
Il y a quelques temps, je discutais avec un ami. Un ami qui avait longtemps vécu en France. De retour au pays pour s’y établir, il semblait étonné d’apprendre que de jeunes camerounaises vendaient leurs charmes pour pouvoir payer leurs études. Le problème est que, la prostitution étant le plus vieux métier du monde, il a eu le temps de se disséminer partout. Le phénomène existe donc aussi dans le pays où il avait vécu. En France. Comment je le sais ? J’ai vu un film – ma foi assez cru – dans lequel il se racontait la vie d’une jeune femme qui s’est retrouvée plongée dans la prostitution pour pouvoir payer ses études. On y apprend entre autres qu’en 2006, deux cent vingt cinq mille étudiants y auraient eu des difficultés à payer leurs études. Et ça c’était avant la crise. Comme quoi, ce n’est pas seulement sous nos latitudes que les étudiantes donnent de leur personne afin d’obtenir leurs diplômes.
J’ai dit prostitution ? Euh… Non. On pourrait plutôt appeler ça un échange de bons procédés. La vie est dure. Je n’apprends rien à personne en disant cela. Donc, il faut se battre.
L’étudiante camerounaise se retrouve dans une situation très difficile. Elle a obtenu son baccalauréat. Elle a envie de continuer ses études universitaires parce qu’on lui a dit qu’en fait, le bac c’est le commencement de tout. Tout le monde est content pour elle. Mais problème : c’est une fille. On trouve qu’elle en a déjà fait assez, parce qu’elle vit dans une société où une fille qui a fait de hautes études n’est pas différente d’un jihadiste qui dispose du code nucléaire des Etats-Unis d’Amérique. C’est un danger. Elle ne trouvera pas sa place. Elle mourra vieille fille.
Ses parents et sa famille sombrent dans le désespoir quand elle parle de faire un doctorat. Aucun homme normalement constitué ne peut accepter de prendre pour épouse un Docteur. A moins qu’il n’ait obtenu l’agrégation. Mais ils sont combien, les agrégés ? Cette fille sera la honte de sa famille. Soit elle ne trouvera jamais chaussure à son pied, soit elle en trouvera une qui très vite serrera son joli pied. Et elle ira demander le divorce. Oui, parce qu’à force de pousser dans es études, elle finira fatalement par se rendre compte qu’elle peut divorcer. Non, une femme instruite est un danger, un assassin pour la virilité. La communauté ne la casera que très difficilement.
Mais elle est en même temps un espoir. Ne dit-on pas que lorsqu’on éduque un homme, on éduque un être et qu’à contrario, lorsqu’on éduque une femme, on éduque un peuple ? La fille éduquée sera celle qui sera aux petits soins pour sa mère fatiguée, pour son père ivrogne et pour sa tripotée de frères tous plus imbéciles les uns que les autres. Elle sera certes moins encline à fermer les yeux sur les infidélités de son homme, mais sera celle qui tiendra son foyer d’une main de fer et dirigera ses ouailles dans la bonne direction.
Il lui faut des diplômes. Elle s’est inscrite à l’université de Douala (mon université préférée). Et là, elle voit les feux de l’enfer. Elle se rend compte de l’énormité de tout ce qu’il faut dépenser en transports et en polycopiés. On le rappelle, la mère est fatiguée et le père ivrogne. Les oncles et les tantes lui donnent un conseil avisé : « marie-toi, petite. Très vite. Trouve-toi un homme riche et aide ta famille à sortir de la misère ». Ca c’est pour justifier leur refus de donner le moindre kopek pour ses études.
La petite étudiante est perdue. Elle a des envies d’abandon. Mais elle voit tellement de jolies filles pour qui tout roule. Belles. Pimpantes. Et bouffant des trucs hors de prix. Elle devient leur amie. Et là, elles tentent de lui inoculer le virus.
« Ma sœur, tu vois comme nous sommes belles là, ce n’est pas pour rien. On se fait gérer. »
Ah non ! Elle ne fera jamais ça ! Sa famille était chrétienne et tous les dimanches à l’église, on disait que ce n’était pas des choses à faire. Oui, mais c’était au village, ça. On pouvait déterrer quelque tubercule quand on avait faim. Ça ne manquait pas, les tubercules, au village. Ils n’appartenaient qu’à celui qui voulait se donner la peine de les déterrer. Sauf que là, on est à Douala. Et les tubercules, ici, on les trouve dans les restaurants et ils ne sont absolument pas gratuits. Elle retrouve les bras de son petit ami, fauché comme les blés, tout juste bon à lui dire des je t’aime pour faire tomber ses défenses. Afin qu’elle lui offre des parties carrées inabouties. Mais elle l’aime. Et donc elle espère et supporte.
Ce n’est pas possible ! Ça fait presque deux jours qu’elle n’a rien avalé. Elle repense à ses frères au village. On a dit tout ce qu’on a dit à l’église du village, mais ça n’empêche pas qu’ils aient quelque chose à voir avec la multiplication incontrôlée des marmots dans leur hameau depuis qu’ils ont atteint l’âge de procréer. Et il y a ces amies, toujours plus belles et plus pimpantes, qui ne cessent de lui demander de faire comme elles.
Elle était d’ailleurs chez l’une d’elles un soir. La belle et pimpante était sous la douche. Elle se préparait pour un rendez-vous galant. Son téléphone a sonné. Notre petite curieuse affamée jette un œil. Appel manqué de BAILLEUR.
« Ma copine, quand tu étais sous la douche, ton bailleur a appelé.
–Aka* ! Qu’est ce qu’il me veut encore, celui-là ?
-Tu n’as pas payé le loyer le mois dernier ou quoi ?
-Chérie, moi, payer le loyer ? Jamais de la vie ! C’est mon bailleur. On se gère.
-Vous vous gérez… ?
-C’est l’un des mes gars non ? On se gère et je ne paie pas le loyer.
-Ah bon ?
-Oui, ma copine. Et le jour où il me tente, j’ai le numéro de sa femme. Attends, je te montre quelque chose ».
La pimpante ouvre le répertoire de son téléphone.
« Tu vois, ici c’est LOYER : il me donne l’argent de mon loyer toutes les fins de mois. Et comme je ne paie pas le loyer pour les raisons que tu sais, ça va dans ma poche. Là c’est FRIGO : lui me remplit mon réfrigérateur. AKWA PALACE : celui-ci, il aime seulement m’emmener passer les nuits à l’hôtel Akwa Palace. MOUGOU c’est un idiot là qui croit qu’il va m’avoir. Celui-là, je mange bien son argent. Il n’aura jamais rien. Pour CREDIT, il suffit que je le bipe et il m’envoie des unités dans mon téléphone dans le quart d’heure qui suit. ANNIV c’est un vieux là, j’avais inventé une histoire d’anniversaire pour qu’il m’emmène passer un week-end à Limbé. Je ne te dis pas, ma copine. Le père là était vieux, mais il répondait comme les petits gars qui sont à la fac là. J’avais vu de toutes les couleurs, je te jure !
-Mais, avec tous les hommes que tu gères là, tu arrives à t’en sortir avec les cours, les devoirs et tout ça ?
-On se débrouille non ! Moi j’essaie quand même d’étudier. Même comme mes notes sont toujours aussi faibles. J’ai mon autre copine qui marche souvent avec moi là. Elle se fait gérer par nos profs.
-…
-Qu’est ce qui te surprend ? Tu crois qu’elle a fait comment pour valider toutes ses UV en première année ? Est-ce que tu la voyais souvent au cours ? Elle allait ramasser ses mentions ‘très bien’ dans le lit des enseignants. Tu as déjà entendu parler des NST au moins ?
-Les NST ? C’est quoi ça ?
-La fille-ci, tu peux être ndjouksa* hein ! Les Notes Sexuellement Transmissibles. Tu couches avec un prof pour qu’il te donne une bonne note à son UV et qu’il plaide ta cause auprès de ses collègues. Si tu as trois coups comme ça, tu vas jusqu’au Master sans taper ton corps ».
L’étudiante regarde ses amies croquer la vie à pleines dents. Tout ce bling-bling l’attire furieusement. Elle est consciente des risques. Elle aime un garçon, un camarade de classe. Mais est-ce qu’on vit d’amour et d’eau fraîche ? Elle n’a rien, il n’a rien. Pourtant l’avenir s’éclaircirait bien vite parce que les filles lui ont dit que dès qu’elle le souhaiterait, elles lui présenteraient un ou deux hommes qui pourraient s’intéresser à elle. Elles lui ont fait comprendre que si elle donnait juste un peu de sa personne, elle serait à l’abri du besoin.
« Ton amoureux t’embrouille l’esprit. Mais il n’est pas un problème. Tu peux jouer comme moi. Tu vois le gars qui est en troisième année, qui marche toujours derrière moi non ? Eh ben, c’est mon bon gars. Mon titulaire. C’est lui que je ya mô*. Je meurs pour lui. Toutefois je lui ai expliqué que la vie était un peu difficile pour nous deux et il accepte de me voir souvent monter dans les grosses voitures à la sortie des cours. De toutes les façons, même si ça le dérange, il ne se gêne pas pour venir se servir comme il veut dans mon frigo. Il m’aime. Et quand on aime, on comprend ».
Ou on se fait entretenir par une tapineuse. L’étudiante espère que son amoureux sera aussi conciliant si elle décide de devenir une accompagnatrice de luxe. Mais elle doute. L’histoire de cette autre fille qui a rencontré un homme qui lui a fait subir toutes sortes de cruautés l’autre soir dans une auberge, au point où elle en est morte, n’a pas encore fini de faire des remous au sein du campus.
Par René Jackson
*Aka ! : expression d’agacement
*Ndjouksa : personne idiote, un peu arriérée
*Ya mô : être amoureux (se)
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