René Nkowa

Les amoureux sur le trottoir

Mon regard s’était posé sur eux. Deux jeunes. Une fille et un garçon. Ils devaient avoir quoi ? Dix-huit, vingt ans ? Je ne saurais le dire avec exactitude. Mais ce dont j’étais certain, c’est qu’ils étaient à la fin de l’adolescence, au seuil de l’âge adulte. J’étais déjà en train de regarder la rue quand ils sont entrés dans mon champ de vision. Ils riaient en chœur. Ils portaient tous les deux d’épaisses doudounes, un pantalon en jeans et des chaussures de sport. Ils avaient pénétré mon champ de vision, ils riaient de bon cœur et se sont arrêtés devant la porte de l’immeuble d’en face. Puis ils sont sortis de mon champ de vision. L’écran luminescent de l’ordinateur devant lequel je passais une grande partie de mon temps les avait remplacés. Il fallait que je me concentre à nouveau sur ce que j’avais à faire.

De l’endroit où je m’asseyais, il me suffisait de lever les yeux pour voir la rue. L’immense baie vitrée qui nous séparait du tumulte extérieur était comme un écran de cinéma qui me permettait d’observer la vie au dehors et parfois de laisser échapper mes pensées. A vrai dire, le tumulte, cette rue ne le connaissait pas vraiment. En dehors de quelques voitures qui passaient, sûrement à la recherche d’une place pour se garer, cette rue n’était pas très animée. Ah, oui ! Il y avait aussi des piétons qui passaient, notamment les étudiants de l’université toute proche, ainsi que les allées et venues dans l’immeuble d’en face.

La vaste salle qui nous servait de bureau était située de plain pied. Une immense baie vitrée sérigraphiée faisait rempart entre la chaleur douillette de l’intérieur et le froid extérieur. Cette baie vitrée avait une particularité qui nous offrait de bons moments de rires. Elle était presque opaque et, de l’extérieur, les passants avaient l’impression d’être face à un grand miroir. Les gens s’arrêtaient devant pour s’y mirer ; pour réajuster leur cravate, pour ébouriffer leur chevelure afin de la discipliner, certaines femmes en profitaient pour se remettre une couche de rouge à lèvres ou pour lisser leur jupe de leurs mains. Une fois même, une dame a profité de ce reflet pour scruter les interstices entre ses dents…

Il n’y avait pas que ceux qui auraient bien pu s’appeler Narcisse qui empruntaient le trottoir sur lequel donnait notre baie vitrée. Il y avait aussi des gens qui passaient là et qui ne remarquaient même pas sa présence. Comme ce groupe d’étudiants américains. J’avais décidé de les appeler ainsi, « le groupe d’étudiants américains ». Parce qu’ils parlaient cet anglais chantant si caractéristique des Yankees. Ils auraient tout aussi bien pu être des Canadiens ou encore des Australiens. Mais j’avais décidé que c’étaient des Américains. Parce-qu’il n’y a qu’eux pour se déplacer en meute bruyante, en braillant aussi fort. D’ailleurs, je me souviens qu’un jour j’avais déjeuné dans le même restaurant que cette bande. J’avais eu un petit sourire en observant la propriétaire du restaurant se démener comme un beau diable, dans un anglais un peu escamoté, saupoudré d’automatismes bien francophones, pour essayer de se faire comprendre d’eux. Beaux joueurs, ils ne s’étaient pas moqués d’elle, mais ils l’avaient corrigée gentiment.

Mis à part le groupe d’Américains, il y avait aussi ce vieux qui passait quelques fois. Il me fascinait. Sûrement nonagénaire, il était tout en rides et en petits pas rapides. Ce n’était même pas des pas. Il se contentait simplement de frotter ses souliers sur la dalle du trottoir et, dès que le talon du premier pied arrivait au niveau de la pointe du second, ce dernier prenait alors prestement le relais mais sans se décoller du sol. Et ainsi de suite… Une personne alerte pouvait traverser notre baie en six secondes. En revanche, il fallait à ce petit corps voûté, en appui sur sa canne, une bonne demi minute pour parcourir la largeur de notre écran de cinéma. Il repassait parfois, une ou deux heures après, avec le même rythme empressé. A chaque fois je me demandais où il allait et d’où il revenait. Où pouvait-il bien se rendre, plutôt que de rester chez lui ?

Mes yeux avaient encore quitté mon écran d’ordinateur, ils avaient atterri sur la rue. Ils étaient encore là. Cela devait faire une bonne dizaine de minutes qu’ils folâtraient devant la porte de l’immeuble. Les regards intenses échangés, les gloussements – je les imaginais plus que je ne les entendais -, leurs visages qui se rapprochaient et la main droite de la fille qui se frottait sur le manteau du garçon me fixèrent sur la nature de leur relation. Un échange de baiser, léger et aérien, me conforta dans le constat évident que je venais de dresser.

C’était à cette période de l’année où le climat est particulièrement rude. Cette semaine-là, on avait frôlé les dix degrés en dessous du zéro centigrade. C’était le genre de jours, où, avec le froid, on se met à courir dans la rue sans pouvoir se rappeler du moment où on a décidé de le faire. On trottine par réflexe, pour se réchauffer. Dans notre espace de travail, l’air conditionné affichait sur son écran la valeur maximale et, malgré cela, on se retrouvait parfois à frémir. Mais dans la rue ces deux-là faisaient fi de tout cela. Ce qu’ils ressentaient, de l’autre côté de la rue, à une vingtaine de mètres de moi, était plus fort que le froid. Peut-être pas totalement… j’avais remarqué qu’ils se dandinaient régulièrement sur place et qu’il se frottaient simultanément les mains, histoire de se réchauffer.

Le garçon se pencha et fit un autre baiser, cette fois-ci dans le cou de la demoiselle. Un monsieur, coiffé d’un béret et tenant un journal plié dans sa main, passa devant eux en les regardant à peine. Les amoureux étaient juste au niveau de la porte de l’immeuble, ils gloussaient toujours… quand une personne sortait de l’immeuble, elle trébuchait presque sur eux, systématiquement. Certains leur jetaient un regard contrarié, mais ils n’y prêtaient pas attention. Ils étaient sur ce trottoir. Mais ils étaient seuls. Plus rien autour d’eux ne comptait. J’étais admiratif. Je souriais. Cette scène me ramenait dans un passé bien lointain, un passé empli de regards brûlants, de cœurs battant follement, de chair de poule quand nous nous frôlions et de sourires complices. Nous nous souriions tout le temps…

Toutes les belles choses ont une fin. Tant mes souvenirs de regards brûlants et de sourires entendus que les dandinements des deux amoureux qui se bécotaient sur le trottoir d’en face. Mais cette fin-là fut particulièrement longue. Je les observais depuis une bonne quinzaine de minutes. Ils s’étaient pris dans les bras l’un de l’autre, ils se chuchotaient des choses à l’oreille, ils s’embrassaient passionnément, ils riaient à gorge déployée, puis ils s’embrassaient plus légèrement, ils avaient même ri timidement . Ils s’étaient à nouveau dévorés du regard dans de longs silences, avaient à nouveau pouffé de rire, s’étaient encore embrassé et s’étaient encore pris dans les bras. Toutes les bonnes choses ont une fin, mais cette fin-là semblait ne pas vouloir finir. Le garçon avait déjà tapé le code de la porte de l’immeuble deux fois, il était parvenu à  pousser l’un des lourds battants une fois avant de le laisser se refermer pour mieux prendre sa douce dans les bras, avant de la couvrir de baisers.

Mais cette étreinte était bel et bien la dernière. Je le sentais. Je me rendais compte que j’avais tout abandonné pour fixer toute mon attention sur ce moment magnifique, ça ne pouvait pas finir ainsi. Pour la troisième fois, le jeune homme avait tapé le code de la porte, en avait poussé l’un des battants et le maintenait entrouvert. La demoiselle s’était éloignée de quelques pas. Il y avait désormais un immense mètre entre eux. J’étais seul dans la vaste pièce qui nous servait d’espace de travail. Et j’avais commencé à entonner pour moi-même : « un dernier, un dernier, un dernier ». Leurs au-revoir duraient encore. La fille s’éloignait peu à peu et la porte du garçon s’ouvrait de plus en plus. J’étais désespéré. Un dernier, s’il vous plaît ! Finissez d’embellir cette grise journée !

J’avais tout d’un coup bondi de mon siège, jubilant et applaudissant. J’exultais ! Je criais des « Yes ! Yes ! Yes !» en serrant le poing, tel un athlète qui avait remporté un trophée. J’étais hystérique ! La fille avait brusquement refait la distance qui les séparait, s’était hissée sur la pointe de ses pieds et avait déposé un baiser délicat sur les lèvres de son amoureux. Elle s’était ensuite retournée, était partie et le garçon avait refermé le lourd battant derrière lui.

Par René Jackson


La fille du métro

Comme tous les matins, je venais de parcourir au pas de course les cent mètres qui me séparaient du quai du métro alors je descendais du bus. Je courais sur le trottoir devant lequel le bus stationnait à son terminus, je m’enfonçais dans la bouche de métro, je passais par les bornes sur lesquelles les titres de transport doivent être validés puis par les escaliers qu’il fallait dévaler pour enfin aboutir au quai. J’étais un peu dépité car j’étais arrivé sur le quai au moment même où les portes de la rame se refermaient. Je regardais d’un œil contrarié le train démarrer, prendre de la vitesse, puis s’enfoncer dans le tunnel qui le conduirait vers la prochaine station. Je n’étais pas spécialement en retard, j’avais encore une marge confortable de six à sept minutes.

Ce n’était pas seulement que le comportement des gens de cette ville avait déteint sur moi. J’avais en effet constaté avec une pointe de fierté – mélangée cependant à une certaine frayeur – que je courais désormais plus que je ne marchais. Mon quotidien était dorénavant jalonné de trottinements. Pour partir au boulot le matin, pour aller déjeuner au restaurant, même le soir pour retourner chez moi, il fallait marcher vite. C’était surtout parce que les trains du métro parisien avaient tendance à rouler au ralenti, quand ils ne s’arrêtaient pas tout bonnement entre deux stations, la ligne étant saturée. Du moins, c’est ce que disait la voix du cheminot qui sortait quelques fois des haut-parleurs.

Ces événements impromptus pouvaient considérablement allonger le temps du trajet, de plusieurs minutes à une demi-heure, ou plus ! La crainte ultime de ceux qui, comme moi, ne voulaient pas être en retard et qui ne voulaient pas voir un train partir sous leurs yeux, donc sans eux, était ce qui était gentiment appelé un «accident grave de voyageur ». Manière politiquement correcte de dire que la rame du train avait écrasé quelqu’un qui se trouvait – par accident ou, plus souvent, volontairement – sur la voie.  Un ami m’avait raconté que lorsque cela se produisait, la circulation pouvait être interrompue sur la ligne pendant vraiment longtemps, le temps de dégager ce qui restait de la personne sur la voie, de noter des éléments pour l’enquête et de tout nettoyer. Il ajoutait même que les passagers du train impliqué restaient bloqués dans les voitures pendant tout ce temps.

Il n’était donc pas question pour moi de voir un train partir alors que j’arrivais sur le quai. Si on traînassait, le prochain train et ses occupants pouvaient être ceux sur lesquels le malheur pouvait de s’abattre. Surtout que de plus en plus de gens avaient le mal de vivre et beaucoup d’entre eux décidaient de faire un dernier doigt d’honneur à la vie en abrégeant la leur sur des rails, perturbant de ce fait celle des autres.

Un petit coup d’œil sur le panneau d’affichage me renseigna : le prochain train arrive dans deux minutes. J’avais remonté le zip de ma parka jusqu’au menton et j’avais redressé le col qui faisait office de coupe-vent. Des courants d’air glacés balayaient le quai, on avait beau se trouver à dix ou vingt mètres sous terre, les courants d’air étaient violents. J’avais fourré mes mains gantées dans les poches de ma parka, et, malgré cela je ne sentais pas mes doigts ! Il se disait partout que cet hiver-là était plus doux que celui des années précédentes, mais qu’est-ce qu’il faisait froid ! Il suffisait que je laisse mes mains à l’air libre pendant quelques secondes dehors pour que mes doigts commencent à s’endolorir.

Les écouteurs enfoncés dans mes oreilles diffusaient Welcome To The Jungle du groupe de rock américain Guns N Roses. J’aimais beaucoup écouter cette chanson à ce moment de la journée, car certains matins le métro était vraiment une jungle, quoique tranquille, mais fourmillant de personnages assez hétéroclites et tous pressés. Je commençais à percevoir l’habituel petit séisme que provoque la rame qui se rapproche, quand tout à coup, mon cœur se mit à battre. Vite.

Elle était là.

Je n’avais pas eu besoin de la voir. J’avais appris à sentir sa présence.

Comme à mon habitude, j’étais allé me poster le dos contre la porte opposée à celle par laquelle nous entrions dans le wagon. Comme à son habitude, elle se tenait à mi-chemin entre les deux portes, le dos tourné vers moi. Et comme à mon habitude, je l’imprimais dans ma rétine. Elle portait la même veste noire que la veille. Je l’avais facilement reconnue par le tissu de l’épaulette qui était beaucoup moins sombre que le reste du vêtement. Sous sa veste émergeait une jupe – ou peut-être une robe – bleu nuit. A partir de la mi-cuisse, la robe – ou peut-être la jupe – s’arrêtait et des collants noirs prenaient le relais pour dévaler le reste de ses cuisses, puis ses mollets, pour s’enfoncer dans des chaussures à talons noires.

Ses cheveux, longs et noirs, étaient soigneusement peignés et assemblés par un élastique. Involontairement rehaussés par l’écharpe en laine épaisse qu’elle avait enroulée autour de son cou pour se protéger du froid, ils tombaient en une masse étroite et compacte jusqu’au milieu de son dos. De la position que j’avais, je pouvais voir qu’elle avait une boucle dorée à chacune de ses oreilles et que, comme moi, elle portait des écouteurs.

Je ma demandais où est-ce qu’elle pouvait aller ainsi, chaque matin. Au travail, comme la majorité des gens qui se bousculent dans le métro à cette heure. Et je me demandais alors quel était son travail, elle s’y rendait toujours habillée de cette manière alliant le correct et le sexy. Peut-être qu’elle était employée de banque… Ce matin-là, elle portait à l’épaule un sac aux dimensions peu communes. Il était haut et large, par contre, il était aussi épais qu’un stylo à bille. Ce qu’il pouvait contenir m’intriguait un peu.

Comme presque tous les matins, je détaillais donc ses épaules droites et volontaires, sa taille ample, ses mains qui n’étaient presque jamais recouvertes de gants malgré le froid, ses jambes fuselées et imperceptiblement arquées. Le train s’était déjà arrêté à deux stations et avec les passagers supplémentaires embarqués, sa nuque s’était un peu rapprochée de mon visage. Elle portait un parfum léger. Ou alors c’était l’odeur de son liquide de bain. Une odeur acide.

Elle aurait tout aussi pu être la fille du bus. J’avais remarqué que celui que je prenais le matin pour la station de métro était quelques fois aussi le sien, et nous échouions systématiquement elle et moi dans le wagon de queue de la rame de métro.

J’en étais à scruter l’arrière de son corps quand le train a freiné plus brutalement qu’à l’accoutumée à l’arrivée dans une station. Déséquilibrée, elle n’avait pas eu d’autre choix que celui de venir s’écraser contre ma poitrine. Une fois le train arrêté elle avait repris équilibre et s’est retournée vers moi.

« Je suis désolée. Excusez-moi… »

Je lui avais répondu par un léger sourire. Mes yeux se sont fixés dans les siens pendant à peu près deux secondes. Elle avait de beaux yeux en amande, des pupilles sombres qui contrastaient avec des iris gris dans lesquels nageaient des éclats marron clair. Pendant deux autres secondes, mes yeux firent le tour de son visage. Son nez était retroussé, mettant encore plus en avant des lèvres plutôt fines, recouvertes d’un baume transparent. Ses joues étaient pleines et son menton était petit.

Son regard gêné s’était entre-temps détourné. Les portes du métro se sont ouvertes. Elle s’est retournée, puis est descendue. Je l’ai regardé s’éloigner. Disparaître. D’autres passagers sont montés. Les portes se sont refermées et le train s’est remis en branle.

Un autre matin, nous nous sommes à nouveau retrouvés sur le même quai, au même endroit.

Bonjour, lui avais-je alors dit.

Bonjour, m’avait-elle répondu, sans me jeter un regard.  Avant d’embrayer : je ne vous vois plus depuis quelques temps.

Elle avait raison. J’avais travaillé en dehors de Paris pendant les quinze jours qui s’étaient écoulés entre le petit accident et ce matin-là.

« Au fait, je m’appelle Nadia. »

Par René Jackson, inspiré par des faits réels et imaginaires. Morceau de texte qui s’insérera – en tout cas, c’est le but espéré – dans une œuvre plus importante.


Ces hôpitaux qui nous tuent

 

Je me souviens très bien de la première fois que je vis un macchabée. Je devais avoir dix ans à tout casser. C’était à l’hôpital Laquintinie, l’un des deux principaux centres hospitaliers de la ville de Douala. Le corps était déposé dans un couloir, à même le sol. Il n’était presque pas couvert et les mouches rodaient autour de sa tête ou se déposaient sur sa bouche d’où coulait un filet de bave. A cet âge, un spectacle pareil, à défaut d’être choquant, est extrêmement fascinant. J’étais fasciné en effet. Mon pas s’était ralenti, mes yeux étaient rivés sur ce corps sans vie exposé sans pudeur au vu et au su de tous. L’adulte avec qui j’étais et qui me tenait la main ressentit mon ralentissement et me tira avec véhémence pour que j’accélère mes pas. Nous apprîmes plus tard que c’était un malfaiteur qui avait été emmené là à l’article de la mort par la police. Je trouvai difficilement le sommeil pendant les semaines qui suivirent.

J’avais foulé le sol de cet hôpital ce jour-là pour subir une opération chirurgicale assez bénigne. Et j’avais été effectivement opéré. Je devais y retourner deux fois. La première pour un pansement et la seconde pour le retrait des fils de suture. Quelques semaines après le second rendez-vous, je continuais à ressentir une certaine gêne à l’endroit qui avait subi cette opération, mais je m’étais dit que c’était mon avant bras qui avait du mal à se remettre de l’intervention. Jusqu’à se matin ou je vis poindre le bout d’un fil à l’extérieur de mon bras, ayant réussi à s’extraire de mon épiderme. Je le tirai et il en sortit deux ou trois centimètres d’une ficelle qui du bleu du jour de l’intervention, était devenu presque noir. Le cas classique des corps étrangers oubliés dans l’organisme par les chirurgiens. J’avais eu de la chance, ce n’était qu’un fil. Certains se retrouvent avec des ciseaux abandonnés dans les tripes.

Quelques années après, d’autres ennuis de santé me poussèrent à m’y rendre pour des soins. J’y avais été emmené par notre voisine de l’époque qui y travaillait et en attendant que le médecin qui devait s’occuper de moi me prenne en charge, elle m’installa dans la salle d’attente du service qui l’employait. Une ambiance assez bigarrée y régnait. Une certaine agitation aussi. Je ne tardai pas à en savoir la raison : Gottlieb Monekosso, le ministre de la santé publique de l’époque, visitait l’hôpital. Les médecins et infirmiers avaient des blouses d’un blanc immaculé. Et grouillaient de partout. J’eus l‘occasion de le constater quand, pour me dégourdir les jambes, je me promenai un peu dans l’hôpital. Revenu de ma balade, le personnel trépignait.  « Il en est où ? », « Dans quel service se trouve-t-il déjà? » étaient les principales questions qu’ils se posaient les uns aux autres. J’étais aussi excité, et pour cause : ce serait la première fois que je verrais un ministre de mon pays ! Le ministre arriva, salua ceux qui étaient là, échangea des banalités avec eux pendant deux minutes, puis s’en alla. Ce qui se produisit dès qu’il eut le dos tourné fut saisissant : les infirmiers et médecins du service ôtèrent chacun leur blouse, ramassèrent leurs effets et disparurent. Dix minutes après le passage du ministre, il n’y avait plus personne.

Plus tard à l’université, je dus faire plusieurs certificats médicaux. Et le manège était chaque fois le même: passage par l’accueil de l’infirmerie de l’université, occupé par deux infirmières à qui il ne fallait pas commettre le crime de demander des renseignements, sous peine de se voir fusiller du regard puis répondre avec un parfait dédain. Le certificat était délivré par, tenez-vous bien, le comptable du centre des soins. Qui se contentait d’en encaisser les frais, puis d’écrire le nom du demandeur sur une fiche pré-signée et pré-tamponnée par un médecin. Aucune palpation, ni prise de poids ou de pression artérielle.

Une autre de nos voisines de l’époque avait eu beaucoup d’enfants, tous nés à l’hôpital Laquintinie de Douala. Elle avait alors croisé un type de sage-femme au comportement totalement exécrable. Le genre de personne qui était capable de dire à une femme subissant les affres de la douleur de l’enfantement : « pourquoi cries-tu ? Pourquoi perturbes-tu la tranquillité de cet hôpital ? Crois-tu que tu es la première femme à accoucher ? Ce n’est pas moi qui t’ai envoyée écarter tes jambes et te coucher sous l’homme.» [sic].

Ceux qui ont l’habitude de fréquenter les hôpitaux publics au Cameroun racontent des histoires qui font froid dans le dos. Des histoires impliquant la plupart du temps les comportements scandaleux du personnel soignant. Ce qui a conduit à ceci : les Camerounais ont peur de l’hôpital. Pas parce qu’on risque d’y contracter quelque maladie nosocomiale, non. Parce qu’on a peur des brimades des infirmiers et des médecins. On n’a peur de l’hôpital parce que si on a une urgence et pas d’argent, aucun médecin ne nous touchera.

Une énième affaire de négligence médicale présumée suscite l’émoi au Cameroun depuis la semaine dernière. Une jeune femme enceinte, prise de contractions et inconsciente, est transportée à l’hôpital Laquintinie de Douala.  Comme d’habitude, il n’y a que très peu d’infirmiers et de médecins. Et le peu d’entre eux qui ont  daigné être là se comporteraient comme s’ils ne sont pas concernés. Un médecin se donne quand même la peine de sortir, muni d’un simple stéthoscope, pour faire le constat du décès de la femme. Puis, il repart tranquillement, en refermant la porte derrière lui. Désespérée, la sœur de la défunte qui l’accompagnait, aussi calée en chirurgie obstétrique que moi je le suis en construction et en mise en orbite de satellites, se retrouve obligée de se servir d’une lame pour ouvrir l’abdomen qui contenait des jumeaux qui y bougeaient encore. Qui n’ont finalement pas survécu. Les photos et les vidéos du spectacle macabre se sont propagées sur internet. Depuis la colère gronde.

Je m’interroge. Et ma réflexion part de ce type qui est juste venu faire le constat du décès de cette dame. Pourquoi n’a-t-il pas essayé de sauver les jumeaux ? Pourquoi n’a-t-il pas interpellé ses collègues ? Pourquoi ce corps qui portait deux enfants qui bougeaient encore est resté sur cette véranda ?

Au moins trois choses auraient dû le pousser à agir ainsi:

– sa conscience : un truc dont il n’était manifestement pas doté ;

– la conscience professionnelle : qui avait aussi foutu le camp. Ce type de médecin, s’il ne s’occupe pas d’un cas qui vient le trouver à l’endroit où il pratique, peut-il porter assistance à quelqu’un dans a rue, dans le train, dans un avion ?

– les réprimandes : je mets sous ce vocable les sanctions et les éventuelles poursuites judiciaires. Il est clair que s’il savait pouvoir être inquiété pour ne pas avoir fait son travail, il aurait agi autrement, fut-il dénué de conscience et de conscience professionnelle.

Si elle est avérée, cette histoire n’est pas qu’une négligence médicale de plus. Chaque semaine qui passe apporte sa cohorte de personnes qui subissent des vexations des personnels hospitaliers alors qu’elles avaient pourtant réussi à atteindre les services des urgences. Cette affaire est la manifestation de la faillite de tout un système d’une incompétence abyssale qui n’est occupée qu’à préserver ses privilèges et à s’auto-protéger, n’ayant aucune considération pour la vie des populations qu’il est censé devoir protéger et soigner. Si des médecins s’arrogent le droit de choisir ceux dont ils doivent s’occuper en fonction de leur compte en banque, c’est parce qu’ils n’encourent rien à le faire. Et s’ils ont ce sentiment, c’est parce que la puissance publique admet elle-même implicitement qu’elle n’a pas appliqué des dissuasions civiles et pénales pour contraindre les médecins à faire leur travail. Et si ces contraintes n’existent pas, c’est parce que l’Etat est conscient qu’il n’a pas mis ces personnels dans les conditions qui doivent leur permettre de faire correctement leur travail et que de ce fait, il ne peut les obliger à rien. C’est le laisser-faire et le laisser-aller généralisé. Il est de notoriété publique que beaucoup de médecins de ces formations hospitalières publiques s’en servent uniquement comme lieu de rabattage de clients pour leurs propres officines. Chacun agit comme et quand il l’entend. Pendant ce temps, des milliards de francs pouvant servir au moins à la prise en charge de l’accueil des malades dans les centres de santé sont détournés sans vergogne chaque année, sous l’œil pusillanime des responsables publics qui eux-mêmes ont des choses à se reprocher et qui, lorsqu’ils sont malades, ne commettent pas l’erreur de mettre leurs pieds dans l’un de nos hôpitaux qu’ils savent avoir rendus exsangues.

Tout cela avec notre passivité complice, qui est une sorte de blanc seing qui leur est donné de distraire tranquillement nos ressources, comme un quidam qui se contentera de regarder placidement un moustique hématophage lui pomper du sang à sa guise, au lieu de l’écraser.

Quelqu’un n’avait-il pas dit qu’on n’a que les dirigeants – et donc le pays – que l’on mérite ?

Par René Jackson


Bandjoun

Je suis descendu de l’autobus qui m’avait emmené là vers cinq heures trente du matin. Et tout de suite, j’ai été saisi par la fraîcheur de l’atmosphère. J’étais bien malin là, avec cette chemise fine aux manches retroussées, sous ce froid. J’ai tapoté l’écran de mon téléphone. Quelques secondes après, internet aidant, il m’a affiché douze degrés centigrades. Bien loin des trente degrés que j’avais laissés à Douala, six heures auparavant. Je suis resté là, sur place, devant la place du marché, à attendre que le jour se lève. Afin de me permettre d’engager le sprint qu’allait représenter cette journée. Je venais d’arriver à Bandjoun, certes, mais je dormirais à Douala le soir même. C’était il y a quelques semaines.

 A l’est, je ciel avait commencé à prendre une teinte bleuâtre, caractéristique de l’aube dans ces montagnes. Les commerçants avaient commencé, malgré l’heure, à s’installer, emmitouflés dans des gros pull-over ou dans des vestes. De temps à autres, ils jetaient un regard curieux vers moi, cet étranger planté là, transi de froid. Je n’avais toutefois pas le choix, car j’attendais l’une de ces commerçantes pour lui transmettre quelque commission : elle devait me procurer une décoction, médecine d’une toux chronique qui habitait le corps de quelqu’un de ma maisonnée. J’étais obligé de l’attendre ainsi, mon malheur étant qu’elle n’eut pas la bonne idée ce jour-là de faire comme les autres commerçants, d’émerger tôt de chez elle.

 Puis il eut un coup de fil, j’ai transmis la recommandation, ma journée pouvait commencer.

Premier rendez-vous : celui mon père. Avec qui j’entretiens ni plus, ni moins des relations cordiales, quasi-professionnelles, empreinte d’un respect mutuel et d’une certaine tiédeur. Phénomène qui dure depuis l’enfance. Mon caractère effacé, timide, taiseux et quelque peu introverti n’ont peut-être pas aidé à décomplexifier mes relations avec ce bonhomme. A la réflexion, je me dis que le complexe œdipien développé par Freud a été exacerbé chez moi.

Deuxième rendez-vous de la journée : ma grand-mère, la mère de mon père. Elle est l’unique aïeule qui me reste. Je sais qu’elle n’a pas dormi de la nuit. Je l’ai appelée la veille pour lui dire que je me mettais en route pour venir vers elle. Deux ans qu’on ne s’est pas vus. J’arrive chez elle. Accueilli par des enfants – j’imagine que ce sont mes cousins, bien que je ne les reconnus pas. Ils s’affairent déjà aux tâches ménagères. Ils me disent qu’elle est dans sa chambre.

Je suis accueilli par des hurlements de joie. Effectivement, elle n’avait pas dormi. Elle avait passé la nuit à estimer à quel étape du trajet j’étais. Elle s’était un peu inquiétée durant les derniers quarts d’heure. Je suis là depuis deux heures déjà, en réalité, je lui dis. « Tu étais avec ton père, alors ? Vous avez discuté ? » Elle me regarde, me contemple. Mes yeux se plongent dans ceux de cette nonagénaire aussi énergique qu’une jeunette de trente ans. A travers ses pupilles, je décèle une joie débordante, quelque chose qu’elle peut difficilement exprimer avec des mots. Je le sens, je le sais, je le vois, aussi palpable que ses mains qu’elle fait parcourir sur les parties de mon corps qu’elle peut atteindre, depuis sa position assise dans son lit. Et là, je ressens une certaine culpabilité. C’est anormal que je ne vienne pas lui rendre visite plus souvent. Je n’ai pas remis les pieds ici depuis deux ans. C’est inouï et inacceptable !

 Elle hèle l’un des enfants de tout à l’heure. « Va appeler la voisine. Et dis lui de venir aussi vite que  ses pieds le lui permettraient si une personne était en danger de mort ». A moi : « il faut que tu voies celle avec qui je passe mon temps ici. On s’encanaille énormément, on se chamaille plus que de raison, mais elle est celle sans qui je ne serais plus ». Un dizaine de minutes après, une voix se fait entendre dehors

« La maîtresse de cette maison, que se passe-t-il ?

– Un miracle vient de se produire. Je ne t’en dirai pas plus tant que tu n’es pas devant le brun de mes yeux.

– Qu’y a-t-il encore ? De ma concession je t’entends crier depuis de trop longues minutes! Devrais-je m’en inquiéter ?

– Viens voir le miracle de tes propres yeux, je te dis ! »

Dix secondes après, une femme de soixante-dix ans à peu près pénétra la chambre.

« Je te présente le maître des lieux !

– Tebu ?

– Lui-même ! Celui à qui appartient le sol que tu foules de tes pieds en ce moment même !

– Celui même qui est allongé là-bas dehors? Dit-elle en montrant du doigt la direction dans laquelle se trouvait la tombe de mon grand-père, éloigné d’une dizaine de mètres de la maison.

– Puisque je te le dis!

– Bienvenu chez toi, mon cher ! Vieille bique ! Je ressentais comme de l’enthousiasme, comme de l’excitation dans tes cris et hululements depuis tout à l’heure. Donc fallait-il que je comprenne que c’est parce que ton mari était là ? (Je porte le nom de mon regretté grand-père, ce qui fait de moi le mari de ma grand-mère).

– On ne peut pas faire plus perspicace, ma chère ! »

 S’en est suivi une séance de questions de la larronne que ma grand-mère a tôt fait d’écourter.  « Puisque tu es chez toi, tu dois être impatient de visiter tes terres. Va ! Va dégourdir tes jambes. Cette femme et moi avons un problème à régler. »

 Je suis allé dans le champ qui jouxte la case d’habitation. Il était en friches. Aucune graine n’y avait été semée dans l’année. En m’enfonçant dans ces sillons abandonnés, je me suis aussi enfoncé dans mes souvenirs…

Bandjoun.

Le plus ancien souvenir que j’ai de cet endroit date de mes cinq ans. Souvenir fugace d’un sac plein d’arachides posé sur ma tête et qui ma démoli la nuque. Je rentrais d’un champ et j’avais marché avec cette charge juchée au dessus de mon crâne sur près de huit cents mètres. Le lendemain, je tombai malade.

Entre mes neuf et mes douze ans, je passai mes vacances scolaires en ce lieu. Les charges étaient plus lourdes, transportées sur de plus longues distances, mais étaient plus supportables. Préadolescence. Rires. Tout le temps. Il fallait se lever tôt, aller aux champs. Récolter le maïs, puis les arachides, les melons d’eau. Pour les longues journées aux champs, on emmenait un repas. Que notre grand-mère nous faisait manger le plus tard possible. Parce que nous cessions tout à fait de travailler une fois que nous l’avions ingurgité. A partir de ce moment-là, nous entamions une véritable razzia. Les safoutiers, les manguiers et les goyaviers ne les auraient eus que pour pleurer s’ils avaient des yeux. Les feuilles de manguier, coupées comme il faut et empalées sur des brindilles, tournaient comme des hélices dès que nous nous mettions à courir. Et pour ça on a couru, gambadant à travers champs, parfois sous la pluie, maculant nos vêtements d’une terre rouge et grasse qui ne lâcherait plus le tissu. On s’en retournait auprès des autres très tard dans l’après-midi, honteux mais heureux. Certaines fois, au retour du champ, nous étions envoyés en mission commandée par notre grand-père pour retrouver un cochon qui s’était échappé de son enclos. Aucun animal n’est aussi difficile à attraper qu’un cochon, surtout quand il est petit. Les lapins étaient moins espiègles. Les chèvres et la basse-cour ne posaient aucun problème : ils rejoignaient d’eux-mêmes l’emplacement qui leur était réservé pour la nuit.

D’autres missions étaient plus périlleuses. Comme se laver après de telles journées, avec une eau glacée (parce que les hommes ne se lavent pas avec de l’eau chaude), sous le froid et dans la nuit. Ce genre de nuit tellement noire que tu as l’impression qu’il y a des paires d’eux provenant d’outre-tombe rivés sur toi. Dans de telles circonstances, mes compères et moi n’éprouvions aucun scrupule à éviter le bain pendant deux ou trois jours d’affilée. Parfois, nous étions obligés, toujours en pleine nuit noire, d’aller transmettre quelque nouvelle à une connaissance qui habitait à plus d’une heure de marche à travers champs, tout juste éclairés par la faible lumière de la lune ou, les jours les plus heureux, de celle vacillante d’une lampe-tempête.

A la fin de l’adolescence, les données avaient changé. Officiellement, nous allions toujours au village pour aider aux champs, mais la réalité était toute autre. Mes cousins et moi avions grandi et les préoccupations avaient évolué. Tous les soirs, ou presque, nous disparaissions sur les coups de vingt et une heures, pour ne réapparaître que le lendemain matin. Nous écumions les bals, les fêtes de mariage, d’anniversaire, les veillées mortuaires, etc. La plupart du temps, nous n’étions pas invités et ne connaissions, ni de près, ni de loin les personnes concernées par ces manifestations. Le tout après avoir parcouru des kilomètres à pieds, sans lune et sans lampe-tempête. Après des nuits aussi agitées, c’est peu de dire qu’aux champs, on avait plus l’air de zombies qu’autre chose. Et les rares arbres n’abritant pas les colonies de chenilles brûlantes qui risquaient de chuter à tout moment nous servaient d’ombre pour dormir.

Périodes dorées qui se sont arrêtées avec le décès de mon grand-père. Parti tranquillement, sans crier gare, le Jour de la naissance du Christ. Depuis, mes visites se sont fait rares, sporadiques. Et quand je reviens, je suis frappé par la tranquillité des lieux. La route qui passe devant la concession de mon grand-père n’est plus aussi fréquentée que dans mon souvenir. Une impression de vide, le sentiment qu’il n’y a plus personne, que les gens sont soit morts, soit partis. Parfois, j’essaie de m’imaginer où sont ceux qui jouaient avec nous quand nous étions plus jeunes. Sûrement quelque part, ailleurs, en train de faire le paon.

Il faut dire que les personnes originaires de Bandjoun sont des gens fiers. Avec tout ce que cela peut comporter comme traits de caractère supplémentaires. Ils sont vantards à l’extrême. Courageux, travailleurs, mais vaniteux. La rivalité est un mode de vie. D’aucuns considèrent que le simple fait d’être issu de cette terre-là te prédispose à une certaine richesse matérielle. L’échec y est donc très mal perçu.

J’ai été sorti de mes rêveries par les appels de mon aïeule. J’ai émergé du champ. C’était l’heure de partir. Après les longues bénédictions dont est coutumière la vielle femme, elle m’a laissé m’en aller. Non sans mal. Une fois de plus, comme à toutes les reprises depuis que je suis tout petit, elle s’est comportée comme si c’était la dernière fois qu’on se verrait.

Puis, je suis allé voir sa sœur ainée. Celle qui m’a fait rire le jour où elle m’a demandé si j’étais toujours à « l’école des juges ». Une façon très peu compliquée de traduire en patois la faculté de droit que j’ai fréquenté un temps.

Après quelques autres péripéties, je me suis retrouvé dans un minibus qui devait me ramener à Douala. Un voyage retour épique, puisque le conducteur a fait les cent derniers kilomètres du trajet avec la main dans le moteur. Toute une autre histoire.

 Je suis reparti. Pour combien de temps encore ?


Femme africaine, qui es-tu ?

 

Tu as pendant longtemps été représentée comme une mère nourricière

Tout juste capable de gaver et de faire grandir l’avenir d’un continent perdu

Le monde t’a longtemps vue comme cette personne désarmée et éplorée

Témoin impuissant du ballet des charognards autour de ton enfant squelettique et agonisant

Le monde t’a longtemps contemplée comme cette personne inculte

Qui se contente de parcourir des kilomètres à pied pour trouver de l’eau pour sa famille

 

Tu as à la fois beaucoup changé, mais aussi pas tant que ça, Femme africaine

Aujourd’hui tu es différente de l’image qu’on a voulu donner de toi

 

Tu es engagée dans les combats, tu montes en première ligne, tu revendiques

Tu dis as dit non à l’apartheid, en utilisant plusieurs stratagèmes qui ont porté leurs fruits

Tu t’es servi de l’art pour dénoncer ce régime qui terrorisait et tuait des innocents

Tu as pris le microphone, tu as parcouru le monde pour chanter la déshumanisation d’une race

Tu t’es engagée à attaquer frontalement le spectre ennemi

Tu es descendue dans Soweto, tu as harangué les jeunes, tu les as incités à prendre leurs responsabilités

Tu as été l’une des figures marquantes de la lutte contre cette barbarie

Tu as soutenu ton mari, ton frère ou ton fils qui avait eu la chance de ne pas être tué

Mais qui croupissait dans un cachot la nuit et qui devenait un forçat dans un bagne une fois le jour levé

 

Tu es cette personne qui continue de battre le pavé pour dire ta façon de penser

Tu as renversé un régime dictatorial au Burkina Faso à l’aide d’une simple spatule

Tu as bravé la violence et les viols pour aller sur la place Tahrir exiger le départ d’un despote

Tu es celle qui a tenu cette pancarte sur laquelle était écrit « dégage » lors d’une manifestation à Tunis

Tu n’as ménagé aucun effort pour défendre tes droits, pour avoir voix au chapitre

Aujourd’hui, tu présides aux destinées du Liberia, de la République centrafricaine, de l’Ile Maurice

Tu es la directrice de la Commission africaine, tu diriges la mission de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, tu es la procureure générale de la Cour pénale internationale

Tes sœurs et toi occupez désormais 63 % des sièges à l’Assemblée nationale du Rwanda, 44 % de ceux des Seychelles, 43 % des sièges de l’Assemblée nationale sénégalaise

Tu es la Reine de l’acier en Afrique du Sud, tu es le prix Nobel qui parlait aux arbres au Kenya, tu es celle qui a réussi à se hisser au rang de directrice générale de la Banque mondiale

Tu navigues de réussite en réussite, tu es devenue le porte-flambeau du continent

 

Mais, Femme africaine, ta situation reste toujours aussi précaire

Tu es celle qui souffre le plus des conflits, tu es violée, tes enfants assassinés, tes champs détruits

Tu demeures encore celle qui, dans beaucoup de contrées, est vendue au plus offrant, ou livrée en holocauste pour sauvegarder des intérêts innommables

Tu es celle qui est donnée en mariage alors que ta puberté n’est pas encore à l’ordre du jour

Tu es celle qui est encore excisée à tour de bras, qui est muselée par la société, qui doit se soumettre face à la brutalité de son mari

Tu es celle qui subit toutes sortes de brimades au travail, qui est sous-payée, à qui sont dévolues les tâches les plus ingrates, les plus sales, les plus abjectes

 

Malgré cela tu restes forte, car c’est sur toi que ta famille repose

Si tu ne courbais pas l’échine tous les jours, ton continent n’aurait plus que ses yeux pour pleurer

 

Mais quelques fois tu es trop forte, plus forte qu’il ne le faudrait

Car si ta fille est vendue à son futur époux, c’est très souvent avec ton assentiment

C’est toi l’exciseuse, c’est toi la tête pensante du chef de guerre

C’est toi qui repasses les seins de ta fille, c’est toi qui es complice de ton conjoint spécialisé dans le tripatouillage constitutionnel

Tu t’es professionnalisé dans les attentats-suicide, tu es l’exécutante lors des crimes rituels

C’est toi le chef de gang, c’est toi qui abandonnes tes nouveau-nés dans des poubelles

 

Femme africaine, tu es devenue multiforme, polyvalente et tu t’adaptes à toutes les situations

Tu es ambigüe, car tu réclames une place, une voix, de la considération

Mais en même temps tu crains presque de te voir octroyer tout ce que tu mérites

Tu es celle sur qui l’équilibre et l’avenir de l’Afrique reposent

Alors tu as la responsabilité de ne jamais faillir de ne jamais baisser les bras

Tu as l’honneur d’être celle vers qui les regards des générations actuelles se tournent

 

Par René Jackson

Ce billet est une participation au projet collaboratif « Renaissance du 31 juillet » qui s’est donné pour objectif de marquer d’une pierre blanche la célébration de la journée internationale de la Femme africaine, célébrée le 31 juillet de chaque année. Retrouvez l’intégralité du projet ici: www.journeefemmeafricaine.com


Ces possibles à Yaoundé impossibles à Douala

Depuis quelques semaines, je vis à Yaoundé. Pas de façon définitive, pour ceux qui s’en inquièteraient. Une telle perspective, rien que de l’imaginer, me fait à moi-même horreur. J’y suis de façon très temporaire, ce d’autant plus que c’est une ville qui m’a toujours déconcerté et quelques fois, on a peine à croire que Yaoundé et Douala sont logés dans le même pays. Tant les habitudes, les attitudes et les comportements peuvent être différents d’une ville à l’autre. C’est tout aussi profitable d’être ici, car ça me permet de changer un peu d’air et surtout de mesurer l’ampleur de l’attachement que j’ai pour cette ville où j’ai, jusqu’à il y a quelques semaines, toujours vécu.

Parcourir la ville de Yaoundé de long en large et de travers m’a permis de la découvrir encore plus profondément, de dénicher des phénomènes qui m’ont pour la plupart beaucoup amusé. Et quelques fois, j’ai vécu des situations qui seraient inimaginables, voire impossibles à Douala.

Comme être obligé de prendre le taxi quand on veut se déplacer rapidement. La ville de Yaoundé est un sanctuaire de restrictions. Et beaucoup d’entre elles frappent les malheureux conducteurs de mototaxis. Dans beaucoup d’endroits de la ville, leur circulation est interdite et leur activité cantonnée aux zones périphériques. Du coup, les taximen font la loi et quelques fois, leur attitude au volant n’est pas différente de celle de ceux qu’on considère comme étant les délinquants routiers par excellence : les moto-taximen. On se retrouve à Yaoundé obligé de prendre des taxis qui pour la plupart sont douloureusement minuscules. Une vraie torture pour ceux qui comme moi sont joliment rondouillets. A Douala, on peut sortir tous les jours pendant un mois sans jamais mettre les pieds dans un taxi. Les mototaxis sont là, symboles de liberté et de rapidité.

Mais s’il faut mettre quelque chose au crédit de la ville de Yaoundé, c’est qu’elle est beaucoup plus belle que Douala. Et puis il y a un spectacle dont je ne me lasse pas depuis que je suis ici : les sommets des collines cachées par la brume du matin. C’est si joli et totalement inenvisageable à Douala. Qui est une ville désespérément plate, sans aucun rebondi ou arrondi enjôleur. Rien ! Nada ! Les seules aspérités qu’on remarque à Douala sont d’une part ces pylônes de télécommunication dont le pullulement a fini par enlaidir la ville et d’autre part le Mont Cameroun, si éloigné (de plus de 100 kilomètres) qu’il ne compte pas. En outre, lorsqu’on gravit l’une des collines qui cerclent Yaoundé, on a une fascinante vue plongeante sur la ville. Le seul moyen d’avoir ce genre de vue sur Douala, c’est d’être assis au hublot, du bon côté de l’avion, quand il atterrit.

L’autre aspect remarquable à Yaoundé est qu’on peut marcher tranquillement sur un trottoir. Ce qui à Douala s’apparente à une véritable gageure. Car c’est une activité qui là-bas correspond la plupart du temps à éviter les trous, les étals à même le sol, les voitures stationnées là, les motos qui te foncent dessus, les vendeurs à la criée, les comptoirs de marchandises, etc. Et ça, c’est pour les endroits où il existe effectivement des trottoirs. Car la plupart du temps, il n’y en pas du tout. Marcher normalement sur un trottoir à Douala n’est possible que dans des îlots bien précis. Alors qu’à Yaoundé c’est visiblement plutôt l’inverse.

Il y a quelque temps, des connaissances ont été invitées à un mariage en plein air dans un terrain de golf, sur les hauteurs du Mont Fébé. Une perspective impossible à Douala tout simplement parce que la ville ne compte aucun terrain de golf digne de ce nom. Et même si d’aventure il en existait un, ce serait d’une profonde inconscience de se risquer à y organiser quoi que ce soit en plein air pendant le mois de juin. Celui justement où les pluies se font un malin plaisir de contrecarrer même les plans les plus élaborés. De juin à octobre à Douala, la pluie n’est clairement pas une option. Elle se paye même souvent le luxe de tomber sans arrêt pendant plusieurs jours, question de provoquer le plus d’emmerdements possible. A Yaoundé, il est possible en plein mois de juillet de ne voir tomber aucune goutte pendant trois ou quatre jours.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il y fait froid. Même pendant les pluies, il repose perpétuellement sur la ville de Douala une chaleur écrasante. Depuis que je suis à Yaoundé, je parcours chaque aube à pied les deux kilomètres qui me séparent de mon lieu de travail sous une bise légère et très fraîche. Le résultat en est que malgré l’effort, aucune goutte de sueur ne vient gâcher mon humeur du matin. A Douala, même sous la douche, tu transpires. Commets l’erreur de porter une veste et dans ta propre sueur tu macèreras pendant toute la journée. D’aucuns disent que c’est cette chaleur qui nous rend si fous, qui déglingue notre cerveau et qui nous fait agir comme des personnes démentes. C’est cette chaleur qui serait la réelle responsable du désordre caractérisé que connaît cette ville. Et c’est enfin cette chaleur qui nous pousserait à boire autant de bière.

A cet effet, j’ai remarqué une curiosité. Dans le quartier où je vis, il n’y a plus aucun bar ouvert après vingt heures. A Douala, à cette heure-là, même la plus insignifiante des échoppes n’en est qu’au début de sa soirée. Les buveurs ne libèrent les bars qu’à vingt-trois heures ou minuit. Ce n’est qu’à cette heure que les voisins peuvent trouver un peu de répit, avant que les hostilités (c’est-à-dire la musique à tue-tympan) ne reprennent aux premières lueurs du jour.

Il existe aussi à Yaoundé cette déférence et ce respect quasiment inconnus à Douala. Il me semble par exemple impossible d’envisager que les Doualaeens, réputés comme étant des rebelles par nature et des opposants par dénomination, puissent subir placidement que la ville soit régulièrement coupée en deux, et ce pendant plusieurs heures. Fut-il pour le passage du président de la République. Ceci me rappelle d’ailleurs ma première « rencontre » avec notre président, il y a quelques jours, dans une rue de Yaoundé.

J’avais débouché sur l’axe – bouclé depuis plusieurs heures – par lequel il devait passer pour aller accueillir son homologue français qui arrivait en visite. J’ai été d’abord choqué par le silence qui régnait sur cette rue d’habitude très fréquentée. Les gens étaient debout, alignés des deux côtés de la chaussée, silencieux. Des bidasses armés jusqu’aux dents tenaient en respect d’un œil dur et inquisiteur tous ceux qui étaient là. Moi je voulais rentrer chez moi. Je me suis donc mis à marcher sur le trottoir. La minute d’après, une première voiture de police est sortie de nulle part, toutes sirènes beuglantes et à une vitesse folle. Suivie peu après par un cortège encore plus bruyant et tout aussi pressé, au milieu duquel je n’ai eu aucune peine à deviner la limousine présidentielle. Tout en continuant de marcher, j’ai jeté un coup d’œil à ce convoi quelque peu singulier. Tout à coup, une policière me fait signe de m’écarter par des grands gestes. Peu après j’arrive à sa hauteur. « Monsieur, quand on vous fait signe de quitter le trottoir, faites-le ! Vous n’avez pas vu que le président passait ? N’avez-vous pas remarqué que vous étiez le seul à marcher ? » J’aurais pu lui demander s’il était prohibé de marcher en une telle circonstance, mais je me suis tu.

Mutisme visiblement salvateur, puisque lorsque je racontai cet épisode à un ami, sa réaction a été cinglante. J’avais clairement risqué ma vie avec cette attitude irresponsable. Et de terminer : « Vous qui venez de Douala, vous êtes souvent portés à croire que vous pouvez faire tout ce que vous voulez. Mais tu es à Yaoundé et ici ça ne se passe pas comme ça ».

Par René Jackson


Ambiance Shaba

Tout finit par arriver. Après avoir toujours regardé les prestations – en dents de scie – de l’équipe nationale du Cameroun à la télévision, j’ai finalement eu l’opportunité de me déplacer pour une enceinte afin de les voir évoluer sous mes yeux. C’est ainsi que le 14 juin dernier, je me suis retrouvé au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé pour assister à mon premier match des Lions Indomptables. Et le spectacle fut à la hauteur de mes attentes parce que j’avais choisi pour ce moment historique de regarder cette rencontre Cameroun – Mauritanie depuis le mythique « Shaba ». Avec tout ce que ça implique comme ambiance et désagréments.

Pour fixer le décor, une précision s’impose. Le terme shaba dans le langage urbain au Cameroun désigne un chef-lieu de tumulte, de turpitudes, généralement fréquenté par des âmes têtues, récalcitrantes, réfractaires au système d’ordre et de valeur en vigueur. Le shaba désigne en même temps cet endroit le plus animé et le plus joyeux de l’assistance. Le shaba c’est le bien et le mal à la fois. Le shaba c’est le ying et le yang. Ainsi, chaque salle de classe de chaque collège a son shaba. Chaque amphithéâtre aussi. En faculté de droit, nous avions utilisé un magnifique jeu de mots pour désigner membres des séants du shaba en adéquation avec notre statut de juristes en herbe: les juges du fond. Parce que le shaba est toujours localisé au fond de la classe, de l’autobus, de l’amphi…

Le Shaba du stade Ahmadou Ahidjo occupe les deux étages supérieurs de la tribune orientée ouest. A l’opposé de la tribune officielle. Les conditions y sont rustiques. Les gradins ne sont pas couverts et ceux qui s’y installent sont soumis aux éventuels changements d’humeur du climat. Il n’y a pas non plus de sièges. Les places sont délimitées et les numéros inscrits à la peinture à même le béton. L’absence de sièges n’est cependant pas une mauvaise nouvelle compte tenu de l’ambiance qui peut très vite y devenir délétère. Ces sièges étant alors susceptibles de devenir des projectiles à la force de nuisance beaucoup plus importante que les sachets pleins d’eau que j’ai vus voler pendant ce match.

Une heure avant le début de la rencontre, je m’installai dans le chef d’œuvre de vétusté qu’est ce stade, après avoir franchi une barrière où était agglutinée une grappe de policiers, puis traversé un terrain broussailleux large d’une cinquantaine de mètres afin d’atteindre les escaliers qui devaient me faire parvenir aux gradins. En face de moi de là où j’étais assis, à droite, les projecteurs étaient tombés à quelques mètres de la base du pylône au sommet duquel ils auraient normalement dû se trouver. Les projecteurs du pylône situé à gauche étaient bien à leur place, mais leur orientation prouvait qu’il y a bien longtemps qu’ils avaient cessé d’éclairer la pelouse et même le stade. Les infrastructures autour du terrain avaient un air peu ragoûtant. La piste d’athlétisme étant parsemée de grosses tâches brunes. Vus de l’endroit où je me trouvais, les bancs de touche semblaient réduits à leur plus simple expression. Ils avaient l’air particulièrement inconfortables. En plus, les joueurs et les techniciens n’auraient pas été épargnés en cas d’averse.

L’aire de jeu par contre était dans une condition irréprochable. Bien tondue et uniforme, bien loin du terrain piégeux qui rendait complètement aléatoires les trajectoires des balles il y a encore quelques années. Un diamant dans un écrin poisseux.

Le Shaba, lui était déjà chaud. Les drapeaux étaient déployés et les groupes de danse s’agitaient au rythme des tam-tams. Une population hétéroclite était présente en ces lieux, mais avec une prépondérance d’individus à l’air pas du tout rassurant. Beaucoup de jeunes flânaient avec le torse nu, dévoilant des cicatrices, stigmates d’un passé tumultueux et signes qu’ils ne rechigneraient pas à provoquer ou à participer à la baston s’ils en avaient l’occasion. Mais je n’étais pas trop inquiet. J’avais choisi le match contre la Mauritanie, qui n’est pas un foudre de guerre. L’affiche n’allait pas attirer les foules. En plus le Cameroun marcherait sur son adversaire du jour. Sauf que la rencontre ne s’est pas déroulée telle qu’on l’aurait prévue.

Pendant les soixante premières minutes de jeu, les spectateurs du Shaba ne se sont contentés que de quolibets à l’endroit des acteurs – Camerounais – sur la pelouse, de réinterprétations sexuellement explicites d’airs à la mode et de gausseries l’endroit des spectateurs assis de l’autre côté du terrain. Ceux-là avaient beau avoir payé leur billet jusqu’à vingt fois plus cher que la somme ridicule que nous avions déboursée, ils se feraient proprement griller par le soleil de l’après-midi. Mais au fur et à mesure que la fin du match approchait et que les Lions Indomptables peinaient à trouver le chemin des buts Mauritaniens, la tension montait.

Des projectiles se sont mis à fuser, principalement des sachets en plastique remplis d’eau. L’un d’entre eux, provenant du haut de la tribune explosa sur un jeune homme assis quelques mètres devant moi. Il se retrouva détrempé. Et un adolescent de réagir: « tu portes les chemises blanches cintrées pour venir au Shaba? Tu croyais que tu allais à un mariage? Ashouka*! Quand nous on s’habille en guenilles vous croyez que c’est parce que nous sommes des nanga boko*, n’est-ce pas? La prochaine fois que tu veux venir au match en chemise cintrée, va t’asseoir là-bas » dit-il en pointant du doigt la tribune officielle. Son commentaire provoqua une hilarité générale.

Les projectiles eux par contre n’ont pas cessé de s’abattre sur nous. Certains, excédés, ont commencé à les retourner aux envoyeurs. La situation aurait pu virer à la bataille rangée si quelqu’un n’avait pas entonné un « Eto’o! Eto’o! Eto’o! » bigrement salvateur, de suite repris par tout le monde. On se rappelait à notre bon souvenir ce joueur que nous étions pourtant bien contents de voir partir de l’équipe nationale il y a encore un an. Puis ce fut au tour de l’entraîneur d’avoir l’honneur des chants perfides, après avoir été copieusement conspué. Les joueurs n’ont pas été en reste. Chaque fois que l’un d’eux touchait au ballon, un tombereau de sifflets s’abattait sur lui, alors que des applaudissements nourris accompagnaient chaque bonne action mauritanienne.

A la quatre-vingt cinquième minute, certains supporters exaspérés ont commencé à quitter les gradins, désespérés par cette équipe plusieurs fois championne d’Afrique qui n’arrivait pas à mettre un but à une sélection inexistante sur la mappemonde du football.

Et au moment où on ne s’y attendait plus, un attaquant Camerounais a profité d’un heureux concours de circonstances pour marquer un but totalement chanceux. Le Shaba a explosé de joie. Ouf! Enfin! Il était plus que temps. Mais le malheureux buteur a eu la mauvaise idée de venir devant notre tribune qui avait passé le match à l’injurier pour nous demander de nous taire. Mal lui en a pris car d’autres sachets d’eau ont décollé, cette fois vers sa direction. Accompagnés par d’autres insultes et huées.

Sur ces entrefaites, l’arbitre a mis un terme à la rencontre. La majorité des occupants de notre tribune a vite fait de vider les lieux, parfois au pas de course. Il ne fallait pas s’éterniser là, de peur d’être la victime des détrousseurs qui profitent toujours de ces grands rassemblements de personnes pour effectuer leurs basses besognes. Nous avons vite fait de quitter le Shaba et ensuite le stade.

Ashouka: bien fait pour toi

Nanga Boko: enfant de la rue

Par René Jackson


Le jour où j’ai assisté à une bagarre générale

Image: Bagarre générale - Uderzo & Goscinny - asterix.com
Image: Bagarre générale – Uderzo & Goscinny – asterix.com

Toutes les villes du monde ont leurs quartiers difficiles. Ce type de quartier où tout peut partir en sucette à n’importe quel moment. Ces quartiers où toutes les situations, même les plus anodines, peuvent dégénérer et prendre des proportions ahurissantes. La ville de Douala n’est pas en reste, car elle aussi recèle quelques poches de tension. Dont l’une d’elles est la zone qui se trouve tout autour du commissariat du 8e arrondissement et qui comprend les quartiers Madagascar, Tergal, Nylon et Bilongué. De vraies petites poudrières.

Pour preuve, c’est très exactement à Madagascar qu’a été allumée la première mèche de ce qui allait devenir les émeutes de la faim en 2008, qui ont embrasé Douala et qui se sont propagées aux autres villes du Cameroun. À la suite d’un banal meeting d’un parti de l’opposition, les échauffourées avaient débuté. La flicaille a riposté à coup de gaz lacrymogènes, de jets d’eau et de tirs à balles réelles. Il s’ensuivit quatre jours de violences, de pillages et des morts.

C’est au quartier Madagascar justement qu’auparavant j’ai été à cette fête d’anniversaire qui avait, tout comme le meeting politique, totalement dégénéré. Une fête à laquelle je ne devais même pas être. J’avais fait toute une gymnastique pour y être invité. A l’époque, jeune, fringant et bouillant, toutes les bringues étaient bonnes à prendre. Je ne compte plus les fêtes auxquelles je me suis incrusté. Et quand il n’y avait aucune soirée à l’horizon, ce n’était pas grave. On en organisait une. J’aimais tellement la fête que j’ai gagné le surnom de « Monsieur Soirée ». Douce époque d’insouciance et de cuites. Cette fête-là, il fallait d’autant plus que j’y sois, car la jeune fille qui se refusait obstinément à moi à l’époque en serait.

La réputation du quartier où se déroulait la soirée, je la connaissais bien évidemment. Alors, en sortant de chez moi j’ai laissé le téléphone cellulaire. En outre, j’ai pris soin d’enfiler le plus élimé de mes pantalons en jeans, de porter ce t-shirt qui normalement aurait eu sa place dans une poubelle. Idem pour les chaussures. Dans les poches j’avais le montant exact pour le taxi aller et retour en plus de ma carte d’identité. Les pertes devaient être minimales si je me faisais taxer, ce qui était une éventualité pas du tout saugrenue à envisager. Pour finir, j’ai emporté la clef de chez moi. Pour le cas où je me retrouverais obligé de rentrer en plein milieu de la nuit.

Dès l’entrée, le ton était donné. Deux videurs étaient postés. Le premier, grand, musclé, le visage buriné et un rictus méchant. Rien que de très habituel pour un malabar supposé mettre de l’ordre. Le second par contre était particulier. En plus de son allure de catcheur, il portait une cagoule. Il arborait tout autour de son bras et de ses reins une lourde chaîne. Quand je suis passé devant lui, j’ai senti son regard glaçant sur moi. Ça avait à la fois un côté rassurant et un côté effrayant. Rassurant parce que nous étions protégés. Flippant parce qu’il y avait de quoi s’interroger sur la menace qui planait pour que de tels individus soient embauchés.

La fête battait son plein, dans une cour aménagée et dans laquelle les invités étaient installés. L’organisateur avait mis les petits plats dans les grands : une bonne centaine de convives, de la nourriture et de la picole à gogo. Les gourmands et les disciples de Bacchus ne seraient pas déçus. Il était deux heures du matin. Nous venions de terminer de manger et la piste de danse allait bientôt être chauffée quand nous avons remarqué qu’il y avait des bisbilles à l’entrée. Des éclats de voix si violents que même la musique que crachaient les haut-parleurs ne parvenait plus à cacher.

Le jeune homme qui tenait le micro a bien tenté de ne pas nous inquiéter en mettant en avant le fait que les vigiles étaient parés à toutes les éventualités et que même dans le cas hautement improbable où ils se trouveraient dépassés, le commissariat du huitième se trouvait à moins de cinq cents mètres de là. Mal lui en a pris, car au moment même où il achevait son propos, l’impensable se produisit.

Sous nos yeux stupéfaits, une horde de jeunes gens a envahi la cour dans laquelle nous nous trouvions. Cognant sur tout ce qui se trouvait à portée de leurs poings. D’autres jeunes ont décidé de riposter et ça a donné la plus immense foire à castagnes à laquelle il m’a été donné d’assister. Très vite, les poings n’ont plus suffi. Les tables, les chaises et même les couverts ont servi aux uns à taper sur les autres. Et quand tous ces ustensiles étaient devenus inutilisables, quelqu’un a découvert le congélateur dans lequel étaient encore stockées des dizaines de bouteilles de bière.

Ce fut le moment le plus surréaliste de tous. Les bagarreurs s’en sont servis comme des projectiles qu’ils lançaient sur les protagonistes de l’autre de bord, lesquels répondaient en jetant aussi les bouteilles vides qui traînaient autour d’eux.

Et moi, pendant ce temps? Étant trop loin de la sortie pour m’enfuir comme ceux qui avaient pu le faire, j’ai déniché dans un coin obscur de la cour, les WC. J’ai vite fait de courir m’y réfugier. Une dizaine d’invités avait eu la même idée. Nous nous y sommes agglutinés, complètement terrorisés. Les demoiselles cachées avec nous poussaient des hurlements chaque fois que quelque chose se cassait. Ce qui a totalement affolé les cafards qui menaient d’habitude une vie tranquille dans ces latrines obscures. Ils se sont mis à voleter et à atterrir sur nous. Ce qui n’a fait qu’aggraver l’hystérie des demoiselles. Quelques- unes se sont enfuies. De deux maux il faut choisir le moindre, dit-on. Pour moi, la sensation désagréable de ces bestioles trottinant sur mon dos et mes jambes était une douce caresse, en comparaison d’une bouteille pleine de bière s’écrasant sur ma tête ou d’une planche fracassant mon tibia.

Après une trentaine de minutes de pugilat, tout est redevenu calme. Quelqu’un, débouchant dont on ne savait d’où, est venu nous demander de sortir rapidement des latrines et de nous en aller. Les assaillants s’étaient éloigné mais avaient promis de revenir bien vite. Il n’aurait alors pas été dans notre intérêt qu’on soit encore là à leur retour. Le spectacle était désolant. Tout était cassé, détruit. Nos pieds se posaient sur un mélange de tessons de bouteilles, de débris de bois et de chaises en plastique, de restes de nourriture et d’assiettes émiettées.

Avec un ami qui à l’époque était un camarade, nous avons parcouru à pied, à trois heures du matin, les presque trois kilomètres qui séparaient le lieu de la fête et le carrefour Ndokoti. Complètement à la merci des détrousseurs. Je suis rentré directement à la maison. Une chance, j’avais pris ma clef. Je n’ai pas eu à me soucier de la fille qui entre autres m’avait fait y aller, car elle avait eu du nez et n’était pas venue.

Quelques jours après cette bagarre générale, j’ai appris que la fureur des jeunes de ce quartier avait été provoquée par le fait qu’ils n’avaient pas été conviés à cette soirée et qu’il était impensable d’organiser une fête dans leur quartier sans les y inviter.

Par René Jackson

En mémoire de Marie-Rose N qui n’était pas venue à cette fête et qui a quitté notre monde quelques mois après.


Les vrais dangers de l’université

L'entrée principale du Campus 1 de l'Université de Douala - Photo: René Jackson Nkowa
L’entrée principale du Campus 1 de l’Université de Douala – Photo: René Jackson Nkowa

L’an dernier, j’assistais une élève de la classe de terminale dans la constitution de son dossier pour un concours d’entrée dans une grande école de l’Université de Douala. J’ai dû pour cela rencontrer sa mère. Elle avait un avis tranché sur « notre Université là » et son fonctionnement, notamment sur les pratiques ésotérico-mystiques qui y seraient courantes. J’ai bien tenté de la rassurer en lui disant qu’en dix ans de fréquentation de cet environnement, je n’avais jamais été approché par quiconque, que ce soit un enseignant ou un étudiant, afin de faire partie d’une quelconque loge. Mais elle n’a pas du tout été convaincue.

L’Université de Douala est une institution qui compte environ cinquante mille étudiants inscrits. Une véritable petite ville. Et bien évidemment, dans une société aussi diversifiée, on trouve de tout. Les sectes, on en entend beaucoup parler, mais c’est une expérience que je n’ai pas personnellement vécue, donc je ne suis pas légitime pour en parler. Mais les vrais maux de notre (nos) université (s) sont bien réels et autrement plus palpables que toutes ces choses métaphysiques.

Des enseignants particulièrement distants…

Tout étudiant de faculté sait combien il est difficile d’entrer en contact avec un enseignant. Ils dressent généralement un vrai mur de Jéricho tout autour d’eux et deviennent de ce fait quasiment inaccessibles. Il m’est arrivé d’attendre un enseignant pendant des jours à la direction de ma faculté et que lorsque je le rencontre enfin, qu’il m’envoie bouler en moins d’une minute sans même m’écouter. Ceci se vérifie particulièrement pour les assistants qui dispensent les travaux dirigés. Ils sont en DESS ou en DEA pour la plupart et sont bien plus désagréables que les enseignants titulaires. Certains d’entre eux étant franchement détestés des étudiants tant ils suintent de condescendance, de suffisance et de méchanceté. De vrais terroristes. On avait du mal à croire que le fait de se retrouver devant nous leur faisait oublier les difficultés auxquelles faisaient face les étudiants qu’ils étaient encore. Les travaux dirigés étaient un vrai traumatisme pour beaucoup. Par contre, quand on avait la chance d’être tenus par des enseignants titulaires, ils se montraient bien plus attentifs et compréhensifs que leurs subalternes, malgré l’importance de leur grade (de docteur et parfois de professeur).

… et tout-puissants

Dans les premiers moments de ma vie d’étudiant, je sortais de chez moi à cinq heures trente du matin. Trente minutes plus tard, j’étais dans le gymnase réaffecté en amphithéâtre dans lequel je suivais mes cours. Il pouvait contenir à vue de nez mille cinq cents étudiants. Et nous étions près de deux mille cinq cents inscrits pour la classe. Quand tu arrivais à six heures quinze, tu n’avais déjà plus de place. Pour un cours qui était prévu pour débuter à huit heures. Et parfois, l’enseignant ne se donnait pas la peine de se présenter. Je ne compte plus ces nuits écourtées pour rien. L’absentéisme des enseignants est un vrai fléau. Quelquefois, on tournait en rond dans le campus pendant toute une journée, pour attendre des enseignants qui ne viendraient pas. Une fois, nous avons fait la remarque à un enseignant qui nous a répondu : « Ce n’est pas sur le fait de dispenser ou pas ces enseignements que je suis jugé. Ca dépend uniquement de mon bon vouloir de venir ici ou pas ».

Une administration lourde

Deux mois après mon entrée à l’université, la première liste des étudiants est publiée. Et surprise, la première lettre de mon patronyme a tout simplement été oubliée. En ont suivi de douloureux mois, six au total, pour que la situation soit régularisée. J’ai rédigé je ne sais plus combien de requêtes, fait d’interminables heures de sitting pour attendre les responsables qu’il fallait rencontrer (enseignants et administratifs), car mes notes étaient attribuées à Nkowa sans « N » qui n’était pas du tout moi. Avant de terminer ma première année, j’étais déjà essoufflé. Les noms ou les notes qui n’apparaissent pas sont monnaie courante et bien malchanceux est celui ou celle sur qui ce genre de tuile tombe. Obtenir un certificat de scolarité est un chemin de croix. Beaucoup ont loupé des stages ou des emplois à cause de ce bout de papier qui ne sortait pas après moult requêtes. Idem avec les relevés de notes et attestations de réussite. Pour les diplômes, n’en parlons pas. Ils ne sont tout bonnement plus délivrés.

Un profond déficit en infrastructures

Quelque temps après mon entrée à l’université, le pays a connu une vague de manifestations estudiantines. Des manifestations qui ont touché toutes les universités publiques, notamment l’Université de Douala et celle de Buéa (dans la région du Sud-ouest) où des étudiants avaient même été tués par les forces de l’ordre. Parmi les réclamations, figurait en bonne place « les conditions d’études descentes ». Il faut dire qu’à ce moment par exemple dans notre université, il n’y avait tout simplement pas de toilettes. Les gens se soulageaient dans les fourrés environnant les amphithéâtres et salles de cours. Il n’y avait pas d’adduction en eau. Les coupures d’électricité étaient fréquentes. Depuis, certaines choses ont évolué dans le bon sens. Mais beaucoup reste à faire. J’étais encore il y a peu dans la bibliothèque de l’Université de Douala. Les murs du rez-de-chaussée du bâtiment sont chargés d’étagères désespérément vides. Les toiles d’araignées ont pris la place laissée vacante par les livres. Quand je fréquentais encore la faculté de droit, les babillards étaient réduits à leur simple expression. Les résultats étaient collés sur des murs soumis aux intempéries. Si la pluie n’avait pas rendu totalement illisibles ces papiers, le vent les avait emportés. Ou alors ce sont des individus mal intentionnés qui les déchiraient. Si tu n’avais pas vu ta note, bonne chance pour les obtenir auprès de l’administration.

L’abus d’autorité

Il y a encore quelques semaines, je discutais avec une amie qui se retrouvait face à un dilemme. Elle n’avait pas obtenu de note de contrôle continu dans une unité de valeur. Elle a contacté son enseignant à cet effet, lequel a soumis l’attribution d’une note à un (ou plusieurs)  passage (s) dans son lit. Elle a menacé de se plaindre à l’administration et il lui a ri au nez, l’encourageant même à effectuer cette démarche. Question qu’elle-même constate qu’il ne pourrait rien lui arriver. Elle était aux abois. Ne sachant pas vraiment quoi faire : accepter en se déshonorant au passage et obtenir cette note ou alors refuser et reprendre la classe l’année prochaine. Des mésaventures similaires sont habituelles. Ces enseignants qui demandent à des étudiants des faveurs matérielles et sexuelles avant de les rétablir dans leurs droits. Certains autres agissent en amont. Ils proposent à la fille (ou de plus en plus au garçon) de devenir son partenaire sexuel en promettant à cette dernière qu’il s’assurera personnellement qu’elle obtienne de bonnes notes. On a appelé ça les NST (Notes sexuellement transmissibles).

Le tribalisme

Situation : tu te retrouves dans un bureau avec un autre camarade de classe. Vous êtes convoqués. L’autre d’emblée se met à parler en dialecte à celui dans le bureau de qui vous êtes. Lequel répond. Ils devisent ainsi pendant quelques minutes et toi tu te sens de trop. Ton camarade ressort avec le sourire aux lèvres. Toi tu commences une phrase en français. Tu te fais vertement rabrouer. Dans une autre situation, tu entres dans un bureau et les deux agents parlent leur patois. Tu dis bonjour et personne ne te répond. Ils ne se comportent même pas comme si quelqu’un était entré. Même une mouche aurait eu plus d’attention que toi.

La précarité

C’est l’un des maux principaux des étudiants de l’université. Il est de notoriété publique au Cameroun que les universités d’Etat, particulièrement celle de Douala, sont celles dans lesquelles échouent ceux qui ne disposent pas d’assez de moyens financiers. Les étudiants issus d’environnements plus nantis vont faire leurs études dans des universités privées ou à l’étranger. La conséquence en est multiple : il y a ceux qui mettent partiellement ou totalement leurs études de côté pour se lancer dans des jobs alimentaires (ce fut particulièrement mon cas) ; il y a ceux qui entament des relations prétendument amicales ou amoureuses avec leurs camarades un peu plus aisés dans le seul but de profiter du contenu de leur frigidaire ; il y a ceux qui se retrouvent dans des relations avec des personnes qui ont parfois l’âge de leurs grands-parents, tout simplement pour pouvoir avoir le droit de poursuive leurs études. Les étudiants sont ainsi la cible privilégiée de toutes sortes de rapaces qui profitent aisément de cette précarité et laissent derrière eux des grossesses indésirées et des maladies sexuellement transmissibles.

En définitive, la vie de l’étudiant dans nos universités est un parcours d’obstacles et relève parfois de la mission impossible. Beaucoup abandonnent avant d’avoir obtenu le moindre diplôme. Les conditions sont extrêmement difficiles et en sortir avec un diplôme relève du tour de force. Il faut un moral à toute épreuve, une obstination sans relâche et une forte capacité de résilience pour ne pas être broyé par cette machine froide et sans états d’âme. Il le faut pour en sortir avec quelque chose.

Pendant toutes ces années, j’ai bien entendu rencontré des responsables extrêmement bienveillants et à l’écoute, mais ils relevaient beaucoup plus de l’exception. Des exceptions confirmant une règle des plus problématiques. Et souvent dramatique.

Par René Jackson


Ces personnages de nos voyages en bus

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Dans un autocar – Image: René Jackson Nkowa

Malgré tous tes efforts, te voilà rattrapé par tes responsabilités. Cette fois, tu ne peux pas y couper : tu dois voyager, c’est obligé. La perspective de te retrouver dans un autocar, sur l’un de nos axes lourds te terrifie. Parce qu’ils sont extrêmement accidentogènes. Parce que les voyages se passent presque toujours dans l’inconfort à cause des surcharges. Parce que les compagnies de transport interurbain sont sans pitié pour les passagers. La vie est un combat. Et il l’est encore plus quand il faut prendre la route. Tu sais tout ça, mais sur ce coup-ci, tu n’as pas le choix.

À la gare routière, tu as acheté ton ticket. On t’a assuré que vous partiriez à neuf heures trente, sans faute. Et comme tu t’y attendais, à dix heures trente, tu n’as pas bougé. Tu as rué dans les brancards et tu t’es retrouvé dans un car bringuebalant. Un rafiot antédiluvien. Tellement vieux et usé que tu te demandes comment il réussit encore à rouler. Mais par miracle, il avance. Déjà que tu avais toutes les craintes, il fallait qu’il y en ait une nouvelle : que le tacot décide de rendre l’âme quelque part en rase campagne, loin de tout. Tu as définitivement perdu le peu de tranquillité qui te restait.

Tu ne voyages pas seul. Pendant quelques heures, tu partageras le même destin avec quelques dizaines de personnes tout aussi mal à l’aise que toi, mais qui n’y peuvent rien, car c’est comme ça. On va faire comment? Et comme à chaque fois que tu voyages, tu te retrouves toujours avec ces personnages, les immanquables de tout voyage en autobus.

Le vendeur de médocs

Lui, il débarque toujours quand le moment du départ est imminent. Vous êtes tous dans le car et vous attendez que le conducteur veuille bien démarrer enfin. Il vend des liquides dans des fioles, des poudres dans des sachets ou des écorces. La particularité de ses produits est qu’ils soignent toutes les maladies. Prenons la poudre par exemple. Elle guérit à la fois le mal de dos, les saignements de gencives, la fatigue musculaire, la carie dentaire, les boutons de barbe. En la mélangeant avec le produit liquide, votre femme n’ira plus jamais voir ailleurs. Votre objet habituellement flasque et sans entrain retrouvera la vigueur de ses vingt ans. L’argument de vente est le test. « Goûtez, vous verrez la puissance du produit ». Il vous bassine les oreilles pendant quinze ou trente minutes, réussit à refourguer quelques fioles, deux ou trois sachets et s’en va.

La « téléphoneuse »

Durant le trajet, il y aura toujours une dame qui abusera d’appels téléphoniques. « Allô ? Oui… Je suis dans le bus, je vais au village. J’ai une inhumation là-bas… Que quoi ? Non! Je dois cotiser pour notre tontine du quartier cinquante mille… Tu as compris ? Bon, maintenant, chez les femmes capables, je dois bouffer cinq millions ce mois… Voilà, tu prends ça et tu me le gardes. Tu sais que j’ai mon 4×4 qui arrive dans le bateau non, je vais sortir ça du port avec l’argent-là… » Elle parle, parle, met tout le monde mal à l’aise dans le car. Elle parle de ses millions, de ses enfants qui sont en Occident. Et de sa nièce idiote qui a conçu de ce voyou fumeur de chanvre qui hante le quartier tel un esprit mauvais. A ce moment, tu maudis les opérateurs de téléphonie mobile qui sont si fiers de dire que leur couverture réseau est ininterrompue tout le long du trajet.

Le troubadour

La dame a finalement raccroché son téléphone. Tout est calme dans le bus. Le chauffeur a mis une musique qui te fait un peu oublier les conditions précaires dans lesquelles vous vous trouvez. Tout se passe bien depuis dix minutes. Puis patatras, cette chanson a débuté. Et un jeune homme a entrepris de chanter, mais alors à tue-tête! Au début, tu souris parce que tu es bien content de voir son entrain. Mais après l’avoir entendu reprendre toutes les chansons, poussant même la virtuosité jusqu’à reproduire les sons des instruments, tu en as ras-le-bol.

L’acheteuse compulsive

Au départ, elle s’est battue pour être assise près d’une fenêtre. Coup de force qu’elle a réussi après avoir harcelé le préposé au chargement. Et depuis le départ, elle achète consciencieusement tout ce qu’elle peut. L’habitacle est vite rempli de choux, de salades, d’ananas. Les oranges roulent ça et là, les pamplemousses ont du mal à se tenir correctement. Idem pour les ignames. Le car est devenu un petit verger. Comme toi, les autres passagers grommellent. Ça doit être une manie chez elle. Parce qu’avant le départ, c’était bien elle qui négociait avec un fermier le prix de cette chèvre qui bêle à en fendre l’âme sur le toit du car depuis une heure.

La froussarde

S’il ne tenait qu’à elle, on devrait lui remettre le volant. Et elle ne dépasserait pas les 20 km/h. Elle profère des menaces à l’encontre du chauffeur au moindre freinage ou coup de volant brusque. A chaque dépassement, elle pousse un « hum » hautement réprobateur. A force d’insister dans sa quasi-hystérie, elle finit par te faire flipper, tant elle a mis la pression sur le conducteur. Ce d’autant plus qu’elle a réussi à fédérer autour d’elle d’autres poltronnes qui ne font rien d’autre que de déconcentrer le pauvre monsieur qui essaie autant que faire se peut son travail. On peut néanmoins la comprendre. Depuis le début du voyage, votre parcours est jonché de carcasses d’automobiles accidentées. Lesquelles sont souvent proches de ces panneaux de signalisation lugubres qui indiquent le nombre de personnes qui ont perdu la vie à ces endroits.

Le glouton

C’est le personnage le plus surprenant. Ça fait des heures qu’il ne fait qu’engloutir des quantités mirobolantes de nourriture. Tout y passe : biscuits, bananes mûres, arachides bouillies puis grillées, plantain frit. A l’arrêt déjeuner, il se ramène avec de la viande braisée et des ignames grillées. Dans ton malheur, il est assis près de toi. Et tu récoltes sur tes vêtements une palanquée de peaux et de détritus de ses repas. Il a beau s’excuser encore et encore, mais tu n’as qu’une seule envie. Celle de lui arracher le bâton de manioc qu’il tente d’avaler et de l’assommer avec. Heureusement, il demande à descendre. Tu n’auras pas à le subir tout le long du voyage.

Le dormeur

Un homme prend la place laissée vacante par le larron précédent. Ni une, ni deux, il se met à piquer du nez. Il n’est pas assis là depuis cinq minutes qu’il dort déjà profondément. Ta stupéfaction laisse vite la place à la colère car l’air de rien, il est venu poser sa tête sur ton épaule. Tu as beau gesticuler, amplifier les mouvements du car, donner des coups d’épaule, rien n’y fait. Même les cahots qui secouent violemment le bus ne parviennent pas à le réveiller. De guerre lasse, tu le laisses choir sur ton épaule. C’est quand même bizarre. Ce n’est pas possible de dormir à ce point dans ces conditions. Tu repenses à ces histoires de gens entrés sur leurs jambes dans des autocars et ressortis les pieds devant. Il est peut-être mort, le type. Au moment où tu jettes un coup d’œil apeuré sur lui, il part dans un long ronflement. Les autres passagers vous regardent. Tu hausses l’autre épaule, celle qui ne soutient pas la tête du dormeur.

On pourrait citer des personnages pareils par dizaines. Comme le dragueur impénitent, l’incontinent ou l’amuseur public. Ces rencontres qui généralement n’ont rien de déterminant, mais qu’on oublie difficilement malgré tout.

Par René Jackson


ENEO*, merci pour ces moments

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Coupure d’électricité – Par René Jackson

Pour qui a un tant soit peu vécu sous nos latitudes, les coupures récurrentes d’électricité ne sont pas qu’une vue de l’esprit. Au Cameroun, ces suspensions dans la fourniture d’énergie de la part de la société nationale d’électricité sont si fréquentes que nous lui avons trouvé un nom: les jeux de lumière. Parce qu’un coup c’est là et puis hop, ce n’est plus là. Le coup d’après, ô bonheur, c’est revenu. On n’a pas encore fini de jubiler que ce n’est plus là. L’expression être branché sur courant alternatif n’a jamais autant tenu son sens. Les anciens propriétaires de cette société appelaient ces coupures des « délestages ». Les nouveaux ont choisi un terme plus courtois : la modulation. Mais les résultats sont les mêmes: des CDI (coupures à durée indéterminée) distribuées en veux-tu, en voilà.

Chacun de nous a son petit chapelet de mésaventures provoquées par ENEO. Des plus graves au plus légères. J’ai moi-même vécu quelques situations difficiles causées par des coupures intempestives d’électricité.

La fête gâchée

Nous sommes au début des années deux mille. Je suis invité à soirée d’anniversaire d’une cousine. Ses parents ont mis les petits plats dans les grands. Il faut dire que ce n’est pas qu’un anniversaire, l’événement sert juste de prétexte pour célébrer un certain nombre d’autres petites choses. Déjà, l’invitation augure de ce que sera cette fête, car ses artifices lui font plutôt avoir l’air d’un faire-part de mariage que d’un carton d’invitation pour le goûter d’anniversaire d’une préadolescente.

Vingt heures. Je suis déjà sur place. La fête est prévue pour durer jusqu’au petit matin. On a battu le rappel familial. Même les cousins et les tantes les plus insoupçonnés sont là.

Vingt heures dix: coupure d’électricité. Une voix :  » Ça a commencé « .

Vingt heures trente :  » Ne vous inquiétez pas, c’est souvent comme ça dans ce quartier. Mais ça (les coupures, ndlr) ne dure pas souvent « .

Vingt et une heures quarante-cinq :  » De toutes les façons, ça ne servirait à rien de paniquer. Les mets sont encore sur le feu. Le temps que ça cuise, il y aura le courant « .

Vingt-trois heures :  » Hum, cette petite peut être poisseuse hein! « 

Vingt-trois heures trente: décidant de ne pas nous laisser abattre par la situation, nous avons pris les choses en main. Électricité ou pas, il y aurait de l’ambiance à cette soirée. Nous avons commencé à chanter. À la place de la chaîne musicale. Mais nous ne sommes pas allés bien loin, puisqu’à…

… Minuit, le repas a été servi. Après être repu, chacun a cherché un coin où s’allonger dans l’immense salle louée pour l’occasion. En espérant que l’électricité revienne. Espoirs qui furent vains. Les seuls que la situation enchanta furent les moustiques qui profitèrent de l’obscurité et de notre immobilité forcée pour faire bombance.

La queue brisée

Les étudiants ont toujours eu la fâcheuse manie de s’acquitter de leurs frais de scolarité en même temps. C’est-à-dire à quelques petites encablures de la date à laquelle leur paiement devient exigible. Après la cacophonie au guichet de la banque, il fallait sacrifier à l’étape de la validation du quitus de paiement. Et comme à l’accoutumée, nous étions ce jour-là des centaines alignés dans le hall de la direction de notre faculté. Attendant tous d’être reçus par Monsieur O., qui devait tamponner un cachet sur nos reçus de paiement et y apposer sa signature.

Après trois heures de queue, j’étais enfin à deux coreligionnaires de son bureau. Le calvaire prendrait bientôt fin, pour ainsi dire. Et malheur, l’électricité a choisi ce moment-là pour se faire la belle! Monsieur O. sortit alors de son bureau et ferma la porte derrière lui. À clef.

« Lui : il n’y a pas de courant. Je ne travaille pas.

– Un courageux : mais monsieur, votre cachet et votre signature sont appliqués par votre main. Laquelle aux dernières nouvelles ne fonctionne pas au courant électrique…

– Lui, énervé : ah bon! Puisque vous le prenez ainsi, je ne reçois plus personne aujourd’hui. Rentrez chez vous! »

Il était midi. L’électricité est revenue à treize heures. Monsieur O. est rejoint son bureau à quatorze heures, juste pour prendre son sac et s’en aller. Il ne reçut plus aucun étudiant ce jour-là.

Le coiffé contrit

J’attendais mon tour. Le coiffeur s’activait frénétiquement sur la tonsure d’un jeune homme. Sa tondeuse électrique ronronnait énergiquement chaque fois qu’elle s’enfonçait dans la chevelure fournie. L’hémisphère gauche du cuir chevelu était déjà bien dégarni quand le courant choisit de nous quitter. Le coiffeur et le coiffé ont dit « merde » en quinconce. Et moi, j’ai dit « chance ». Intérieurement. À cinq minutes près, ça me tombait dessus. L’électricité ne fut rétablie que quatre heures après. Le coiffeur me raconta quelques temps plus tard que le malheureux jeune homme avait attendu, puis avait profité de la pénombre de la nuit tombante pour s’éclipser.

*             *             *

Des mésaventures similaires, on peut en citer à profusion, tant les coupures d’électricité sont courantes. Elles le sont tellement que ça paraît étrange quand il n’y en a pas pendant un certain temps. L’une des conséquences directes étant qu’une forme de nomadisme s’est établie petit à petit. Les habitants des zones de la ville les plus touchées par les coupures trimballent constamment avec eux divers chargeurs (de téléphone, de lampes de secours, etc.) afin de pouvoir les recharger quand ils se retrouveront à un endroit pourvu d’électricité. Les coupures obligent beaucoup d’autres à déserter leur lit pris d’assaut par les moustiques. Pas de courant, donc pas de ventilateur pour éloigner ces bestioles, ni pour atténuer la chaleur parfois étouffante de nos nuits.

Les familles déplorent quotidiennement les pannes d’appareils, endommagés par ces suspensions et retours abrupts d’énergie. La résignation (ou l’ignorance de leurs droits) les pousse à remplacer elles-mêmes leurs équipements, alors qu’elles pourraient bien attaquer en justice la compagnie d’électricité afin d’obtenir un dédommagement pour les nombreux préjudices.

Quelques fois, des drames se produisent. On ne compte plus le nombre de personnes qui ont passé l’arme à gauche dans nos hôpitaux alors qu’elles étaient sur le billard ou pendant qu’elles étaient en soins intensifs, à cause d’une coupure subite d’électricité.

Le comble, comme toujours dans ces situations, est que nous sommes dans un pays qui ne manque pourtant pas de ressources. Le Cameroun figure par exemple dans le top trois des pays africains disposant du plus grand potentiel hydroélectrique. Un potentiel manifestement sous-exploité.

Par René Jackson

*ENEO désigne la société nationale de production et de distribution d’électricité du Cameroun.


Mondoblog en 2014 : les pépites

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Une belle année vient de se refermer sur Mondoblog. Une année pendant laquelle la communauté s’est une nouvelle fois agrandie de quelque 150 nouveaux blogueurs. Une année pendant laquelle une partie de la communauté s’est retrouvée pour une formation dans le cadre idyllique et à la charmante désuétude de Grand-Bassam (dont Ahlem B. nous raconte si joliment les folles histoires), la cité balnéaire à une heure de route d’Abidjan. Philippe Couve, qui avec Cédric Kalondji est l’initiateur de Mondoblog, assistait pour la première fois à une formation. En 2014, la plateforme n’a certes pas accompli la passe de trois au concours des meilleurs blogs de la Deutsche Welle, mais ça a été beaucoup mieux : Florian Ngimbis, mondoblogueur émérite, fait désormais partie du jury de ce prestigieux concours. Ce fut aussi l’année de la Coupe du monde de football au Brésil. Les Mondoblogueurs ont participé à cette fête en s’associant avec les Observateurs de France24 pour partager sur MondObs leurs analyses et commentaires de cet événement.

Commençons d’ailleurs avec cette Coupe du monde, en évoquant cette soirée hors du commun pendant laquelle le Brésil s’est fait démolir par l’implacable équipe allemande. Jule de Berlin raconte d’une manière très amusante cette rencontre vécue avec trois minutes de retard. Ailleurs dans le monde, le football attise de folles passions. Comme au Chili, où Fabien Leboucq a assisté au bouillant « Superclasico » local opposant Colo-Colo à l’Universidad de Chile.

Notre monde n’a pas toujours été gai l’an dernier. L’Afrique a durement été touchée par l’épidémie d’Ebola, qui a mis à genoux certains pays. Mais Marek Lloyd explique que malgré le catastrophisme et la cacophonie qui ont prévalu pendant le pic de l’épidémie, la maladie pouvait néanmoins être évitée en adoptant des gestes simples. Ebola a aussi réussi à bousculer le plus grand événement sportif du Continent. La Coupe d’Afrique des Nations de football 2015 a été déplacée en Guinée équatoriale. Le Maroc qui devait l’accueillir s’est retiré par crainte de contamination. La suite a été cette Une aux relents racistes d’un journal marocain. Une une sous le prisme de laquelle Cheick Nnaliou de Mauritanie a procédé à l’analyse du racisme en Afrique du Nord. L’auteur d’Abidjan Times a fait le triste décompte des jeunes Noirs abattus par des policiers aux Etats-Unis ces dernières années. Chups, une Franco-Indo-Malgache se demande bien à quoi peut renvoyer la phrase « rentre chez toi » dans un monde de plus en plus métissé. Nicxon Digacin explique toute la différence qu’il y a entre un patient ordinaire dans une salle d’attente et un autre que le directeur de l’hôpital connaît personnellement à Haïti. Aymar Toula quant à lui fait le constat amer de la persistance du phénomène des enfants esclaves dans les rues de Dakar. Rose Roassim de Ndjamena demeure incrédule face aux discours des dirigeants de son pays qui disent vouloir développer les TIC quand le problème préalable de fourniture d’électricité n’est pas résolu.

La talentueuse Guinéenne Dieretou Dina se met dans la peau d’une femme battue par son conjoint, qui finit par en avoir ras-le-bol et le quitte. Par ce texte, elle condamne les violences faites aux femmes. Djifa, la Togolaise citoyenne du monde, raconte elle le long parcours semé d’embûches que représente l’obtention de la carte verte des USA et les désillusions auxquelles font face la plupart des immigrants dans ce pays.

De nombreux mondoblogueurs ne vivent pas dans leur pays d’origine ou sont en voyage. Ils en profitent alors pour partager les expériences qu’ils vivent lors de leurs pérégrinations en terres étrangères. Ainsi, Anne-Laure récemment installée à Dakar a été choquée par l’extrême dénuement dans lequel vivait Coumba, sa femme de ménage, qui l’avait invitée à visiter sa demeure. En mission humanitaire en République démocratique du Congo, la Belge Céline y découvre que l’accueil qui lui est réservé dépend si celui qu’elle a en face d’elle est un autochtone ou un étranger. Arnoult Bazire explique qu’en Inde, les autorités sont face à une situation cornélienne, car elles ne savent plus quoi faire de cette population en constant accroissement. Il leur faut même faire un choix entre les femmes, les enfants et les pandas. En voyage au Ceylan (Sri Lanka), Emmanuelle Gunaratne a reçu une vraie leçon de vie. Elle y a fait la rencontre d’un chauffeur de taxi qui offrait gratuitement à partir de 20 heures aux malades la course vers l’hôpital de la petite ville dans laquelle il vivait.

Ceux qui sont restés chez eux n’ont pas moins d’histoires intéressantes à raconter. La Libanaise Rima Moubayed dans un texte très poétique demande à Tripoli, sa ville, de se rappeler de son glorieux passé et de sortir de cette torpeur dans laquelle elle semble se plaire. Sylvain J. raconte dans de petits textes sa ville Marseille. Abdoudramane Koné explore Abidjan, où les « gbès sont mieux que Dra » et nous ressort le lexique amoureux de la Côte d’Ivoire. Carole Ricco a profité des dernières élections législatives à l’Île Maurice pour présenter les charmes de Curepipe, une ville aux antipodes des décors de carte postale dont on affuble souvent son pays. Un toubib de Dakar a pris le temps de raconter les perles de ses étudiants en médecine. Wonk, avec un plaisir quelque peu perfide, relate comment il a réussi à faire capoter les stratagèmes pourtant bien élaborés d’une mendiante dans le RER parisien. A travers les volutes formées par la fumée d’une cigarette, Cunisie a découvert que les gynécologues de certains hommes tunisiens servaient des causes très très basses. Em-A nous fait découvrir un bien curieux bar à Ndjamena, la capitale du Tchad, dans lequel on ne sert pas d’alcool. Mieux, il sert de centre de cure de désintoxication.

Eteh Komla Adzimahe, Le Salaud Lumineux, dans un texte très échevelé raconte une soirée beer-to-beer à laquelle il a assisté à Lomé. Dans son billet, il pose tour à tour des questionnements sur la diaspora togolaise, sur les relations hommes-femmes et sur le rôle de Dieu.

Le Petit Ecolier s’essaye dans une analyse sociopolitique de son pays le Cameroun. Il se pose des questions sur cette « paix » tant saluée par les gouvernants alors qu’elle ne repose sur rien de vraiment solide. De son côté, Saka du Congo se sert de la fable du Corbeau et du Renard pour fustiger tous les rapaces de son pays qui passent le plus clair de leur temps à tresser les lauriers du président de la République. Amadeus, sur son blog EcoTunisie essaie de nous faire comprendre la crise de la dette par la parabole à la fois amusante et édifiante des ânes. Yanik a quant à lui trouvé un digne successeur au très regretté Nelson Mandela en la personne de José Mujica, l’actuel président de l’Uruguay. Awa Seydou félicite Malala Yousafzai, la courageuse adolescente pakistanaise qui a été lauréate à seulement 17 ans du prix Nobel de la Paix l’an dernier.

Je ne saurais terminer sans évoquer le blog du caricaturiste Jeff Ikapi, résidant au Gabon. Il croque l’actualité avec talent et agrémente chacune de ses illustrations d’un court texte qui permet à chaque fois de bien les situer. Un autre blog qui vaut le détour est celui d’Orange Man, qui dans ses articles raconte ce que c’est d’être une jeune femme homosexuelle dans un pays d’Afrique noire où ce penchant amoureux est extrêmement mal vu.

C’est tout pour cette (déjà) cinquième mouture de mes Pépites sur Mondoblog. J’ai cette fois voulu mettre en avant des blogs et des blogueurs qui n’ont jamais figuré dans les précédentes Pépites. Les autres blogueurs sont malgré tout toujours actifs et vous pouvez les retrouver sur Mondoblog.

A (re)lire : les Pépites de Mondoblog en 2013, en 2012, en 2011 et en 2010.

Par René Jackson

Image : Marine Fargetton (son blog ici).