René Nkowa

J’ai regardé Mali-Cameroun sur Twitter

Mon bien malin fournisseur d’images satellite a choisi le meilleur moment pour me rappeler que j’avais des impayés que je devais lui régler. Il a attendu le jour de l’ouverture de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football pour me suspendre ses services. En attendant de régler cette situation, j’ai dû accepter le fait de ne voir aucune image des premiers matchs cette CAN. C’est ainsi que le mardi 20 janvier 2015, au lieu de me retrouver devant le petit écran, j’ai dû me contenter d’un écran bien plus petit : celui de mon téléphone. Le dépit s’est vite transformé en un exceptionnel moment de football. Je vivais le match à travers la twittosphère camerounaise. Et j’avoue que la télé ne m’a pas manqué.

J’ai toujours voulu faire un article sur ce qu’on appelle le #Twitter237 (237 étant l’indicatif téléphonique du Cameroun) qui est assez particulier et en fin de compte à l’image des Camerounais : grande gueule, moqueur, fan de l’autodérision, attachant. Et pour ça, rien de mieux que de se retrouver devant sa timeline un soir de match de nos chers Lions indomptables. L’humour est très camerounais et les personnes qui n’ont pas encore vécu dans notre cher beau pays auront des difficultés à saisir le sens de certaines déclarations. Mais elles en valent toutes la peine.

Voici mon Mali – Cameroun, tout en rires et en captures d’écran. Pardon pour les fautes, mais en moments d’émotions intenses, on ne contrôle pas toujours tout.

1. Désertion…

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3. Pelouse imprégnée de chanvre indien

Screenshot_2015-01-20-20-44-464. Version Stromae

Screenshot_2015-01-20-20-46-205. Surtout garder son calmeScreenshot_2015-01-20-20-47-016.Tacle en dessous de la ceinture

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7. On n’en peut déjà plus des commentaires

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8. La FIFA, il faut aussi un temps mort au foot, absolument!

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9. Twitter: un champ d’expérimentation

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10. Beaucoup de Maliens tiennent des boutiques au Cameroun

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11. Sans commentaire

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12. Match sous haute tension

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13. La comparaison qui tue

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14. Fabrice Ondoa, président

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15. A un moment, on se rend compte que la TV ne sert plus à rien

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16. Fin de la première mi-temps

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17. …Screenshot_2015-01-20-20-56-3818. L’explication de la boucherie qui va suivre

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19. Encore une histoire de boutiquier malienScreenshot_2015-01-20-21-00-2520. Gabarit hors norme des joueurs maliensScreenshot_2015-01-20-21-00-5021. Le coach doit sévir pendant la pause. On connait les fautifs

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22. Les SMS gagnants

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23. Bouffées de chaleur,  sortilèges et optimisme

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24. La diversité n’a pas que des avantages

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25. Le coeur…

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26. Mais faites quelque chose, bon sang!

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27. Cesse d’être aveugle, cher avant-centre

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28. Twitter est devenu un grand bar

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29. Pendant ce temps, certains n’avaient pas d’électricité

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30. Moment tactique et constat qui fait froid dans le dos

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32. Cameroun et Côte d’Ivoire : même pipe, même tabac

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33. Eto’o, reviens s’il te plaît

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34. Les premiers abandons sont enregistrés…

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35. Paroles à double sens, pleines d’équivoque

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36. Cherchez l’intrus

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37. C’était mieux avant

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38. Certains sont toujours dans l’obscurité…

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39. Continue à garder ton calme (Cf plus haut)

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40. Football version Street Fighter 2

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41. Certains ne finiront pas le match

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42. Il faut savoir pourquoi nous sommes là

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43. Décidément, c’était mieux avant

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44. L’électricité est revenue…

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45. … mais on doit éteindre les lumières du stade, ça pourrait servir

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46. Changement de nationalité

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47. Sauvetage spectaculaire du gardien de buts

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49. Le Mali ouvre le score

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50. Tacle irrégulier

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51. Il n’y aura pas d’aigle au menu. Un petit changement s’impose

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52. Lions rime avec déception (elle est bien bonne celle-là, non?)

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53. Pour éviter les maux de coeur, une seule solution…

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54. #BringBackEtoo

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55. Pas moins de 22 millions de coachs

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56. Egalisation du Cameroun

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58. Buteur Oyongo, pour Dorette, c’est quand tu veux

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59. Le foot, c’est pas que les pieds apparemment

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60. Mea culpa

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61. Tremblements involontaires

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62. But refusé au Mali

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63. Tout est dit

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64. Fin de la rencontre. Un but partout

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65. Paroles de connaisseur

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66. En mode groupie

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67. Bon bah, maintenant on peut passer à autre chose non?

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J’ai recensé ici 97 tweets et la curiosité est que 61 % de ceux-ci ont été postés par des femmes. Les hommes doivent revendiquer l’égalité des sexes. Et en plus elles n’ont pas leur langue dans la poche.

NB : Ceux qui gagneront des followers grâce à cet article, ne me remerciez pas. Quant à ceux qui enrageront de voir leur(s) chef(s) d’œuvre ici, je ne vous dirai pas merci.

Par René Jackson et #Twitter237


Liberté d’expression, respect et responsabilité

Liberté d'expression - Via FlickR
Liberté d’expression – Via Flickr

Des événements extrêmement graves se sont déroulés en France entre le mercredi 7 et le vendredi 9 janvier 2015. Une attaque d’une violence et d’une portée sans précédent, qui a suscité une condamnation quasi-unanime et des manifestations un peu partout dans le monde. Le journal satirique Charlie Hebdo a bel et bien été victime d’un attentat terroriste et non pas d’un simple règlement de comptes. Le déroulement des évènements (assassinats, fusillades avec les policiers, exécution en pleine rue, prise d’otages) avait clairement pour but d’instaurer la psychose, la terreur.

Ces attaques ont été vite cataloguées comme étant des atteintes à la liberté d’expression. Ce qui n’est pas totalement faux, puisque c’est un organe de presse qui a été pris pour cible, puisque ce sont des journalistes qui étaient clairement visés et froidement exécutés. La société telle que nous l’avons toujours conçue a pris un véritable coup ces derniers jours et les récents événements nous poussent fatalement à nous poser des questions.

La liberté d’expression, qu’on peut de façon simpliste définir comme étant le droit dont dispose (ou doit disposer) chacun de nous, lui permettant d’énoncer ses idées sans craindre d’être attaqué de quelle que manière que ce soit (sauf par les idées, bien sûr) pour les avoir exprimées. C’est un fondement cardinal et tout le monde doit être en mesure de pouvoir jouir de ce droit.

Et en tant que blogueur par exemple, je suis la manifestation même de la liberté d’expression. Car j’ai la possibilité dans cet espace d’expression de raconter tout ce que je veux. Et en optant pour cette ligne éditoriale, qui est celle d’analyser principalement ce qui se passe dans nos sociétés tout en bifurquant de temps à autres vers la politique et le sport, sujets hautement polémiques s’il en est, je sais pertinemment que je me ferai certes des amis qui partageront mon point de vue, mais tout aussi des ennemis. Tout en me sentant libre de donner mon opinion ici, en parlant de mon pays et de celui des autres, je sais aussi que certaines de mes théories pourraient être mal prises par certaines personnes et que je suis susceptible d’être interpellé pour répondre de mes opinions. Pour le moment, ce n’est encore arrivé à aucun blogueur ici. Nous ne sommes pas en première ligne et les gouvernants n’ont pas encore pris la réelle mesure de notre force de frappe.

Le blog donc représente un formidable moyen d’expression. Il permet à presque tout un chacun de montrer qu’il a voix au chapitre. Il le permet tout autant que les diverses plateformes de socialisation virtuelle que nous connaissons.

Peut-on parler de tout ? Peut-on rire de tout ?

Le principe de liberté d’expression acquis, il se pose la question de la façon dont on la manie. Surtout quand on sait que notre liberté s’arrête où commence celle des autres.

Le monde actuel est rempli de ce qu’on pourrait appeler des amuseurs publics et c’est un peu la course à qui sortira la blague la plus acerbe, la vanne la plus rigolote. Si au passage, on froisse certaines susceptibilités, ce n’est pas bien grave. Mais pourtant ça l’est! J’ai entendu parler de Charlie Hebdo pour la première fois en 2011 après l’incendie dont leurs bureaux ont été victimes. Des malfaiteurs y avaient mis le feu pour protester contre la décision de la rédaction de désigner le prophète Mahomet comme rédacteur en chef d’un numéro faisant suite à la victoire électorale du parti islamiste Ennada en Tunisie.

Depuis, Charlie Hebdo a publié des quantités d’illustrations plus provocatrices les unes que les autres. Franchissant allègrement la ligne rouge, s’attaquant à tout le monde. J’estime à titre personnel qu’on peut parler de tout, mais il faut prendre gardeà ne pas manquer de respect à une communauté, à ses croyances, à ses habitudes. Qui sont aussi pour elle des moyens de s’exprimer. Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à caricaturer un Jésus sodomisant Dieu, le premier lui-même étant sodomisé par une représentation du Saint-esprit, pour s’exprimer. Je ne crois pas qu’il s’avère nécessaire de représenter Mahomet à genoux et à quatre pattes, tout nu, l’anus caché par une étoile, pour se faire comprendre.

J’avoue que ces caricatures m’auraient fait rire en d’autres circonstances, mais il n’en demeure pas moins qu’elles sont de véritables insultes pour les gens qui ont ces croyances. Nous vivons à une époque où tout semble désacralisé. Il existe cependant des choses qui restent importantes pour certaines personnes (l’intimité, la vie privée, les idées, les croyances) et que nous nous devons malgré tout respecter, sous peine d’assister à des attentats aussi graves.

L’idée ici n’est absolument pas de décharger les intégristes qui ont perpétré ces actes de leurs responsabilités. Ce sont des lâches qui manifestement ont lu le Coran qu’ils prétendent défendre à l’envers. Ces extrémistes musulmans, comme ceux des autres bords, ont mis de côté tous les préceptes basiques d’humanité pour commettre ces horribles méfaits.

Maintenant, faut-il absolument se censurer ? Que non ! Les principes démocratiques qui régissent les pays avancés et que nous aspirons à voir émerger sous nos latitudes vont nécessairement de pair avec le besoin d’édification des masses, afin qu’elles soient au fait de ce qui se passe afin de prendre leurs décisions en connaissance d’objet et de cause. Il appartient dont aux hommes de médias, aux leaders d’opinion de tout mettre en œuvre pour que la vérité se sache, quitte à déranger certains conforts, quitte à provoquer des animosités. Il appartient à chacun de nous, qui essayons de passer des messages, de le faire. Absolument.

Il est toutefois important de le faire en respectant la liberté que les autres ont d’avoir leurs croyances, aussi sottes et arriérées ou contestables qu’elles nous semblent être. De respecter leur mode de vie, leurs us, leur culture, leurs coutumes. De respecter la latitude que les autres ont d’avoir un mode de vie différent.

On ne fait pas preuve de tolérance en étant irrespectueux envers ce qui fait la spécificité de l’autre, de ce qui le différencie d’une norme que nous seuls nous sommes fixés.

Tweet-itele-libertédexpression

Par René Jackson


A Elles

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Une vendeuse d’oranges – Photo: René Jackson Nkowa

Pour la énième fois, la super mairie de Douala mène une campagne de déguerpissement des emprises de la voie publique occupées par des commerçants. Pour le bien-être de tous, il est important de respecter l’espace public. Un piéton ne doit pas se retrouver en train de se disputer la chaussée avec les automobiles parce que les trottoirs ont été trustés par les petits (et parfois les gros) commerces. Mais il n’en demeure pas moins que ces déguerpissements sont terribles pour les personnes concernées et pour leur famille.

Il y a quelques jours, j’ai fortuitement assisté à l’un de ces évènements. Les engins avaient sévi de façon totalement inopinée. Le résultat avait été des dizaines de comptoirs détruits et autant de personnes en détresse. L’une d’entre elles m’a profondément marqué. Une femme d’une quarantaine d’années. Elle avait pleuré. Avait supplié. Elle avait des enfants. Il fallait qu’ils aillent à l’école. Elle n’avait aucune autre source de revenus. Il fallait qu’on lui laisse au moins le temps de ramasser ses fruits. L’agent municipal ne l’avait pas entendu de cette oreille. Tous ses produits étaient passés sous les roues de la pelleteuse qui mettait son comptoir en pièces. Elle s’était alors évanouie et avait dû être transportée à l’hôpital. Pendant que ses pamplemousses, ses ananas et ses pastèques se transformaient en salade de fruits ; et que son comptoir devenait un tas de bois.

Je repasse souvent à cet endroit. C’est bien plus agréable ce trottoir dégagé. C’est comme cela que les choses devraient normalement être. Mais j’ai toujours une pensée pour cette femme. Pour ces femmes. Je pense à elles.

A elle qui m’aborde quand je suis assis dans un snack-bar. Elle qui me propose des œufs à la coque, qu’elle vend avec du pain. Ses œufs sont rangés bien en ordre dans un seau en plastique transparent, en dessous du piment, de la mayonnaise et de la sardine. Le pain est entassé dans un sac. Pendant que je lui passe ma commande, je l’observe. Elle fait clairement plus vieille qu’elle ne l’est en réalité. Elle se couvre la tête avec une casquette portant le logo de l’un de nos opérateurs de téléphonie mobile. Mais ce couvre-chef ne suffit pas à lui tout seul à parer au soleil brûlant qui nous abrutit dans cette ville. Ce soleil a vraisemblablement été sans pitié avec elle. Elle a terminé de garnir mon pain. Elle farfouille dans son sac et tout d’un coup semble très embêtée. Et regarde à gauche et à droite. « Je n’ai plus d’emballages. Est-ce que tu peux attendre que j’aille en chercher ? – La mère, laisse. Tu n’as pas besoin d’emballer, je vais le manger maintenant – merci mon fils, tu me sauves. Ces emballages en plastique sont devenus rares et si chers… » Je la regarde s’éloigner. Elle propose ses œufs à un homme assis non loin de moi. Il ne daigne même pas la regarder.

A elle qui me vendit des plantains et des prunes cuits à la braise il y a quelques mois. Elle est d’humeur maussade. Elle passe visiblement une mauvaise journée. Pour ne rien arranger, il pleut. Elle ne répond pas à mon bonjour. Elle est bien occupée : elle doit veiller à la cuisson des plantains mûrs qui sont sur son four à charbon de bois et doit s’assurer que les prunes ne carbonisent pas. Elle doit tenir ce qui fait office de parapluie au-dessus de sa tête. Il ne la protège pas vraiment de l’averse. Je jette un coup d’œil à ma gauche. A quelques mètres, je vois la charrette d’un vendeur de parapluies. Pourquoi elle n’en achète pas un neuf au lieu de se torturer avec cette antiquité qu’elle cherche à maintenir coûte que coûte en équilibre ? A côté d’elle un bambin braille. Il doit avoir environ deux ans. Elle me semble trop vieille pour avoir un enfant de cet âge. C’est peut-être son petit-fils, issu de l’une des innombrables relations sans amour que cette ville abrite. Lui au moins il a eu de la chance. Il a fini sur un trottoir, sous la pluie, auprès de sa grand-mère. Ça aurait pu être pire. Il aurait pu se retrouver dans une poubelle, à la merci des chiens errants.

A elle qui passe sa journée à trottiner sur nos grands axes routiers. Elle qu’on retrouve aux postes de péage, aux points de contrôle routier. Elle qui propose aux voyageurs des victuailles diverses, partant des bâtons de manioc aux mandarines en passant par les noix de coco, les mintumbas, les oranges, les frites de plantain, les brochettes de viande et j’en passe. Elle qui ne se décourage pas, malgré qu’elle avale à longueur de journée les gaz d’échappement des véhicules derrière lesquels elle court pour vendre une dernière mangue, derrière lesquels elle court pour récupérer son argent. Elle ne fatigue jamais de poursuivre un autobus qui roule afin de satisfaire le désir d’un passager, au risque de passer sous ses roues. Souvent, nous l’accusons d’être malhonnête. A tort. Personne ne s’est pourtant jamais plaint de ses produits.

A elle que j’ai été surpris de découvrir tard un soir. A l’époque, j’avais un travail qui m’obligeait à rentrer chez moi quand beaucoup avaient déjà fait un tour de sommeil. Je m’étais retrouvé dans une station-service. Elle était jeune. Très jeune. Elle était une adolescente. A la manière dont elle était vêtue, elle devait être originaire de l’une des parties musulmanes du pays. Elle était assise près d’une cuvette en inox dans laquelle se trouvait une casserole, des cuillers, des fourchettes et des assiettes. Deux ou trois fois, elle a ouvert la marmite. J’ai deviné une sauce dans laquelle semblaient se dissimuler des morceaux de viande. Elle rigolait aux plaisanteries vaseuses que lançaient les hommes qui étaient là. Certaines de ces blagues étaient vraiment déplacées, surtout à l’endroit d’une personne de son âge. Mais sa réaction montrait qu’elle les prenait plutôt bien. Une preuve s’il en était qu’elle devait déjà avoir du métier. Elle devait bien être utile à ces gens qui travaillent dans la nuit, en leur permettant de se restaurer vite fait et à moindre frais. Mais qu’est-ce qui obligeait cette enfant à se retrouver assise près d’une pompe à essence à une heure pareille, à subir les assauts lubriques des taximen et des conducteurs de moto-taxis ?

Je pense à elles. Toutes. Qui sont là, tout le temps. Que nous ne voyons plus, mais qui nous sont plus importantes que nous, ne l’imaginons. Elles sont les actrices estompées de nos quotidiens. Elles dont on peut sans difficulté aucune croquer dans nos esprits les couleuvres qu’elles avalent. Elles se font éclabousser par les voitures pendant la saison des pluies. Elles sont maculées de poussière pendant la saison sèche. A force de subir toutes sortes d’intempéries, leur peau s’est fripée, noircie. Elles prennent de l’âge bien plus vite que les autres.

Elles sont le pilier sur lequel repose leur famille. Elles n’ont pas le droit de flancher, elles n’ont pas le droit d’abandonner. Leur mari est malade, au chômage, peut-être parti chercher herbe plus verte ailleurs. Ou alors il a jeté les armes face au aléas de la vie et vit aux crochets de la société, à ses crochets. Leurs frères et sœurs ont été à l’école, ont obtenu leurs diplômes. Ils n’ont pas trouvé de travail et du haut de ces papiers somme toute inutiles, ils refusent de s’abaisser à des tâches ingrates. Elle est obligée de se mouiller pour subvenir aux besoins de cette fratrie orgueilleuse qui ne la soutient pas et qui, souvent, l’insulte, la traite de demeurée.

Je pense à elles qui sont pour la plupart sans défense, mais qui sont armées d’un courage et d’une détermination sans pareil. Qui ont ce sourire et cette gentillesse à toute épreuve. Qui t’appellent « mon fils » ou « ma fille » quand tu les approches. Que tu es fier d’appeler respectueusement « maman », alors que vous ne vous connaissez ni d’Adam, ni d’Eve.

A elles toutes.

Par René Jackson

Bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous et meilleurs vœux pour l’année 2015.


Camerounaises vs porno

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Licence: CC0 Domain / No attribution required – via pixabay.com

Je dois dire deux choses d’emblée. La première est que j’ai eu du mal à rédiger ce billet. En fait je me suis retenu de l’écrire pendant plusieurs semaines. Je ne savais pas trop comment aborder le sujet. Je ne crois d’ailleurs pas avoir jusqu’ici trouvé la bonne approche. Mais je n’ai pas pu y résister. Secundo, je tiens à signaler dès maintenant aux personnes bien pensantes (les patriotes protecteurs parangons de l’image du Pays, les féministes réactionnaires de tout poil et les extrémistes) avec qui j’ai souvent eu maille à partir sur cet espace qu’elles ne vont pas du tout aimer ce qui va suivre.

Pour ceux et celles qui n’ont toujours pas compris, je vais parler des relations un peu alambiquées que les jeunes Camerounaises entretiennent avec la pornographie. Si après cette phrase vous êtes encore là, c’est à vos risques et périls.

Comment considérions-nous les femmes lorsque nous étions plus jeunes ? Comme des modèles de vertu. On nous a instillé dans l’esprit que c’étaient des choses toutes fragiles dont nous serions responsables plus tard. Quand nous les épouserions. Quand nous les procréerions. Et quand nous nous en servirions comme second bureau. Les hommes en devenir que nous étions serions leur héros. Mais nous devrions aussi les mener à la baguette. Parce que la femme est tout, sauf docile. Et elle a la langue qui tue, disait-on, la virilité. On devait montrer qui est le chef. En Bantous que nous sommes, nous ne devrons ployer dans une face à une dame sous aucun prétexte.

Nous avions donc, entre autres missions, celle de « protéger le modèle de vertu et de probité que représentent les femmes » de tout ce qui pouvait corrompre leur esprit. Comme de la sexualité. Parce qu’en tant qu’hommes, nous sommes par définition des pervers. Du coup, avant de parler de certaines choses, on devait s’assurer qu’il n’y ait aucun hominidé de genre féminin dans les parages.

Mais ça c’était avant.

Parce qu’aujourd’hui, ce sont ces êtres fragiles qui vous entraînent sur les chemins glissants (sans mauvais jeu de mots) du stupre. Exemple : il y a environ deux ans, j’avais réussi, à force d’usure, à trainer une jeune Camerounaise dans un restaurant de Douala. Une panthère en puissance, mais ça je ne l’ai appris que plus tard et ce à mes dépens. Pendant que nous étions en train de manger, elle dit :

« Jack, est-ce que tu sais qu’à côté il y a un sans caleçon ? » (Entendez par là un bar de strip-tease).

Moi, me préparant assez hypocritement à monter sur mes grands chevaux de pourfendeur de la débauche, prêt à pointer un doigt accusateur sur ces endroits qui pervertissent notre société (et ce malgré mes nombreux forfaits), la demoiselle m’a couché au tapis avec un : « je suis déjà partie là-bas avec des amies. C’était bien, j’avais beaucoup aimé. J’étais en classe de première. Après, je suis allée au sans caleçon qui est à… » Et là, elle m’a sorti une liste longue comme un bras de bars de strip-tease qu’elle avait déjà visité. Elle a fini avec : « si tu veux on peut y aller après ».

La ligne de démarcation entre ce qui est réservé aux hommes et ce qui est du giron des femmes s’estompe lentement, mais sûrement. Beaucoup d’hommes sont inquiets, car ils sont perdus par cet état de fait. Il y a encore quelques années, le fait de se réunir tout autour d’une revue interdite au moins de dix-huit ans était le passe-temps des hommes. Mais j’ai vécu il y a quelques semaines la scène qui m’a inspiré ce billet : une huitaine de jeunes femmes avaient les yeux rivés sur l’écran d’une tablette numérique, gloussant comme des poules prêtes à pondre. Elles étaient fascinées. Curieux, j’ai jeté un œil par-dessus leurs épaules. Les images ne prêtaient à aucune équivoque. J’ai été presqu’enseveli sous un tombereau d’insultes quand j’ai émis ma petite observation.

« Cessez de croire que vous êtes les seuls à avoir le droit de regarder ça. Nous aussi on peut ».

C’est ce que j’appellerai l’égalité entre les sexes. Nivellement vers le bas ? Ou bien nivellement vers le haut ? Ce n’est pas à moi d’en juger.

Et WhatsApp fut.

Ce logiciel pour téléphones intelligents est très en vogue chez les jeunes. Il y a un peu plus d’un an, à force de sollicitations, je me suis inscrit sur ce réseau. Et tout de suite, j’ai reçu des invitations pour faire partie des groupes de discussion. Trois fois sur quatre, c’étaient dans des groupes créés par des filles. Et là, ça parlait de tout. De vraiment tout. Et surtout de choses que la bienséance m’interdit de retranscrire ici. Et nul besoin de dire que les filles de ces groupes de discussion participaient activement et se révélaient particulièrement inspirées. Et parfois même, elles accompagnaient leurs arguments textuels par d’autres arguments, bien plus parlants, en images et en sons. Je parie que de petits malins ont conservé beaucoup de choses. Et qu’on assistera dans un proche avenir à des suicides de jeunes Camerounaises liées à WhatsApp. Si ce n’est déjà le cas.

Fatigué d’avoir mon champ de vision tout le temps pollué par des échanges salaces entre de jeunes gens que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Eve pour la plupart, j’ai quitté ces groupes. Mais mal m’en a pris car ce qui devait se produire se produisit.

L’affaire de l’année.

En juin dernier et pendant deux à trois mois, Yaoundé a eu des airs d’Hollywood. Un scandale sexuel dans lequel notre star nationale fut l’un des principaux protagonistes. Les sites web et autres réseaux sociaux n’en ont eu que des bribes. Pour avoir la substance même de toute cette affaire, il fallait être introduit dans les bons groupes sur WhatsApp. De haute lutte, j’ai enfin pu réintégrer l’un d’entre eux et là j’ai été ébahi ! Les dames n’ont plus rien à nous envier dans ce domaine, mes chers messieurs !

L’un des constats que je tire de toutes mes pérégrinations sur internet ces dernières années est que la langue de la Camerounaise s’est déliée. Elle n’a plus froid aux yeux (ni nulle autre part d’ailleurs) et ose dire tout haut ce qu’elle veut et ce dans un langage extrêmement fleuri. L’épicurisme est devenu son affaire. Et toi le jeune homme qui refuse de parler de ces choses car plein de respect pour ta personne ou pour la leur, tu passes pour un largué, un has-been tout à fait inintéressant. Toutefois certains ont observé que le sexe est devenu un moyen comme un autre d’affirmation de soi pour les jeunes Camerounaises. Et elles n’hésitent plus à l’agrémenter de quelques artifices, disons-le, pornographiques.

Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Une amie me disait ceci il y a dix ans, avant l’explosion que nous connaissons d’Internet et des réseaux sociaux : « quand j’entre dans la chambre d’un gars pour la première fois, je la fouille dès que j’en ai l’occasion. Si je ne tombe pas sur des revues du genre que tu peux très bien imaginer, je comprends que le mec a un problème et je me casse vite fait».

A l’époque, mon esprit encore naïf avait pensé qu’elle évoquait des revues de nihilisme ou d’odontostomatologie. Mais avec les années, j’ai finalement compris qu’il s’agissait de tout autre chose.

Par René Jackson


Ces dames qui donnent la leçon à tout un pays

Crédit photo: DasWortgewand, Licence: Creative Commons Deed CC0
Crédit photo: DasWortgewand, Licence: Creative Commons Deed CC0

L’équipe nationale féminine du Cameroun (les Lionnes indomptables) s’est brillamment qualifiée ce mercredi dans la soirée du 22 octobre pour la finale de la Coupe d’Afrique des Nations, en venant à bout d’une non moins valeureuse équipe de Côte d’Ivoire sur un score serré de deux buts à un. Les prouesses de ces jeunes femmes sont en  train de donner une véritable leçon à tout un tas de monde au Cameroun. Malheureusement, comme toujours, tout se passe comme si rien ne se passait. Il y a clairement des personnes et des institutions qui devraient avoir honte quand ces filles démontrent autant de volonté et d’abnégation malgré les conditions dans lesquelles elles travaillent pour obtenir de si bons résultats.

Le ministère des Sports : qui, lorsqu’il s’agit de l’équipe nationale de football messieurs, ne se gêne as pour venir mettre le souk partout. C’est ce ministère qui gère les primes des joueurs, qui désigne l’entraîneur. Encore dernièrement, le ministre des Sports himself signait un arrêté pour choisir à la place du coach le capitaine de l’équipe nationale de football, messieurs ! Le credo de ce cher ministère est habituellement : il n’y a pas de sport mineur au Cameroun. La belle blague ! Sauf qu’en dehors des Lions indomptables A, il (ce ministère) est aussi agité qu’un macchabée quand il est question des autres sélections nationales de foot (il y en a une bonne huitaine). Le ministère devient tout bonnement catatonique quand il s’agit des autres sports.

La fédération camerounaise de football : l’électrocardiogramme de cette association s’affole quand s’approche la Coupe du monde (et je le précise encore) messieurs. Je parle de cette compétition lors de laquelle notre sélection a été magnifique et exemplaire en juin dernier. Ce club quasi ésotérique n’est rien de moins que la plus grosse mafia de ce pays (tout comme la FIFA est la plus grosse mafia au niveau global). On ne sait jamais ce qui s’y passe. On ne comprend jamais comment ce machin fonctionne. Il y a quelques semaines, on apprenait qu’un fax de la FIFA envoyé en avril dernier avait tout simplement été dissimulé par l’un des responsables qui avait peur, si son contenu était dévoilé, de ne pas participer à la grosse pantalonnade de la Coupe du monde qui devait avoir lieu quelques semaines après. Les Lionnes sont en finale. Et pendant la demi-finale contre les Ivoiriennes, le compte sur Twitter de la FECAFOOT est resté étrangement muet.

Les Lions indomptables de football A : on vous a bien vus quand vous faisiez les starlettes effarouchées en juin dernier. Le monde entier a été témoin du chantage grossier auquel vous nous avez soumis. Vous nous avez démontré qu’on est dans un pays où les manifestations publiques sont interdites de fait et qu’on pouvait malgré tout faire grève, en se calfeutrant dans le confort douillet de l’un des plus grands hôtels de la capitale. « Pas d’argent, pas de Coupe du monde » aviez-vous dit. Oui, je m’adresse à vous les vingt-trois mecs qui avez été le symbole de la gabegie qui pilote ce pays. Vous réclamiez soixante millions de francs chacun et rubis sur l’ongle dans un pays où des écoliers manquent de tables-bancs. Vous les avez eus. Vous êtes allés au Brésil. Vous vous êtes lamentablement vautrés. Et vous nous avez fait un doigt d’honneur. Merci. La prime d’un seul d’entre vous suffit largement à payer celles de toutes les joueuses de cette équipe nationale féminine qui se retrouve en finale d’une CAN sans avoir rien perçu. Même pas un kopek ! Ces demoiselles vous ont prouvé à vous, tous autant que vous êtes, que représenter dignement son pays n’est absolument pas proportionnel à l’importance des sommes qu’on a dans son compte bancaire.

La CRTV Télé : l’office national de télévision du Cameroun diffusera sans doute la finale de la CAN féminine samedi contre le Nigeria. Et ses commentateurs ne se priveront pas de cet habituel aplaventrisme totalement hors de propos, qui est leur trait de caractère premier, qui se manifestera par cette phrase : « Merci au président Paul Biya qui a permis que cette rencontre soit diffusée en direct à la TV et blablabla… » Messieurs et mesdames, vous n’avez pas à aller cirer les pompes au président de la République parce que ce que vous faites, ce n’est pas pour ses beaux yeux, mais par devoir vis-à-vis de l’ensemble des Camerounais. Mercredi soir, on s’attendait à regarder la demi-finale de la CAN féminine, on a plutôt eu droit aux discours d’un ministre.

Orange : c’est bizarre, on ne vous entend pas, vous les autoproclamés « supporter numéro un du football camerounais ». Vous qui envoyez vos marketistes jouer les consultants sportifs sur les plateaux de télévision nationale à la place des vrais techniciens du football qui pourtant ne sont pas une denrée rare chez nous. Vous qui prenez en hold-up les yeux des téléspectateurs que nous sommes chaque fois que les Lions indomptables (A et messieurs) foulent un terrain de foot quelque part dans le monde. L’avant-match, la mi-temps et l’après-match sont inondés par vos annonces et par votre présence qui n’aide en rien à comprendre l’évènement. Vous qui entassez de l’orange et du noir dans des proportions totalement ahurissantes sur le plateau de la télé, en reléguant le vert-rouge-jaune au rang de simple élément du décor. Les Lionnes participent à la CAN et c’est un non-évènement pour vous. Vous avez l’habitude de m’abrutir de SMS quand les messieurs jouent. Et quand ce sont les dames, votre silence est interstellaire.

Les Lionnes de remporteront peut-être pas la finale samedi. Elles seront opposées à des Nigérianes qui prennent un vicieux plaisir à leur filer de véritables raclées chaque fois qu’elles se croisent. Ces Lionnes produisent néanmoins régulièrement des résultats plus qu’honorables, mais personne ne les prend jamais au sérieux. Leur combat est le même que celui des basketteurs, des handballeurs, des cyclistes, des athlètes, des boxeurs ; de tous ces sportifs qui méritent amplement la reconnaissance de leur pays mais qui sont tout le temps en train de tirer le diable par la queue.

Elles sont qualifiées pour la prochaine Coupe du monde féminine qui aura lieu l’an prochain au Canada. La Namibie n’est pas une destination glamour, mais le Canada l’est. Et à ce moment-là, on verra sortir du bois ces loups qui sont silencieux aujourd’hui, qui iront les encombrer inutilement pendant le Mondial et qui retourneront se tapir dans l’ombre une fois que ce sera terminé.

En attendant la prochaine occasion.

Par René Jackson


Dis-moi ce que tu bois, je te dirai avec qui tu couches

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Il est parfois de ces informations que lorsque tu les apprends, tu tombes d’abord de ta chaise. Une chance pour moi hier soir, j’étais couché dans mon lit quand je l’ai appris. Quand j’ai appris que dans mon pays, un homme pouvait se retrouver au gnouf tout simplement pour avoir bu du Bailey’s (une boisson composée de whisky irlandais et de diverses crèmes). Parce que le Bailey’s est une « boisson de femmes ». Et qu’un homme qui boit des  boissons de femmes  ne peut qu’être gay. Et en tant que tel, il mérite la prison. J’en ai encore mal aux amygdales tant j’ai pouffé de rire.

2011. Nous sommes à une fête estudiantine. La soirée bat son plein ! A un moment donné, l’un de mes camarades me dit qu’il a apporté un petit quelque chose pour nous requinquer, mais une chose qui a tant de valeur qu’il nous a entraînés dans une chambre à l’écart des autres fêtards. Il voulait qu’un tout petit comité puisse profiter de ce qu’il avait apporté. Et de son sac à dos, il a sorti une bouteille trapue, une bouteille de Bailey’s. Il a déversé son contenu, un liquide manifestement crémeux, dans des verres. Il m’en a tendu un, mais je n’étais pas très enthousiaste à l’idée d’en boire. Ce truc me rappelait trop cette autre très célèbre liqueur fortement anisée qui m’avait fait vivre des moments compliqués auparavant.

J’avais tout de même porté le verre à mes lèvres. Le liquide avait glissé sur ma langue. Bon sang ! Je n’avais pas bu quelque chose d’aussi bon depuis… Bah, depuis belle lurette ! J’ai vite fait de vider mon verre et de commencer de longues minutes de négociation auprès de mon ami afin d’obtenir quelques centilitres supplémentaires de ce précieux breuvage.

Et hier, j’apprends que ce soir-là (et toutes les autres fois où j’ai bu du Bailey’s), j’étais tout simplement un délinquant qui risquait de se retrouver devant un juge, non parce que le produit était frelaté, mais tout simplement parce que « la boisson choisie est jugée trop féminine et que seule une femme aurait pu la commander ». Ca ce sont les termes mêmes du juge qui envoie mon concitoyen en prison.

Maintenant que je repense à cette fameuse soirée, les regards que je pensais de ravissement que mes compères et moi qui découvrions cette autre sublime œuvre de Bacchus avions échangé n’étaient en fait que des regards lascifs et concupiscents. Nous étions une bande de gays en chaleur. Et les étudiantes que nous passions nos journées à reluquer, à courtiser, qu’étaient-ce ? Rien que des moyens de fuir ce que nous étions réellement : des homosexuels refoulés.

Rien que de l’imaginer, je retiens avec grand-peine un fou rire.

Maintenant que je réfléchis, je commence à me poser des questions sur mon orientation sexuelle. Parce qu’en fin de compte, mes boissons préférées ne sont pas ce qu’on appellerait des boissons d’homme. Je pense notamment à cette boisson sortie de l’esprit magnifique d’un russe, faite de vodka et d’autres petites choses savoureuses. Cette même chose que, lorsque je commets l’erreur d’en boire auprès d’un hominidé mâle, il me demande presque toujours : « tu bois les choses des femmes, toi ? »

Bêtises !

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne par ce qu’elle boit, toutes les femmes qui consomment de la Guinness, cette bière amère et alcoolisée à souhait, croupiraient toutes dans nos geôles. Car il est connu ici que la Guinness est une boisson pas d’hommes, mais de militaires. La virilité dans sa manifestation pure. Et se basant sur le même critère, on pourrait même définir quelle est la place que tient la femme buveuse de cette boisson virilisante dans son couple lesbien : celle qui porte la culotte, l’homme du couple.

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne par ce qu’elle boit, tous les adultes qui boivent du Top Grenadine (soda ayant la saveur de grenades) devraient tous se retrouver incarcérés. Parce qu’on sait tous que le Top Grenadine est la boisson des enfants, qui aiment surtout la façon dont leur langue se colore quand ils en boivent. Tu bois ça, donc tu aimes les enfants. Pas comme un père aimerait son fils ou sa fille, mais comme un homme aimerait une prostituée. Espèce de pédophile !

S’il fallait définir l’orientation sexuelle d’une personne uniquement par ce qu’on la voit faire, tous les garçons qui portent des pantalons ultra-moulants, qui ont des dreadlocks, qui n’ont pas une démarche assurée, qui mettent la main sur la bouche quand ils rient, qui comptent plus de filles que de garçons dans leurs amitiés, qui travaillent dans un salon de coiffure pour femmes, qui hurlent quand ils sont piqués par une abeille sont des gays. Et de la même manière, une femme qui porte une cravate, qui garde ses cheveux coupés courts, qui a les épaules hautes quand elle marche, qui rit à gorge déployée, qui traîne tout le temps avec les garçons, qui travaille dans des garages de mécanique et qui ne devient pas hystérique quand elle voit une araignée est une lesbienne.

Je ris.

Cette histoire de lutte contre l’homosexualité au Cameroun, par la façon dont elle est menée, nous fera assister aux cocasseries les plus inimaginables. Il y a quelques temps, on apprenait que de nombreux jeunes Camerounais, tous plus hétérosexuels les uns que les autres, se présentaient à la porte des pays occidentaux en arguant que notre pays ne voulait plus d’eux et de leur penchant pour les personnes de même sexe.

L’article 347 bis du Code pénal camerounais est explicite : les relations sexuelles avec une autre personne du même sexe sont punies. Où est-ce qu’on a vu ce jeune homme avoir une relation sexuelle avec un garçon quand il portait son verre de Bailey’s à ses lèvres ? Ou alors ce liquide était la réincarnation d’un mâle à qui il faisait une fellation ? Ces deux autres jeunes qui ont été condamnés pour la même raison en 2011 étaient-ils en train de boire un philtre avant d’aller dans quelque alcôve atteindre le septième ciel en passant par des orifices interdits ?

Hum !

Mais pourquoi suis-je surpris ? Nous vivons dans un pays où un simple « au voleur » lancé à ton encontre dans la rue te condamne à une mort dans les plus brefs délais. Nous vivons dans un pays où tu peux te retrouver derrière des barreaux pendant plusieurs années et sans aucun jugement juste parce que tu as osé blesser l’affect de la personne qu’il ne fallait pas. Nous vivons dans un pays où un rival, parce que vous courtisez la même fille, peut aller faire de toi un homosexuel auprès de la police.

Je suis un homosexuel, il faut qu’on se le dise. Parce que je suis un indéboulonnable fan de Bailey’s (qui est un breuvage exquis). Et que de surcroît, je ne bois pas ces bières pleines de houblon quand je sors avec des amis, mais que je me cantonne à la Smirnoff (dont je tolère beaucoup plus l’alcoolisation). Oui, je suis un pédophile patenté parce que de temps à autre, je bois du Top Grenadine (qui a ce savoureux pétillement sur la langue). Et enfin, je suis homosexuel parce que j’envoie souvent à mon meilleur ami des SMS avec simplement un « je t’aime ». Les nombreux moments difficiles pendant lesquels il m’a soutenu et la belle amitié qu’on entretient depuis de nombreuses années ne lui font absolument pas mériter ce « je t’aime » que je lui dis.

Il y a des gens qui devraient de toute urgence mettre de l’amour dans leur vie. Parce que si tel était le cas, ils s’occuperaient moins de ce qui se passe dans le verre des autres.

René Jackson


Douala, cet endroit où l’amour se cache

Alimou Sow Amour

Le gouvernement camerounais semble avoir mis un contrat sur la tête des jeunes garçons de Douala. Car il est des décisions qu’il prend dont on se demande ce qu’on a fait pour les mériter. L’époque où il ne fallait pas se creuser la tête pour combler une jeune amoureuse est désormais révolue. Pourquoi ? Parce que la ville de Douala a perdu son équivalent de la Promenade des Anglais de Nice ou de Central Park pour New York. Ces endroits pas trop recherchés où on peut avoir des rendez-vous amoureux rêvés. Le seul endroit en dehors des églises et des mairies les jours de mariage où les amoureux s’affichaient. Douala a perdu la Base Elf.

La Base Elf, cette bande de terre aménagée pour la promenade et la villégiature, le presque seul endroit de la ville où on pouvait longer à peu de frais le fleuve Wouri et où on pouvait ressentir le vent provenant de l’océan Atlantique tout proche. La Base Elf n’existe plus. Au moment où je rédige ces lignes, une usine de ciment est en train d’être construite sur le site même. Décidément, à tous les coups, quand on met face à face l’amour, la romance, la sensualité et l’argent, ce dernier l’emporte toujours. Pour quelques milliards on a dénaturé le lieu par excellence de l’AMOUR ! Une véritable catastrophe !

La Base Elf, c’était toute une histoire. Un véritable révélateur de sentiments, un catalyseur à sensations. Les plus timides avaient une parade toute trouvée. Quand une jolie se retrouvait à cet endroit avec toi, nul besoin de déclamer des vers sous sa jalousie. Elle avait tout compris. Et pour toi le garçon, le fait de te retrouver à la Base Elf avec la jolie courtisée était un « oui » plus qu’explicite à la demande que tu n’avais jusqu’à lors pas osé formuler.

Et pour les couples assumés, la Base Elf était le lieu où on ravivait l’amour, ou le lieu où on se retrouvait pour expier ses fautes. C’était selon. Un couple digne de ce nom devait absolument sacrifier au détour par la Base Elf. Ce n’était pas à proprement parler un lieu qui faisait courir parce qu’il fallait être vus, mais parce qu’on pouvait s’adonner à des démonstrations d’affection sans avoir peur de choquer. Puisqu’à peu près tout le monde le faisait.

Mais tout ça, c’est fini. Retour à nos vieilles habitudes, retour à des pratiques plus normales.

« Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts qu’on voit sur les trottoirs
Sont faits pour les impotents et les ventripotents
Mais c’est une absurdité car à la vérité ils sont là c’est notoire
Pour accueillir quelques temps les amours débutants

Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics
En s’foutant pas mal du r’gard oblique des passants honnêtes
Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics
En s’disant des ‘je t’aime’ pathétiques, ont des petites gueules bien sympathiques »

L’analyse de ces deux strophes célèbres de Georges Brassens va me permettre de faire comprendre la dure réalité à laquelle l’amour fait face à Douala.

Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts qu’on voit sur les trottoirs : il y a des bancs sur les trottoirs à Douala ? D’ailleurs, y a-t-il même des trottoirs ? La plupart des rues de cette ville sont faites de chaussées. Et ce qui tient lieu de trottoir est cette mince bande latérale sur laquelle motos et voitures ne veulent pas rouler.

Sont faits pour les impotents et les ventripotents : en réalité, il y a quelques bancs à Douala, mais nulle personne qui se meut difficilement ou qui a une bedaine exacerbée ne s’assoit dessus. Ces bancs, quand ils existent, sont le bureau des vendeurs ambulants.

Mais c’est une absurdité car à la vérité ils sont là c’est notoire pour accueillir quelques temps les amours débutants : il faudra chercher longtemps pour voir des amoureux assis sur ces bancs. Soit ils sont pris d’assaut par les vendeurs ambulants, soit ils sont trop exposés au soleil ou à la pluie et personne ne veut s’asseoir dessus, ou alors ils sont situés à des endroits où on risque de tomber nez à nez avec quelque détrousseur si on veut s’y câliner une fois la nuit tombée.

Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics, bancs publics, bancs publics : non, n’y pensez même pas !

En s’foutant pas mal du r’gard oblique des passants honnêtes : le regard des passants honnêtes qui vous surprendront en train de vous bécoter sur un banc ou à quelque endroit que ce soit n’aura rien d’oblique. Il sera direct, lourd, réprobateur, menaçant et accompagné de grognements.

Les amoureux qui s’bécotent sur… On vous a dit de ne même pas y penser ! Les saligauds ! Avec la maladie* qu’il y a dehors ils osent imiter les choses qu’ils voient les Blancs faire ? Les Blancs, d’abord, ils sont propres. Vous-là, on ne sait même pas si vous connaissez ce qu’on appelle un dentifrice.

En s’disant des je t’aime pathétiques : on a entendu quoi ? Tu l’aimes ? Les enfants d’aujourd’hui vont nous montrer même ce qu’il ne faut pas voir ! Avez-vous déjà entendu vos parents se dire qu’ils s’aimaient? D’où vous vient-il… (et là, on se rue sur ces amoureux irrespectueux à bras raccourcis).

Ont des p’tites gueules bien sympathiques : après ce qui leur arrive, leur gueule reste peut-être toujours petite, mais elle est beaucoup moins sympathique. Et le tout se termine par un « allez faire votre malchance-là dans vos chambres » sec. Et si c’est dans votre quartier que la scène a lieu, vous ne cesserez d’être indexés que lorsque vous aurez déménagé.

Voilà à une ou deux exagérations près le sort des bécoteurs à Douala. Mais on ne va pas s’arrêter là.

Cela procède bien entendu de nos coutumes. Et personne n’est épargné. Même pas les personnes mariées. Une connaissance très proche me confiait : « Quand ma belle-mère est chez nous, il n’y a plus de ‘Chéri’, ni de ‘Bébé’, ni de ‘Pupuce’ encore moins de ‘Doudou’. Quand elle est là, je me tiens à une distance respectable de mon mari. Ces petites choses qu’on fait pour renforcer notre complicité comme manger dans la même assiette sont proscrites. Un jour elle m’a surpris en train de le faire, elle m’a demandé pourquoi je m’échinais tant à affamer son fils ».

Dans la rue, même combat. Je suis allé quelque part où il était possible de savoir d’un coup d’œil qui était en couple ou pas. Les amoureux ne se cachaient pas. Marcher dans cette rue piétonne était un vrai bonheur. De l’amour. Rien que de l’amour. A Douala, quand tu vois un homme et une femme marcher côte à côte, il est difficile de savoir quelle est la nature des liens qui les unissent. On ne se prend pratiquement jamais la main. On ne se fait pas bisou sur la bouche. Même quand on rencontre des connaissances, on présente Adèle ou Julien. On ne se retrouve pas en train de dire : c’est mon (ma) petit(e) ami(e). Mais tout cela n’est que pudibonderie de façade.

Vous me demanderez : mais Jack, où alors peut-on débusquer des amoureux dans le feu de l’action à Douala, puisque la Base Elf n’est plus ?

D’abord dans leur chambre, mais c’est un classique. Mais quand ils veulent de l’évasion à pas de frais, c’est-à-dire se donner mutuellement des frissons sans rien débourser, il faut aller dans les terrains vagues. Il y en d’ailleurs un à une centaine de mètres de chez moi. Terrain de foot le jour, lieu de turpitudes une fois la nuit tombée. Il y a un muret et un parapet sur lequel les couples s’alignent, éloignés de quelques mètres les uns des autres. Un matin à deux heures, je rentrais éméché d’une fête et je traversai ce terrain. Les couples n’étaient plus sur les parapets, mais allongés sur les touffes de pelouse parsemées çà et là. Je n’ai pas cherché à savoir ce que ces silhouettes faisaient allongées là, à la merci des serpents, des cancrelats et des mygales. Je suis passé en sifflotant.

Il y a aussi les devantures des établissements scolaires. Ce sont des endroits où on peut aussi débusquer des couples en mal de sensations fortes. Un soir en passant devant le collège où j’ai fait toutes mes études secondaires, j’ai vu pour la première fois deux homosexuels, des garçons, s’embrasser. Que dis-je ? Se dévorer littéralement la gueule. Je suis passé en sifflotant.

Les voitures. Je dis ça parce qu’un jour, j’ai vu une auto stationnée à un endroit improbable. En m’approchant, je me suis rendu compte qu’elle oscillait sur ses essieux. Et qu’elle émettait des grognements explicites. Je n’ai pas cherché à savoir quelle mécanique permettait à cette voiture de bouger sur place et d’émettre des sons humains. Je suis passé en sifflotant.

Ce sont les seuls endroits où j’ai fait l’expérience de ce type de rencontre. Mais comme je l’ai déjà expliqué ici, l’esprit de mes compatriotes est inventif sur ces sujets et il y a sans aucun doute des choses qui se passent à mon insu.

Par René Jackson et Georges Brassens

*LA maladie : désigne généralement le sida qui on le rappelle, ne se transmet pas par la salive.

PS : Je remercie l’auteure de Cunisie – Sexe et Tabous en Tunisie qui sans le savoir, m’a inspiré ce billet.
Et merci aussi à mon ami Alimou Sow de m’avoir permis d’utiliser ce cliché d’un amour qui (je l’espère) n’est pas caché.


Cameroun made in China

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Un ami d’enfance, après avoir roulé sa bosse sur tous les continents, notamment en Afrique, est revenu au Cameroun il y a quelques mois. Pendant l’une de nos discussions, il  me dit : « Quand je suis parti d’ici en 2004 les gens utilisaient des téléphones Motorola, Nokia, Samsung, Ericsson, Philips, Sagem, etc. Bref ce qui se faisait de mieux à cette époque. Des appareils de bonne marque et solides. L’autre jour quand je suis arrivé, j’ai voulu m’acheter un nouveau téléphone portable et toutes les boutiques vendaient des téléphones chinois ou des grossières contrefaçons des marques mondialement connues. En désespoir de cause, j’ai pris celui-ci. Nokia avec deux ‘k’. Ça se dit à écran tactile et curieusement il y a pleins de boutons autour. Mais ce qui m’a le plus fait rire, c’est que Bluetooth s’écrit ici ‘Dent bleue’. Ce n’est pas sérieux qu’on autorise la vente des choses pareilles. Qu’est-ce qui s’est passé ici entre-temps ?»

Ce qui s’est passé c’est qu’il y a un virage serré en direction de l’empire du Milieu. Et que le Cameroun est devenu un grand réceptacle des produits chinois. Sous le prétexte de la pauvreté et d’un désir de l’augmentation de la qualité de vie, c’est littéralement une opération portes ouvertes accordée aux produits chintok de très mauvaise qualité. Un dicton dit ici que « ce n’est pas parce qu’on t’a appelé cochon que tu vas t’en aller te rouler dans la boue ». Ce qui veut autrement dire que le prétexte de la pauvreté ne peut pas justifier qu’on laisse notre environnement se faire envahir par des malfaçons. Et les produits concernés vont des bonbons aux avions, en passant par les téléphones, les matériaux de construction, etc.

Un scandale fait d’ailleurs grand bruit depuis quelques semaines : l’affaire des avions chinois commandés par le gouvernement pour la compagnie aérienne nationale. Une affaire tournant autour de la gabegie financière (le contribuable payera trois fois plus cher ces coucous que leur prix normal), des délais (ils auraient dû être livrés il y a deux ans déjà) et de la fiabilité de ce que beaucoup d’experts considèrent comme étant de véritables cercueils volants.

Et quelques petites recherches suffisent de comprendre l’ampleur du danger que ces avions représentent. Il s’agit du Xian MA 60. Qui n’a de certification ni de l’UE, ni des États-Unis. Ce qui implique que ces avions n’ont pas le droit de survoler ces territoires. Idem pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande, cette dernière n’étant pas passée par quatre chemins pour dire que cet avion était dangereux.

Pire encore, on recense quinze accidents des MA60 sur ces cinq dernières années. Lors d’un accident qui a eu lieu à Kupang en Indonésie le 10 juin 2013, l’appareil s’est littéralement brisé en touchant la piste d’atterrissage. Dans le domaine de l’aviation, qu’un même type d’avion subisse quinze accidents en cinq ans est tout sauf normal.

Et la suspicion n’en finit plus. Les Chinois ayant refusé de mettre à la disposition le document technique de ces appareils à la disposition des experts camerounais. Le tout est rédigé en mandarin, et non en anglais comme le recommande la réglementation internationale.

Confronté à toutes ces récriminations, le ministre des Transports a tenté maladroitement de démontrer la fiabilité de cet avion en expliquant que par exemple, les moteurs étaient fabriqués aux États-Unis. Comme si le fait que les moteurs soient fabriqués chez l’oncle Sam était une assurance tous risques. D’ailleurs, les Américains ne veulent pas voir cet avion chez eux.

Comme tout un chacun, j’ai des expériences malheureuses avec les chinoiseries. Dont deux au cours desquelles je suis passé à un cheveu d’aller rejoindre mes aïeux. La dernière en date fut avec un fer à repasser. Les Chinois ayant poussé le vice jusqu’à faire disparaître le moindre élément pouvant alerter sur un produit contrefait, je suis tombé dans le piège. L’appareil portait l’estampille d’une grande marque d’électroménager. J’aurais dû trouver le prix auquel on me le vendait étrangement bas, mais je m’étais dit: ‘la bonne affaire’. Trois mois après l’achat, je me suis rendu à l’évidence. Je m’étais fait plumer. La semelle avait commencé à se carboniser. J’ai ravalé ma déception en continuant tant bien que mal à l’utiliser, jusqu’au jour où je reçus une violente décharge électrique après avoir posé la paume de la main sur la semelle pour en vérifier la chaleur.

Tout ceci ne veut pas dire que tous les produits fabriqués en Chine sont de mauvaise qualité. Non. Tout le monde dit que la Chine est l’usine du monde. Une grande partie des produits manufacturés et industriels y sont fabriqués. Quel que soit l’endroit de la planète où on se trouve, on tombera à coup sûr sur un objet « made in China ». De très bonne qualité de surcroît.

Le problème c’est que ceux qui sont destinés au Cameroun semblent être les pires. Ceux qui sont embarqués dans un port chinois pour être débarqués directement au port de Douala.

Prenons l’exemple des téléphones. Ils sont bruyants, font peur, extrêmement mal conçus, regorgent de fonctionnalités. Et la plupart du temps elles sont incompréhensibles, car la langue française y est approximative, quand elle n’est pas totalement à côté de la plaque. Leur coque est très souvent en métal, mal isolée. Ce qui garantit de mini décharges électriques si on les saisit quand ils sont en charge.

Un autre exemple: les motos qui circulent dans nos rues. De véritables catastrophes ambulantes. Tout acheteur de moto sait que le jour où il acquiert son engin, avant d’arriver chez lui, doit absolument faire un tour chez le garagiste afin qu’il serre toutes les vis et tous les boulons. De nombreux maladroits qui ont omis cette considération se sont retrouvés avec des pièces qui se sont perdues pendant qu’ils conduisaient leur engin. Un jour, j’ai emprunté une moto et sur le chemin, le moteur est tout bonnement tombé. L’engin était pourtant tout neuf.

Quand de telles déconvenues surviennent, les victimes n’ont la plupart du temps que leurs yeux pour pleurer. Il est inenvisageable pour le vendeur de dédommager ou d’apporter une quelconque assistance au client en détresse. Il n’y a généralement pas de garantie. Et même quand il y en a, elle excède rarement quelques semaines. Même pour un appareil comme un téléviseur.

L’argument économique par lequel on justifie ce choix du chinois low-cost ne tient pas la route. Prenons un exemple simple, qui est de saison: les parapluies. Actuellement à Douala, c’est la saison des pluies. Les vendeurs de parapluies font d’excellentes affaires puisqu’il peut pleuvoir sans arrêt pendant plusieurs jours. Le parapluie provenant directement de Chine – l’écrasante majorité – coûte en moyenne 1 500 francs Cfa. Leur caractéristique première est leur fragilité. Talonnée de près par leur piètre fabrication. Du coup, nombreux sont ceux qui se retrouvent avec trois parapluies achetés en une même saison pluvieuse. Pour un coût global de 4 500 francs. Et ce sera rebelote pendant la prochaine saison des pluies. Pourtant, les plus malins, qui auront acheté des parapluies importés d’Europe par exemple – et plus difficiles à trouver – auront en mains un produit dont la durée de vie sera étalée sur plusieurs années.

On aura beau se plaindre, ça ne changera pas. Quand on y réfléchit bien, on se rend un peu compte que nous sommes – encore – victimes de la géopolitique. On n’a pas encore fini de se plaindre du supposé néo-colonialisme que les Occidentaux nous auraient imposé depuis cinquante ans qu’on se retrouve dans une situation quasi similaire avec les Chinois. Ils nous arrosent d’argent. Nous sommes heureux d’en profiter. Sauf que nous faisons tellement bombance que personne ne voit que nous replongeons dans la spirale de l’endettement. Résultat : on se fait imposer n’importe quoi, comme le fait de devenir l’un des marchés de produits chinois, qui ne se donnent même pas la peine de les fabriquer correctement. Ou alors on se retrouve avec une infrastructure – ma foi très belle – comme le Palais des sports de Yaoundé, construite mais surtout gérée par les Chinois. En disant échapper au lion, on se retrouve nez à nez avec un tigre.

D’un autre côté, ce n’est pas plus mal qu’ils le gèrent eux-mêmes, ce Palais des sports. Car connaissant notre mentalité, on aurait déjà des petits bouts de cette bâtisse disséminés un peu partout dans les foyers camerounais. On ne se contente pas d’être des experts en détournement de deniers publics, on détourne tout ce qui peut l’être. Tout y passe, même les sièges, les tapis, les poteaux et les câbles de nos infrastructures publiques.

René Jackson


Le banquet de noces à la camerounaise

S’il y a une théorie qui s’est bel et bien vérifiée à travers les âges, c’est celle-ci : les célibataires invétérés (c’est-à-dire nous) aiment les mariages plus que toutes les autres catégories de la société. Pas parce qu’on aime la fête, non. Mais parce que le célibat est une situation pas trop mal qu’on souhaite perpétuer. Il faut donc qu’on trouve des raisons de résister aux coups de boutoir de la famille et des amis qui n’ont de cesse de te demander : « Mais tu te maries quand, toi? Tu veux seulement manger pour les gens, tu vas nous faire manger quand? »
Si nous les célibataires aimons autant les mariages, ce n’est pas parce qu’on compte courser les filles d’honneur pour finir dans les chambres d’hôtel. Parce que, conseil, il ne faut jamais draguer une fille d’honneur au mariage à Douala. Parce que si elle n’est pas mariée, son petit copain n’est cependant pas loin. Mais en général, on se met en mode « pécho » et on réussit sans difficulté à détecter les proies seules, abandonnées aux quatre vents.
Donc si on aime autant les mariages, c’est parce qu’on cherche une raison de perpétuer notre douce situation de célibataire. Avec la cible d’un soir. Et un peu plus si affinités. Juste un peu plus. Il n’est pas question de venir y trouver ce qu’on voulait éviter. Et l’une des raisons de perpétuer cette situation enviable de celui qui ne gère que sa seule personne, c’est de voir qu’il est possible pour autant de francs CFA de s’évaporer en si peu de temps. Le temps d’une soirée. Sous forme d’agapes et de breuvages divers.
Les banquets de mariage, c’est la partie visible d’un immense iceberg d’argent. Parce qu’avant d’en arriver là, il a fallu aller voir les parents de la fille, puis aller voir ses oncles et tantes (et pas les mains vides). Après il a fallu aller la doter. Dans certaines tribus, la dot réclamée au garçon est scandaleuse. Et après le mariage, puisque « la dot ne finit jamais », il ne faut pas commettre le sacrilège d’aller chez ton beau-père sans un petit (ou plutôt gros) quelque chose. Et tu dois devoir te coltiner la clique de beaux-frères pour qui tu n’es qu’une vache à lait. Si si, les mêmes qui te traiteront de pauvre type quand ils t’auront asséché.
On s’éloigne du sujet. Les banquets de mariage, c’est toute une affaire. Ils permettent de rencontrer des personnages éclectiques. Petite revue des troupes.
La fille, commençons par elle. En fait, je l’ai déjà repérée (vous comprendrez que je suis en train de rédiger ce billet en plein dans un repas de mariage, mon premier article en live. La technologie a quand même du bon). Donc, la fille, elle, vient de faire dix tours devant moi, sans aucune raison. Donc c’est moi qui l’intéresse (se mettre à l’esprit qu’on est le plus séduisant de tous). Elle est plutôt jolie. Elle a mis une de ces robes longues. Mais tu n’as aucune difficulté à l’imaginer sans. Et ce que ton cerveau te montre te plaît. Cible verrouillée. Reste maintenant à trouver l’angle d’attaque, la phrase qui tue. Affaire à suivre.
Le deuxième personnage est ce bonhomme qui me connaît et que je ne connais pas. Cet individu ne manque jamais à ce type de réunion. « Quand je t’avais vu la dernière fois, tu étais haut comme trois pommes. Tu ne peux pas te rappeler de moi (et pour cause). Tu as grandi hein ! (Tiens donc!). Tu fais quoi maintenant ? (Je suis un esprit brillant au chômage). Souvent, on te demande : « Tu ne le connais pas? Incroyable ! « . Non, je ne le connais pas. Mais cet individu c’est aussi moi devant cette fillette qui avait osé me demander il y a quelques mois : « Tonton, tu me lis une histoire avant de dormir? » lors de l’une de mes nuits parisiennes. J’ai failli lui répondre comme on répond aux enfants à Douala : « Mouf, va te coucher! Celles à qui je raconte des histoires avant de dormir ont vingt ans de plus que toi et portent une nuisette et rien en dessous ». Mais j’ai calmé mes esprits barbares. J’ai attendu qu’elle tombe de sommeil. La petite, cette même petite vient de me dire qu’elle ne me connaît pas ! Diantre !
L’autre personnage c’est ce type assis à côté de moi et qui me lance des regards et qui se demande sûrement ce que je fais à tapoter sur un écran depuis une heure de temps. Lui il m’énerve. Il passe son temps à aller et venir. Et chaque fois qu’il va et il vient, il faut que je me lève pour le laisser passer.
Il n’est pas le seul à me porter sur les nerfs. Cet autre type a qui on a donné le micro et qui a entrepris de rédiger l’épitaphe : « Ci-gît la langue française ». Il démonte proprement cette langue chérie à coup de « je la dis que » et de « il faut le donner ça ». Mes oreilles saignent. Stop, de grâce! La curieuse remarque c’est que ces gens qui perpètrent ces attentats contre la langue refusent de lâcher le micro une fois qu’ils le tiennent. Sauf une fois. Quand ils le passent à celui qui est chargé de faire la prière. Sauf que celui qui effectue cette prière semble vouloir faire descendre le Saint-Esprit dare-dare, tant c’est long!
Il y a cette dame, tu as ressenti comme un coup de poing dans le bide quand tu as vu son plat. Surtout que ta table sera la dernière à parvenir au buffet. Tous les mets se bousculent dans son assiette. Le tout doit culminer à quinze bons centimètres de la base de son plat. Si tout le monde se sert comme elle, il va falloir espérer qu’il y ait une boulangerie encore ouverte à cette heure avancée de la nuit dans le coin. Le plus malheureux dans l’histoire c’est qu’en fin de compte elle a ôté seulement cinq sur ces quinze centimètres. Il y a des gens qui ont des yeux plus grands que le ventre.
La tradition dans les soirées de noces est d’inviter un amuseur public. Il faut avouer que celui-ci est plutôt bon. Il a fait rire les gens. Pas comme ces autres qui se contentent de remixer des blagues mille fois entendues. Ça me rappelle cet autre mariage où les amuseurs avaient été originaux. Ils n’avaient pas dit un mot. Ils s’étaient contentés de mettre en scène le couple présidentiel. Et pour qui connaît notre première dame, il n’est pas compliqué d’imaginer l’hilarité qu’ils ont provoquée.
Il y a moi qui commence à ressentir les effets du vin et qui ne répondrai pas de ce qui suit.
Parlant de l’ivresse, il y a ce vieux monsieur, tout bedonnant, qui a manifestement pris le verre de trop, qui essaie de trousser toutes les robes qui passent dans le rayon d’action de ses mains. Une dame outrée, fatiguée de lui demander de se calmer, est allée appeler le vigile qui l’a éjecté manu militari de la salle, sous le regard honteux de sa femme qui fait semblant de ne pas le connaître. Le retour à la maison ne sera pas de tout repos pour tout le monde.
J’ai failli oublier cette jeune personne de sexe masculin. Celui qui fait le joli cœur avec toutes les filles. Et particulièrement à celle que je vise. Il se croit tout beau avec ce ridicule nœud papillon. Tu ne perds rien à attendre, mon petit.
Maintenant je me fais harceler par un photographe. J’ai vu un flash crépiter au moment même ou j’ai mis les pieds dans cette salle. C’était lui qui me prenait en photo. Non content de m’avoir pris dans mon mauvais profil, il me demande de payer pour un travail que je ne lui ai pas demandé d’effectuer. Un travail mal fait par ailleurs. Non, merci monsieur.
Non mais j’aime les mariages! C’est l’endroit par excellence pour admirer les femmes dans leur plus belle toilette. Un vrai délice pour les yeux. C’est un spectacle indescriptible. Quelqu’un avait dit que la femme est la septième merveille du monde. Je ne suis pas très loin de lui donner raison. Et je ne suis manifestement pas la seule âme esseulée à la recherche d’une autre tout aussi esseulée. Je n’expliquerai pas autrement la situation de celle qui est en train de se trémousser juste devant moi. Vu la façon dont elle est habillée, un compagnon normalement constitué ne l’aurait jamais laissé sortir.
Bagarre à la porte. Quelqu’un tente d’entrer par effraction. Une fête ne serait pas une fête digne de ce nom sans les tioristes, les « je-m’invite ». Ces gens qui ne connaissent ni de près, ni de loin les mariés, qui n’ont reçu aucune invitation. Et qui, sous le fallacieux prétexte que c’est leur quartier ou qu’on leur a dit qu’il se passait quelque chose, s’arrogent le droit de se pointer là pour profiter du banquet qui ne nous suffit même pas à nous qui avons remué ciel et terre pour faire un cadeau. Calmez-vous et attendez trois heures du matin.
J’ai failli oublier les acteurs principaux. Ceux dont l’amour réciproque est à l’origine de tout. Et mes pensées vont surtout à l’endroit du nouveau mari. Et je lui dis bravo. Bravo et merci de nous avoir fait engloutir l’équivalent d’une parcelle de terrain, d’une voiture neuve ou de trois ans d’un salaire. Bravo pour ton courage. Il en faut pour tout ça. Et je te remercie aussi du fond du cœur d’avoir permis que je rencontre cette beauté qui me provoque depuis le début de la soirée. Je ne sais pas qui de ton épouse ou toi l’a invitée, mais l’humanité vous en sera éternellement reconnaissante. Et moi je penserai à vous cette nuit, quand elle et moi on se retrouvera là où vous pouvez imaginer!
Je crois que je n’ai oublié personne. Moi je vais danser.
PS : Les gars, ne vous laissez pas influencer par la taille des filles lors de ce genre de soirée. Elles mesurent en réalité dix ou quinze centimètres de moins.
 
René Jackson


Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Passer des larmes aux rires
Passer des larmes aux rires

Il n’est pas bon de rire du malheur des gens. Il n’en demeure pas moins qu’il est des situations dans lesquelles on ne peut s’empêcher de rire, même quand malheur il y a. Parce que l’être humain, surtout quand il est camerounais, trouve toujours le moyen de rendre risibles même les situations les plus difficiles. Je ne vais par exemple pas revenir ici sur les traits d’esprit dont mes concitoyens ont su faire preuve suite au crash de l’avion de Kenya Airways à quelques kilomètres de l’aéroport de Douala en mai 2007. Et puis, pourquoi pas ? Le Boeing 737 s’était écrasé en pleine nuit dans le petit village de Mbanga Pongo, situé en périphérie de la ville. Depuis, dans le jargon populaire à Douala, Kenya Airways est désormais Mbanga Pongo Airlines. Ce sinistre (qui n’avait pourtant laissé aucun survivant parmi la centaine de personnes qui occupait l’avion – un bref rapport d’enquête ici pour ceux que ça intéresse) a même inspiré des chansons paillardes. C’est dire.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Le bonheur de toute une catégorie de personnes dont le business tourne autour de la mort. Il me revient à l’esprit ce sketch d’un humoriste célèbre au Cameroun. En discussion avec son fils étudiant la psychologie en Occident, il lui demande : « La psychologie c’est quoi ? Est-ce que ça donne de l’argent ? » Et il continue : « Je t’ai demandé de faire pharmacie. Comme ça quand tu reviendras ici, j’ouvrirai ma boutique de pompes funèbres à côté de ton officine. Si ta clientèle te dépasse, tu me l’envoies. Elle ne peut pas me dépasser ». Ce qu’il faut comprendre, c’est que si les malades succombent malgré l’administration de médications, lui le vendeur de cercueils et de gerbes de fleurs trouvera à coup sûr une solution pour eux.

Mais en dehors des professionnels de la mort (les propriétaires de morgues, les chauffeurs de corbillard, les gens des pompes funèbres, les fossoyeurs et j’en passe), il y a des personnes opportunistes qui savent tirer parti de la situation pour se départir de situations difficiles.

J’en parle parce que depuis quelques jours dans mon quartier, une affaire fait grand bruit. Et fait aussi beaucoup rire. Tout a commencé par le décès d’une dame. La défunte avait une particularité : elle était endettée jusqu’au cou.

Vous savez, en Afrique, il existe un système financier qui agit en parallèle du système bancaire. Il est souvent (la plupart du temps même) informel, fonctionnant sur la simple confiance mutuelle des membres du groupe qui le composent. Il s’agit ici des tontines. Et pour beaucoup, les tontines sont plus fiables que ces banques qui peuvent fermer du jour au lendemain. En sus, elles sont plus flexibles. La défunte était donc endettée, parce qu’elle avait emprunté de l’argent dans presque toutes les associations de femmes dans lesquelles elle était membre. Le total s’élevant à plusieurs millions de nos chers francs.

C’est peu de dire que désormais ce n’était plus son problème. Et que n’étant plus de notre monde, l’apurement de toutes ses dettes incombait dorénavant à sa famille. Alors, les représentantes de ces diverses associations se sont tour à tour rendues au domicile de la défunte pour rendre compte à sa famille de ses états financiers.

Probablement embêté et ne voulant pas se retrouver en train de rembourser des dettes que quelqu’un d’autre avait contractées, le fils de la défunte a mis au point un subterfuge. Un soir, il a convoqué toutes les associations qui réclamaient de l’argent. Et il a pris la parole :

« Vous, toutes autant que vous êtes, avez précipité la mort de notre mère.  D’abord vous lui avez lancé la maladie – un cancer – qui l’a rongée (oui, chez nous, les maladies se lanceraient comme des frisbees. Du genre si tu m’énerves, pour te punir, je te lance une maladie, ndlr). Et comme la maladie tardait à en finir avec elle, vous êtes venues l’achever vous-mêmes (le dernier repas de la défunte avait été cuisiné par une femme membre de l’une de ces associations, ndlr).

Maintenant, je vous le dis, j’ai le pouvoir de vous rendre toutes folles à lier. Démentes. Et si ça ne suffit pas, je peux vous faire mourir dans les plus brefs délais, comme vous avez fait mourir notre mère. J’ai pris une partie de ses cheveux que j’ai soumis à des sortilèges. Je vais fermer les yeux. Je vais compter jusqu’à cinq. Quand je vais les rouvrir, celles qui seront encore dans cette maison verront leurs jours comptés. Et celle parmi vous qui remettra les pieds dans cette demeure trépassera dans d’atroces souffrances. »

Sur ce il ferma les yeux.

Et se mit à compter.

Il n’était pas arrivé à trois que la pièce s’était vidée des deux douzaines de femmes qui s’y trouvaient.

Jamais on ne vit autant de femmes  détaler ! Et surtout, jamais on ne les vit partir à une telle vitesse ! Jamais on ne vit les kabas (sorte de robes amples, très prisées au Cameroun) s’envoler aussi haut ! Nous qui étions à environ cinq cents mètres du théâtre des opérations n’en avons pas cru nos yeux quand nous avons vu débouler cette meute de femmes (pour la plupart âgées de plus de quarante ans) qui avait littéralement pris leurs jambes à leur cou.

Une meute qui s’est finalement arrêtée à notre hauteur.

Elles regardaient derrière elles comme si elles avaient vu le diable en personne. Et comme pour se rassurer qu’il ne les avait pas poursuivies. Elles avaient perdu qui des sandales, qui un foulard, qui un porte-monnaie. Et elles n’osaient surtout pas revenir sur leurs pas. Une moto déboula de l’endroit d’où elles provenaient. Ce qui créa une autre panique. « C’est lui, il vient nous chercher ! Il vient nous chercher ! » Tout en criant, elles se réfugiaient dans les boutiques, les buissons et les maisons alentour.

Panique inutile, puisqu’il s’agissait en fait de l’un des moto-taximen qui habitent le quartier. Qui passa son chemin.

Au moment où je rédige ces lignes, la dépouille mortuaire se trouve dans le village natal de la dame pour l’inhumation. Nul besoin de dire qu’aucune de ces femmes (qui avaient pourtant prévu d’assister aux obsèques) ne s’y est rendue.

Depuis, nous n’avons pas cessé de rire. Ceci d’autant plus que chaque jour arrive avec ses détails cocasses. Comme celui raconté par une dame : « Vous savez,  le domicile de notre regrettée sœur se trouve en bas d’une colline. Et pour en sortir, il y a un escalier abrupt à emprunter. Ces derniers jours, quand nous allions lui rendre visite, sans l’aide de jeunes gens qui nous tenaient par la main, on gravissait difficilement cet escalier. Mais le jour de la débandade générale, on a escaladé cet escalier en avalant les marches quatre à la fois. Personne n’a demandé à quiconque de l’aider».

En bref, voilà comment une dette de plusieurs millions a été effacée.

Parfois, il suffit seulement de menacer les gens de les atteindre mystiquement pour qu’ils obéissent au doigt et à l’œil. Et aussi au pas de course. Il ne fait pourtant aucun doute que les propos du fils de la défunte faisaient partie d’un canular savamment élaboré.

René Jackson


Petits moments de corruption

Source image: worldbank.org
Source image: worldbank.org

Ces dernières années, les rapports successifs de Transparency International (l’une de ces institutions dont on ne sait quel est le problème avec notre pays, dixit nos gouvernants) placent le Cameroun dans le peloton de tête des pays les plus corrompus de la planète. Tranparency International base ses enquêtes sur « l’indice de perception » de la corruption. Critère que j’ai toujours considéré comme de l’enfumage. La « perception » ne peut être une base objective en statistiques. Donc, j’avais toujours considéré ce critère comme étant la corruption même. Ce jusqu’à aujourd’hui. Parce que je me suis mis à réfléchir à propos de ce phénomène. Je me suis promis de ne jamais entrer dans ce système. Et le simple fait de prendre cette décision est un signe que j’y suis trempé jusqu’au cou. En en réalité, comme tout Camerounais vivant au Cameroun, je suis un corrupteur en puissance. J’ai repassé en revue toutes les fois où je me suis frotté à l’administration camerounaise. Et flûte, je me rends compte que je ne suis pas meilleur que les autres !

Année 2007 : je me rends dans un commissariat de police. Je ne dirai pas lequel. Je ne me permettrai pas de dire que c’est celui qui jouxte l’hôtel de ville de Douala. Problème de carte d’identité. Quand j’y arrive, je me fais aborder par un jeune homme qui me demande ce que je veux. Je lui dis. Il m’indique alors du doigt une dame de forte corpulence à l’intérieur du commissariat. Je vais vers elle. Elle fait le signe OK au jeune homme. Et moi je paie sept mille francs. Pour une pièce qui, selon certaines indiscrétions, ne valait pas plus de trois mille francs. A mon insu, j’avais corrompu, puisque quinze minutes après être arrivé, je repartais avec mon récépissé. D’habitude, il faut plusieurs heures.

Année 2012 : il me fallait un permis de conduire. Je me suis inscrit dans une autoécole. Après trois mois de formation, je passe avec brio l’examen écrit. Le lendemain de la publication de ces résultats, le directeur de mon autoécole nous convoque. « J’ai une information à vous communiquer. Le jury de l’examen pratique embête. Il vous faut venir déposer dix mille francs ici. Cet argent, on va le remettre aux examinateurs. Je ne vous oblige pas à le faire. Mais sachez que si vous ne le faites pas, c’est à vos risques et périls. Et si vous échouez à l’examen pratique, il faudra verser dix mille francs pour reconduire votre dossier d’examen et attendre encore au moins un mois avant de repasser l’examen ». J’ai vite fait mon calcul. Conclusion : quel que soit le choix qu’on ferait, il fallait verser cet argent. On choisirait juste quand on allait le faire.

Année 2009 : je passe quelques semaines à Yaoundé. J’étais en mode touriste. J’avais parcouru la ville et j’avais pris en photo tout ce que j’étais capable de filmer. Le problème, c’est que j’ignorais à quel point cette ville était remplie de gens paranoïaques. Les forces de l’ordre s’y comportent comme si la ville abritait à la fois Barack Obama et le pape! Yaoundé est une belle ville. Qu’il ne faut absolument pas prendre en photo. Je me rappelle des bisbilles que j’ai eues avec les vigiles du palais des sports pour la malheureuse photo de ce bâtiment que j’avais prise. Ils avaient menacé d’aller me dénoncer auprès des Chinois (qui ont construit et qui gèrent l’infrastructure).

Une fin d’après-midi, je suis en voiture, assis à côté du conducteur. Je me faisais un selfie quand le policier qui régissait la circulation au lieu-dit Carrefour Mvan, l’un des endroits les plus embouteillés de la ville, m’aperçut. Il abandonna son travail et demanda au conducteur de se garer sur le côté et m’extirpa du véhicule. « Monsieur, vous vous permettez de filmer un agent des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions ? » J’ai failli lui répondre que ces mêmes agents ne voyaient pourtant pas d’objection à aller squatter les débits de boisson pendant l’exercice de leurs fonctions, mais je me suis retenu. Je lui ai juste dit : « Chef, ce n’est pas vous que je filmais ». Il me rétorque « suivez-moi au poste ».

Une fois au poste, il se rend bien compte qu’il n’y a pas de photo de lui dans l’appareil, mais il parcourt les autres et voit toutes les photos que j’avais prises. « Jeune homme, vous voyez ? Vous ne savez pas qu’il est interdit de filmer les bâtiments publics ? Ahan ! Même l’immeuble de la BEAC ? Monsieur, vous êtes suspect ! Inspecteur  » je ne sais plus qui « , venez voir.

L’inspecteur  » je ne sais plus qui  » : Mon petit, c’est grave hein !

Moi : Mais chef, j’ai photographié ce que tout le monde peut voir en passant dans la rue ! Je ne suis pas allé filmer la salle des coffres de la BEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale) ! »

Ne voulant pas tourner inutilement autour du pot, l’agent de police me dit qu’il faut que je fasse quelque chose, sinon il sera obligé d’en référer à son chef. J’ai pensé à une amitié qui risquait de voler en éclats si je ne ramenais pas cet appareil à son propriétaire. J’ai sorti mille francs de ma poche.

Année 2013, commissariat à l’émi-immigration de Douala : j’arrive pour prendre des renseignements afin de me faire établir un passeport. J’y trouve un policier en compagnie d’un jeune homme. Il lui explique comment remplir le formulaire de demande de passeport. En même temps il répond aux diverses questions que l’homme lui pose. Je soumets aussi mes interrogations à l’agent qui répond sans sourciller. L’homme, ayant terminé, dit merci et s’en va. La minute qui suit, l’agent me dit : « Mon fils, tu vois comment les gens sont ? Il est venu là, j’ai répondu à toutes ses questions, je l’ai aidé à remplir son formulaire et il part sans rien me donner ». J’ai saisi le message. Quand il eut fini avec moi, je lui glissai cinq cents francs.

Plus je réfléchis, plus je me rends compte que j’ai donné beaucoup – trop – d’argent pour des services pour lesquels j’avais pourtant déjà payé mon dû en divers timbres. Il y a encore quelques semaines, je devais faire certifier une photocopie d’acte de naissance. J’appose un timbre communal et un timbre fiscal dessus. Ça c’est la loi qui l’oblige. Je vais au centre d’état civil où on doit le signer. L’agent prend mon dossier et me demande cinq cents francs de « frais de signature », je fais mine de protester, il me répond, pince-sans-rire, que si ça ne me convient pas, je peux toujours le signer moi-même ce papier.

La corruption ressemble en définitive à une chape sous laquelle tout le monde doit passer. Même les esprits les plus déterminés ne peuvent pas y couper. Et pourtant, ce n’est pas une fatalité. Cette propension à donner (certains proposent même de donner alors qu’on ne leur a rien demandé) est le plus souvent le fruit d’une paresse caractérisée doublée d’une certaine ignorance.

Je me souviens de cette scène dont j’ai été témoin dans un autre commissariat de police en 2009 ou 2010. Un vieux monsieur particulièrement teigneux était venu se faire établir sa carte d’identité. Il lui avait été demandé cinq mille francs. Pourtant, une note destinée aux usagers affichée sur l’un des murs de la salle d’identification fixait à mille huit cents francs les frais d’établissement de la carte d’identité. Le vieux monsieur a crié au scandale et hurlé au vol. Il a réussi à attirer l’attention des personnes nombreuses qui se faisaient racketter. Finalement, pour éviter l’esclandre, on lui a rapidement fait son récépissé. Et il a tenu à payer les mille huit cents francs, bien que finalement le service lui fût gracieusement offert.

En fin de compte, je crois que je le comprends, ce concept de « perception ».

 

Par René Jackson


Viens, je t’emmène à Douala… La vraie !

Image: René Jackson Nkowa
Image: René Jackson Nkowa

Twitter, comme tous les autres écosystèmes, a sa part de cons. Mais aussi sa part de génies. Comme cette personne que je suis et qui a écrit il y a quelques jours : « les Occidentaux se plaignent du communautarisme des Africains chez eux. Que disent-ils de leur comportement lorsqu’ils sont en Afrique ? » A Douala, on sait qu’il y a des toubabs parce qu’il ne peut en être autrement. Puisqu’il est des quartiers où on n’en voit quasiment jamais. Et pourtant ! Il y a des Blancs à Douala. Beaucoup même. Je m’en suis rendu compte il y a quelques semaines quand j’ai fait une brève incursion dans le quartier Bonapriso.

Bonapriso… J’y suis entré et j’ai eu l’impression d’être sorti de la ville de Douala. Un quartier austère. Silencieux. Trop silencieux. Paradoxe troublant, il y a des routes bitumées, sur lesquelles personne ne roule. Ailleurs, c’est souvent l’inverse. Des maisons sont cachées derrière des murs de béton surmontés de fil barbelé, du même acabit que celui qui encercle l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad. Et devant ces murs sont postés des vigiles qui arborent tout le temps un regard mauvais.

Les Blancs, parlons-en. Je suis arrivé à Bonapriso en fin d’après-midi. J’étais accompagné par une apprentie conductrice. Un statut qui l’obligeait à  rouler au pas. Du coup j’ai eu largement le temps d’observer tous ces toubabs qui faisaient leur footing. Force était de constater qu’il y en avait partout. Bien plus que je ne l’aurais imaginé.

Je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une certaine tristesse pour eux. Ils diront qu’ils ont vécu à Douala, alors qu’ils habitent dans cette espèce de camp retranché, de ghetto, que leur jeunesse fait l’école à Dominique Savio à Bonandjo, quartier dans lequel eux-mêmes ont leur bureau pour la plupart. Et se permettre tout juste d’aller à Akwa pour faire les supermarchés. Déprimant. Tu vis dans la ville la plus joyeuse du monde (si, si) et tu te comportes comme si tu étais dans un pays de terroristes ? Viens, je t’emmène à Douala. La vraie ville de Douala.

On va prendre un taxi, tiens ! Laisse ta voiture dans ton garage. Oui, ils sont jaunes, nos taxis, comme à New York. Et non, il n’y a pas qu’une seule place de libre. Monte, pousse-toi, colle-toi au chauffeur, tu dois me faire de la place à côté de toi. On appelle ça « bâcher ».

On va d’abord faire une escale au marché. J’ai dit « marché », pas supermarché. Donc chauffeur, emmène-nous au marché Sandaga. Il faut que tu saches où tes domestiques achètent tous ces beaux légumes que tu aimes tant. J’espère que tu n’as pas pris ton iPhone avec toi. Quoi ? Tu l’as ? Vous les Blancs avec vos iPhones ! Quand j’étais chez vous, tout le monde en avait un ! Et ici c’est pareil ? Donne-le, je vais le planquer. Il ne faut pas que grâce à toi, l’iPhone soit autre chose qu’un concept, qu’une vue de l’esprit pour les pickpockets qui pullulent au Rond-point Quatrième.

On est arrivé ! Tu vois les belles salades et les tomates juteuses. Bah, il va falloir être un bon funambule pour les atteindre. Oh, désolé ! Tu as marché dans la boue et te voilà totalement maculé. Mais voilà la tomate. Sens-la ! C’est du cent pour cent bio ! Elle vient de Foumbot. Rien que de la terre retournée, de l’eau de pluie et des fèces de cochon ! Non, ne mords pas dedans! Même moi je ne le ferais pas, malgré qu’on dise que la saleté ne tue pas l’Homme noir.

Tu vois, faire le marché ici est tout un art ! Tu dois composer avec la chaleur, l’humidité, les bruits, la saleté, les odeurs, les pickpockets et les pousseurs qui font « tchence ». Imagine : tu marches sur une voie ferrée et tu entends un train klaxonner. Quelle est ta réaction ? Alors, quand tu es au marché, tu dois réagir de la même manière quand tu entends « tchence » ! Allez, on s’en va.

Non, les motos, je ne t’en parlerai pas. Tu peux voir toi-même que ces gens ont fait de nos routes une vraie jungle. Alors, je ne dirai rien. Ou alors une chose : ces motos toutes ridicules peuvent déménager tout le mobilier d’une maison. Elles ont poussé de nombreux propriétaires de camions déménageurs à changer de métier.

Moto-taxi, laisse-nous à Ange-Raphaël ! Mon pote, on va à l’Université. Tu vois cet amphi ? En réalité, c’est un ancien gymnase réaffecté. Toi tu vois des gens assis les uns sur les autres, toi tu vois une jeunesse perdue, qui insulte ses camarades. Qui balance des quolibets à son enseignant quand il veut s’en mêler. Moi je vois l’endroit où j’ai passé les plus belles années de ma vie. Il fallait être ici à six heures du matin pour être sûr d’avoir une place pour un cours qui débutait à huit ou neuf heures, quand le chargé de cours se donnait la peine de se déplacer. C’était dur, mais si délicieux ! Je ne t’ai pas dit la meilleure. Quand je faisais la classe de sixième au lycée, nous étions cent-trois élèves dans notre classe. Ça te forme des battants. Je sais que trois de nos sixièmes font un lycée chez vous. Dans mon lycée, il y en avait six comme ça, des sixièmes.

La prochaine étape, c’est chez moi. Bassa, tu connais ? Bah non, évidemment. Et Ndog-Bong ? Non ? Bonamoussadi alors ? Denver ? Non, tu me fais marcher ! Là où j’habite est aux antipodes de tout ça. PK10, nous y voilà ! Ne fais pas de grands yeux. Je sais, ça fait longtemps qu’on a quitté la route bitumée. Et oui je suis bel et bien cerné de bars et je ne te raconte même pas l’ambiance une fois la nuit tombée. J’ai personnellement tout fait pour qu’ils baissent la musique, ils m’ont ri au nez. L’un des barmen m’a dit d’aller me plaindre chez Paul Biya si je n’étais pas content. Paul Biya tu connais ? C’est bien, on évolue. Tu connais la crevette en chef !

Celle-ci c’est ma braiseuse de poisson favorite. Il n’y a pas d’eau courante chez elle. Son domicile a plus l’air d’un dépotoir que d’une maison. Tous ici, nous le savons, mais on s’en fout. La chaleur tue les microbes. Et nous sommes prêts à risquer nos vies. Sa carpe est tellement bonne que ce serait un crime de ne pas la savourer. Et quand tu auras fini de manger, suce-toi les doigts pour les nettoyer. L’eau qu’elle va te présenter pour que tu te rinces les mains est au moins aussi polluée que le Gange. Mais moi je vais m’y rincer les doigts. La saleté ne tue pas l’Homme noir, je t’ai dit ! En ce qui concerne le Blanc que tu es… Dans le doute, il vaut mieux s’abstenir.

Tu sais, c’est quand même triste votre vie. Tu habites à Bonapriso, à dix minutes de l’aéroport. Il est vrai que c’est pratique parce que le jour où ça chauffe, vous avez un avion pas loin pour vous emporter. Vous n’êtes pas le seul quartier à dix minutes de l’aéroport international de Douala ? Qu’est ce que tu me racontes ? Tu veux te comparer à celui qui habite à New Bell ? Je n’ai pas dit que les dix minutes étaient à vol d’oiseau, mais bel et bien dix minutes de route ! Nuance. Grosse nuance.

New Bell, parlons-en. C’est un endroit spécial dans notre belle cité. A New Bell, avant de fermer la porte de ta maison, assure-toi que tous tes voisins sont rentrés chez eux. Dans le cas contraire, tu risques de faire dormir quelqu’un à la belle étoile. Il n’est pas de ta maisonnée, mais ton salon est le seul chemin qui mène chez lui.

Là, nous sommes à Bépanda. Tu as peur ? On est deux, t’inquiète. Ce qui m’effraie c’est le nombre de personnes nues qu’on peut y rencontrer. La nudité ici est une identité de vie. Tu vois cet enfant qui court tout nu dans la rue, les fesses à l’air et la quéquette balançant de gauche à droite au rythme de sa course ? Regarde! Mais pas trop, quand même, tu risques d’attiser la curiosité des gens. Déjà que tu es blanc et qu’on te voit arriver à des kilomètres n’en rajoute pas. Mais regarde discrètement cet homme, le torse nu, la serviette nouée à la hanche, le ventre bedonnant. Il brosse ses chicots en pleine rue, postillonnant même sur les passants qu’il salue.

Tu sembles dégoûté depuis que je t’ai sorti de chez toi, ce petit cocon de confort. Très cher, il fallait que tu connaisses la ville qui accepte de t’héberger. Rio est identifiable par la statue du Christ rédempteur et par les favelas. New York par Manhattan et Harlem. Je me devais de te montrer que le reste de ma ville n’a rien à voir avec cet îlot dans lequel tu te complais. Viens voir Douala avec moi. La vraie. Tout le monde y est invité, même toi. N’aie donc pas peur de venir à nous. On va te transmettre notre farouche joie de vivre.

Allez, rentre chez toi ! Je te montre le reste une autre fois.

Zut ! J’ai failli oublier de te rendre ton iPhone…

Par René Jackson