
A Dakar, j’ai fait la connaissance de l’écrivaine sénégalo-française Khadi Hane, qui a dirigé un atelier d’écriture lors de notre semaine de formation. Pour la petite histoire, cet atelier d’écriture a été une dure épreuve pour moi. J’étais le voisin le plus proche de Khadi, et malgré toute ma volonté, je n’ai pu m’empêcher de m’assoupir. J’accusais le coup des cinq jours à un rythme de travail soutenu. Le lendemain matin, peu avant l’enregistrement de notre émission radio, j’ai un peu paniqué quand elle est venue vers moi. Bien heureusement, elle n’est pas revenue sur les événements de la veille et nous avons eu une longue discussion. A propos du développement. Le point focal de notre discussion était la ville de Dakar. Elle disséquait la ville avec ses yeux d’européenne convertie et moi avec ceux de quelqu’un qui avait toujours vécu à Douala. Et lorsqu’on se plaçait sous ces prismes, on était en désaccord parfait. Elle trouvait que Dakar est une ville quelque peu arriérée, ce que par contre je réfutais, car vu d’où je venais, Dakar est plutôt évoluée.
Il y a une chose qui est certaine : cette petite virée dakaroise a durablement modifié la perception que j’avais du monde dans sa généralité et a fait ressortir de petites absurdités qui même pour moi avaient fini par devenir une normalité.
Pendant notre causerie, je souriais. Je souriais quand elle s’est attaquée avec véhémence au désordre manifeste des citoyens de Dakar. Quand elle décriait leur incivisme notoire. J’ai souri longtemps pendant qu’elle parlait. J’ai fini par lui dire : « si vous considérez que Dakar est une ville de hors-la-loi, je vous déconseille vivement de mettre un jour les pieds à Douala ».
Et pour ça, je lui ai pris un petit exemple. Pendant les quelques jours que j’ai fait à Dakar, j’ai remarqué une chose très simple : les automobilistes de Dakar avaient toujours la ceinture de sécurité attachée. Des taximen aux chauffeurs de bus. Moi, quand je conduis à Douala, je mets systématiquement cette ceinture, mais combien de fois je me suis fait railler par des gens qui considéraient que j’avais peur de la mort ? A Douala, le port de la ceinture de sécurité, au lieu d’être une règle, est une rare exception.
Si on ne considère que l’aspect sécuritaire, il y a des petites scènes incongrues qui ont fini par devenir une banalité à Douala. Nous sommes dans une ville pratiquement étranglée par les deux-roues. Un jour, en passant dans la rue, vous allez croiser l’un des conducteurs de ces engins qui d’abord renverse sa machine, puis la soulève, les roues à l’air. J’avais été surpris quand j’avais assisté à cette scène la première fois. On m’a expliqué qu’ils le faisaient pour que « le carburant descende dans le moteur ». Ce qui sous d’autres cieux est une simple panne sèche. Le premier a essayé, il a pu faire partir son moteur après. Il a dévoilé le secret à ses copains qui du coup ne se soucient plus de manquer d’essence. Douala est la ville où vous verrez quatre gaillards agglutinés sur la même moto. Laquelle moto a été conçue pour transporter au maximum deux personnes.
D’ailleurs, le nombre de places assises n’est respecté pour aucun des véhicules de transport en commun. Les passagers ne sont que de la chair à broyer pour ces transporteurs véreux. Quand vous empruntez un autocar, le couloir qui permet la circulation des passagers est obstrué par des banquettes qui n’ont rien à faire à cet endroit. Ce qui fait que pour un véhicule conçu pour 30 passagers, on se retrouve souvent avec près de 50 personnes à bord, ce qui provoque les hécatombes qu’on connaît sur nos routes au moindre accident.
Dakar et Douala sont toutes deux des villes en construction. Il y a des grues presque partout à Dakar. On n’en voit presque pas à Douala. La question que je me pose souvent est celle de savoir comment on fait pour déplacer tout ce qu’on sait qu’il y a à manœuvrer sur ces gros chantiers ? J’ai été sur l’un d’eux un jour où les manœuvres avaient réussi à convaincre le maître d’ouvrage de l’inutilité du porte-charges qu’il voulait mettre à leur disposition. Ils avaient à la place préféré une petite augmentation de leur paie, clairement au détriment de leur santé. C’est toujours à Douala qu’on avait à une époque observé avec un certain ébahissement des gens qui réparaient les chaussées défoncées avec, tenez-vous bien, des truelles !
A Douala – et au Cameroun en général – les peintres sont des personnes sacrifiées. Surtout ceux qui officient chez les carrossiers. Contrairement à ceux du bâtiment qui utilisent des pinceaux et autres rouleaux, ceux qui font la peinture auto utilisent des pulvérisateurs qui projettent d’infimes particules de peinture. Et ils ne portent aucun équipement de protection : pas de gants, ni de masque, ni même de lunettes. Et le plus souvent, ils font leur travail le torse nu. A la merci totale des produits nocifs qu’on sait contenus dans ces peintures qui vont pénétrer dans leurs yeux, leurs conduits respiratoires et même par leur peau.
A Dakar, j’ai vu les étals des de fruits et de légumes. Quoique vendus à l’air libre, ils étaient protégés du soleil et les produits étaient disposés en ordre sur des étagères et donnaient envie rien qu’à les voir. A Douala, dans les marchés, les fruits et les légumes sont étalés à même le sol. La poussière ou les eaux de ruissellement, selon les caprices du climat, en font ce qu’elles veulent.
Moi je veux bien que Dakar soit une ville incivique, mais quand je vois des automobilistes s’arrêter quand le feu est rouge, respecter les passages cloutés ; quand je ne vois pas d’ordures joncher les rues ; quand je ne vois pas des conducteurs de moto insulter des gens sans raison apparente ; quand je ne vois pas les trottoirs anarchiquement occupés par des commerçants avec leurs hangars ou avec des conteneurs en fin de vie ; quand je ne vois pas le pain livré dans les petits commerces par des motards qui les accrochent partout sur eux sans prendre la peine de les protéger de la pluie ou même de leur propre transpiration ; quand je ne vois pas des gens qui urinent partout, même à côté d’un panonceau qui indique clairement qu’il est interdit de le faire là, je me dis qu’il y a quand même quelque chose qu’on a compris à Dakar et qu’on ignore encore à Douala. Parlant des lieux d’aisance publics, j’en ai pas mal utilisé pendant mon séjour. Et je me suis rendu compte de leur propreté. Je préfère ne pas décrire ceux qu’on a ici. Je laisse à votre imagination le soin de se faire une idée de ce à quoi ils peuvent ressembler.
Le développement est une disposition de l’esprit. Les pays qu’on dit développés aujourd’hui sont ceux qui ont réussi à maîtriser de toutes petites choses. Et ce sont ces petites choses mises ensemble qui font de grandes nations ! Moi j’ai été choqué de l’amplitude qui peut exister entre les comportements sans même être sorti du Continent. Et je suis encore plus choqué quand je me rappelle que ceux qui nous dirigent ont pour la plupart fait leurs études dans les pays occidentaux. Ne sont-ils pas mortifiés quand ils voient dans quelle situation croupissent leur pays et les villes dont ils ont la responsabilité ? Pourquoi ne semblent-ils pas révoltés quand ils rentrent au pays comme moi je le suis depuis ma petite semaine passée au Sénégal ?
J’ai parlé dans un post précédent de l’état du parc automobile dakarois. Et j’ai été franchement surpris d’y voir autant de voitures récentes. J’ai évoqué le sujet auprès de quelqu’un qui fait commerce avec des importateurs de voitures d’occasion. Il m’a édifié. Il paraît que sur le marché européen, les plus vieilles épaves sont réservées aux camerounais. Les autres pays ont établi des limites d’âge quant à l’importation des autos, mais pas le Cameroun. La preuve est que l’an dernier par exemple, ma voisine a réussi à importer une vieille guimbarde fabriquée en 1988 !
Dakar n’est pas la capitale d’un pays plus riche que le Cameroun. On a beau se moquer des sénégalais en disant que ce ne sont que des mangeurs de riz et des baragouineurs du français, mais on rivalise difficilement avec eux au niveau de la mentalité. Une preuve ? Ils en sont à leur troisième président depuis l’année 2000. Et aucun coup d’Etat n’est passé par là.
Par René Jackson
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