrasant sur le toit de son habitation. Quand les concernés sortent pour savoir ce qui leur était tombé dessus, ils découvraient une jeune femme. Qui vieillit à vue d’œil. Elle aurait été éjectée en plein vol de la boîte de sardines qui leur servait d’avion. Où allait cet avion ? Généralement, il volait vers le Nigéria voisin. Selon ceux qui ont été témoins de ces scènes, la vieille personne rabougrie que la police emmenait au petit matin n’avait plus rien de commun avec la jeune fille du départ. N’ayant jamais été personnellement témoin, j’ai toujours préféré considérer ces histoires comme étant des fables urbaines.

Ils (surtout elles) nous offrent des strip-teases gratuits

Ceci par contre n’a rien d’une fable. Aujourd’hui encore, on assiste encore à ces scènes étranges de personnes apparemment bien constituées qui se mettent à poil en pleine rue. Mais parmi toutes, on retiendra à jamais ces images délicieuses que nous a offertes un jour de 2010 cette jeune femme de vingt-trois ans à la Douche Municipale de Douala. Elle avait stationné un 4×4 tout neuf, en était descendue, s’était désapée sous les yeux éberlués des nombreux badauds qui peuplent tout le temps cette place. Ils n’en demandaient pas tant, ils se sont rincé les yeux. Cette partie de la ville a connu un embouteillage faramineux parce que beaucoup qui entendaient seulement parler de ces strip-teases particuliers étaient descendus de leur voiture et des taxis pour voir de leurs yeux ce spectacle qui sortait du commun. La demoiselle, elle, faisait comme si de rien n’était. Elle a offert sa féminité aux yeux de tous pendant une demi heure. Les policiers avaient eu du mal à se frayer un chemin au milieu de la cohue qu’elle avait occasionné. Et entre-temps personne n’avait osé intervenir, de peur de subir le courroux de la main invisible qui la commandait.

Ils se suicident

Puisque la vie de ces vivre heureux et mourir jeune doit se terminer et ce bien vite, ils se suicident. Enfin, c’est ce qui se dit. Sinon, selon certains, comment expliquer que le pont qui traverse le Wouri soit devenu l’endroit que choisissent la plupart de ces gens pour mettre un terme à leur existence ? On peut bien être sceptique, mais quand on voit les autos desquelles la plupart des suicidaires descendent avant d’enjamber le parapet et se jeter dans le vide, on est en droit de se poser des questions. Comment une personne qui est capable de posséder une auto réservée seulement à une petite élite de camerounais peut-elle décider de mettre fin à ses jours, si cela ne faisait pas partie des conditions ?

Personnellement, je n’ai aucun problème avec ceux qui choisissent mettre un terme à leur existence. Mais le fait de choisir pour ça le seul pont qui relie les deux parties d’une ville coupée par un fleuve et d’ainsi provoquer d’énormes embouteillages parce qu’il faut repêcher le corps, j’y goûte très peu.

Par René Jackson

*se blinder : se protéger d’attaques mystiques


J’ai écouté Random Access Memories de Daft punk et…

Random Access Memories / Daft Punk
Random Access Memories / Daft Punk

Les plus ardents défenseurs de la démocratie disent que le peuple a toujours raison. Et que le peuple est souverain. Il n’en est pas forcément de même quand il s’agit de culture. Tout un chacun a ses goûts et ce qui plaît au premier ne passe pas forcément chez le deuxième. Ce qui fait que très souvent, je ne me fie pas à l’admiration béate dont font souvent preuve les foules vis-à-vis des artistes, quels qu’ils soient. Il en existe malgré tout qui font presque l’unanimité, comme Picasso, Steven Spielberg ou Pelé. Mais aussi, la béatitude manifeste du public vis-à-vis d’une œuvre se justifie parfois. Et dans ce cas, il est judicieux suivre le mouvement général. Ca réserve des surprises, comme celles que m’a réservées le dernier album de Daft Punk, Random Access Memories.

Je n’ai jamais fait de vraie chronique musicale sur ce blog. Il est vrai, j’ai parlé de DJ Arafat ; de Duc-Z et de son Je Ne Donne Pas Le Lait ; de Daniel Baka’a (le créateur du Pinguiss) ; de Psy et de son Gangnam Style. Mais je le faisais de façon décalée. J’en parlais pour parler d’autre chose. Pardon pour les redondances. Avant d’en arriver à Daft Punk, il est bon de savoir d’où je viens, musicalement parlant.

Mon goût pour la musique me vient de mon père. Grand amateur de musique, mon enfance a été bercée par les œuvres de ses années de jeunesse à lui. Des années soixante et soixante-dix. Il a fait de rares incursions dans les quatre-vingts et quatre-vingt dix.

Doté d’une grande ouverture d’esprit, il a pu acquérir une extraordinaire culture musicale. Dont j’ai en quelque sorte involontairement hérité. Il faut dire que de prime abord, j’étais réfractaire à ses préférences musicales. Comme tout enfant, je préférais de loin les airs à la mode, de mon époque. Le compact disc faisait son apparition et il en était encore à nettoyer chaque sillon de ses vinyles. Les vernis à ongles maternels se retrouvaient tous en train de coller les bandes coupées des cassettes audio paternels. Un jour je lui ai demandé pourquoi est-ce qu’il n’achetait pas de la musique plus contemporaine. Il me donna une réponse dont je saisis toute la véracité aujourd’hui : ce type de musique, on l’oublie très vite. En effet, qui se souvient encore de Asereje de Las Ketchup?

C’est peut-être pour cette raison que Michael Jackson ne fit jamais partie de sa bibliothèque musicale. Mais alors, pourquoi ce deuxième prénom qu’il m’a pourtant donné ? La grande interrogation.

Autre trait caractéristique, il écoutait très peu de musique camerounaise. Le seul artiste de notre pays qui trouvait grâce à ses yeux était André Marie Tala. Il avait tous ses disques. Peut-être parce que dans leur jeunesse, ils avaient fait les quatre-cents coups ensemble. Très tôt, j’ai été programmé pour être un amateur de musique étrangère. Otis Redding n’avait plus aucun secret pour moi. Ainsi que Fletwood Mac. Je me suis vu imposer de longues journées de Boney M. The Temptations me berçaient, j’ai fini par connaître les paroles de toutes les chansons de Abba. Ils étaient tous là : de Wilson Pickett à Fred Mercury en passant par Donna Summer, Smokey Robinson, Mary Mc Kee, The Eagles, Luther Vandross, Bob Dylan, Juice Newton, George Benson et j’en passe.

Pour varier, j’avais droit à Coupé-Cloué, à Ladysmith Black Mambazo, à Femi Anikulapo Kuti, à Prince Nico Mbarga, Lucky Dube, Mbilia Bel, Yvonne Chaka-Chaka, Emeneya, Pascal Vallot, Francky Vincent,  Johnny Halliday, Joe Dassin, Mort Shuman, Julien Clerc, Georges Brassens

Ainsi j’ai été formaté. Préférant l’album au single, car l’album permet de mieux cerner l’artiste. Dans ma musicothèque personnelle, il y a de tout. J’ai bien sûr des airs de mon temps. C’est aussi très éclectique car on peut y trouver de la musique religieuse, indoue, inuit, du folklore inca, du gothique. Par contre, pour parfaire l’héritage, je laisse très peu passer la musique camerounaise. L’une des rares qui conserve mon affection est le bikutsi, car à mon avis c’est elle qui garde une certaine authenticité. Malgré les propos grivois que ceux qui chantent ce rythme profèrent à longueur de chansons.

Je reste encore très ancré dans les années soixante. Mais je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que les reprises dénaturent le travail des pionniers. Elles dépoussièrent certaines œuvres. Moi par exemple, c’est grâce à une reprise magnifique du titre At Last par Céline Dion que j’ai découvert la fabuleuse Etta James. Et tout le monde se rappelle de I Will Always Love You de Withney Houston.

Jusqu’à la semaine dernière l’album qui occupait le haut de ma playlist, et ce depuis plus d’un an, était Nevermind de Nirvana. Qui date du début des années quatre-vingt dix.

Jusqu’à ce que je tombe sur ce prodige de Random Access Memories ! Un album à la fois surprenant et génial !

Surprenant. Pour ceux qui ne connaissent pas Daft Punk, c’est eux qui ont lancé une mode dans laquelle les artistes de tous bords se sont plongés. Quel que soit leur genre musical : l’électronique à outrance. Tout se fait dans une chambre, sur un simple ordinateur. Et eux qui n’étaient sûrement pas des voix si prodigieuses, ont fait usage massivement de l’auto-tune, cette technique qui permet de modifier les voix, de les rendre presque robotiques. Aujourd’hui, la musique populaire n’est faite que de ça. Pour prendre un exemple typiquement africain, je parlerai du coupé-décalé ivoirien et de tous ses dérivés. La musique faite par des « DJ » qui en fait sont plus des superposeurs de sons synthétisés que des musiciens. Se démarquant de cette veine, dans son dernier opus, Daft Punk a décidé de remettre au goût du jour 2 choses : les vrais instruments et le style des sixties. A certains moments quand j’écoute ce disque, j’ai du mal à réaliser que c’est le boulot d’un duo qui avait fait de l’électronique sa marque de fabrique.

Génial. Les critiques ont été dithyrambiques ! Et il faut avouer que ce n’est pas du tout volé. Parfois, quand j’écoute un album il y a quelques titres que je saute volontiers. Mais Random Access Memories, ce sont treize titres, une heure et quatorze minutes de pure évanescence musicale. Bien sûr, il reste la touche du duo,  de l’électronique, des voix modifiées. Mais cela n’occupe plus la place prépondérante. On entend aussi des sons naturels. Des vraies voix, la délicatesse d’une guitare acoustique, le hurlement d’une guitare électrique, le grondement profond d’une vraie basse, la clarté des cymbales et d’une caisse claire. Des choses qu’aucun synthétiseur n’a jamais réussi à reproduire.

J’ai écouté Random Access Memories de Daft Punk et j’ai fait plus qu’aimer ! Je le recommande !

Pour la #MondoblogTeam, voici mon #Top10 de mes titres dans l’ordre de préférence (c’est un raccourci odieux, j’en suis conscient) :

1. Touch, en collaboration avec Paul Williams (piste N°7) : cette chanson me rappelle beaucoup Bohemian Rhapsody de Queen.

2. Giorgio By Moroder (piste N°3) : qui débute par les mots d’un homme qui raconte ses rêves de musicien, qui partent d’une petite ville d’Allemagne, passent par des nuits à dormir dans la voiture et se terminent par la découverte de la puissance du clic.

3. Fragments Of Time, en collaboration avec Todd Edwards (piste N°11): cette chanson a un jeu de batterie, de cymbales et un rythme qui donne envie de vivre dans les années soixante-dix.

4. Within (piste N°4) : La chanson langoureuse de l’album. Le piano du début est juste magnifique.

5. Give Life Back To Music (piste N°1) : d’entrée de jeu, on comprend que cette fois on n’aura pas du tout ce à quoi on se serait attendu de la part de Daft Punk.

6. Get Lucky, en collaboration avec Pharrell Williams (piste N°8) : un dangereux air retro. Efficace !

7. Motherboard (piste N°10) : ici, on a laissé les instruments s’exprimer.

8. Doin’ It Right, en collaboration avec Panda Bear (piste N°12) : C’est le titre qui a le style le plus actuel. Très proche de notre Rythm & Blues contemporain. Et puis, il y a le Panda…

9. Instant Crush, en collaboration avec Julian Casablancas (piste N°5) : encore un bond d’une douce violence dans le passé…

10. Beyond (piste N°9) : au début, il y a cet orchestre symphonique qui te promet… Soudain, changement de rythme, sans transition. On passe à une cadence très jazzy, qui fait dodeliner de la tête.

Par René Jackson


Enfants d’intérêt économique

Père retranché dans la grue

Le Cameroun est loin d’être un pays béni pour l’enfance. Pour le vérifier, c’est tout simple : il faut aller dans la rue. Qu’est ce qu’on y verra ? Il faut au préalable planter le décor : Douala. Mois d’août (donc maintenant). Pluie battante, qui peut tomber pendant plusieurs jours sans s’arrêter (comme maintenant). Vous verrez, à la merci des intempéries et des chauffards qui pullulent sur nos routes, des enfants souvent âgés de seulement six ou sept ans battre le macadam. Un plateau rempli d’arachides, ou d’aubergines, ou de cigarettes, ou encore d’épis de maïs cuit à l’étuvée. Qu’il faut vendre. Ils folâtrent ça et là dans la ville sans parapluie, ni même de vêtements qui pourraient leur permettre de rester au chaud. On dit qu’ils se « débrouillent », parce qu’il faut préparer la rentrée scolaire. Comme si c’était à eux de le faire.

C’est le sort réservé à ceux qui ont échappé à la poubelle ou aux fosses sceptiques. Parce qu’à Douala et plus généralement au Cameroun, les endroits où on retrouve le plus les nouveau-nés après les maternités, ce sont les poubelles et les fosses sceptiques. Où des mères criminelles jettent leur progéniture à peine venue au monde comme un vulgaire déchet. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on en entende parler de ces sordides faits divers. Beaucoup sont retrouvés déjà morts, leur carcasse déchiquetée par les chiens errants ou envahie d’asticots.

On dit en Afrique que l’enfant est une richesse. Ce n’est pas qu’un dicton, ou une phrase qu’on sort tout bêtement pour expliquer nos records en taux de natalité. L’enfant est une richesse est une expression qu’il faut prendre au premier degré. A l’époque de nos parents, l’enfant était d’abord et avant tout une main d’œuvre. La meilleure qui soit puisqu’elle était obéissante – ou docile – et non-rémunérée. L’école n’était pas une obligation et pour les scolarisables, c’était l’époque où l’Etat s’occupait de tout. Les parents s’arrangeaient juste à ce qu’ils aient de quoi manger et le minimum pour se vêtir.

Aujourd’hui, il y a ceux qui envoient leurs enfants se balader un peu partout avec un plateau sur la tête, il y a ceux des libanais qui harcèlent les passants dans tous les carrefours de la ville dans le but d’obtenir une pièce. Ils font partie de la catégorie de ceux qui ramènent de l’argent frais. Il y a les autres, plus chanceux, qui sont scolarisés et bien entretenus, mais sur lesquels les parents fondent les espoirs futurs les plus ambitieux. L’école est un investissement qui sera rentabilisé quand les parents seront dans leurs vieux jours.

Dans les sociétés encore très traditionnelles comme la nôtre, l’enfant joue un rôle de premier plan. Il est le ciment de la famille. Pour beaucoup, il est impensable qu’un couple ne fasse pas d’enfant. Qu’un jeune homme traîne avec une fille pendant six mois et on commence à l’assaillir de questions sur ce bébé qui tarde à venir. La femme en est la première victime car une femme ne peut-être une femme que si elle fait des enfants. Sinon, elle n’est qu’un humain d’apparence qui sera l’objet de tous les quolibets. Donc, l’enfant avant même sa naissance est déjà au service d’intérêts qui dépassent sa pauvre petite personne.

Il y a l’époque des hommes-prisonniers, victimes de véritables guets-apens, méticuleusement fomentés par une femme qu’ils avaient commis l’erreur de traîner dans leur lit un soir. Il pensait être en train de se payer du bon temps pendant quelques heures, alors que sans le savoir, un piège invisible se refermait sur lui.

Mis devant le fait accompli d’une grossesse qui ne faisait pas partie de ses plans, il a le choix entre deux éventualités.

Primo, il peut faire celui qui ne se sent pas du tout responsable de la situation. Et là soit il fond dans la nature, soit on assiste à une scène comme celle que j’ai vécu chez mon voisin il y a quelques années.

Sa fille avait conçu d’un jeune homme du quartier. Le voisin a convoqué le petit malotru qui refusait de se manifester. Il est venu. Il a écouté le père raconter sa vie. Puis il a pris la parole. Et ses mots ont été durs. Il a commencé par préciser l’entente de départ qu’il y avait entre la fille et lui : pas d’enfant. Puisqu’elle était enceinte, c’était à elle seule de s’interroger sur ce qu’elle ferait. Parce que lui il n’avait rien à y voir. Et il a pris l’assistance à témoin : si la fille ou un autre membre de sa famille osait encore se pointer devant sa porte, il ne répondrait plus de ses actes. Sur ces mots, il est rentré chez lui. Laissant tout le monde pantois.

Deuxio, le coupable se sent responsable et accepte de prendre la future mère chez lui. Pour s’occuper d’elle et du bébé, avec la perspective d’éventuelles épousailles. C’est ce qu’on appelle chez nous goûter le mariage, ce que d’autres nommeront concubinage. Ou alors, ayant greffé dans sa tête que ce ne sera jamais rien de plus qu’une aventure d’un soir, mais ayant tout de même envie d’assumer son devoir parental, il reconnaît l’enfant.

Et cette dernière hypothèse est celle sur laquelle de nombreuses femmes (et leur famille) ont bâti toute leur stratégie.

Il y a quelques mois, sur un réseau social, un ami a lancé un cri du cœur : il avait fait un enfant avec une fille. Il s’en occupait car il donnait une ration hebdomadaire à la mère du petit. Mais chaque fois qu’il allait chez la fille pour avoir l’enfant, même pour un petit week-end, il essuyait le refus catégorique de sa « belle-famille ». Quelqu’un lui demanda combien il donnait comme argent. Il a sorti une somme vraiment conséquente. La même personne lui a demandé de couper les vivres et de ne plus réclamer l’enfant. Il avait bien évidemment émis des réserves, car la famille de la fille étant pauvre, l’enfant risquait d’en pâtir. Mais il avait suivi le conseil. Deux mois après, il pavoisait. Il avait reçu un coup de fil à son lieu de service. On lui annonçait qu’à son retour le soir, il trouverait son fils chez son voisin avec toutes ses affaires.

Il y a des femmes à Douala, qui font des enfants apparemment de façon incontrôlée. Elles en ont cinq ou six, qui n’ont en commun que l’utérus duquel ils ont été expulsés. La plupart du temps, cela procède d’un plan. Les enfants sont un fonds de commerce, un objet de chantage. Six ou sept enfants sont autant de sources de revenus. Chacun des pères « paie » la mère pour qu’elle s’occupe de son rejeton. Le marmot qui a le malheur d’avoir le géniteur qui a fui ou qui est radin est le vilain petit canard de la portée. La mère elle n’a plus aucune raison de chercher un travail car elle vit tous frais payés et peut continuer sa vie de petite vertu. Si l’un des papas, consciencieux, voit la situation précaire dans laquelle son enfant est élevé et craint pour son avenir, il se verra opposer une fin de non recevoir de la mère et de sa famille, dont les intérêts sont aussi en jeu. Il ne faut pas plaindre certains grands-parents parce que vous les voyez assaillis par des dizaines de bambins. Chaque tête représente une petite fortune qui tombe à la fin de chaque mois.

On a assisté au début de l’année au spectacle de ce père désespéré qui s’est retranché au sommet d’une grue à Nantes en France, parce que la justice lui avait refusé le droit de garde sur son fils (photo). Beaucoup de pères camerounais vivent la même situation. La différence chez nous étant que la justice n’est pas souvent concernée. Les enfants sont proprement pris en otage par leur mère et la famille de celle-ci, pour rien d’autre que des enjeux pécuniaires.

L’intérêt même de l’enfant est une préoccupation secondaire. La conséquence étant ces bambins qui se retrouvent à vendre des arachides sous la pluie, à s’agripper au moindre passant pour une pièce, qui vont et viennent sans but, qu’on enlève, qu’on viole, qu’on assassine, qu’on mutile. Et pour ceux qui réussissent à passer entre les gouttes, ils deviennent ces fameux nanga-bokos qui hantent certaines rues de la ville. Lesquels pour gagner leur pitance, agressent à tout va.

 

Par René Jackson                                                                 


Snobisme, quand tu nous tiens

The Snob
The Snob

Le camerounais est un incorrigible vantard. Si le snobisme devait avoir une nationalité, elle serait sans aucun doute camerounaise. Nous vivons dans un pays où, si tu n’as pas un peu, comme on dit ici, tu es mort et enterré. Non pas parce que la misère aura eu raison de toi, mais à cause des regards hautains dont les gens ayant un peu t’auront chargé et dont le poids t’aura littéralement enterré vivant. Le camerounais est snob. Et c’est même très peu de le dire. Comme d’habitude, je vais m’entendre dire que je fais des exagérations et des généralisations. Mais dans un royaume où tout individu qui a une once de pouvoir en abuse, se montrer est devenu un véritable sport national. Qu’est ce qui me faire le dire ? Tout simplement parce que c’est la vérité. Pour ceux qui en doutent, voilà quelques explications.

Commençons par un tour dans nos aéroports. Au hasard, on prendra celui de Douala. Il y a quelques années, les autorités avaient interdit l’accès des aérogares aux personnes qui ne voyageaient pas. Pourquoi ? Simplement parce que ces endroits étaient bondés, occupés qu’ils étaient par ceux qui venaient accompagner les voyageurs. A qui profitait le crime ? Tant aux voyageurs qu’aux accompagnants. Celui qui voyage doit montrer à tout le monde qu’il prend l’avion. Ah, l’avion, ce moyen de transport suprême ! Monter dans un avion n’est pas donné à tout le monde. Il faut que le maximum de personnes sache qu’on va entrer dans le ventre de l’oiseau. On ameute donc famille, amis. Ceux-ci ne se feront pas prier pour converger vers l’aéroport. Vous ne pouvez pas imaginer les sourires satisfaits que font ceux qui te disent : « gars hier, j’étais à l’aéroport. Je suis allé accompagner un pote qui partait ». Question de te faire comprendre que lui aussi s’est retrouvé à deux cents mètres à tout casser d’un aéroplane. Victime j’ai été. Je me suis fait remonter les bretelles par un ami qui était mécontent du fait que je sois « parti » sans lui dire. Il m’aurait accompagné à l’aéroport, il a dit. Je lui ai demandé à quoi il allait me servir là-bas. Notre relation en a pris un coup.

Descendons d’un cran. Tout le monde ne peut pas prendre l’avion. Mais effectuer un voyage entre Douala et Yaoundé (ou dans le sens inverse) est plus dans les cordes du camerounais moyen. Pour cela, il faut se rendre dans une agence de voyage afin d’emprunter un autobus. Souvent le spectacle en vaut largement le détour. Le week-end dernier, je devais aller à Yaoundé. Période de vacances, tout le monde voyage. Le bus que je devais emprunter n’était probablement pas encore parti de Yaoundé au moment où j’ai acheté le ticket. Ça m’a laissé de longues heures d’observation. Dans nos stations de bus, on a souvent l’impression que tout le monde va à une même grande fête. Les femmes et les filles arborent les plus belles toilettes. Certaines sont tellement maquillées, on croirait qu’elles vont à une élection de miss. J’ai eu mal aux pieds à la place de ces jeunes femmes qui portaient ces chaussures hyper compensées qui sont revenues à la mode. Les garçons ne sont pas en reste. La plupart avaient plus l’air du chanteur DJ Arafat que de camerounais normaux. Et dire qu’on est tous là pour risquer nos vies sur l’un des axes routiers les plus dangereux du continent. Quitte à mourir, autant le faire en beauté hein ? Ce qui est sûr, c’est qu’avec mon vieux pull à capuche délavé et mon pantalon en jeans totalement élimé, j’étais comme un cheveu dans la soupe.

Le problème c’est qu’il pleuvait et qu’il faisait froid. Et je ne parviens toujours pas à comprendre à l’autel de quoi les filles aux épaules dénudées s’exposaient ainsi à une pneumonie.

La voiture. Signe extérieur de richesse. Nous sommes indigents. Ce qui dans d’autres pays est un moyen, la voiture est une fin chez nous. Tu as réussi ? Oui. Mais où est la voiture qui le prouve ? Beaucoup chez nous on changé morphologiquement depuis qu’ils ont acquis cet objet de luxe. Non pas à cause du fait qu’il accroît notre sédentarisme en annulant nos dix ou quinze minutes de sport quotidien qu’imposent la recherche d’un taxi. Non. A force de gonfler*, ils ont fini par changer physiquement. Pourquoi ne gonfleraient-ils pas d’ailleurs? Ils roulent  en voiture quand la majorité va à pieds. Celui qui a une voiture est tout puissant. S’il y a une réunion, on l’attend toujours. Il est celui qui a le privilège d’être bloqué dans un embouteillage. Pour les autres, c’est un luxe impossible parce qu’un embouteillage n’a jamais ralenti un moto-taxi qu’on aurait pu emprunter ou alors le piéton. Celui qui a la voiture est celui qui aura facilement les petites, car selon une expression consacrée ici « les femmes aiment l’odeur du carburant ». Quand tu gares une voiture dans la cour du père de ta fiancée, il n’y a aucun risque de repartir sans elle. Parce qu’autant toi le propriétaire de l’auto tu te gargarises des exploits qui t’ont permis d’acquérir ce bijou (qui au demeurant est un vieux tacot importé de Belgique), ta compagne ne se privera pas de dire à ses amies envieuses que son fiancé a la voiture.

On dit qu’au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Les choses qui sont toutes naturelles dans beaucoup de contrées relèvent chez nous de l’extraordinaire. Les sénégalais du Sénégal riraient à s’enrouler dans la poussière s’ils entraient dans un restaurant sénégalais à Douala. Ils se demanderaient si c’est le même riz qu’ils mangent tous les soirs à Thiès avec les mains et en crachant la morve dans la sable à côté. Les gens qui mangent dans nos petits restaus sénégalais se comportent comme s’ils étaient au restau de l’hôtel Hilton de Yaoundé. Quelqu’un qui mange un hamburger à Douala passe pour un extra-terrestre. Et il se comporte comme tel. Ne parlons même pas de la pizza !

Les camerounais ont très vite adopté Facebook. Les raisons sont désormais évidentes. Dans la compétition de celui qui sera le plus vu, ce réseau social est un outil de premier plan. Il y a une petite chose que j’ai remarquée pendant mes quelques années de présence sur Facebook. Des personnes jadis totalement transparentes sont devenues de véritables vedettes sur le réseau. Quand le gars était ici à Douala, il pouvait publier sur son mur qu’il allait s’immoler en pleine rue, ou annoncer qu’il renverserait le régime en place, personne n’aurait réagi. Ses publications restaient désespérément seules, sans le moindre j’aime ou commentaire. Et puis, un jour de décembre il a écrit : « -3 degrés Celsius ». Nulle part au pays, le thermomètre descend en dessous de quinze degrés. Nulle part en Afrique d’ailleurs. Les calculs sont vite faits. Le gars ne peut être que parti ! Soixante-dix commentaires et deux fois plus de j’aime. Qu’il poste une photo de sa trombine avec le logo d’un McDonalds en arrière-plan et il récoltera les avis les plus dithyrambiques.

Il n’y a pas de McDo au pays. Si on parvient donc à se retrouver à quelques mètres d’un McDo, quelque part on a réussi. Et une réussite n’a de valeur pour nous que si elle se sait.

Par René Jackson

*Gonfler: crâner, faire l’important


Journal intime d’une étudiante camerounaise

Crédits photo (creative commons) : olivander
Crédits photo (creative commons) : olivander

Il y a quelques temps, je discutais avec un ami. Un ami qui avait longtemps vécu en France. De retour au pays pour s’y établir, il semblait étonné d’apprendre que de jeunes camerounaises vendaient leurs charmes pour pouvoir payer leurs études. Le problème est que, la prostitution étant le plus vieux métier du monde, il a eu le temps de se disséminer partout. Le phénomène existe donc aussi dans le pays où il avait vécu. En France. Comment je le sais ? J’ai vu un film – ma foi assez cru – dans lequel il se racontait la vie d’une jeune femme qui s’est retrouvée plongée dans la prostitution pour pouvoir payer ses études. On y apprend entre autres qu’en 2006, deux cent vingt cinq mille étudiants y auraient eu des difficultés à payer leurs études. Et ça c’était avant la crise. Comme quoi, ce n’est pas seulement sous nos latitudes que les étudiantes donnent de leur personne afin d’obtenir leurs diplômes.

J’ai dit  prostitution ? Euh… Non. On pourrait plutôt appeler ça un échange de bons procédés. La vie est dure. Je n’apprends rien à personne en disant cela. Donc, il faut se battre.

L’étudiante camerounaise se retrouve dans une situation très difficile. Elle a obtenu son baccalauréat. Elle a envie de continuer ses études universitaires parce qu’on lui a dit qu’en fait, le bac c’est le commencement de tout. Tout le monde est content pour elle. Mais problème : c’est une fille. On trouve qu’elle en a déjà fait assez, parce qu’elle vit dans une société où une fille qui a fait de hautes études n’est pas différente d’un jihadiste qui dispose du code nucléaire des Etats-Unis d’Amérique. C’est un danger. Elle ne trouvera pas sa place. Elle mourra vieille fille.

Ses parents et sa famille sombrent dans le désespoir quand elle parle de faire un doctorat. Aucun homme normalement constitué ne peut accepter de prendre pour épouse un Docteur. A moins qu’il n’ait obtenu l’agrégation. Mais ils sont combien, les agrégés ? Cette fille sera la honte de sa famille. Soit elle ne trouvera jamais chaussure à son pied, soit elle en trouvera une qui très vite serrera son joli pied. Et elle ira demander le divorce. Oui, parce qu’à force de pousser dans es études, elle finira fatalement par se rendre compte qu’elle peut divorcer. Non, une femme instruite est un danger, un assassin pour la virilité. La communauté ne la casera que très difficilement.

Mais elle est en même temps un espoir. Ne dit-on pas que lorsqu’on éduque un homme, on éduque un être et qu’à contrario, lorsqu’on éduque une femme, on éduque un peuple ? La fille éduquée sera celle qui sera aux petits soins pour sa mère fatiguée, pour son père ivrogne et pour sa tripotée de frères tous plus imbéciles les uns que les autres. Elle sera certes moins encline à fermer les yeux sur les infidélités de son homme, mais sera celle qui tiendra son foyer d’une main de fer et dirigera ses ouailles dans la bonne direction.

Il lui faut des diplômes. Elle s’est inscrite à l’université de Douala (mon université préférée). Et là, elle voit les feux de l’enfer. Elle se rend compte de l’énormité de tout ce qu’il faut dépenser en transports et en polycopiés. On le rappelle, la mère est fatiguée et le père ivrogne. Les oncles et les tantes lui donnent un conseil avisé : « marie-toi, petite. Très vite. Trouve-toi un homme riche et aide ta famille à sortir de la misère ». Ca c’est pour justifier leur refus de donner le moindre kopek pour ses études.

La petite étudiante est perdue. Elle a des envies d’abandon. Mais elle voit tellement de jolies filles pour qui tout roule. Belles. Pimpantes. Et bouffant des trucs hors de prix. Elle devient leur amie. Et là, elles tentent de lui inoculer le virus.

« Ma sœur, tu vois comme nous sommes belles là, ce n’est pas pour rien. On se fait gérer. »

Ah non ! Elle ne fera jamais ça ! Sa famille était chrétienne et tous les dimanches à l’église, on disait que ce n’était pas des choses à faire. Oui, mais c’était au village, ça. On pouvait déterrer quelque tubercule quand on avait faim. Ça ne manquait pas, les tubercules, au village. Ils n’appartenaient qu’à celui qui voulait se donner la peine de les déterrer. Sauf que là, on est à Douala. Et les tubercules, ici, on les trouve dans les restaurants et ils ne sont absolument pas gratuits. Elle retrouve les bras de son petit ami, fauché comme les blés, tout juste bon à lui dire des je t’aime pour faire tomber ses défenses. Afin qu’elle lui offre des parties carrées inabouties. Mais elle l’aime. Et donc elle espère et supporte.

Ce n’est pas possible ! Ça fait presque deux jours qu’elle n’a rien avalé. Elle repense à ses frères au village. On a dit tout ce qu’on a dit à l’église du village, mais ça n’empêche pas qu’ils aient quelque chose à voir avec la multiplication incontrôlée des marmots dans leur hameau depuis qu’ils ont atteint l’âge de procréer. Et il y a ces amies, toujours plus belles et plus pimpantes, qui ne cessent de lui demander de faire comme elles.

Elle était d’ailleurs chez l’une d’elles un soir. La belle et pimpante était sous la douche. Elle se préparait pour un rendez-vous galant. Son téléphone a sonné. Notre petite curieuse affamée jette un œil. Appel manqué de BAILLEUR.

« Ma copine, quand tu étais sous la douche, ton bailleur a appelé.

Aka* ! Qu’est ce qu’il me veut encore, celui-là ?

-Tu n’as pas payé le loyer le mois dernier ou quoi ?

-Chérie, moi, payer le loyer ? Jamais de la vie ! C’est mon bailleur. On se gère.

-Vous vous gérez… ?

-C’est l’un des mes gars non ? On se gère et je ne paie pas le loyer.

-Ah bon ?

-Oui, ma copine. Et le jour où il me tente, j’ai le numéro de sa femme. Attends, je te montre quelque chose ».

La pimpante ouvre le répertoire de son téléphone.

« Tu vois, ici c’est LOYER : il me donne l’argent de mon loyer toutes les fins de mois. Et comme je ne paie pas le loyer pour les raisons que tu sais, ça va dans ma poche. Là c’est FRIGO : lui me remplit mon réfrigérateur. AKWA PALACE : celui-ci, il aime seulement m’emmener passer les nuits à l’hôtel Akwa Palace. MOUGOU c’est un idiot là qui croit qu’il va m’avoir. Celui-là, je mange bien son argent. Il n’aura jamais rien. Pour CREDIT, il suffit que je le bipe et il m’envoie des unités dans mon téléphone dans le quart d’heure qui suit. ANNIV c’est un vieux là, j’avais inventé une histoire d’anniversaire pour qu’il m’emmène passer un week-end à Limbé. Je ne te dis pas, ma copine. Le père là était vieux, mais il répondait comme les petits gars qui sont à la fac là. J’avais vu de toutes les couleurs, je te jure !

-Mais, avec tous les hommes que tu gères là, tu arrives à t’en sortir avec les cours, les devoirs et tout ça ?

-On se débrouille non ! Moi j’essaie quand même d’étudier. Même comme mes notes sont toujours aussi faibles. J’ai mon autre copine qui marche souvent avec moi là. Elle se fait gérer par nos profs.

-…

-Qu’est ce qui te surprend ? Tu crois qu’elle a fait comment pour valider toutes ses UV en première année ? Est-ce que tu la voyais souvent au cours ? Elle allait ramasser ses mentions ‘très bien’ dans le lit des enseignants. Tu as déjà entendu parler des NST au moins ?

-Les NST ? C’est quoi ça ?

-La fille-ci, tu peux être ndjouksa* hein ! Les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu couches avec un prof pour qu’il te donne une bonne note à son UV et qu’il plaide ta cause auprès de ses collègues. Si tu as trois coups comme ça, tu vas jusqu’au Master sans taper ton corps ».

L’étudiante regarde ses amies croquer la vie à pleines dents. Tout ce bling-bling l’attire furieusement. Elle est consciente des risques. Elle aime un garçon, un camarade de classe. Mais est-ce qu’on vit d’amour et d’eau fraîche ? Elle n’a rien, il n’a rien. Pourtant l’avenir s’éclaircirait bien vite parce que les filles lui ont dit que dès qu’elle le souhaiterait, elles lui présenteraient un ou deux hommes qui pourraient s’intéresser à elle. Elles lui ont fait comprendre que si elle donnait juste un peu de sa personne, elle serait à l’abri du besoin.

« Ton amoureux t’embrouille l’esprit. Mais il n’est pas un problème. Tu peux jouer comme moi. Tu vois le gars qui est en troisième année, qui marche toujours derrière moi non ? Eh ben, c’est mon bon gars. Mon titulaire. C’est lui que je ya mô*. Je meurs pour lui. Toutefois je lui ai expliqué que la vie était un peu difficile pour nous deux et il accepte de me voir souvent monter dans les grosses voitures à la sortie des cours. De toutes les façons, même si ça le dérange, il ne se gêne pas pour venir se servir comme il veut dans mon frigo. Il m’aime. Et quand on aime, on comprend ».

Ou on se fait entretenir par une tapineuse. L’étudiante espère que son amoureux sera aussi conciliant si elle décide de devenir une accompagnatrice de luxe. Mais elle doute. L’histoire de cette autre fille qui a rencontré un homme qui lui a fait subir toutes sortes de cruautés l’autre soir dans une auberge, au point où elle en est morte, n’a pas encore fini de faire des remous au sein du campus.

Par René Jackson

*Aka ! : expression d’agacement

*Ndjouksa : personne idiote, un peu arriérée

*Ya mô : être amoureux (se)


Profession: rabatteur

Statue de la Nouvelle Liberté, Faite de récupérations métalliques, symbole de l'inventivité et de la débrouillardise des doualaens. - DW Akademie. Licence Creative Commons BY-NC 2.0
Statue de la Nouvelle Liberté, faite de récupérations métalliques, symbole de l’inventivité et de la débrouillardise des doualaens
Licence Creative Commons BY-NC 2.0

La paix sociale a Cameroun, elle existe. Pourquoi ? Qu’est-ce que le Cameroun a de mieux – économiquement – que l’Afrique du Sud ou le Brésil par exemple, ces gens qui n’hésitent pas à manifester à la moindre alerte. Ou encore, qu’est-ce que le Cameroun a de plus que tous ces autres pays où il existe des conflits, ces autres pays où les communautés se battent entre elles ? Rien. Du moins en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes chez nous. Loin de là ! Nous on n’est pas du genre à s’exposer aux yeux du monde comme les égyptiens pour demander le départ d’un président qui n’est là que depuis une minuscule année. La preuve ? Suivez simplement mon regard. Non, nous on lave notre linge sale en catimini. On règle nos petits problèmes à force de petites insultes tribalistes au coin d’un mur. Ou en débauchant la femme de notre ennemi. Et quand ça semble vouloir dégénérer, pour enterrer le tomahawk, on fume le calumet de la paix autour de quelques bières dans un bar.

Contrairement à une certaine catégorie d’égyptiens qui, pour tromper leur ennui, vont squatter une place en lançant des « Digage !»* vindicatifs, nous on se débrouille. On n’a pas le temps pour les combats politiques. Nous on a des besoins primaires qu’on doit satisfaire au jour le jour. L’équilibre social camerounais repose sur une certaine passivité, sur une capacité presque surnaturelle à faire le dos rond, certes, mais aussi et surtout sur une ingéniosité et une débrouillardise qui finalement viennent à bout de tout. Et parmi les grands débrouillards qu’a enfantés notre belle ville de Douala, il y a les rabatteurs.

Selon le Larousse, un rabatteur est une personne qui rabat le gibier vers les chasseurs. Chez nous, on dira que le rabatteur est une personne qui rabat le gibier (le client), vers le chasseur (le vendeur ou le fournisseur de services) et qui en contrepartie récolte des sous. A Douala, les rabatteurs sont presque partout. Parlons de quelques uns que je côtoie souvent, tiens!

Le rabatteur numéro un, celui qu’on remarquera le premier, est celui qu’on appelle le chargeur. Son lieu de travail est l’un des nombreux carrefours de la ville. Son matériel : sa bouche. Le chargeur est celui qui trouve les clients pour les taximen. En criant une destination : « Akwa Soudanaise ! Akwa Soudanaise ! Trois cents ! La mère, tu vas à Akwa ? A quel niveau là-bas ? Non, il ne passe pas par le marché Sandaga, la route est mauvaise là-bas… Chauffeur, tu passes par Sandaga ? Oui la mère, monte, il passe par là… Akwa Soudanaise ! Une place, une place ! » Il crie une place restante, même s’il y en a encore quatre des cinq qui sont libres. Qu’il fasse soleil ou qu’il pleuve, le chargeur est là, il hurle des destinations. Il remplit les taxis. Et chaque fois qu’il le fait, le chauffeur lui remet cinquante francs. L’un de ces derniers m’expliquait un jour :

« A priori, on pourrait croire que si les taximen voulaient, il n’y aurait plus de chargeurs. En réalité, c’est plus compliqué. En plus de nous trouver des clients, ils nous permettent de souvent échapper aux policiers quand on stationne mal pour trouver les passagers. Et puis quand il y a des sacs à mettre dans la malle arrière, ils s’en occupent. Cinquante francs ce n’est pas cher payé pour les services qu’ils nous rendent. Et nous on ne perd rien, puisqu’on s’en sortirait même si on ne faisait pas le bâchement*. Le passager supplémentaire nous sert à payer le chargeur et à gérer les mange-mille* qui nous emmerdent souvent en route là. Et certains de ces chargeurs peuvent se faire jusqu’à dix mille en une journée ».

Dix mille francs (environ 15 euros) en une journée… Autant, sinon plus que beaucoup de nos fonctionnaires. Quand ceux-ci sont honnêtes, bien entendu.

L’autre catégorie de rabatteur sévit autour de certains lieux stratégiques. Comme les campus universitaires. Il est facilement reconnaissable. Il tient une pancarte sur laquelle sont collées des photos de tous les formats. Ici, le gibier principal est l’étudiant. Cette caste de personnes a qui on demande des photos d’identité à tort et à travers. Le marché est immense quand on sait qu’en dehors des demandeurs de visas, les étudiants n’ont pas leur pareil quand il s’agit de faire des formalités et que chaque campus voit défiler des milliers de personnes chaque jour. Mais le rabatteur ne fait pas son fonds de commerce seulement sur les étudiants. Toute personne qui passe par là est l’objet de son intérêt. Il charrie tout ce beau monde vers un studio de photographie qui n’est pas loin de là. Et pour chaque client, il perçoit une commission. La majorité de ces rabatteurs sont en fait des étudiants des campus universitaires autours desquels ils gravitent. Ils peuvent ainsi payer leurs études.

Le dernier rabatteur que j’évoquerai ici s’assimile beaucoup plus à un aiguilleur. J’ai passé trois heures avec l’un d’entre eux il y a quelques mois. Puisque que je m’étais rendu à un endroit qu’on appelle Ancien Troisième, le marché de la ville qui est spécialisé dans l’électronique. J’avais dans ma liste de courses : acheter un casque audio, acheter un chargeur pour un téléphone et faire réparer un autre téléphone. Dès que je suis descendu du taxi, j’ai vu un jeune homme se planter devant moi.

« Bonjour Grand. Tu as besoin de quelque chose ?

-Euh… Oui, je cherche un endroit où on vend les écouteurs.

-Viens, je connais une boutique où tu peux trouver de bons écouteurs ».

Pas très rassuré, je me retrouve en train de courir presque derrière lui. On s’enfonce dans les profondeurs du marché. Jusqu’à la boutique d’une jeune femme qui effectivement vend toutes sortes de casques audio.

« Boss, tu as prévu combien pour le casque ? » Je lui donne un montant. Et lui il va négocier avec la marchande. Elle n’est pas d’accord pour me donner celui que j’ai choisi au prix que j’ai proposé. Le jeune homme n’en démord pas et réussit finalement à la convaincre. Pour le chargeur du téléphone, il prit aussi en mains l’opération de marchandage. Après, il fallait réparer l’autre téléphone. Il m’a encore trainé derrière lui, dans les méandres du marché, me faisant passer par des endroits vraiment hétéroclites. Il a remis l’appareil en panne à un technicien, lequel après diagnostic, m’a donné un prix taxé*. Mon démarcheur s’est encore chargé de discuter ce prix et quand il a atteint le raisonnable, j’ai été d’accord pour confier mon téléphone à réparation. Il fallait repasser deux heures plus tard le récupérer.

Maintenant, j’avais deux heures de temps à tuer. Où et comment ? Je ne le savais pas. Mais mon démarcheur, lui savait ! Malin comme tout, il m’a dit qu’il connaissait un endroit idéal où patienter. Il m’a conduit tout droit… Dans un bar. Comme il n’est pas commode d’occuper une place dans ce genre d’endroit sans consommer, je me suis retrouvé en train d’acheter des boissons. Une bière pour lui et un soda pour moi. Et question d’accompagner son breuvage, il s’est pris un bon plat de ragoût de plantain. Et entre deux bouchées et une gorgée, il m’expliquait :

« Tu vois comment je t’ai aidé aujourd’hui non ? Moi j’aurais pu te laisser aller te perdre au marché hein ! Mais au contraire je t’ai emmené directement aux endroits où tu pouvais trouver ce dont tu avais besoin. Quand on va finir là, je vais rentrer chez tous ces gens et ils vont me donner quelque chose pour le client que je leur ai emmené. Et si toi tu es content, tu peux aussi me donner mon pourboire. Je n’ai pas fait de longues études et c’est comme ça que je me bats pour vivre. Et on est nombreux à faire ça dans tous les marchés de Douala ».

Et au moment de se séparer, je lui ai effectivement donné son pourboire. Grâce à lui, je dois l’avouer, j’avais fait de très belles affaires.

C’est la saison des pluies. Et qui dit saison des pluies à Douala, dit averses ininterrompues souvent pendant cinq ou six jours d’affilée. Je ne peux pas terminer sans parler de ces débrouillards saisonniers qui ne sont pas des rabatteurs, mais des porteurs. Ils ont leur bureau tout près des mares d’eau qui se forment à la moindre ondée sur nos quartiers. Ces mares d’eau ont ceci de particulier : elles contrarient immanquablement les ambitions de ceux qui veulent emprunter les routes qu’elles coupent. Le porteur est la solution à ce problème. Il se propose de t’emmener de l’autre côté sur son dos, moyennant une certaine somme. Quand vous tombez d’accord, tu grimpes. Mais l’affaire n’est pas encore dans le sac, puisque très souvent, une fois au milieu de la grande flaque d’eau, le petit malin te fait comprendre que tu dois payer plus que ce que vous aviez conclu pour la traversée. Sinon il n’aura pas d’autre alternative que de te débarquer là.

Cela fait partie des situations dans lesquelles on n’a souvent pas le choix. Surtout quand on a un costume trois pièces sur le dos et des Louboutin aux pieds. Je parle par expérience.

Par René Jackson

 

*Digage : Prononciation du mot français ‘Dégage’ par les locuteurs de l’arabe

*Bâchement : camerounisme désignant la pratique de la surcharge dans les transports

*Mange-mille : Policiers ou gendarmes assurant le contrôle routier. On parle de « mille » et non de « mil » à cause de leur goût prononcé pour les billets de mille francs

*Prix taxé : prix qui n’est pas définitif. Qui est voué à baisser


Lettre d’un camerounais à Sepp Blatter

Photo: Marcello Casal Jr./ABr /  Creative Commons License Attribution 3.0 Brazil
Photo: Marcello Casal Jr./ABr / Creative Commons License Attribution 3.0 Brazil

Bonjour, Président

Il y a quelques jours une nouvelle vraiment douloureuse nous est tombée dessus : la FIFA que tu diriges si bien a suspendu la Fédération Camerounaise de Football.

Non, je rigole, Président ! Dans ma phrase il y a deux mensonges : le premier, tu as dû t’en douter, est que tu diriges bien la FIFA. C’est juste une petite boutade, car ton association est la première mafia du monde, loin devant la mafia sicilienne, russe, calabraise et les yakuzas. J’en veux pour preuve les scandales qui ont émaillé la vie de ta vénérable institution ces dernières années. La dernière en date fut le Qatargate. On disait que vous aviez vendu l’organisation de la coupe du monde 2022 au Qatar. Vrai ? Faux ? Je ne sais pas. Toujours est-il que les journalistes ont sorti des preuves lourdes et que tu n’as pas vraiment apporté de démenti.

Le deuxième mensonge est que la nouvelle de la suspension de la Fécafoot a fait mal à nous camerounais. En réalité, au mieux on s’en fout et au pire on te dit merci.

Prési, nous te disons merci. Merci pour avoir mis fin à cette mascarade. Nous nos demandons même pourquoi votre décision n’arrive que maintenant. Ah, je sais ! Entre mafiosos, on se respecte. Oui, parce que la Fécafoot est une autre mafia. Et pour s’attaquer les uns aux autres, il faut que le rubicond ait été franchi.

Je n’ai d’ailleurs pas compris la décision que ta FIFA a prise. Ingérence du gouvernement camerounais dans les affaires de la fédération de football ? Pourquoi ? Parce qu’on a mis le  président Iya Mohammed de la Fécafoot en prison ? Président, ça me fait rire ! Parce qu’apparemment, tu ne connais pas notre Opération Epervier. Ce que nous appelons affectueusement ici « Eper » est ce volatile qui est sensé remettre de l’ordre dans la gestion de la chose publique camerounaise. L’Epervier a déjà fait beaucoup de victimes, car on compte dans son butin de guerre des anciens directeurs généraux, ministres et même un ex-premier ministre, qui se seraient donné un peu trop de libertés avec l’argent de nos impôts. C’est vrai que le président Iya n’était pas loin d’être l’homme le plus détesté au Cameroun. Il énervait tout le monde. Apparemment jusque dans les hautes sphères. Et comme il s’accrochait désespérément à son poste de chef de la mafia du foot camerounais, on a envoyé l’Epervier planer autour de sa tête.

Le problème au Cameroun, Président, c’est que tous ceux au dessus de qui l’Epervier a tournoyé se sont retrouvés en prison. Sans exception. Le président de la Fécafoot, bien qu’il savait son sort était scellé, a continué ses petites affaires comme si de rien n’était. Il y a quelques mois, il s’est présenté à l’aéroport de Yaoundé. Il partait pour Paris. La police des frontières lui a confisqué son passeport en lui signifiant qu’il avait interdiction de quitter le pays. Il s’en est foutu comme de l’an quatre.

Président, monsieur Iya Mohammed contrôle tellement bien sa mafia qu’il s’est fait réélire au poste de président de la Fécafoot alors qu’il était en garde a vue et à quelques heures de se faire écrouer à la prison centrale de Nkondengui ! Ce qui est incompréhensible dans la raison qui a motivé votre suspension est qu’il ne s’est pas fait emprisonner à cause de ses activités au sein de la fédération, mais pour des malversations présumées à la Sodecoton, une entreprise publique, dont il était jusqu’à lors  le directeur général.

Ce qui est encore plus bizarre est que lorsque le gouvernement camerounais fourre vraiment ses mains dans le cambouis du foot de notre pays, tes gens et toi ne dites rien ! Le gouvernement a toujours eu son mot à dire quand il a fallu choisir les entraineurs de l’équipe nationale (on se souvient très bien de tout ce qui a entouré la nomination de Paul Le Guen en 2009 comme coach des Lions Indomptables). On sait que le Palais a souvent téléphoné à la fédération pour imposer un joueur dans l’équipe pour le salut de la nation (Roger Milla en 1990 et Patrick Mboma en 2008). On sait que c’est l’Etat et non la Fédération qui paie les entraineurs. Tu n’étais pas encore aux affaires à l’époque, mais c’est bien un ministre de la république qui avait déclaré que la mallette qui contenait l’argent qu’on avait collecté lors d’un porte-à-porte pour financer la participation de nos Lions au Mondial 1994 s’était perdue entre Paris et New York.  Bizarrement, ta FIFA n’a jamais dit mot face à tout ça.

Qu’à cela ne tienne, nous te disons un grand merci, Prési ! Votre suspension est la meilleure chose qui soit arrivée au football camerounais depuis dix ans. Oui, parce que notre football a suivi Marc-Vivien Foé dans sa tombe. Ironie du destin, tu étais personnellement présent à Yaoundé lors de leur mise en terre commune.

Président, Puma nous a phagocytés. On ne comprend toujours pas comment ce faux chat qui bondit continue à s’afficher auprès de notre lion qui rugit. En 2006 cette marque était en concurrence avec Nike et Adidas pour fabriquer la tunique de nos Lions. Malgré le fait que les deux dernières aient des prétentions beaucoup plus avantageuses pour nous (lien) Puma a été choisi. Le dernier contrat a même été conclu sans appel d’offres. Entre-temps, nos joueurs se font dépouiller manu-militari dans les aéroports de leurs équipements, alors que normalement, nous devrions en avoir à ne plus savoir quoi en faire. Ah ! J’oubliais. Puma a négocié avec Mercedes et payé pour moitié le bus qui transporte nos équipes nationales. Quand on sait ça, on comprend tout…

Président, nos équipes ont un palmarès international presque inégalé en Afrique : six participations en coupe du monde dont un quart de finale, quatre CAN remportées, une victoire aux jeux olympiques, notre pays a été celui qui a été le plus couronné aux ballons d’or africains. Et j’en oublie. Malgré tout ça, notre football continue à être géré dans un profond amateurisme.

On sait que tu alloues souvent des fonds aux fédérations nationales. Mais nous n’avons jamais su quelle direction prenait l’argent que tu nous donnais. Nous en donnais-tu d’ailleurs ? On en est arrivés à se poser la question. C’est étrange. L’an dernier, notre Très-Grand-Numéro-9, l’ogre de Makatchkala s’est fâché. Et il a tout déballé : c’est lui qui s’occupait depuis plusieurs années déjà des problèmes consulaires des joueurs des équipes camerounaises, de leurs billets d’avion, de leur hébergement, de leurs primes. Clubs et équipes nationales confondus. Pendant ce temps, que faisait la Fédération ? Personne ne le saura jamais.

Ton association a payé de ses poches la pelouse synthétique du stade de Douala. Mais sais-tu que ta belle pelouse du stade de la Réunification de Douala contraste totalement avec le reste de l’infrastructure qui est totalement délabrée ? J’y étais tout dernièrement, Président. J’ai eu les larmes aux yeux.

Maintenant, qu’est ce qu’il faut faire ? Président, voici mon conseil : fermer les yeux et être encore plus dur. Quatre ans de suspension au minimum et sans sursis pour le Cameroun. Je sais que cela implique l’élimination de tous les clubs et de toutes les équipes nationales de mon pays dans toutes les compétions internationales. Mais ce n’est pas aussi grave qu’il n’y paraît. On ne gagne plus rien de toutes les façons. Ce ne sera pas une perte pour le football mondial. En tout cas, Président, on a saisi l’étendue de notre vide quand le Cap-Vert s’est retrouvé à la CAN 2013 à notre place. Et votre suspension est ce qui pouvait arriver de mieux à notre santé. Tu ne peux pas imaginer le nombre de crises cardiaques que ces Lions-là provoquent ici chaque fois qu’ils prennent des raclées.

On a d’autres sports ici, t’inquiète. Nous avons de très belles courses de pirogues. Ce ne serait pas mal si la course de pirogues devenait notre sport majeur.

Réfléchis bien, Président. Je sais que tu reçois plein de coups de fil de Yaoundé depuis plus d’une semaine, mais de grâce, reste inflexible. Ne lève pas la sanction. Toute une nation t’en sera éternellement reconnaissante.

René Jackson


C’est le grattage que tu veux voir à Douala?

courbettes obama empreur japon
Le président Barack Obama s’incline devant l’empereur du Japon

Cher Monsieur M.,

Votre courriel est particulièrement discourtois. On n’interpelle pas un Professeur agrégé de l’Université, par ailleurs Vice-doyen et Directeur de Master par le mot « Monsieur ».

Vous semblez également oublier qu’aucun enseignant de l’Université n’a l’obligation juridique de mettre des documents à la disposition des étudiants et qu’en le faisant, je vous accorde des faveurs.

Lorsque l’on n’a pas pu bénéficier d’une telle faveur, on la réclame avec finesse, gentillesse et élégance. Or, rien de tel dans votre correspondance.

Pour ne pas récompenser les mauvais comportements, je ne vous enverrai donc pas ces documents. Rapprochez-vous de vos camarades qui les ont reçus. J’espère que vous serez plus courtois à leur égard.

Votre adresse a cependant été ajoutée à la liste d’envoi.

Bien à vous.

Depuis quelques temps, on parle beaucoup de la « titroïde », ce curieux mal, qui obligerait presque tout homme (ou femme) du Pays des Crevettes, c’est-à-dire du Cameroun, à se doter d’un titre ronflant. Et vous voulez que je vous dise ? Ce « Professeur » a raison de réclamer à cet étudiant particulièrement malappris le titre qui lui est dû. L’enseignant qui a produit cette missive, que je connais pour avoir suivi ses cours (je tiens à préciser que ce n’était pas moi le destinataire), demande son titre à cor et à cris. En taclant au passage le mécréant.

Même comme pour moi, tout ça est un débat sans objet. Donc vide. C’est très simple. Un docteur est celui qui soigne les malades. On connait tous son diminutif « Docta » dont on affuble même le plus petit vendeur de médicaments frelatés des bordures de nos rues. Et un professeur n’est rien de plus qu’un enseignant. Et le diminutif « prof » a bercé toutes nos années de lycée. J’ai eu un vif échange la semaine dernière avec un camarade de classe qui défendait toutes griffes dehors le fameux « Son Excellence » qui précède presque toujours le nom de notre Crevette en chef. Les petites gens s’échinent à lui donner ce titre d’Excellence alors que le concerné n’a jamais obligé quiconque à l’appeler ainsi. Que j’interpelle le Président, l’Agrégé d’université ou le Docteur « Monsieur » à mes yeux n’enlève rien à ce qu’ils valent.

Une question mérite d’être posée : à qui profite le crime de non lèse-majesté ? A la Majesté. Oui, mais aussi aux courtisans. Je m’explique.

Jean de la Fontaine avait dit que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. Chez nous, on dira que tout gratteur vit aux dépens de celui que ça démange.

Le gratteur est un fin psychologue. Qui a étudié toutes les faiblesses du genre humain. Le gratteur, qui a d’abord adhéré au principe de non-violence si cher à Gandhi et à Martin Luther King, a compris que la meilleure façon de duper quelqu’un avec son total assentiment est la flatterie. Les plus grands séducteurs sont des virtuoses de la flatterie. Les courtisans qui restent le plus longtemps dans l’entourage du roi sont ceux qui ont la langue la plus mielleuse.

Le gratteur est camerounais. Il est âgé de 7 à 77 ans. Et même parfois plus. Ou parfois moins. Son arme fatale est le verbe. Sa cible favorite est ce Grand, mais pas nécessairement. Il existe une profusion de gratteurs, et cette profusion répond tout simplement à une offre qui s’accroît continuellement. Il y a toujours plus de gens à gratter. Donc toujours plus de gratteurs. L’offre s’ajuste toujours à la demande.

Le premier gratteur fut le musicien camerounais des années 1990. Il était facilement reconnaissable : la connaissance de la musique douteuse, la voix plus proche d’un bruit de casserole qui tombe que de celle d’Aretha Franklin. Mais qui dans une chanson réussissait à prononcer plus de noms qu’un professeur de nos lycées aux classes pléthoriques au moment de l’appel. Le musicien-gratteur le faisait (et continue encore de le faire) soit pour remercier ceux qui l’ont aidé à produire son bouillon musical, soit pour inciter les autres dont il a cité le nom à abouler. Vous savez, il y a des Grands qui sont capables d’acheter un album juste parce qu’à la fin de la piste 8, on l’a cité. Et quand ils ne l’ont pas fait, les concernés se font offrir le CD par son auteur. Ils entendent leur nom, ils sont heureux. Ils préparent une enveloppe pour le valeureux garçon. Sauf que la plupart du temps, le musicien-gratteur chante comme moi. C’est-à-dire mal.

Le deuxième gratteur est l’homme de spectacle. Il est souvent un chanteur, un humoriste ou tout simplement un chauffeur de salle. Sa technique est très simple, mais terriblement efficace. Quand il arrive, il se renseigne sur ceux qui assisteront à son show. Question de savoir s’il y a un Grand. Dans le cas où il n’y a pas un Grand bien de chez nous, il va au parking, repère les plus grasses voitures et cherche à savoir nommément à qui elles appartiennent, car si on considère la loi de la relativité d’Einstein de façon basique, grosse voiture = gros portefeuille = grosse envie de se gratter. Le showman-gratteur s’applique donc pendant sa prestation à prononcer, l’air de rien, le nom de celui qui a la grosse Land Rover, quand il constate que celui-là fait le sourd ou qu’il est déjà passé à la caisse, c’est-à-dire faroté, il s’attaque au proprio de la Cadillac, puis de la Mercedes Kompressor. Et ainsi de suite.

Un autre est le DJ-gratteur. Le DJ gratteur officie en boîte de nuit Ou dans une sombre boîte de strip-tease. Si tu te retrouves dans sa zone de vérité, prie pour qu’il ne sache jamais comment tu t’appelles. Car si par malheur ça arrive, tu es cuit. Il est capable de te coller tous les superlatifs imaginables, et ce pendant au moins une heure. « René Jackson, le plus grand, le plus mignon, avec sa montre Cartier en or massif, René Jackson le plus cher, il s’habille seulement à Milan, il est le roi, il est le plus fort… » En français ivoirien, on appelle ça l’atalaku. Et toi, camerounais, Grand d’un soir, n’y résistant plus, tu te retrouves en train de faroter sur lui trois mois de dur labeur.

A côté de ces gratteurs professionnels, il y a le gratteur-lambda. Le gratteur-lambda est facilement reconnaissable : c’est le gars plutôt jeune. Très prompt quand il s’agit de te donner le titre que tu mérites. « Grand Jackson », « René Jackson le boss ». Ou plus simplement « Le boss des boss ». Machinalement, après qu’il t’ait interpellé ainsi, tu lui réponds : « Gars, c’est vous les boss des boss non ? ». Tu penses avoir contourné le problème quand il te met KO : « Toi tu es le plus boss de tous les boss ». Tu en es encore à accuser le coup quand il t’achève avec un « Boss, on fait comment pour être comme vous non? Il n’y a rien pour les pauvres ? » Pour ne pas gâter ton nom et ne pas salir tous les honneurs dont on vient juste de te charger, tu fais un geste… Quelqu’un avait dit un jour qu’on est toujours le con de quelqu’un. A Douala, on est toujours le boss de quelqu’un. A une autre époque, le gratteur-lambda t’aurait appelé « Bao » (pour baobab). Trop désuet désormais.

Souvent, le gratteur n’agit pas seul. C’est le grattage en association. Tu les reconnais avec leur propension à appeler tout le monde « Président ». Et si par malheur, quand tu te pointes, quelqu’un entonne « Le président… Il est venu… Il va parler… » et que les autres le reprennent en cœur… Il y avait un jeune qui, trompé par ma corpulence administrative, avait commencé à m’appeler président. Je n’ai jamais cillé. Il s’est rendu compte que je n’étais pas un filon très porteur. Depuis, quand on se rencontre, c’est à peine qu’il me dit bonjour.

Je vais terminer avec le gratteur opportuniste. C’est celui qui sait faire feu de tout bois. J’en connais un. Il s’était retrouvé à une fête et il était le chauffeur de salle. Un grand artiste de notre pays avait fait sa prestation. Les gens l’avaient arrosé d’argent. A la fin, il remet les billets glanés au musicien, à qui il réclame sa part du gâteau. Le musicien lui oppose une fin de non recevoir en lui lâchant un « la vie est dure hein, mon petit ».

Vous avez aimé ? Vous en voulez encore ? La foule a répondu par un grand « oui » à chacune de ces questions. « Le public réclame encore notre artiste, pour une toute dernière chanson ». Le musicien ne s’est pas fait prier. Il a chanté, y mettant d’autant plus de cœur qu’il remarquait que le public faisait encore pleuvoir des billets sur lui. Des billets que le chauffeur de salle, comme auparavant, ramassait. A la fin, les deux hommes se revoient. « Petit, mon argent ». Et le gratteur par procuration de lui répondre après avoir fourré le magot dans ses poches « Grand, la vie est dure hein !»

A nos Grands en quête d’encore plus de grandeur, l’exemple de l’image d’en-haut devrait vous faire méditer.

Par René Jackson


279, Atelier des Médias

Enregistrement de l'émission à Dakar
Enregistrement de l’émission à Dakar

On ne perd sa virginité qu’une seule fois, dit-on. Et pour ceux, surtout celles, qui veulent perdre leur virginité une deuxième ou une troisième fois, il y a la solution médicale qui consiste à la reconstruction de l’hymen. C’est ça ? Fausse théorie. Du moins en ce qui me concerne. #MondoblogDakar a été une longue série de dépucelages. Des dépucelages qui se sont étalés sur une semaine. Pénibles ? Pas tant que ça. Mais ils valent quand même le détour. C’est quoi ces sortes de vapeurs que je vois une fois entré dans cette carlingue. Personne ne semble s’en inquiéter. Donc tout doit être normal. Il faut dire que c’est la première fois que je monte dans un avion. Premier haut-le-cœur de ma vie quand l’avion s’élance sur la piste de l’aéroport de Douala. « A partir de maintenant, si ça ndem, ça a ndem », comme on dit chez nous. Bizarre : je n’avais jamais pris un repas à 800 km/h avec tout plein de pays qui défilent en dessous de moi. Mais bon. L’histoire retiendra que la première fois où je soulageai ma vessie en dehors de mon Cameroun bien-aimé, ce fut techniquement à Abidjan. Dans les toilettes de l’avion qui y était en escale et duquel je n’étais pas descendu.

En dehors de cela, ce voyage fut ma première à Gorée, ma première dans une auberge, ma première avec tous ces Blancs, ma première avec Alimou Sow. La première fois la plus déstabilisante fut ce FC Barcelone-Paris Saint Germain. Car pour la première fois, je regardais un match de la Ligue des Champions en direct et en pleine journée. Chez moi à Douala, on regardait le même match, mais la nuit était tombée depuis. Autre fait marquant, la première fois que j’ai essayé d’enguirlander une non-camerounaise. Et c’est là que je me suis rendu compte que ivoirienne et camerounaise, c’est deux faces de la même pièce ! J’ai échoué avec fracas. Il se dit que les Blanches sont… euh… J’allais dire faciles, mais je ne le dirai pas comme ça. Moins compliquées, c’est plus juste. L’occasion s’est présentée, je n’avais que l’embarras du choix, vu la multiplicité des cibles. Au lieu de zlataner de l’Européenne, je me suis cantonné aux sentiers battus. Pour un succès inchangé. Regrets éternels.

J’ai appris beaucoup de nouveaux trucs à Dakar, fait beaucoup de nouvelles expériences. Mais celle qui m’a le plus marqué fut la préparation et l’enregistrement de l’émission Atelier des Médias, 279ème du nom. Non pas que ce serait la première fois que je passerais dans cette émission, puisque j’y avais déjà été invité une bonne tripotée de fois. Et même qu’un jour j’avais fait le choix d’arriver en retard au travail parce qu’il fallait enregistrer l’émission. Mais ce qui se passe par téléphone n’a rien à voir avec ce qui se passe en vis-à-vis. Cette fois serait différente puisqu’au lieu de l’habituelle interview, j’allais devoir préparer une chronique, ou plus précisément remplacer Francis Pisani avec son si particulier « Bonjour Ziad Maaaaaaaaalouf ! » Donc, un peu comme faire l’amour de la même façon pendant des années, puis aller dans un autre pays, rencontrer une geisha qui te fait découvrir des plaisirs insoupçonnés ! Les japonaises sont trop fortes !

Et je m’étais mis tout seul dans cette embrouille. Dimanche 7 avril. Espace Thialy. Il devait être 22 heures. Ziad annonce qu’il voudrait deux volontaires pour remplacer les chroniqueurs habituels de l’émission. Comme un sot, je saute sur l’occasion : « Moi ! Moi ! Moi ! » Il me regarde d’un œil pas rassuré. Le même œil fait le tour de l’assistance pour trouver un autre volontaire pour me détrôner. Personne. L’œil de Ziad capitule. Victoire par acclamation pour moi. Il n’y a rien de glorieux à gagner de cette façon, mais par les temps qui courent… Entre-temps, je remarque une autre paire d’yeux, rieurs cette fois, qui semble dire : « on va bien se marrer. Avec ce gars, l’expression ‘couper au montage’ n’a jamais autant tenu son sens ».

Barack Obama a été élu deux fois président des USA. Guantanamo est toujours là, avec ses prisonniers. Non, il ne suffit pas de remporter une élection. Même si on a été le seul candidat, on est investi d’une mission. La mienne, je devais l’accomplir. Il fallait commencer par trouver de quoi j’allais parler. Petit conciliabule le mardi 9 avril, dans les coups de treize heures, sur le chemin qui nous menait au plus succulent des riz de Dakar, avec Sinath. Elle sera l’autre chroniqueuse de l’émission et il ne faut pas qu’on se chevauche. Qu’est ce que je raconte, moi ? Il ne faut pas qu’on traite le même sujet.

Eurêka ! Innovation et TIC ! Jokkolabs et CTIC !

Mercredi 10 avril, tous au CTIC. Ah ! Le CTIC avec ses gens tous jeunes et tous beaux. Au Mboa… euh… au Cameroun, quand on rencontre des grands comme ça, on dit : « Boss, on fait comment pour être comme vous non ? Il n’y a rien pour les pauvres ? » Atalaku à n’en plus finir. La plupart du temps pour récolter un maigre billet de mille francs. Ce CTIC est donc un vrai repaire à rivaux potentiels. Heureusement que ma petite ivoirienne ne viendra jamais là. Bon,  il fallait quand même que je travaille. C’était mon sujet. Mais force était de constater que ces gens et moi ne boxions pas dans la même catégorie. Ouais, je les battrais à plate couture s’ils osaient se mesurer à mon presque quintal. C’est vrai, j’exagère un peu.

Après, nous sommes allés à Jokkolabs. Et là, ma romance baoulé a sérieusement vacillé. De quelle nationalité était-elle encore ? Togolaise ? Béninoise ? Je ne sais plus. Ce que je sais c’est que j’étais pendu à ses lèvres. Ah qu’elle parlait bien, cette belle ! Autant d’éloquence dans un si petit corps ! Une sophiste sans le côté négatif du terme! Dans mon esprit tordu, j’ai pris le fait qu’elle soit venue s’assoir près de moi le surlendemain à la Start-Up comme un appel. Appel que j’ai superbement ignoré. Une autre cible était déjà verrouillée. Désolé, chérie !

Putain de formation ! On n’a même plus le temps de fantasmer sur une fille. On est là pour bosser, oui mais quand même !

Jeudi 11 avril. 9h30. Au Via Via. Je ne sais pas qui en a eu l’idée, mais le nom de cet hôtel m’a toujours fait sourire de par son originalité. Je suis avec Ziad, Simon, Marthe et une poignée d’autres blogueurs et techniciens. Nous allons tous passer dans l’émission qui sera enregistrée le lendemain. Je fais mon texte. Les autres font leur texte. Quelle merveille, ce Google Docs, où plusieurs personnes peuvent travailler en même temps sur le même document, chacun sur son ordinateur. Et puis quelle merveille ce Mac ! Tout semble plus facile avec ! Peut-être un peu trop facile. Je me suis laissé aller et aucun de mes devoirs ne fut autant biffé ! Ecrire pour un blog n’a rien à voir avec l’écriture pour la radio. Des pans entiers de ma chronique furent amputés. Merci Docteur Simon et Mister Ziad !

« Euh… Jackson, tu es sûr que l’écran du laptop-là, c’est sa couleur normale ? – Ouais t’inquiète, William. Couche-toi, dors. Dors. Je gère ». Oui, dors pendant que je fais mon calcul pour savoir si mes économies suffiront à réparer cet écran.

Épopée avec le Mac de l’un des chirurgiens qui avaient mutilé mon texte. Il me l’a prêté pour que je puisse travailler le texte de ma chronique. Le Mac et moi, on s’est bien entendu. Jusqu’à ce que la nuit tombe et que son écran vire au rouge. Oh Seigneur ! Pourquoi c’est sur moi que ça tombe ? Pourquoi c’est pendant les seules petites heures de toute la vie de ce laptop où je l’ai sous ma responsabilité qu’il décide de me faire ça ? Mauvaise soirée. Mauvaise nuit. Réveil avec un peu d’espoir, puisque je me rappelle que j’ai un ancien voisin qui me doit une somme qui, ajoutée à mes économies, devrait permettre de payer la main d’œuvre du réparateur. Je rallume l’appareil, question de tourner une fois de plus le couteau dans la plaie. Et là, l’écran est nickel ! Pourquoi ? Quelques secondes de recherche et je me rends compte qu’il a été configuré pour que l’écran change de couleur pendant la nuit. Dieu soit loué !

Vendredi 12 avril en matinée, Institut Français. Tous ceux qui doivent intervenir dans l’émission sont regroupés dans une salle pour les dernières retouches. L’atmosphère y est plus tendue que dans la Situation Room de Barack Obama le jour de l’exécution de Ben Laden ! Pour ceux qui veulent revoir leur famille, il est encore temps d’abandonner. Personne n’abandonne ? Valeureux soldats ! J’oubliais, ces blogueurs sont difficiles à arracher d’un endroit où il y a du Wifi, même si son mot de passe est complexe au point de friser le ridicule. Moi je suis toujours zen, car une maxime de chez nous dit : « mouillé c’est mouillé. Il n’y a pas de mouillé sec ». Qu’advienne que pourra pendant l’émission.

Vers onze heures, l’enregistrement de l’émission débute. Mais moi je passe tout à la fin. Première réussie haut la main. J’étais parvenu à vaincre la coutumière inintelligibilité de mon élocution. Je ne sus pas si ce fut pour me féliciter pour notre fabuleux boulot qu’il le fit, mais Daye Diallo m’offrit l’un des plus délicieux cafés qu’il m’eut été donné de boire. Pas votre café Touba là hein ! Mais un Nescafé des plus crémeux…

Le soir, je revis une dernière fois la belle Baoulé. Une discussion fort intéressante, comme toutes celles que nous avions eu en cette terre de la Téranga. Il ne faut jamais critiquer quelqu’un si vous n’avez pas vécu ce qu’il a vécu. Samuel Eto’o Fils, je te comprends maintenant ! Quand tu as loupé ton péno contre la Côte d’Ivoire en 2006 à la CAN, on a crié. Tu avais vendu le pays parce qu’il fallait que tu te fasses bien voir de ta belle-famille ivoirienne. Pour les yeux de ma belle baoulé, j’aurais fait plus fort : j’aurais pris le ballon sous mon bras et je serais tout bonnement sorti du terrain avec !

Dédicace à Cyriaque G. et à la Belle Ivoirienne.

Par René Jackson


Les camerounais sont-ils des hors-la-loi?

Des boutiques détruites - Photo: René Jackson
Des boutiques détruites – Photo: René Jackson

Depuis quelques jours, on assiste à un spectacle tout à fait affligeant. D’une tristesse infinie. Voilà une semaine que les autorités de la ville de Douala ont entamé le déguerpissement et la destruction de tout ce qui occupe les abords de la route. Pour ceux qui connaissent un peu la ville de Douala, ça se passe entre PK 14 et le Carrefour de la Cité des Palmiers, sur l’ancien axe-lourd Douala – Edéa. C’est un tronçon de cinq kilomètres autour duquel se trouve 3 marchés et une tripotée d’autres constructions, des plus rudimentaires aux plus luxueuses. Ce sont ces constructions qui subissent le courroux des agents municipaux. Toute la zone ressemble à un endroit qui a été balayé par un ouragan. Les bâtiments sont éventrés, cassés, détruits. Ca et là, on voit des gravats empilés et dans les maisons qui ne sont pas encore par terre, on peut voir les gens qui essaient de sauver qui une tôle, qui une porte, qui une planche ou tout autre ustensile.

Le plus étrange est que c’est l’une des zones de la ville de Douala qui n’a presque jamais connu une campagne de destruction des constructions anarchiques. A propos de ce qui a provoqué cette razzia, les avis divergent. Pour les premiers, l’un des pontes de notre cité aurait demandé à une commerçante qui exposait ses denrées à même la chaussée si elle ne savait pas qu’elle occupait la voie publique. Elle aurait répondu d’un air méprisant au ponte qu’il n’avait qu’à passer son chemin, parce que ce n’était pas lui qui nourrissait ses enfants à elle. Pour les seconds, le ministre de l’enseignement supérieur qui passait par là pour aller visiter l’avancement sur les travaux sur le chantier de l’un des campus de l’université de Douala aurait été scandalisé de voir tout ce désordre et aurait engagé des mesures de rétorsion. Toujours est-il que, quelle qu’en soit la cause, cette campagne d’assainissement de l’espace public provoquera plus que des pleurs et des grincements de dents.

Revenons sur le fond. L’Etat a-t-il le droit d’engager des actions pareilles ? La réponse est oui et elle ne souffre d’aucune contestation possible. Parce que s’il y a une chose qui est vraie, c’est que le désordre urbain est l’une des premières caractéristiques qui ressort quand on veut décrire Douala. Et le spectacle auquel on assiste quand on parcourt nos rues est à tomber à la renverse. Je ne parle pas des moto-taxis qui sont les principaux responsables des accidents et donc des embouteillages. Je parle de l’occupation anarchique de la voie publique. Je vais prendre le cas du marché qui est proche de chez moi et qui est presque totalement détruit.

Marché qu’on pourrait qualifier de clandestin, puisqu’il ne naît pas de la volonté des autorités publiques. Il naît d’un individu qui a placé son comptoir quelque part et que beaucoup d’autres ont fini par imiter. C’est comme cela que sont nées la majorité des marchés dans notre ville. Il n’existait déjà plus de trottoirs, puisque les commerçantes avaient fini par réduire même la largeur de la chaussée avec leurs étals. Les rigoles qui servent à l’évacuation des eaux avaient été depuis longtemps bouchées. Entre-temps, des promoteurs véreux ont construit des boutiques en bonne et due forme et n’importe comment.

Mais l’une des choses les plus incroyables qu’on a découvertes avec ce nettoyage en règle est l’exemple de ce bâtiment encore en construction. Un bâtiment en construction tout autour… d’un poteau de distribution d’électricité de moyenne tension ! Et l’individu y construisait un édifice de plusieurs étages ! Les barres de fer à béton tutoyaient presque les fils électriques. Ces fils de moyenne tension qu’on sait non protégés par des isolants et par lesquels passent des milliers de volts de courant ! Les témoins disent que le promoteur comptait mouiller la barbe de quelque agent de AES-Sonel qui serait venu déplacer le poteau.

Ce marché est symptomatique de la situation presque partout à Douala, où les espaces publics sont arbitrairement occupés par des individus qui y construisent tout et n’importe quoi. Parfois, certains édifices poussent à s’interroger sur la santé mentale de ceux qui les ont édifiés.

Quand on remarque le comportement de beaucoup de gens ici, qui semblent s’en foutre comme de l’an quatre des lois et même de leur propre sécurité, un œil étranger arrivera à la conclusion – hâtive – qu’être hors-la-loi est un sport national au Cameroun. Et certains autres diront que le mal est déjà chronique.

Je suis de ceux qui pensent le contraire. Ceci pour une raison : ça n’a pas toujours été comme ça.

Douala, avant le début des années 1980 était une belle ville, qui faisait la fierté des camerounais dans leur ensemble et qui était une référence même à l’échelle du continent africain. Il faut dire qu’à cette époque, le pays jouissait d’une stabilité que beaucoup d’autres pays, et pas seulement africains, enviaient. Et surtout, les perspectives étaient plus que prometteuses car en dehors du fait que le pays repose sur d’innombrables ressources encore inexploitées, le Cameroun se lovait sur un matelas en liquidités d’une importance telle que le pays pouvait vivre pendant quatre ou cinq années sans rien emprunter.

Puis, patatras, tout s’est écroulé. Ceci faute à la crise et à une gestion approximative. Vu le niveau de déliquescence dans lequel l’économie s’est retrouvée à un moment donné, les pouvoirs publics ont dû faire un choix. Entre d’une part, continuer à imposer aux gens une certaine façon de faire et risquer de voir les choses exploser et d’autre part instituer un laisser-aller qui éviterait au pays d’aller au devant de l’instabilité. Un système D institutionnalisé, en quelque sorte. Chacun fait ce qu’il veut. Du moment où ça l’occupe tellement qu’il ne pense pas à fomenter une révolte, il n’y a pas de souci. La « paix » si souvent chantée au Cameroun tient à deux choses : à l’imbécilité de mes concitoyens et à la liberté qu’ils ont de faire ce qu’ils veulent.

C’est ce qui donne un pays comme le notre où toute décence, éthique ou morale semblent avoir foutu leur camp. Un pays où un seul individu est capable de détourner des milliards de francs CFA de fonds publics. Un pays où les gens ne se gênent pas pour couper la circulation sur une avenue pendant toute une journée pour des obsèques. Un pays dans lequel les médecins refusent de soigner les malades s’ils n’ont pas au préalable vu la couleur de l’argent. Un pays dans lequel des choses totalement anormales ont fini par devenir normales. La seule conséquence dans cet état des choses est que les injustices ont fait leur nid. C’est la loi de la jungle. Les gros poissons mangent les petits.

Mais il existe tout de même un espoir. Deux pour être plus précis. Le premier est, comme dit plus haut, que le Cameroun et surtout la ville de Douala n’ont pas toujours été cette sorte de Far West. Le désordre et l’irrévérence ne sont pas si ancrées dans nos gènes que ça. Il est vrai qu’au vu de l’état actuel des choses, la messe semble être dite. Mais si autrefois nous avons su être aussi fabuleux et que nous avons réussi l’incroyable exploit de devenir aussi lamentables, le chemin inverse reste alors tout à fait dans nos cordes. L’autre espoir est qu’aucune société ne peut s’autodétruire. Il y aura à un moment ou à un autre un sursaut collectif, une sorte d’orgueil, qui remettra les choses dans le sens normal de la marche.

Dans l’une de ses nouvelles, mon auteur préféré Sévérin-Cécile Abéga avait raconté une histoire pleine de sens. Celle d’un village mal entretenu par ses hommes qui préféraient passer leurs journées à se chamailler et à boire vin de palme et bière. Leur chef, qui avait en vain tenté de leur faire prendre conscience eut une idée : lors d’une réunion, il leur dit qu’il avait entendu un étranger qui passait par le village se demander si celui-ci avait été abandonné. Et que s’il ne l’était pas, alors les mâles qui y vivaient devaient manquer quelque chose dans leur pantalon. Le lendemain, le village était nickel. Pour de vrais hommes, rien ne vaut l’amour-propre.

En attendant que tout rentre dans l’ordre, bien que je compatis à la douleur et à la souffrance des milliers de personnes touchées par ces destructions, moi je suis pour le respect des espaces publics. Personne n’est content de risquer sa vie en se retrouvant être obligé de partager la chaussée avec les voitures et les camions.

Par René Jackson


L’aventure mystérieuse

Telefunken transistor radio, Skógar Folk Museum - Creative Commons Attribution 2.0 Generic
Telefunken transistor radio, Skógar Folk Museum – Creative Commons Attribution 2.0 Generic

J’ai été attristé il y a quelques temps  par les remous plus qu’inquiétants par lesquels est passée la chaine de radio Africa N°1. Qui n’a pas été très loin du dépôt de bilan. Mais bon gré, mal gré, cette radio reste debout. Aaah, Africa N°1 ! C’était la radio d’une époque. A l’époque où il n’y avait pas encore nos FM, encore moins de radios privées. A l’époque où nos vies étaient bercées par ces émissions du Poste national de la CRTV qui émettait depuis Yaoundé. Il y avait bien Radio Douala, mais beaucoup des émissions étaient en fait celles du Poste national et l’impression que j’avais tout petit était que cette Radio Douala, quand elle ne reprenait pas les programmes du Poste National, ne faisait que des émissions en Duala. J’avais beau être né et avoir toujours vécu à Douala, donc chez les Duala, je ne comprenais pas le dialecte. A l’époque, RFI était inconnue au bataillon de la FM. Ceux qui voulaient l’écouter devaient donc se battre avec les fréquences en ondes courtes ou en ondes moyennes de leur transistor. Quand on parvenait à accrocher la station, on avait alors droit au si nostalgique son qui disparaissait doucement, puis totalement, mais qui finissait toujours par revenir. Puis par repartir et revenir.

Des choses d’un autre temps. On avait peu et on s’en accommodait très bien. Contrairement à aujourd’hui où on en a plus mais où paradoxalement, on en veut encore plus. Personne ne s’était jamais plaint du disque de 33 tours qui ne permettait pas d’avoir plus d’une heure de son, ce son grésillant et sans basses. Aujourd’hui, les gens se comparent à coups de giga-octets et de son haute fidélité. Ma mère est toujours surprise quand je lui montre de quoi est capable mon minuscule iPod et ressort  l’inlassable histoire de sa jeunesse où les surprises parties étaient ambiancées par un vieux gramophone. On n’entendait que des murmures de chansons, mais des dizaines de personnes s’en contentaient. Pas comme aujourd’hui. Les jeunes sont maintenant capables à la moindre fête de tenir tout un quartier éveillé pendant la nuit avec les imposants moyens musicaux dont ils disposent.

A l’époque, on avait le Poste National de la CRTV, Radio Douala (Poste National bis), Africa N°1, pas de RFI. En outre, nous avions des transistors Grundig qui avaient vu Adam et Ève d’un côté et de l’autre côté des oncles qui étaient tout sauf les tontons mollassons que les enfants ont maintenant.

Personnellement, je n’ai pas beaucoup écouté Africa N°1 quand j’étais enfant. Mon père faisait partie de ceux préféraient passer leur temps à scanner les ondes courtes dans le but de débusquer RFI ou VOA (Voice Of America, ndlr). Africa N°1 n’était pas trop son dada. N’empêche qu’Africa N°1 m’a fait vivre l’une des aventures les plus rocambolesques de mon enfance et vous vous doutez bien que cela se déroula bien loin de la maison paternelle.

Situons d’abord le contexte

Bandjoun. Village situé à quatre heures de route au nord de Douala. Village d’origine de mes parents. Ils ont toujours eu l’habitude de nous y expédier pour au moins deux mois pendant les grandes vacances. A l’époque, je détestais ça ! Le village était, pardonnez-moi  l’expression, le trou du cul du monde. Pas de télé, loin de mes amis, des vieux partout et surtout cette obscurité. Au village il faisait un noir incroyable une fois la nuit tombée. Ca n’a pas trop changé d’ailleurs. Il y fait parfois si noir que sans lampe-tempête ou lampe torche, tu ne vois même pas tes pieds. A cette époque-là, l’électricité est quasi inexistante dans le coin. Je détestais aussi le froid. Je n’étais pas fait pour vivre à des endroits où la température tombe souvent à 15 degrés dans la nuit.

Contrairement à d’autres villages où les cases de plusieurs familles sont regroupées au même endroit, le mien est l’un de ceux où l’individualisme est prononcé. Chaque famille a une concession de parfois plusieurs hectares, avec sa case tout au milieu. Le matin, quand on veut faire savoir à son voisin, qui a lui aussi sa maison juchée au beau milieu de sa concession, qu’on a réussi à vaincre la nuit, on envoie un hululement et on tend l’oreille pour savoir si lui aussi à survécu à la nuit.  Mais par-dessus tout,  ce que j’abhorrais au village était que j’avais l’impression que c’était le cimetière le plus vaste du monde. Il y a des tombes partout. La nuit quand tu dors, tu es à 30 mètres à tout casser d’un tombeau. Dans la journée, quand tu te promènes, ces foutues tombes surgissent de nulle part toutes les deux minutes. Et puis ces innombrables légendes de totems et d’esprits qui hantaient les nuits me mettaient sur un qui-vive permanent. Certaines nuits, je ne parvenais à dormir que parce que mon petit corps avait besoin de sa ration de sommeil.

Il y a quelques mois, j’écoutais la radio et un scientifique expliquait qu’à partir de l’âge de six ou sept ans, l’enfant connaît le paroxysme de ses peurs car il prend conscience l’existence de la mort, qu’il découvre inéluctable et irréversible. Il vit dans la crainte perpétuelle de perdre ses proches. Il faut dire qu’à ce moment-là, j’étais en plein dans cette crise. Le personnage que je haïssais le plus au monde était Jésus, manifestation suprême de la mort. Il réussissait l’exploit de se faire crucifier et de mourir tous les ans. Les crucifix m’ont épouvanté pendant une bonne partie de ma vie.

On revient aux faits

J’avais déjà entendu parler de cette émission. De cette émission qui hérissait le poil, même celui du plus endurci. Cette émission, paraît-il, était le film d’horreur, mais en version radio. Tous ceux qui l’avaient écouté en étaient sortis retournés. Il n’était pas bon pour un môme de l’écouter. Au risque de le traumatiser pour le restant de ses jours. Mais jusque là, j’en avais juste entendu parler.

La journée avait été horrible. J’avais porté sur la tête un sac rempli d’arachides  et marché pendant deux kilomètres. Pas du tout habitué à ce rythme de vie, mon corps avait cédé et j’avais été saisi d’une violente migraine. A dix-huit heures, j’étais au lit. Je dormais dans la chambre de mon oncle dont la vieille radio ne parvenait à capter que Africa N°1 et qu’il laissait souvent allumée. Cette radio  était vieille, elle avait sans doute vécu le débarquement en Normandie. Rafistolée à maintes reprises, on se demandait comment elle faisait pour encore fonctionner. C’était un appareil de fabrication allemande, de marque Grundig, avec de l’allemand écrit partout dessus. De toutes les façons, ça n’était pas nécessaire parce que ce soir là, je n’ai pas eu besoin de savoir l’équivalent de « Off » en allemand pour que cet appareil de malheur cesse de parler. Tout d’un coup, j’avais bondi du lit, sauté sur ce transistor. Je l’avais jeté par terre de toutes mes forces. Il avait continué à parler. Pourquoi ces allemands éprouvent-ils toujours le besoin de fabriquer des trucs aussi solides ? Je l’avais alors achevé d’un grand coup à l’aide d’une grosse pierre qui traînait là.

Ce qui avait provoqué ce déchainement de violence était simple. Mon oncle avait laissé dans sa chambre sa radio allumée et branchée sur Africa N°1. Par malheur ce soir là l’émission L’Aventure Mystérieuse de Patrick Nguema Ndong était diffusée. J’avais été sorti de mon sommeil par de grands cris : « Attrapez-le ! Attrapez-le ! Il ne faut pas qu’il s’échappe ! Rattrapez-le ! » J’ai ouvert les yeux, mais j’avais l’impression de les avoir toujours fermés tellement il faisait noir. « Rattrapez-le. On va le tuer, lui couper le zizi parce que le sorcier Fifion en a besoin et on va donner son corps à manger aux chiens de la forêt ». Mes poils se sont dressés sur tout mon corps. La suite, vous la connaissez.

Mon oncle était arrivé en catastrophe et s’était rendu compte de l’étendue des dégâts. Il a compris que cette fois-là, c’en était fini pour sa radio. Il était entré dans une colère noire et m’aurait bastonné si ma tante n’était pas intervenue en lui faisant comprendre qu’on ne tape pas sur les enfants des « Blancs » (c’est comme ça qu’on appelait au village tous ceux qui venaient de la grande ville). Je méritais malgré tout une punition et à la place d’une volée de coups au derrière, il me réserva bien pire.

Il me sortit de la maison et me traîna à une trentaine de mètres de là. Où il m’abandonna. J’eus tellement froid que je ne pus même pas pleurer. Non loin de là, il y avait une tombe et chaque fois que je la regardais, j’avais l’impression de voir le mec qui était dedans en sortir et se diriger vers moi. A certains moments, j’avais l’impression de sentir les esprits passer. Les totems ne devaient pas être loin eux non plus J’étais terrorisé. Surtout qu’il y avait des chiens qui ne cessaient d’aboyer au loin. Le mystère dans cette aventure est que je ne sus pas comment je réussis à ne pas perdre la raison pendant la demi-heure qu’avait duré ce traitement, tellement j’avais eu peur.

 

Par René Jackson

PS: L’Aventure Mystérieuse de Patrick Nguema Ndong est toujours diffusée sur Africa N°1. Je l’ai réécoutée tout dernièrement et je suis retombé sur la même histoire. C’est là que j’ai su que celui qu’on devait tuer et émasculer avait eu pour seul tort celui d’être passé dans la cour du sorcier Fifion Ribana sans son autorisation.

Pour les nostalgiques des histoires de Fifion Ribana, du professeur Ebenezer Euthanazief, de l’inspecteur Magwani Mangwa et qui se déroulent à Bangos-ville, j’ai dégoté un site sur lequel on peut réécouter beaucoup d’épisodes de cette saga radiophonique.


Le Cameroun, ce pays où on mange si bien…

Ndolè - Plantain mûr - Bâtons de manioc
Ndolè – Plantain mûr – Bâtons de manioc

La semaine dernière a été l’une des plus particulières de ma petite carrière de blogueur. D’un côté, ça a été très dur car j’ai publié un billet dans lequel j’ai eu l’outrecuidance de comparer la ville de Dakar à celle de Douala. En soulignant les petitesses de ma ville de naissance. Et c’est peu dire que les lecteurs ne m’ont pas loupé. Ils m’ont taillé comme jamais je le fus. Mais de l’autre côté, la semaine a été spéciale car j’ai pu pour la première fois rencontré des lecteurs de mon blog. Ils ont aimé mon travail au point de chercher à mettre une voix et une gestuelle sur ce qu’ils ont l’habitude de lire (bien le bonjour  Yann et mes compliments à ta dame).  Pour ce faire, ils m’ont invité dans un restaurant de la ville, dont j’avoue n’avoir jamais entendu parler avant ce jour-là. Ce restaurant devait forcément être huppé, car il est situé dans un quartier cossu de la ville. Et mes soupçons se sont vérifiés car le cadre était chic, très européen.

 

Quand nous nous sommes installés, on nous a présenté la carte des menus et là, je suis forcé de faire un aveu. Aveu humiliant, peut-être, mais qui se doit d’être fait : mon hôte m’a bien fait comprendre que je pouvais prendre tout ce que je voulais mais deux choses m’ont rebuté. Les prix bien sûr que je trouvais indécents, mais aussi et surtout les noms des plats. Je n’en connaissais aucun ! C’est quoi une fricassée de pommes aux anchois ? Étant dans la crainte choisir un truc que je risquais de ne pas aimer, je me suis limité à une boisson gazeuse.  Je suis habitué à des choses plus simples, moi ! Chez nous, on dit qu’il ne faut pas surprendre son organisme. Ces noms de plats m’ont clairement fait comprendre que  risquais un choc anaphylactique si j’y goûtais.

Donc, j’ai évité. Mais question bouffe, le Cameroun est immensément riche. Là-dessus il n’y a rien à dire. Désolé, Dakar, j’ai aimé énormément de choses chez toi, mais pour le bon vivant camerounais que je suis, manger du riz deux fois par jour pendant une semaine était une vraie torture.  A Douala, on a plus que l’embarras du choix. La preuve.

Les beignets-haricot-bouillie : l’un de nos fondamentaux. Quel camerounais digne de ce nom n’a pas été nourri au beignet de la pâte de farine ayant mariné dans de l’huile bien chaude, accompagné de graines de haricots épicées et de bouillie de maïs ? Quand tu te lestes comme ça le matin avant d’aller au travail ou à l’école, tu es bon pour toute la journée. Ces histoires de lait, de bol de chocolat et de tartine au petit matin, ça ne te forge pas une personne robuste.

Le sauveur : c’est le Lionel Messi des camerounais. Encore plus important qu’Eto’o Fils à la survie de la nation. C’est une sorte de Robin des bois, dernier recours du pauvre, de la veuve et de l’orphelin. Lui c’est le très humble tapioca. La tubercule de manioc écrasée, frite et séchée donne cette poudre aux gros grains qui, avec un peu d’eau et de sucre, fait le bonheur des panses les moins exigeantes.

Le riz : vous direz que finalement on revient dessus. Oui, mais pas de la même façon. A Douala, le riz est blanc, quand il est accompagné de sauces aussi nombreuses que diverses : la sauce à l’arachide, à la tomate, à la pistache (je ne sais pas si c’est comme ça partout dans le monde, mais chez nous ce qu’on appelle ‘pistache’ ce sont les pépins de melon), le bouillon d’épices, le ndolè et j’en passe. Quand le riz n’est pas blanc, il est sauté ou fait sous forme de rizotto.

La banane malaxée (ou topsi banana) : il faut tout d’abord savoir qu’au Cameroun, on est tellement inventifs sur les choses du ventre qu’on a pensé pouvoir manger des bananes non mûres. La banane non mûre est malaxée dans une sauce essentiellement composée d’arachides et agrémentée de morceaux de poisson fumé.

Le manioc : autre symbole de notre inventivité culinaire. Presque tout est mangé dans le manioc. Commençons par ses racines qui sont transformées sous plusieurs formes. Les tubercules de manioc peuvent être simplement découpées en tranches et bouillies pour accompagner une sauce. Ou encore, on peut en faire du couscous, qu’on appelle ‘foufou’. Les tubercules peuvent devenir nos fameux bâtons de manioc, ou encore devenir du mintumba. Les feuilles de manioc aussi sont comestibles. Elles sont l’élément principal de la fameuse sauce qu’on appelle kpem .

Le sangha : les grains de maïs encore frais préparés avec des légumes et un peu de sucre. Trop bon !

Le koki : il est fait à base de graines de haricot écrasées, cette pâte étant mélangée à de l’huile de palme et à d’autres condiments. Le tout est emballé dans des feuilles de bananier et cuit pendant plusieurs heures à l’étuvée. Peut être accompagné de manioc (dans toutes les formes précitées), de plantain mûr, etc.

Le plantain : un accompagnant béni des dieux. Un exemple de polyvalence. On le prépare vert ou blet, selon le goût. Il peut être cuit à l’étuvée, frit, pilé, grillé.

Le kondrè : il n’y a pas de kondrè sans plantain non mûr et sans viande. Une viande grasse est même recommandée. Plat huileux, mais si délicieux. Même ceux qui font un régime ont du mal à y résister.

Le mbongo tchobi: cette sauce a été l’une des guests-stars d’un film camerounais des années 1990. Un enfant qui la voyait pour la première fois a refusé d’y goûter. Sous le prétexte qu’elle était brûlée. En effet, ceux qui ne connaissent pas seront rebutés à première vue. Cette sauce est noire à l’extrême. Mais elle est un délice pour le palais.

La pâte d’arachides : qu’on ne présente plus.

Le mets de pistache : c’est le même processus que celui du koki. Avec quelques différences quand même : à la place du haricot, c’est de la pistache qu’on écrase. Dans la pâte, on ne me pas d’huile, mais par contre on y incorpore de la viande.

Le dégé (ou DG) : plantain presque mûr et poulet. Tout ça marine dans un court-bouillon lourdement assaisonné. Une chose est que j’ai toujours eu des doutes sur la camerounité de ce mets.

Le achu : Ce plat provient de la zone sud-ouest du Cameroun. Le taro,  un féculent, est bouilli et pilé. Il s’accompagne d’une sauce dont la couleur lui donne le nom : la sauce jaune, faite à base d’huile rouge, de piment, de sel gemme, avec de la viande ou du poisson…

Le nkui : plat bamiléké par excellence. Le nkui en fait est une sauce. Une sauce difficile à manger tant elle est homogène et aussi gluante. Manger le nkui est tout un art, un art qui est dévolu aux seuls initiés. Cette sauce est exclusivement accompagnée de couscous de maïs.

Le ndolè : il fait partie de ceux qu’il ne faut pas manquer quand on vient ou quand on vit au Cameroun. C’est une sauce faite à base d’un légume – le ndolè qu’on l’appelle – pleine de condiments et de viande. Ce qui est bien avec le ndolè est qu’il se mange avec presque tout : le plantain sous toutes ses formes, le manioc sous toutes ses formes, du riz, des ignames, du macabo et j’en passe.

Et la liste n’a rien d’exhaustif. Tout ça pour dire que le Cameroun est un pays dans lequel on mange bien. Peut-être un peu trop bien, quand je me regarde. Mais bon.

Étant obligé de manger uniquement du riz pendant plusieurs jours, j’ai dû procéder à une évolution philosophique dans ma relation avec le petit déjeuner. Parce que lorsque tu envisages avec une certaine anxiété le déjeuner et le dîner, que tu crains une overdose de riz, le petit déjeuner, que d’habitude tu snobes, devient le repas le plus important de la journée. Non pas parce que le lobby des fabricants de poudre de cacao, de lait et de corn-flakes le dit, mais parce que c’est le seul moment où tu manges autre chose que du riz. Et en lorgnant ce riz qu’on te sert avec le même regard que lancerait une prostituée obligée de coucher avec un homme hideux, tu te rends compte que le Cameroun est quand même un beau pays. Et tu te mets à compter les heures qui te séparent du retour vers ta chère patrie.

Beignets - Haricot - Bouillie
Beignets – Haricot – Bouillie

Par René Jackson

PS : Jusqu’à maintenant, je ne sais toujours pas quelle est la différence entre le Thiep et le Thiebou Djen.