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Enfants d'intérêt économique

Père retranché dans la grue

Le Cameroun est loin d’être un pays béni pour l’enfance. Pour le vérifier, c’est tout simple : il faut aller dans la rue. Qu’est ce qu’on y verra ? Il faut au préalable planter le décor : Douala. Mois d’août (donc maintenant). Pluie battante, qui peut tomber pendant plusieurs jours sans s’arrêter (comme maintenant). Vous verrez, à la merci des intempéries et des chauffards qui pullulent sur nos routes, des enfants souvent âgés de seulement six ou sept ans battre le macadam. Un plateau rempli d’arachides, ou d’aubergines, ou de cigarettes, ou encore d’épis de maïs cuit à l’étuvée. Qu’il faut vendre. Ils folâtrent ça et là dans la ville sans parapluie, ni même de vêtements qui pourraient leur permettre de rester au chaud. On dit qu’ils se « débrouillent », parce qu’il faut préparer la rentrée scolaire. Comme si c’était à eux de le faire.

C’est le sort réservé à ceux qui ont échappé à la poubelle ou aux fosses sceptiques. Parce qu’à Douala et plus généralement au Cameroun, les endroits où on retrouve le plus les nouveau-nés après les maternités, ce sont les poubelles et les fosses sceptiques. Où des mères criminelles jettent leur progéniture à peine venue au monde comme un vulgaire déchet. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on en entende parler de ces sordides faits divers. Beaucoup sont retrouvés déjà morts, leur carcasse déchiquetée par les chiens errants ou envahie d’asticots.

On dit en Afrique que l’enfant est une richesse. Ce n’est pas qu’un dicton, ou une phrase qu’on sort tout bêtement pour expliquer nos records en taux de natalité. L’enfant est une richesse est une expression qu’il faut prendre au premier degré. A l’époque de nos parents, l’enfant était d’abord et avant tout une main d’œuvre. La meilleure qui soit puisqu’elle était obéissante – ou docile – et non-rémunérée. L’école n’était pas une obligation et pour les scolarisables, c’était l’époque où l’Etat s’occupait de tout. Les parents s’arrangeaient juste à ce qu’ils aient de quoi manger et le minimum pour se vêtir.

Aujourd’hui, il y a ceux qui envoient leurs enfants se balader un peu partout avec un plateau sur la tête, il y a ceux des libanais qui harcèlent les passants dans tous les carrefours de la ville dans le but d’obtenir une pièce. Ils font partie de la catégorie de ceux qui ramènent de l’argent frais. Il y a les autres, plus chanceux, qui sont scolarisés et bien entretenus, mais sur lesquels les parents fondent les espoirs futurs les plus ambitieux. L’école est un investissement qui sera rentabilisé quand les parents seront dans leurs vieux jours.

Dans les sociétés encore très traditionnelles comme la nôtre, l’enfant joue un rôle de premier plan. Il est le ciment de la famille. Pour beaucoup, il est impensable qu’un couple ne fasse pas d’enfant. Qu’un jeune homme traîne avec une fille pendant six mois et on commence à l’assaillir de questions sur ce bébé qui tarde à venir. La femme en est la première victime car une femme ne peut-être une femme que si elle fait des enfants. Sinon, elle n’est qu’un humain d’apparence qui sera l’objet de tous les quolibets. Donc, l’enfant avant même sa naissance est déjà au service d’intérêts qui dépassent sa pauvre petite personne.

Il y a l’époque des hommes-prisonniers, victimes de véritables guets-apens, méticuleusement fomentés par une femme qu’ils avaient commis l’erreur de traîner dans leur lit un soir. Il pensait être en train de se payer du bon temps pendant quelques heures, alors que sans le savoir, un piège invisible se refermait sur lui.

Mis devant le fait accompli d’une grossesse qui ne faisait pas partie de ses plans, il a le choix entre deux éventualités.

Primo, il peut faire celui qui ne se sent pas du tout responsable de la situation. Et là soit il fond dans la nature, soit on assiste à une scène comme celle que j’ai vécu chez mon voisin il y a quelques années.

Sa fille avait conçu d’un jeune homme du quartier. Le voisin a convoqué le petit malotru qui refusait de se manifester. Il est venu. Il a écouté le père raconter sa vie. Puis il a pris la parole. Et ses mots ont été durs. Il a commencé par préciser l’entente de départ qu’il y avait entre la fille et lui : pas d’enfant. Puisqu’elle était enceinte, c’était à elle seule de s’interroger sur ce qu’elle ferait. Parce que lui il n’avait rien à y voir. Et il a pris l’assistance à témoin : si la fille ou un autre membre de sa famille osait encore se pointer devant sa porte, il ne répondrait plus de ses actes. Sur ces mots, il est rentré chez lui. Laissant tout le monde pantois.

Deuxio, le coupable se sent responsable et accepte de prendre la future mère chez lui. Pour s’occuper d’elle et du bébé, avec la perspective d’éventuelles épousailles. C’est ce qu’on appelle chez nous goûter le mariage, ce que d’autres nommeront concubinage. Ou alors, ayant greffé dans sa tête que ce ne sera jamais rien de plus qu’une aventure d’un soir, mais ayant tout de même envie d’assumer son devoir parental, il reconnaît l’enfant.

Et cette dernière hypothèse est celle sur laquelle de nombreuses femmes (et leur famille) ont bâti toute leur stratégie.

Il y a quelques mois, sur un réseau social, un ami a lancé un cri du cœur : il avait fait un enfant avec une fille. Il s’en occupait car il donnait une ration hebdomadaire à la mère du petit. Mais chaque fois qu’il allait chez la fille pour avoir l’enfant, même pour un petit week-end, il essuyait le refus catégorique de sa « belle-famille ». Quelqu’un lui demanda combien il donnait comme argent. Il a sorti une somme vraiment conséquente. La même personne lui a demandé de couper les vivres et de ne plus réclamer l’enfant. Il avait bien évidemment émis des réserves, car la famille de la fille étant pauvre, l’enfant risquait d’en pâtir. Mais il avait suivi le conseil. Deux mois après, il pavoisait. Il avait reçu un coup de fil à son lieu de service. On lui annonçait qu’à son retour le soir, il trouverait son fils chez son voisin avec toutes ses affaires.

Il y a des femmes à Douala, qui font des enfants apparemment de façon incontrôlée. Elles en ont cinq ou six, qui n’ont en commun que l’utérus duquel ils ont été expulsés. La plupart du temps, cela procède d’un plan. Les enfants sont un fonds de commerce, un objet de chantage. Six ou sept enfants sont autant de sources de revenus. Chacun des pères « paie » la mère pour qu’elle s’occupe de son rejeton. Le marmot qui a le malheur d’avoir le géniteur qui a fui ou qui est radin est le vilain petit canard de la portée. La mère elle n’a plus aucune raison de chercher un travail car elle vit tous frais payés et peut continuer sa vie de petite vertu. Si l’un des papas, consciencieux, voit la situation précaire dans laquelle son enfant est élevé et craint pour son avenir, il se verra opposer une fin de non recevoir de la mère et de sa famille, dont les intérêts sont aussi en jeu. Il ne faut pas plaindre certains grands-parents parce que vous les voyez assaillis par des dizaines de bambins. Chaque tête représente une petite fortune qui tombe à la fin de chaque mois.

On a assisté au début de l’année au spectacle de ce père désespéré qui s’est retranché au sommet d’une grue à Nantes en France, parce que la justice lui avait refusé le droit de garde sur son fils (photo). Beaucoup de pères camerounais vivent la même situation. La différence chez nous étant que la justice n’est pas souvent concernée. Les enfants sont proprement pris en otage par leur mère et la famille de celle-ci, pour rien d’autre que des enjeux pécuniaires.

L’intérêt même de l’enfant est une préoccupation secondaire. La conséquence étant ces bambins qui se retrouvent à vendre des arachides sous la pluie, à s’agripper au moindre passant pour une pièce, qui vont et viennent sans but, qu’on enlève, qu’on viole, qu’on assassine, qu’on mutile. Et pour ceux qui réussissent à passer entre les gouttes, ils deviennent ces fameux nanga-bokos qui hantent certaines rues de la ville. Lesquels pour gagner leur pitance, agressent à tout va.

 

Par René Jackson                                                                 

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ntrjack

Commentaires

Ouz
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Ce en sont pas les enfants des libanais (à moins qu'il s'agisse d'un sobriquet au Cameroun) qui sont la la rue à réclamer une piécette. Ce sont des touaregs.

Lit enfant
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Vraiment tres interessant votre blog. Merci.