
Il est de ces moments où tu te dis que le monde évolue un peu trop vite. Comme ce jour où je m’étais retrouvé à partager la même chambre que deux garçonnets. Le matin, j’avais été sorti du sommeil par leur conversation. Laquelle ma foi était bien curieuse. Ils n’avaient même pas encore sept ans et ils parlaient d’une fillette qui devait avoir le même âge qu’eux. « Elle croit que je ne vois pas ce qu’elle fait ? Elle veut devenir ma petite copine. Elle n’est même pas si jolie. Même quand on sera grand, je ne pourrai pas accepter de faire l’amour avec elle ». Mes oreilles saignaient ! Dans cette situation, la réaction première serait celle de les rabrouer vertement, en leur demandant d’aller d’abord apprendre à compter jusqu’à trente avant de parler de choses pareilles ! Moi, j’ai préféré continuer à faire le dormeur. Et mes oreilles n’ont pas cessé de saigner.
Faire l’amour… Ce sont bien des termes de cette génération. Pas de la nôtre. Et les modèles des petits d’aujourd’hui ne sont pas ceux que nous avions. La providence a voulu que notre croissance soit concomitante avec la période de grâce de Petit-Pays. Vous connaissez Petit-Pays ? Quoi ? Vous ne connaissez pas l’Avocat défenseur des femmes ? Le Neveu de Jésus-Christ ? Le Turbo d’Afrique? A titre de comparaison, les USA ont Michael Jackson, la France a Claude Francois, la Suède, Abba, le Congo, Koffi Olomidé. Et le Cameroun a Petit-Pays. C’est-à-dire le musicien le plus génial de notre époque. Petit-Pays est le mec qui a inventé le makossa-love, c’est celui qui a fait la pochette d’album la plus célèbre de l’histoire de la musique camerounaise, puisque sur la photo, il était tout nu. Le seul effort qu’il avait consenti à faire était de couvrir ses parties intimes de ses mains.
Petit-Pays c’est aussi et surtout celui qui a fait l’éducation sexuelle de deux générations de Camerounais, pendant que la tendance était au tabou. Et rien que pour cela, il a sa place au Panthéon camerounais. Si d’aventure il y en a un.
Dans toute son intelligence, le jeune homme avait compris qu’il serait difficile pour l’homo-crevetus de dire tout de go : faire l’amour, faire la cour, baiser, rouler une pelle. Il s’est donc échiné pendant vingt longues années à enrichir un champ lexical qui permettait de parler de la « chose » sans donner l’impression de le faire. Depuis, ô tristesse, Petit-Pays a abandonné ses ouailles libidineuses, puisqu’il s’est plongé dans la religion. Chapeau quand même, l’artiste !
« Alain Njockè, toi tu veux toujours me tuer. Partout où tu es, tu veux toujours me tuer. Non, ne me tue pas, tue ta femme ». Dit comme ça, on se demanderait : « Wow ! Pourquoi celui-là parle de meurtres ? Il est fou ou quoi ? Et comment peut-il demander à quelqu’un de tuer sa propre femme ? » On peut se le dire, mais il faut écouter la suite : « On ne tue pas les hommes, on ne tue que les femmes dans ces choses-là ».
Aujourd’hui encore, même dans la ville de Douala qui est supposée être arrosée par l’érotisme qui provient des médias, il est difficile de parler ouvertement des affaires du sexe. En utilisant les mots qui désignent nommément chaque chose. La pudeur existe. D’un autre côté, on ne peut se passer d’en parler. Alors, on escamote le français. Qui heureusement est une langue dont la richesse permet la variabilité de sa géométrie. On a réussi à donner une autre couleur à des mots tout à fait innocents. Parlez de manger le plantain près d’une jeune Doualaenne et elle vous jettera des regards furibonds.
Avant de procéder à l’abattage du gibier, il faut d’abord l’encercler. En d’autres termes, avant d’emmener la belle dans son lit, il faut d’abord la courtiser.
Et pour courtiser, on drague bien entendu. Mais ce n’est pas très exactement comme ça qu’on dira. D’abord, il faut désigner la fille. Au lieu de dire « fille », on dira plutôt nga, ngo, wé. Quand on la cible (c’est-à-dire quand elle suscite l’intérêt) elle deviendra un dossier, ou un goût. Quand nous disons : je suis « en train de traiter un dossier », ça peut bien sûr être un dossier de livraison de semi-conducteurs ou ça peut tout simplement signifier qu’on est en train de courtiser une femme. A Douala, quand on drague, on est aussi au pointage. On attaque. On lance les grains.
Quand elle a accepté les avances, on dit qu’elle a picoré les graines ou qu’elle est tombée. Et quand le gars est un tantinet frimeur, il déclare qu’elle est tombée sans glisser. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’elle n’a pu opposer aucune résistance face à son charme renversant. La demoiselle accepte alors d’entrer en relation avec lui. Elle devient ainsi sa nga, son wé, sa femme, sa petite, sa titulaire (la préférée pour ceux qui ont plusieurs petites amies), mais en aucun cas sa petite amie. « Petite amie » est une expression qu’on ne connaît pas chez nous.
Dans le cas où la belle a opposé un non sans ambages, elle nous a soit zappé, soit tété (donné un coup de tête), soit barré, soit encore ndem. Il ne reste plus alors qu’à aller lancer les grains ailleurs…
Petit à petit, pendant des mois, des semaines, ou encore en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, la petite a accepté de se donner toute entière, corps compris. On ne peut s’empêcher d’aller le raconter aux amis. Donc, on a bien entendu tué (encore merci, Petit-Pays), on a piqué, on a tanné, on est grimpé, on a fom, on a coupé, on a lavé le ndolè, on a abattu le gibier, on a conclu le dossier, on a achevé l’animal, on a cassé le kwetou… Une expression qui m’avait bien fait rire, c’était brûler le maïs. Je l’avais trouvée totalement hors de propos. Et puisque de temps à autre, il faut se mettre au diapason du monde, la dernière en date, c’est zlataner. « Ouais, j’ai zlatané la nga là !»
Mais auparavant, on l’a mop. C’est-à-dire qu’on lui a roulé une pelle.
Bien entendu, les indélicats qui racontent leurs parties carrées doivent faire saisir à leur auditoire l’importance de leur exploit. La performance dans les sports litiques se mesure à force de coups, ou de buts. Plus on en met, plus on est endurant. Le coup (ou le but) désigne ce qu’on pourrait appeler dans un langage un peu plus accessible l’épanchement de liquide séminal. Et quand cet épanchement survient, on dit qu’on a jouah. Non, non il ne faut surtout pas dire « joui » !
Si par chance (ou par malheur, c’est selon) il s’agit de la première fois, on dira que le garçon est devenu un homme. Et que la fille a été décapsulée. Comme une vulgaire bouteille de bière.
Et quand qu’on fait crac-boum-hue, il faut varier les plaisirs. Les spécialistes de l’amour le préconisent même. Il faut rompre la monotonie. Même sous la couette. Autant toutes ces petites menteuses jureront la main sur le cœur que jamais elles ne fumeront le calumet de la paix parce que ce serait trop dégoûtant, autant les machos de façade se garderont bien de dire qu’en contrepartie, ils ont fait le bisou sur la tomate ou qu’ils ont utilisé un cure-dents. Ne me demandez pas pour enlever quoi entre les dents. Celui ou celle qui n’a pas compris, tant pis pou lui/elle.
Mais alors, que deviennent ceux qui sont loin de toutes ces turpitudes. On fera des commentaires pleins de compassion et de condescendance à leur égard. Les pauvres, la jachère va les tuer, personne pour débroussailler le champ. Pour les dames, on y va un peu plus fort, parce qu’il faut d’urgence enlever les toiles d’araignées qui depuis auraient investi le lieu.
Je m’arrête là. Sinon je risque de m’attirer les foudres des gars qui vont me prendre pour un traître, parce que je dévoile leurs codes d’attaque. Je ne veux être l’Edward Snowden de personne, si ce n’est déjà le cas !
Mais je vais quand même rendre public un dernier secret. Si vous vous étonnez du fait qu’un homme se mette à courtiser plusieurs filles en même temps, ou alors qu’il pointe une cible qui semble inatteignable, il justifiera alors ses actes en disant qu’on ne sait pas quel est l’oiseau que le caillou va atteindre.
J’en ai terminé. Les gars, ne me tuez pas, je vous en prie. Vos copines sont déjà là pour ça.
Par René Jackson
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