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Les camerounais sont-ils des hors-la-loi?

Des boutiques détruites - Photo: René Jackson
Des boutiques détruites – Photo: René Jackson

Depuis quelques jours, on assiste à un spectacle tout à fait affligeant. D’une tristesse infinie. Voilà une semaine que les autorités de la ville de Douala ont entamé le déguerpissement et la destruction de tout ce qui occupe les abords de la route. Pour ceux qui connaissent un peu la ville de Douala, ça se passe entre PK 14 et le Carrefour de la Cité des Palmiers, sur l’ancien axe-lourd Douala – Edéa. C’est un tronçon de cinq kilomètres autour duquel se trouve 3 marchés et une tripotée d’autres constructions, des plus rudimentaires aux plus luxueuses. Ce sont ces constructions qui subissent le courroux des agents municipaux. Toute la zone ressemble à un endroit qui a été balayé par un ouragan. Les bâtiments sont éventrés, cassés, détruits. Ca et là, on voit des gravats empilés et dans les maisons qui ne sont pas encore par terre, on peut voir les gens qui essaient de sauver qui une tôle, qui une porte, qui une planche ou tout autre ustensile.

Le plus étrange est que c’est l’une des zones de la ville de Douala qui n’a presque jamais connu une campagne de destruction des constructions anarchiques. A propos de ce qui a provoqué cette razzia, les avis divergent. Pour les premiers, l’un des pontes de notre cité aurait demandé à une commerçante qui exposait ses denrées à même la chaussée si elle ne savait pas qu’elle occupait la voie publique. Elle aurait répondu d’un air méprisant au ponte qu’il n’avait qu’à passer son chemin, parce que ce n’était pas lui qui nourrissait ses enfants à elle. Pour les seconds, le ministre de l’enseignement supérieur qui passait par là pour aller visiter l’avancement sur les travaux sur le chantier de l’un des campus de l’université de Douala aurait été scandalisé de voir tout ce désordre et aurait engagé des mesures de rétorsion. Toujours est-il que, quelle qu’en soit la cause, cette campagne d’assainissement de l’espace public provoquera plus que des pleurs et des grincements de dents.

Revenons sur le fond. L’Etat a-t-il le droit d’engager des actions pareilles ? La réponse est oui et elle ne souffre d’aucune contestation possible. Parce que s’il y a une chose qui est vraie, c’est que le désordre urbain est l’une des premières caractéristiques qui ressort quand on veut décrire Douala. Et le spectacle auquel on assiste quand on parcourt nos rues est à tomber à la renverse. Je ne parle pas des moto-taxis qui sont les principaux responsables des accidents et donc des embouteillages. Je parle de l’occupation anarchique de la voie publique. Je vais prendre le cas du marché qui est proche de chez moi et qui est presque totalement détruit.

Marché qu’on pourrait qualifier de clandestin, puisqu’il ne naît pas de la volonté des autorités publiques. Il naît d’un individu qui a placé son comptoir quelque part et que beaucoup d’autres ont fini par imiter. C’est comme cela que sont nées la majorité des marchés dans notre ville. Il n’existait déjà plus de trottoirs, puisque les commerçantes avaient fini par réduire même la largeur de la chaussée avec leurs étals. Les rigoles qui servent à l’évacuation des eaux avaient été depuis longtemps bouchées. Entre-temps, des promoteurs véreux ont construit des boutiques en bonne et due forme et n’importe comment.

Mais l’une des choses les plus incroyables qu’on a découvertes avec ce nettoyage en règle est l’exemple de ce bâtiment encore en construction. Un bâtiment en construction tout autour… d’un poteau de distribution d’électricité de moyenne tension ! Et l’individu y construisait un édifice de plusieurs étages ! Les barres de fer à béton tutoyaient presque les fils électriques. Ces fils de moyenne tension qu’on sait non protégés par des isolants et par lesquels passent des milliers de volts de courant ! Les témoins disent que le promoteur comptait mouiller la barbe de quelque agent de AES-Sonel qui serait venu déplacer le poteau.

Ce marché est symptomatique de la situation presque partout à Douala, où les espaces publics sont arbitrairement occupés par des individus qui y construisent tout et n’importe quoi. Parfois, certains édifices poussent à s’interroger sur la santé mentale de ceux qui les ont édifiés.

Quand on remarque le comportement de beaucoup de gens ici, qui semblent s’en foutre comme de l’an quatre des lois et même de leur propre sécurité, un œil étranger arrivera à la conclusion – hâtive – qu’être hors-la-loi est un sport national au Cameroun. Et certains autres diront que le mal est déjà chronique.

Je suis de ceux qui pensent le contraire. Ceci pour une raison : ça n’a pas toujours été comme ça.

Douala, avant le début des années 1980 était une belle ville, qui faisait la fierté des camerounais dans leur ensemble et qui était une référence même à l’échelle du continent africain. Il faut dire qu’à cette époque, le pays jouissait d’une stabilité que beaucoup d’autres pays, et pas seulement africains, enviaient. Et surtout, les perspectives étaient plus que prometteuses car en dehors du fait que le pays repose sur d’innombrables ressources encore inexploitées, le Cameroun se lovait sur un matelas en liquidités d’une importance telle que le pays pouvait vivre pendant quatre ou cinq années sans rien emprunter.

Puis, patatras, tout s’est écroulé. Ceci faute à la crise et à une gestion approximative. Vu le niveau de déliquescence dans lequel l’économie s’est retrouvée à un moment donné, les pouvoirs publics ont dû faire un choix. Entre d’une part, continuer à imposer aux gens une certaine façon de faire et risquer de voir les choses exploser et d’autre part instituer un laisser-aller qui éviterait au pays d’aller au devant de l’instabilité. Un système D institutionnalisé, en quelque sorte. Chacun fait ce qu’il veut. Du moment où ça l’occupe tellement qu’il ne pense pas à fomenter une révolte, il n’y a pas de souci. La « paix » si souvent chantée au Cameroun tient à deux choses : à l’imbécilité de mes concitoyens et à la liberté qu’ils ont de faire ce qu’ils veulent.

C’est ce qui donne un pays comme le notre où toute décence, éthique ou morale semblent avoir foutu leur camp. Un pays où un seul individu est capable de détourner des milliards de francs CFA de fonds publics. Un pays où les gens ne se gênent pas pour couper la circulation sur une avenue pendant toute une journée pour des obsèques. Un pays dans lequel les médecins refusent de soigner les malades s’ils n’ont pas au préalable vu la couleur de l’argent. Un pays dans lequel des choses totalement anormales ont fini par devenir normales. La seule conséquence dans cet état des choses est que les injustices ont fait leur nid. C’est la loi de la jungle. Les gros poissons mangent les petits.

Mais il existe tout de même un espoir. Deux pour être plus précis. Le premier est, comme dit plus haut, que le Cameroun et surtout la ville de Douala n’ont pas toujours été cette sorte de Far West. Le désordre et l’irrévérence ne sont pas si ancrées dans nos gènes que ça. Il est vrai qu’au vu de l’état actuel des choses, la messe semble être dite. Mais si autrefois nous avons su être aussi fabuleux et que nous avons réussi l’incroyable exploit de devenir aussi lamentables, le chemin inverse reste alors tout à fait dans nos cordes. L’autre espoir est qu’aucune société ne peut s’autodétruire. Il y aura à un moment ou à un autre un sursaut collectif, une sorte d’orgueil, qui remettra les choses dans le sens normal de la marche.

Dans l’une de ses nouvelles, mon auteur préféré Sévérin-Cécile Abéga avait raconté une histoire pleine de sens. Celle d’un village mal entretenu par ses hommes qui préféraient passer leurs journées à se chamailler et à boire vin de palme et bière. Leur chef, qui avait en vain tenté de leur faire prendre conscience eut une idée : lors d’une réunion, il leur dit qu’il avait entendu un étranger qui passait par le village se demander si celui-ci avait été abandonné. Et que s’il ne l’était pas, alors les mâles qui y vivaient devaient manquer quelque chose dans leur pantalon. Le lendemain, le village était nickel. Pour de vrais hommes, rien ne vaut l’amour-propre.

En attendant que tout rentre dans l’ordre, bien que je compatis à la douleur et à la souffrance des milliers de personnes touchées par ces destructions, moi je suis pour le respect des espaces publics. Personne n’est content de risquer sa vie en se retrouvant être obligé de partager la chaussée avec les voitures et les camions.

Par René Jackson

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Auteur·e

ntrjack

Commentaires

Guyhk
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Très bon descriptif de notre "territoire des crevettes". Nous sommes un pays de paradoxes, capables du meilleur comme du pire. Je me suis toujours dit qu'il faille un coup de force (dictature même s'il le faut) pour changer les consciences; tellement on a atteint le fond, et certains continuent de creuser. J'espère que ces casses sont vraiment faites dans le but d'assainir la ville (à l'exemple de "Jack Bauer" de l'autre côté de la capitale) et pas à d'autres desseins inavoués.

Serge
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c'est possible que certains citoyens aient réellement acheté ces terrains dans la "légalité" et dans ce cas l'Etat a aussi le devoir de les rembourser