René Nkowa

Non, ce n’est pas la faute à la France!

Quand on veut parler de politique, on nous répond que nous sommes trop jeunes, qu’on n’a pas encore tous les outils pour comprendre comment tourne le monde, surtout celui de la politique. J’ai beau arguer que je fais des études supérieures en Droit et Politique, on me répond invariablement que ce qu’on nous apprend sur les bancs et ce qui se passe dans la réalité sont deux choses aux antipodes l’une de l’autre. N’empêche. Muni de mon modeste outillage, de ma très petite expérience de la vie, j’ai observé, réfléchi et j’en suis arrivé à des conclusions. Certains me diront peut-être idéaliste, je leur répondrai simplement que ce sont les idéalistes qui font avancer le monde.

On accuse la France (et dans une certaine autre mesure les Etats-Unis, l’Angleterre, La Belgique et l’Espagne et d’autres) d’être à l’origine de tous les maux dont souffre l’Afrique. Ceux qui le disent ont quelque part raison, car ces Etats ont quand même ourdi quelques coups foireux en Afrique (je pense notamment à Patrice Emery Lumumba, froidement assassiné sous l’ordre de la CIA. J’y reviendrai). Mais la position que j’adopte au sujet de la responsabilité ou non de ces gens est claire: ce ne sont pas les occidentaux qui sont (tous les seuls) responsables du gâchis africain. Le problème principal de l’Afrique à mon sens, ce sont les africains eux-mêmes. Telle est ma thèse. Et j’ai des arguments pour la soutenir.

On nous a tout d’abord dit: « la traite négrière a été une véritable catastrophe pour la continent, emportant au loin tant de bras, des bras qui auraient pu être utiles au développement de notre continent et qui sont  par contre allés enrichir le Blanc ». Mouais… Mais le commerce triangulaire a été aboli il y a plus de trois cents années. Ce qui veut dire qu’on a largement eu le temps de compenser ces pertes et on ne peut pas accuser cette traite d’être directement responsable de la situation actuelle. Et autre chose, ce ne sont pas les Blancs qui allaient dans l’hinterland chercher leurs futurs esclaves. Ils restaient sur les côtes et les autochtones crédules allaient capturer leurs propres frères pour les échanger contre quelques pincées de sel ou un morceau d’étoffe. Au Cameroun, le Roi Njoya du peuple Bamoun en avait fait l’une de ses activités. Malheureusement, cette facette de sa personnalité a quelque peu été occultée car dans nos livres d’histoire, il apparaît plutôt comme un inventeur d’écriture…

Ensuite on a accusé les colons d’être venus effectuer un pillage méthodique des richesses africaines, avilissant au passage une population locale vite dépassée. On a célébré en 2010 les cinquantenaires des indépendances des pays africains. Cette autre théorie, à mon avis, ne tient pas plus que l’autre. Cinquante années. C’est long cinquante ans, on peut en faire des choses, en cinquante ans. On peut citer à loisir les exemples de pays qui en quelques décennies sont partis des ruines pour devenir aujourd’hui des joyaux économiques.

Enfin, on nous parle aujourd’hui de néo-colonialisme. On veut nous faire comprendre que les mêmes Blancs utilisent maintenant des stratagèmes politiques et économiques pour soumettre les africains à leur dictat.

Un dicton dit chez nous : « c’est la banane qui avait accepté qu’on la mange toute crue. Allez un peu tenter le macabo et vous m’en direz des nouvelles » (pour ceux qui ne le savent pas, le macabo – qui est un féculent – mangé cru, provoque d’affreuses démangeaisons dans la bouche). De ce fait, si l’Afrique est devenue le souffre-douleur de la planète, elle ne peut s’en prendre qu’à ses propres fils. Ma mère, qui m’a inspiré ce billet, dernièrement en écoutant à la radio les arguments pathétiques du clan Gbagbo en Côte d’Ivoire, rétorqua: « Qu’est ce que ces gens-là racontent? Quand les jeunes prennent les charters pour aller vendre leurs voix et bourrer les urnes lors des élections ici, sont-ce les français qui les envoient? »

La Côte d’Ivoire est engagée dans une cabale anti-française, orchestrée de main de maître par Monsieur Laurent Gbagbo qui s’accroche au pouvoir et qui laisse en pâture à une population qui ne sait plus à quel saint se vouer les intérêts français en Côte d’Ivoire. Ouvrons les yeux: ce pays, même à moyen terme, est obligé de composer avec la France. Monsieur Gbagbo le sait mieux que quiconque. L’économie de ce pays est largement tributaire des entreprises françaises installées en Côte d’Ivoire et qui emploient des ivoiriens. Et les liens qu’entretient Monsieur Gbagbo avec la France sont bien plus étroits qu’il ne veut le faire croire: persécuté par le régime de Houphouët Boigny, où est-ce qu’il séjourne pendant son exil? En France. Ses amitiés dans les hautes sphères politiques françaises sont connues. Il se dit même qu’il est un éminent franc-maçon, une loge tout aussi éminemment française. Il y a quelques jours, pour se défendre, il engage deux avocats… français. L’un des deux étant réputé dans son propre pays comme défendant souvent des causes très peu glorieuses.

La vérité sur la situation africaine est simple: nos dirigeants en cherchant à avoir encore plus de pouvoir, se sont mis dans des situations qui font qu’ils se retrouvent le dos au mur, obligés de tout accepter pour sauver leur peau. Le deal qui leur est souvent proposé est celui-ci: « On t’aide à tenir le pouvoir et tu nous laisses faire nos petites affaires tranquillement ». Ce qui explique des paradoxes comme celui de la République Démocratique du Congo : le pays est insolemment riche en ressources naturelles, mais aussi honteusement pauvre sur le plan économique. Ses voisins (Angola, Ouganda, Rwanda) profitent allègrement de ces ressources pendant que le peuple congolais croupit dans la misère. Tout ceci parce qu’un homme cupide (Mobutu) a accepté d’exécuter un authentique patriote (Lumumba évoqué plus haut), fomenté un coup d’Etat et a tenu d’une main de fer pendant des décennies tout un peuple, l’abrutissant en lui faisant chanter ses louanges, tout en transférant des millions de dollars dans ses comptes quelque part en Europe, ceci en fermant les yeux sur ce qui se passait avec les minerais de son pays qu’il a laissé aux occidentaux le droit de gérer comme bon le leur semblait.

On a accusé le Quai d’Orsay d’être à l’origine de la tentative de meurtre sur Moussa Dadis Camara. Mais à qui appartenait la main qui a tiré sur lui ? Pas à un quelconque agent français, mais à son propre aide de camp ! Si les services français l’avaient engagé pour accomplir cette sale besogne, il demeurait en fin de compte le seul juge de l’acte qu’il allait commettre. Serait-ce la meilleure chose pour son pays ou en tirerait-t-il juste un avantage personnel ? Et ma foi, cela a été un acte salutaire, parce que aujourd’hui, on a un Chef d’Etat élu, civil de surcroît, en Guinée Conakry. Rien ne dit ce qui serait arrivé si ce mégalomane était resté à la tête de ce pays seulement quelques jours de plus.

Qu’on arrête de rejeter la responsabilité de nos malheurs sur les occidentaux. C’est tout à la fois lâche et déshonorant. Chacun se bat pour ses intérêts, c’est de bonne guerre. Quitte à raconter des chimères à son interlocuteur. Si celui-ci y croit, c’est encore mieux. Le problème est que lorsque le chinois ou le japonais ou même le russe vient négocier des contrats qui permettront à leurs entreprises de s’implanter chez nous, au lieu de réfléchir à ce que cela pourra apporter à nos économies, nous réfléchissons plutôt à ce qui ira dans nos comptes en banque personnels et nous sommes prêts à leur accorder des exonérations fiscales ou douanières du moment où nous avons nos dessous de table.

L’idée n’est pas de bouter dehors tout ce qui est ‘impérialiste’ d’un coup comme le préconise Monsieur Gbagbo. Beaucoup s’y sont aventuré et l’ont chèrement payé. Le cas le plus récent est celui du Zimbabwe où Monsieur Robert Mugabé, pour se maintenir au pouvoir, a joué sur la corde nationaliste, en enlevant toutes les fermes aux Blancs pour les remettre aux Noirs, qui ne savaient malheureusement pas comment les administrer. Le pays qui était le grenier officiel de l’Afrique australe est du jour au lendemain devenu celui de l’extrême pauvreté, où une seule baguette de pain s’achète à plusieurs millions de dollars locaux ! On peut procéder autrement, en posant des conditions inébranlables lors des négociations et qui vont dans le sens du bien être des populations, comme par exemple en exigeant des transferts de technologies comme d’autres le font.

Ce plaidoyer s’adresse tout autant aux gouvernants de nos pays qu’à nous-mêmes, citoyens. C’est vrai que c’est un peu difficile à digérer de savoir que les impôts que nous payons sont détournés, que la redevance audio-visuelle qui nous est extorquée va aider à préparer la soupe fade, insipide et propagandiste qu’on nous sert chaque jour dans nos chaînes de télévision étatiques. Malgré cela, oeuvrons chacun à notre niveau à rendre nos vies meilleures. En jetant par exemple les ordures dans les bacs prévus à cet effet et non à même le sol, près desdits bacs. Vous n’y pensez pas, mais c’est un début…

Pour conclure, je dirai que ma conviction est que le changement en Afrique ne proviendra ni de Bretton Woods, ni de L’Elysée, ni de la Maison Blanche, ni même du Kremlin ou de l’Empire du milieu. Nous, africains, sommes seuls responsables de l’Afrique et de son devenir. Cessons d’accuser les autres de nos malheurs et prenons nos responsabilités en mains.

Par René Jackson

Source image: kobason.spaces.live.com


Mondoblog en 2010: mes pépites!

MondoblogUne année s’achève et pour beaucoup, c’est le moment de faire le bilan, de s’ouvrir des perspectives. Cette année, je me suis lancé dans une aventure fort passionnante, qui est celle du blogging, que j’ai découverte par  Mondoblog qui est une plateforme de lancée par Radio France International (et animée par l’Atelier des Médias) qui accueille de jeunes blogueurs francophones de tous les coins du monde. Ils proviennent de la France, du Congo, du Cameroun, de la Russie, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, d’Allemagne, de Madagascar et même du lointain Pérou. Participer à un périple pareil est gratifiant car il permet non seulement de découvrir des réalités d’ailleurs, mais aussi de raconter les siennes et par-dessus tout de se faire des amis. L’une de mes activités préférées a été celle de lire les billets déposés par les blogueurs et je me suis amusé à faire un article pour raconter ce qui pour moi a été le meilleur de Mondoblog en 2010. Cette sélection n’a pas été évidente à réaliser, car les billets sont plus beaux, plus poignants, plus pertinents et plus révélateurs les uns que les autres (ceci peut-être en raison de l’atmosphère de compétition qui les entoure, chacun donnant le meilleur de lui-même).

Je n’ai pas de favori, mais je donne la primeur à un billet en particulier, pour la  raison que c’est le premier que j’ai lu sur Mondoblog. J’étais d’abord surpris de voir un blogueur (ou blogueuse) francophone provenant du Pérou. Curieux, j’ai voulu savoir ce que ça donnait et je suis tombé sur un texte magnifique d’Enamorate, dont l’intitulé disait tout : « Comment un tout petit appendice révèle l’état des hôpitaux péruviens ».

Il y eu de tout sur Mondoblog durant ces trois petits mois.

Il y a eu du sourire, avec cette photo sur le blog de Boubakari Ouédraogo : celle d’un âne qui se faisait transporter dans une charrette par son maître. Une situation inversée totalement insolite, d’autant plus que l’homme qui poussait son âne dans cette charrette le faisait avec le sourire aux lèvres !  L’autre petit comique devant l’éternel, mon cher David Kpelly qui en plus de raconter des histoires cocasses, manie la langue d’une façon fort plaisante et assez technique qui octroie à ses textes un magnétisme tel qu’ils ne vous lâchent pas tant que la lecture n’est pas terminée. Deux de ses articles m’ont marqué : Les filles UEMOA (les nanas qui ont plusieurs amants, chacun ressortissant d’un pays de l’Afrique de l’Ouest) et Cocu nickel (ou l’histoire d’un jeune homme qui se voit obligé d’entretenir des relations sexuelles bizarres avec une femme sous les injonctions du mari de celle-ci). L’autre pilote de la langue française, j’ai nommé Florian Ngimbis, m’a scotché avec son article lié à la téléphonie mobile. En lisant son texte, je me suis retrouvé plongé dans la prose si chère aux auteurs de mes classes de collège tels que Birago Diop, Sevérin-Cécile Abéga, Cheick Anta Diop ou encore Aimé Césaire. Il a produit un autre concernant les relations souvent délétères qu’entretiennent RFI et plusieurs chancelleries africaines. Ce qui se manifeste par les suspensions d’antennes auxquelles nous assistons souvent dans nos pays et les discours effarouchés de nos gouvernants à l’encontre de cette chaîne de radio.

Les blogueurs évoquent aussi des épisodes moins roses. Ainsi, Manon, la très douée mondoblogueuse de Berlin qui, je ne comprends toujours pas pourquoi, s’échine à dépeindre un tableau peu reluisant de la France, patrie dont elle est originaire. Elle porte le coup de grâce à Paris (réputée comme étant la ville des amoureux et étant celle qui pourtant alimente nos rêves) en démontrant que là-bas, l’amour ne fait plus recette. Shilo MM, un jeune blogueur congolais vivant en Russie dénonce la violence raciste et xénophobe dont sont victimes les africains qui vivent dans ce pays-là et accuse les autorités, car aucun auteur de ces crimes n’a jamais été condamné. Evoluant dans une atmosphère d’insécurité latente, il dit qu’ils vivent à Moscou chaque jour comme s’il était le dernier.

L’actualité récente de la Côte d’Ivoire a été largement traitée sur la plateforme, notamment par Suy Kahofi qui relate au jour le jour l’évolution de la situation de l’intérieur, car bloguant depuis Abidjan. Mais ce qui a été à mes yeux le meilleur post sur la crise ivoirienne a pour titre Les preneurs d’otages de René Jackson. Il pousse un véritable cri du cœur pour que l’attitude des africains vis-à-vis des élections évolue vers plus de démocratie, il fustige les hommes politiques et leur demande de penser tout d’abord aux peuples dont ils réclament le suffrage avant de penser à eux-mêmes. Il publie un autre article poignant sur le phénomène de justice populaire qui a cours à Douala, la ville dans laquelle il vit.

En octobre, les animateurs de Mondoblog ont demandé aux blogueurs de travailler sur le sujet précis de la place qu téléphone portable dans nos sociétés. Ce qui a inspiré des billets remarquables tels que celui de Ngimbis, mentionné plus haut, de Francoperen qui explique qu’à Douala, posséder un téléphone de dernière génération assure les succès féminins et de Salma qui souligne que l’avènement du langage SMS a multiplié les lacunes déjà criardes des jeunes dans l’orthographe des mots de la langue française.

Dans le rayon nostalgie, j’ai effectué un bond dans l’enfance en parcourant cet article de Ariniaina. A cette époque, tout enfants que nous étions, nous fabriquions nous-mêmes nos jouets. Je me rappelle encore avec un sourire en coin nos voiturettes en raphia, ou nos semi-remorques en branches de palmiers et avec des boîtes de sardines ou d’eau minérale.

Je terminerai ce billet en adressant une mention spéciale à un blog : celui de Tiyon, intitulé Regards d’une Go du Camer(oun, ndlr). En effet, c’est le seul sur la plateforme qui est entièrement dédié à la femme et je ne peux que l’encourager. Il est d’ailleurs doté d’un article intéressant sur Joëlle Ebongue, une dessinatrice camerounaise. Le seul regret est que la mise à jour de ce blog est très irrégulière.

Ma sélection est ainsi terminée. Sur ce je vous souhaite à vous chers confrères mondoblogueurs, à vous chers animateurs de la plateforme ( Ziad, Cédric, Simon…) et à vous aussi chers internautes, tous mes vœux les meilleurs pour l’année 2011. N’hésitez surtout pas à dire ce qui pour vous a été le meilleur sur Mondoblog en 2010 !

Par René Jackson


Les motos à Douala: providence ou calamité?

Les motos à Douala, c’est une véritable histoire! On parle ici du plus important phénomène sociétal dans la plus grande agglomération du Cameroun. Elles (ces motos) sont en effet la première chose que le visiteur remarque en arrivant en ville (en dehors des débits de boisson à profusion, de la poussière, de la chaleur, du désordre et de la saleté) à cause de leur nombre. On les appelle ici communément les « Bend skin » ou « Bénam » et leurs pilotes les « bend-skinneurs ».

La crise économique qui a débuté à la fin des années 1980 a frappé le Cameroun de plein fouet. Couplée à la mise sous ajustement structurel et à la dévaluation du Franc CFA, elle a entraîné des conséquences désastreuses pour la conjoncture économie du pays et pour la population. Beaucoup de gens manquaient de travail, car de nombreuses entreprises durent fermer. Notamment la SOTUC (Société des Transports Urbains du Cameroun). Cette entreprise qui avait la charge des transports urbains dans les deux principales villes du pays, Yaoundé et Douala, a mis la clé sous le paillasson en 1993. Il s’est alors posé un véritable problème urbain et la nature ayant horreur du vide, une nouvelle activité vit le jour: le moto-taxi. Les termes « Bend Skin » ou « Bénam » ont été adoptés pour désigner ces engins parce qu’au moment de l’émergence de l’activité, le Bend-skin était le rythme musical à la mode au Cameroun. Ces motos ont commencé peu à peu à peupler nos rues et avec l’arrivée des motos d’origine chinoise, elles ont accentué leur hégémonie sur la ville et même au delà. A Douala seulement, on estime leur nombre à plus de cent cinquante mille sur une population de près de trois millions d’âmes.

Leur utilité ne fait plus de doute. Les motos ont fait plus qu’occuper le terrain laissé par la SOTUC. Elles sont devenues tout simplement incontournables pour l’habitant de Douala commun. Elles sont disponibles à toute heure du jour et de la nuit, vous amènent partout et sont bien plus rapides que les taxis, surtout aux heures de pointe. Le motos effectuent aussi toutes sortes de travaux, du transport de passagers aux déménagements! Eh oui, à Douala, il y a des gens qui effectuent leur déménagement avec des motos! Parcourez les rues et vous verrez que les motos accomplissent des prouesses qui feraient tomber leurs concepteurs à la renverse!

Monsieur Albert Dzongang, un brillant politicien et faiseur d’opinion camerounais, lors de l’une de ses interventions radio-diffusées,  a réaffirmé l’importance de cette activité: tout d’abord, elle est le plus gros employeur de la ville et surtout, elle représente une véritable soupape d’échappement si on tient compte du contexte économique et social préoccupant dans lequel baigne le pays:

Combien d’entreprises ont été créées au Cameroun depuis vingt ans? En tout cas, pas suffisamment pour employer tous ces jeunes gens. Le gouvernement, lorsqu’il cherche à assainir le secteur, doit considérer le fait que ces jeunes, s’il n’avaient pas ces engins à enfourcher, seraient aujourd’hui des désoeuvrés qui nuiraient à la tranquillité des autres citoyens et mettraient même en danger la stabilité de ce pays.

Pour ses détracteurs, l’activité est le porte-étendard et même la génératrice du désordre urbain qui prévaut à Douala. Ceux-ci ont raison, parce que les bend-skinneurs sont les champions de l’incivisme: ils ne respectent aucune des règles du code de la route. Les feux tricolores, ils les ignorent. Les policiers, ils ne sont même pas au courant de leur existence. Il agissent comme et quand bon leur semble. Ils stationnent n’importe où, conduisent n’importe comment et ont très peu de considération pour les autres usagers de la route.

L’autre chose qu’on leur reproche, ce sont les accidents. On répertorie chaque jour à Douala en moyenne huit à dix accidents mortels impliquant au moins une moto. A l’hôpital Laquintinie de Douala (l’un des deux principaux  établissements de santé de la ville) un pavillon spécialement consacré aux victimes d’accidents de moto a été créé face à l’ampleur de l’hécatombe. Un jour, un conducteur de moto me révélait avec un sourire en coin: « Les fonctionnaires, le matin quand ils vont à leur travail, disent ‘au revoir’ à leur femme. A la mienne, je dis ‘adieu!' » L’élément qu’il faut prendre en compte est que la quasi-totalité des conducteurs de motos ici n’ont suivi aucune formation et ont appris leur métier sur le tas. Une ou deux heures d’apprentissage dans un terrain vague, quelques accidents plus loin et on devient un pro dans le domaine. Une petite anecdote: ma chère mère un jour se rendait au marché. Près de la maison se trouve un terrain de football. Elle a vu un jeune homme de seize ou dix-sept années à qui on apprenait à manœuvrer l’un de ces engins. Le lendemain, elle revoit avec stupeur le même jeune homme s’arrêter à sa hauteur au guidon d’une moto en lançant un: « La mère, on va où? » Beaucoup n’ont qu’une vague idée du code de la route  et n’ont aucune notion de sécurité élémentaire. Ces dernières années, les pouvoirs publics ont lancé plusieurs séries de campagnes visant les conducteurs de motos, qui se sont toutes soldées par un échec cuisant.

Les bend-skinneurs sont en fait de sacrés bonhommes qui se révèlent aussi farouchement têtus. On a ainsi essayé de leur imposer une couleur uniforme pour leurs engins, de leur faire porter des casques, de leur faire suivre une formation à prix réduit, rien n’y a fait. Il sont demeurés totalement réfractaires à ces tentatives des pouvoirs publics qui souhaitaient juste rendre leur travail plus sûr. Ils sont même soutenus dans leur attitude par les populations. Il me souvient ainsi que lorsque le Préfet du département du Wouri (dans lequel est localisé la ville de Douala) a voulu interdire la pratique du « bâchement » (qui signifie qu’un véhicule transporte plus de passagers qu’il n’est autorisé à le faire – par exemple, pour les motos, plus d’une personne en dehors du conducteur), il s’est retrouvé confronté à l’hostilité des citadins qui l’invitaient alors à « venir les descendre des motos ». Le fait est qu’ils sont déjà partie intégrante au paysage urbain de cette ville et qu’ils en sont les principaux animateurs. On assiste souvent à des scènes cocasses. Ce sont par exemple des gens qui aiment les deuils. Quand un cortège funèbre passe près d’un groupe de bend-skinneurs, pendant que certains se mettent à se lamenter en se roulant parfois carrément par terre, les autres démarrent et s’ajoutent au cortège. Et rassurez-vous, ils ne sont liés au défunt ou à sa famille ni de près, ni de loin. Mais ce qui vaut vraiment le détour, c’est d’assister aux obsèques de l’un de leurs collègues. C’est un spectacle garanti!

Les attaques qu’ils subissent de toutes parts ont fait naître au sein de cette « corporation » une solidarité que bien des personnes ici admirent. Ou critiquent. Un dicton dit ici : « Si tu t’attaques à un bend-skinneur, sache que tu as provoqué tous les bend-skinneurs de Douala ». Ceci s’est à maintes reprises vérifié, surtout les deux fois où la ville a été complètement paralysée pendant des jours parce que les conducteurs de moto en avaient coupé l’accès et bloqué tous les carrefours. A chaque fois, c’était en représailles à l’assassinat d’un de leurs collègues par des policiers. A Douala, on ne compte plus les postes de polices, les camions de fourrière et les taxis vandalisés ou brûlés par les conducteurs de motos en furie.

Donc, quant à savoir si ces engins sont un cadeau du ciel ou une malédiction pour notre chère cité, les avis continuent d’être partagés. Ce que moi j’en dis? Sans ces engins, je n’aurais probablement pas effectué toutes les courses que j’ai faites ce jour, même si le dernier était affreusement mal piloté…

Par René Jackson


(In)justice populaire, cela a trop duré!

Ce matin, une fois de plus, une fois de trop, j’ai allumé mon poste de radio. Ce matin, une fois de plus, j’ai appris en modulation de fréquence qu’un individu a été appréhendé par la population, la main dans le sac, commettant un acte très peu  glorieux. Une fois de plus, ce matin, la voix de mon transistor m’a dit que la foule en furie l’a exécuté séance tenante!

Ne vous méprenez pas, la population de ma chère ville n’est pas retournée à l’époque des westerns où l’on pendait des gens haut et court. Le commentateur de la chaîne de radio que j’écoutais a appelé cela la justice populaire. Mais à bien y regarder, il s’agit plutôt d’une injustice. Et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comment en est-on arrivé là? Le phénomène de justice populaire a émergé à Douala au milieu des années 1990. La ville ayant pris le parti de pencher du côté des opposants au pouvoir en place, a,  à titre de représailles, été abandonnée à elle-même par ledit pouvoir et les hors-la-loi en ont alors  fait un vaste terrain de jeu, opérant à toute heure du jour et de la nuit. Ils ne se contentaient malheureusement pas seulement d’emporter les biens des pauvres gens qu’ils cambriolaient, mais procédaient à des tabassages, des tortures, des viols et aussi à des assassinats. Les forces de l’ordre dans tout ça? Quand vous les appeliez, soit ils vous disaient que « les véhicules n’ont pas de carburant », soit c’était: « Euh, Monsieur, nous ne sommes pas faits de métal, car les armes qui produisent les coups de feu qu’on entend en fond sonore là, elles peuvent aussi nous tuer hein! » En quelques mots, chacun devait se démerder. En plus de cela, les rares malfrats sur lesquels on parvenait à mettre la main se retrouvaient libres dans les jours qui suivaient et appliquaient méthodiquement leur vengeance sur des populations de plus en plus terrorisées. Face à cet état de fait, les habitants de la cité, excédés, ont décidé qu’ils n’appelleraient plus la police, mais plutôt les pompiers!

A partir de là, les individus pris la main dans le sac étaient jugés séance tenante et la sentence rendue immédiatement exécutoire. De façon systématique, le malheureux était condamné à la potence. On procédait alors à la mise à mort soit par une lapidation en bonne et due forme, soit par l’immolation (avec l’aide de vieux pneus passés autour du corps de la victime et d’un peu d’essence), soit par injection en intraveineuse d’une solution d’eau et de lait ou simplement d’essence. C’était la mort assurée. Celui de ce matin a été tabassé jusqu’à ce que mort s’en suive.

Cette pratique est une injustice parce que les populations n’obtiennent pas des pouvoirs publics que les délinquants paient pour leurs actes, ceci à cause de la corruption endémique. Elle est une injustice car les populations ne doivent pas se faire justice elle-mêmes. Elle est enfin une injustice parce que beaucoup ont subi ce funeste sort en toute innocence. Ainsi, il suffisait que quelqu’un crie: « Au voleur » en se mettant aux trousses d’un individu pour que le sort de ce dernier en soit scellé, même s’il n’avait rien fait!

Les policiers qui naguère regardaient tout cela d’un oeil narquois, interviennent maintenant. Ainsi, bienheureux est le bandit qui, dans sa souffrance, entend le hululement d’un car de police. Car ironiquement, ce sont les policiers qui viennent sortir les gangsters des griffes des populations en furie! Il faut dire que ce n’est pas souvent le cas, comme ce matin…

Chacun doit prendre ses responsabilités, car nous, citoyens de la ville, sommes fatigués de voir le paysage urbain ainsi souillé! Je me souviens d’un soir où ma mère est revenue toute bouleversée de son travail. Le matin, elle avait vu deux corps sur son chemin et le soir, elle a croisé une foule remontée. Quand elle a cherché à savoir ce qui se passait, un homme lui a répondu: « On l’a surpris en train de voler et on va le tuer ». Les pouvoirs publics doivent trouver des solutions qui donneront satisfaction aux requêtes de la population. Sans oublier que les personnes qui se livrent à ce rituel ne sont rien d’autre que des meurtriers qui méritent d’être condamnées! Mais jamais, au grand jamais, je n’ai entendu que quelqu’un a été poursuivi pour avoir participé à ces séances de mise à mort collective!

Que cette injustice s’arrête enfin. Elle n’a que trop duré!

Par René Jackson


Les preneurs d’otages

L’Afrique me fait mal. J’ai beau continuer à avoir un amour ténu pour elle, mais elle me fait très mal. D’autant plus que ce sont ses propres enfants qui me font subir ça.

Ma voix va se noyer au milieu de centaines, de milliers, de millions d’autres. Qu’importe, elle aura quand même oralisé ma pensée.

Ce qui se passe un peu partout en Afrique me fait mal. Ce qui se passe dans ma très chère Côte d’Ivoire me transperce le coeur.

Les politiciens africains ne sont que des égoïstes amputés de leur coeur. J’ai été profondément choqué il y a trois jours (et je continue de l’être) quand, lors de ma séance de zapping, je tombe sur une chaîne française, LCI pour ne pas la citer. On parle de la Côte d’Ivoire et de ses élections présidentielles. Je vois un homme baraqué arracher des feuillets des mains d’un autre. Et là, le commentateur explique que l’homme aux feuillets est le porte-parole de la Commission ivoirienne chargée des élections (CEI) et qu’il s’apprêtait à passer à la lecture de certains résultats – partiels – de la présidentielle qui se fait ainsi agresser par un partisan de Laurent Gbagbo, le sortant! J’en suis resté pantois! Après cela, il s’en est suivi deux jours d’attente et hier, la CEI a proclamé les résultats provisoires qui ont tout de suite été invalidés par le Conseil Constitutionnel pour cause de forclusion.

Il ne faut pas être un érudit pour comprendre ce qui se passe: Gbagbo et cie ont voulu jouer la montre en empêchant la CEI de publier les résultats dans les temps. Sachant que le Conseil Constitutionnel, qui est à leur solde, récupérera le dossier. Dans la journée de lundi, la CEI a proclamé les votes des ivoiriens de l’étranger. Ouattara avait battu Gbagbo à plate couture. Le lendemain, le porte-parole de la CEI se fait agresser. Le partisan de Gbagbo (qui selon les indiscrétions est le représentant de la mouvance au pouvoir à la CEI) savait en commettant son acte que ce qui allait être lu n’irait pas à l’avantage de son champion. Ce qui s’est confirmé par la suite lors de la publication des résultats (par la suite invalidés) par la CEI.

Ce que je veux voir maintenant, c’est quel tour de prestidigitation ils vont effectuer pour renverser les chiffres de la CEI qui étaient de 54% pour Alassane Ouattara et de 46% pour Laurent Gbagbo. Et ce serait une HONTE non seulement pour la Côte d’Ivoire, mais aussi pour toute l’Afrique!

On l’appelle le ‘Boulanger d’Abidjan’ mais qu’il ne se dise pas qu’il peut rouler tout le peuple ivoirien dans sa farine politique. D’autres ont essayé et ils s’y ont ankylosé les doigts. Tout observateur de la politique ivoirienne sait que Alassane Dramane Ouattara n’a personne à sa mesure en Côte d’Ivoire. Il est imbattable à la régulière. Tous les politiques de ce pays, depuis Konan Bédié à Koudou Gbagbo en passant par Robert Gueï se sont attaqués à lui. Le peuple en a décidé autrement. Et le peuple a toujours raison.

Finalement, c’est ce peuple qui souffre. Entre divisions, Marcoussis, conflits, crises, ivoirité, mandats gratis, Licorne, ONUCI et j’en passe, l’ivoirien a été oublié. Ce fleuron a presque sombré. Et au nom de son peuple, certains égocentriques se battent pour leur propre nombril.

L’Afrique, avec de telles mentalités, ne pourra jamais évoluer. Jamais! Dans mon pays, ce n’est pas mieux… De quoi me plains-je même?

Le couvre-feu a été décrété, les frontières ont été fermées depuis hier et le signal des grandes chaînes internationales a été coupé. Le pays s’est refermé sur lui-même. Ça ne sent pas bon, tout ça. Pas du tout. Ça risque de barder et les ivoiriens sont pris en otages dans tout cela.

La politique… Les africains se sont échinés à donner malheureusement raison à Machiavel qui disait dans Le Prince: « La politique est l’art d’atteindre le pouvoir et le garder » Et ce par tous les moyens, vraisemblablement!

Je m’en vais suivre l’évolution de la situation… Peut-être que Monsieur Gbagbo a finalement remporté cette élection, qui sait…

Par René Jackson.


« Parfois, ici au Cameroun, le téléphone a plus d’inconvénients que d’avantages »

Ainsi s’exprime une dame âgée d’une cinquantaine d’années il y a plus d’un an. Nous étions alors plusieurs centaines de personnes alignées depuis des heures dans le hall d’une agence de mon opérateur téléphonique favori. La campagne d’identification de tous les abonnés au mobile du Cameroun venait juste d’être lancée par le gouvernement et le délai imparti pour se plier à l’exercice arrivait à son terme dans les jours qui suivaient. Cette observation lancée à la cantonade souleva un débat dans la salle entre ceux qui voyaient l’importance de cette identification et ceux qui étaient farouchement contre. « Tout ça, c’est pour avoir des noms à utiliser pour remplir leurs listes électorales » ou encore « pour plaire aux français ». Vous savez, au Cameroun, tout a un lien avec la politique. Il y a quelques mois par exemple, l’Etat a accordé une bourse aux meilleurs étudiants du Cameroun. Une première depuis plus de trente années. Des esprits retors ont voulu inciter les bénéficiaires à ne pas aller retirer cet argent car « chacun des étudiants y ayant touché doit savoir qu’il ou elle a déjà voté pour le RDPC (le parti au pouvoir) ». Il est bon de situer le contexte: les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2011. Pour en revenir à la campagne d’identification, prévue au départ pour ne durer qu’un trimestre, elle s’étale déjà sur près de deux ans, parce que certains irréductibles traînent le pas et affirment mordicus qu’ils n’iraient se faire identifier que si leur ligne était effectivement suspendue. Il faut dire que depuis, personne ne leur a fait avoir tort.

Un bip peut vouloir tout signifier.

Il n’est pas question ici de remettre en doute la nécessité de cette campagne d’identification. Elle est avant tout initiée pour la sécurité des citoyens, parcequ’elle permettra d’accoler un nom d’abonné à chaque numéro de téléphone car depuis des années, les cartes  SIM se vendent comme des bonbons. Il n’est non plus question de remettre en cause l’utilité – largement avérée – de la téléphonie mobile. Mais que de fois ce petit bidule technologique a représenté une nuisance.

Commençons par la bip. Malgré les prix des appels qui ont chuté, certains ont gardé cette fâcheuse habitude de biper. Et un bip peut vouloir tout signifier. Je viens d’apprendre à mon oncle que sa nièce a accouché aujourd’hui. Il me répond « Donc, c’est pour me dire ça que sa mère me bipe toutes les trente minutes depuis ce matin? Ne peut-elle pas m’appeler? » C’est vrai que certains veulent tout simplement dire « je pense à toi », mais venant de certaines autres personnes, le bip est intraduisible. L’horreur, c’est qu’ils arrivent à toute heure du jour ou de la nuit.

Le téléphone mobile est un objet de désocialisation.

Un paradoxe est à pointer du doigt: le mobile, réputé comme étant un appareil qui met tous les proches à portée de main, représente un outil de désocialisation inquiétant. Je prends mon exemple personnel: à une époque, je passais tellement de temps au téléphone que ma relation amoureuse de l’époque en a pâti, en plus de mon téléphone qui est tombé en panne plus rapidement que prévu. Ma mère sort de ses gonds quand elle me voit pianoter sur mon mobile. Quand elle me voit le faire, elle sait qu’à ce moment, je suis enfermée dans une bulle, bien que invisible. Le téléphone a mis à mal la chaleur humaine. Un exemple: dans nos hôpitaux, il est bien de patients ne reçoivent pas de visites, car les personnes sensées le faire préfèrent leur téléphoner ou  leur envoyer des SMS.

L’arnaque tarifaire.

Le porte monnaie en souffre aussi. Entre l’achat de l’appareil et le crédit qu’il faut tout le temps recharger pour assouvir notre addiction, la facture se retrouve très rapidement salée. Et je ne saurai terminer mon propos sans parler des opérateurs qui ont entraîné les abonnés dans une danse infernale qui se nomme « options tarifaires ».

Au Cameroun, les options tarifaires sont tellement nombreuses (en moyenne 10 par opérateur) que ça sent le traquenard. Beaucoup ne s’y retrouvent plus et il est impossible de savoir à l’avance combien l’appel qu’on compte effectuer va coûter. Le gouvernement oblige les opérateurs à facturer la minute d’appel à 125 F CFA (19 centimes d’euros), mais il existe des options tarifaires qui doublent allègrement ce tarif.

Avec les pannes de réseau récurrentes par endroits, l’absence d’électricité pour recharger les batteries, les vols de mobiles et tout ce qui est cité plus haut, il est clair que le mobinaute camerounais n’est pas encore sorti de l’auberge.

Par René Jackson

Source image: lepost.fr


Les petites et grandes affaires du téléphone mobile à Douala.

La téléphonie mobile a fait naître et alimente dans son sillage un marché d’une extraordinaire diversité. Autour du téléphone mobile gravitent nombre d’activités. Et la grande majorité des personnes exerçant dans ce domaine tirent leur épingle du jeu.

Les trois opérateurs du mobile au Cameroun

Et bien évidemment, ce sont les multinationales qui opèrent dans le secteur qui font les plus grosses affaires. Les deux principaux opérateurs (MTN et Orange) affichent des chiffres d’affaires en perpétuelle augmentation. La concurrence entre ces deux compagnies est rude, ce qui se manifeste par le fait qu’elles se talonnent au niveau de l’effectif de la clientèle. Mais depuis peu, un troisième larron est entré dans la danse: il s’agit de la Camtel (la société à capitaux publics qui gère l’ensemble des télécommunications au Cameroun) avec son réseau de mobiles CTPhone. Mais l’importance de ce dernier est très limitée, car le réseau n’est disponible que dans les grands centres urbains et dans quelques autres villes et est apparu dans un marché déjà bien occupé par les deux autres opérateurs.

Les « centres d’appel ».

Romuald, comme bon nombre d’autres camerounais, tire sa pitance de l’activité de call-boxeur. Son officine est établie dans une rue du quartier Bonadibong à Douala. « Les autres gèrent des call-box, mais chez moi, c’est un centre d’appel », dit-il. En réalité, son comptoir ne diffère pas de celui des milliers de call-box qui pullulent dans tous les coins de la république. Le mobilier, simpliste, est constitué d’une table, de deux tabourets et d’un parasol. Des appareils téléphoniques sont disposés les uns près des autres, prêts à servir. Pendant notre conversation, il me fait comprendre que l’investissement de départ n’est pas énorme.

Un call-box

Lui, il a investi un capital de 100 000 F CFA (un peu plus de 150 euros) et dit s’en sortir tant bien que mal, sinon, il ne serait pas dans le métier depuis plus de trois ans.

« Le call-box est  une activité difficile et vouée à disparition »

Mais il évoque la pénibilité de son travail: « Parfois, les agents de la Communauté [Urbaine de Douala, sic] viennent nous demander de payer des taxes dont on est même pas sûr de l’existence sur le plan légal. Généralement, on se débarrasse d’eux avec des 500 ou 1000 francs. D’autres fois, ce sont les intempéries qui nous embêtent, car toi-même tu sais qu’à Douala un soleil caniculaire peut succéder à un orage dans la même journée. Je ne te parle même pas des poussières et des odeurs de carburant qu’on est obligés d’avaler chaque jour… Le call-box est une activité difficile qui en plus est vouée à disparition ». Je cherche à savoir pourquoi. « Eh ben, mon vieux, les opérateurs ont clairement avoué leur intention de tuer le call-box. Ils disent qu’ils veulent ouvrir des boutiques agréées de distribution de crédit de communication. Des structures solides, quoi. Car, disent-ils, il veulent lutter contre l’anarchie des call-box et avoir une mesure claire de la consistance du réseau. Et je crois qu’ils mettent leur menace à exécution, avec la « politique des chinois », c’est-à-dire qu’ils nous vendent à nous les grossistes la minute d’appel au prix auquel ils la facturent aux particuliers. Ce qui nous oblige à nous replier sur le transfert de crédit et la vente des cartes qui restent encore avantageux, mais pour combien de temps encore? Là est la question »

Les téléphones proviennent en majorité de Dubaï et de Chine.

Armel, lui, est réparateur et vendeur de téléphones portables dans sa boutique située à deux pas du Campus 1 du l’Université de Douala. Il est tellement affairé que je préfère l’interview à la causerie.

« Excuse-moi de te poser cette question à brûle-pourpoint, mais quel est ton chiffre d’affaire?

– Euh… (il se met à rire aux éclats).

L’arrivée massive des téléphones chinois n’a-t-elle pas fait souffrir ton département réparation de portables? Les gens ne préfèrent-ils pas acheter ces téléphones neufs à vil prix que de dépanner leurs vieux appareils?

Des coques de téléphones sur le présentoir

– On aurait pu le craindre, bien évidemment. Mais certaines personnes ont une sainte horreur de ces téléphones chinois et préfèrent recycler leurs anciens téléphones. Et puis je dépanne aussi des téléphones d’origine chinoise ici.

Et la vente des téléphones?

– Je vends en moyenne 10 appareils par jour. Les fêtes de fin d’année approchent et la demande va sûrement augmenter. J’espère passer le cap des trente par jour pendant la période.

Comment te fournis-tu en téléphones et en accessoires?

– Les téléphones proviennent de Dubaï où moi-même je me rends une fois chaque trimestre. Certains autres de Chine. J’ai là-bas un ancien camarade de classe qui me fournit de façon assez régulière. Les accessoires me viennent exclusivement de Chine ».

A coté de ces circuits officiels de vente de téléphones et accessoires, il y a des vendeurs sous le manteau qu’on appelle ici les « attaquants », qui vous interpellent dans la rue pour vous vendre des téléphones à la provenance très souvent douteuse. La particularité de ces attaquants d’un autre genre est que ces derniers vendent exclusivement des téléphones très haut de gamme. (Blackberry, iPhone et autres smartphones).

Par René Jackson

A suivre: « Parfois, ici au Cameroun, le téléphone a plus d’inconvénients que d’avantages »


L’environnement de la téléphonie mobile au Cameroun

Dans mon pays, trois opérateurs officient dans le domaine de la téléphonie mobile. Aux deux opérateurs mobiles GSM traditionnels (Orange et MTN) est venue se greffer la Camtel avec sa formule CTPhone (qui fonctionne uniquement avec des portables utilisant une technologie différente du GSM, le CDMA). A elles seules, les sociétés Orange et MTN revendiquent chacune plus de quatre millions d’abonnés actifs. Ce qui fait comprendre que l’utilisation du téléphone mobile est bel et bien rentré dans nos moeurs.

Un produit (devenu) facilement accessible.

Au début des années 2000, lors de l’introduction de la téléphonie mobile de façon massive au Cameroun, seules les personnes nanties pouvaient  acquérir un téléphone. Madame Victorine N. (qui soit dit en passant est aussi ma mère) dit avoir acheté son premier GSM en juin 2000 à 150 000 F CFA (environ 230 Euros). L’abonnement lui avait coûté 20 000 F CFA (c’est-à-dire 30 Euros). Aujourd’hui en boutique, le prix du téléphone varie entre 8 000 F CFA (13 euros) et 75 000 F CFA (115 Euros) pour le haut de gamme. L’abonnement ne coûte dans les faits plus rien, car pour 500 F CFA (moins d’un Euro) déboursés, on a droit à une carte SIM plus un abonnement et un crédit de communication de 1 000 ou 2 000 F CFA (1,5 ou 3 Euros).

Un outil devenu in-con-tour-na-ble!

Dans la rue, tout le monde en tient un.  Dans les foyers, chacun a le sien. Moi personnellement, j’en ai trois: un que j’utilise à titre principal, un deuxième avec un autre abonnement (pour jongler entre les options tarifaires) et un troisième au cas où l’un des deux premiers lâcherait. La raison principale est que l’appareil téléphonique est très pratique. En plus, c’est un outil de communications puissant et fiable. Il permet de joindre et d’être joignable  presque à volonté. En outre, les téléphones récents sont devenus des appareils multitâches et ne servent plus seulement à passer et à recevoir des appels. Ils font désormais office à la fois de radio, TV, baladeur musical, calendrier, agenda, etc. Le compagnon idéal, en somme. Ainsi, il n’est plus surprenant de rester  chez soi et d’entendre un coupé-décalé « passer » dans la rue…

Les appareils les plus prisés.

Ici, exit les traditionnels Nokia, Motorola et autres Alcatel ou Samsung qui ont fait la pluie et le beau temps lors de l’avènement de la mobilité au Cameroun. On ne parle plus que des Nokio ou Nokkia, Singsung ou Samsong. Vous aurez deviné qu’il s’agit ici de contrefaçons d’origine chinoise. On les appelle vulgairement ici les « Tchoronkos ». Des téléphones bardés d’options, ne coûtant pratiquement rien et à la durée de vie minimale. Le plus déroutant dans ces appareils est la prise en mains. L’ergonomie laisse à désirer, la navigation dans les menus et sous-menus est totalement hasardeuse. Quand au lieu de Bluetooth, on se retrouve devant un « Dent Bleu », ça donne le ton…

A suivre: les grandes et petites affaires du téléphone portable à Douala.

Par René Jackson


Voyage vers l’Ouest – partie 4 et fin

La Chefferie de Bandjoun dans son panorama

La fin de mon aventure est proche. Elle se terminera même ici.

Le pont traversé, il sera engagé une longue et laborieuse ascension jusqu’à Bafoussam. Le premier village à traverser est Kékem. Point d’escale obligée d’antan. Il y avait là il y a encore quelques années une activité intense. Tous les cars s’arrêtaient pour permettre aux voyageurs de se dégourdir les jambes et de se restaurer. Mais cela a vite été un problème, ceci dû à la restructuration du transport de passagers sur cet axe qui a abouti à la création de véritables compagnies de voyages le desservant. Des cars plus confortables ont été introduits, permettant de supporter l’entièreté du voyage sans avoir besoin d’arrêts. Mais la cause de la principale suppression de l’escale a été le temps qu’elle faisait perdre. Cela pouvait parfois avoisiner l’heure. Les passagers descendaient des cars et allaient se perdre dans les buvettes environnantes. On était très souvent obligé de les chercher. Certains ont souvent même été « oubliés », car ils ne revenaient pas très vite et on ne les retrouvait pas. Les compagnies de voyage ont donc interdit cet arrêt à leurs chauffeurs, vu le manque à gagner dont il était à l’origine. Cette mesure a d’abord reçu les protestations véhémentes des habitués, mais ils s’y sont progressivement faits. Ils vivent dorénavant tous dans la nostalgie du safou (ce qu’on appelle par abus de langage prune), du plantain blet (ou mûr) et des viandes rôtis qui y étaient les vedettes.

Après Bafang et Bandja, où se trouve le troisième et dernier péage du voyage, nous abordons le légendaire Col de Batié. Tronçon d’une quinzaine de kilomètres où aucune erreur n’est permise de la part des conducteurs. Le moindre écart de volant conduit à la catastrophe. En effet, à cet endroit, les virages sont les plus vertigineux et la route est accrochée au sommet des collines. En plus de cela, les côtes affichent des pourcentages démentiels. Plus de 9% à certains endroits. Des deux cotés de la voie? Eh ben, le vide ! Ce col de Batié alimente beaucoup de mythes et surtout d’histoires cocasses. Moi, j’en retiens deux : il m’a été raconté comment l’un des amis de mon père, fumeur impénitent, décida d’arrêter avec la cigarette. Il dévalait un jour ce col au volant de sa voiture, avec une clope entre les lèvres… quand elle tomba sur ses cuisses. Il dut choisir entre s’occuper de ce désagrément ou s’occuper de la conduite. A signaler que l’arrêt y est pratiquement impossible, car il n’y a pas de bas coté. Il a conduit jusqu’à la fin du col, avec une cigarette qui consumait son vêtement. L’autre histoire, c’est l’un de mes amis qui la raconte. Il rentrait de Koutaba, à bord de la voiture d’un collègue de son père. Il me dit qu’arrivés à Batié, il remarqua que le collègue de papa qui conduisait n’affichait pas du tout de la sérénité. Ce souci devint un effroi quand il sortit de la bouche du collègue un : « Je n’aime pas du tout conduire à cet endroit ».

Mais si on fait abstraction de tout cela, le coin offre un panorama des plus saisissants. On peut contempler les versants d’autres montagnes qui sont couverts le plus souvent de champs, de carrières de pierres ou de sable. Ces carrières de sable donnent le nom de l’équipe de football phare du village : Sable Football Club de Batié, qui a gagné une Coupe du Cameroun et fut l’un des récents fleurons du championnat national de première division de football.

Puis, on entre dans Bahouan. Ce coin n’a rien de spécial. Sauf que le mari de l’une de mes cousines y est originaire et que je remarque quand on y dépose certains passagers qu’une bonne partie du car s’est vidée. Ensuite, nous voilà à Baham. L’une des têtes pensantes du pays y est née. Tout le monde le surnomme « Zéro Mort ».

Finalement, on arrive à Bandjoun. La petite particularité de cette localité est qu’elle constitue un carrefour. Car les axes provenant de Yaoundé et de Douala s’y rencontrent en un échangeur. Le voyageur venant de Yaoundé et celui venant de Douala, se dirigeant tous deux vers Bafoussam font chemin commun à partir de Bandjoun. Il a été planté des balises de couleurs rouge et blanc tout le long de ces axes qui sont comprises dans le territoire bandjounais, c’est-à-dire à partir de la frontière avec Bafoussam jusqu’à l’échangeur, de la frontière avec Baham jusqu’au dit échangeur et de la frontière avec Bayangam (pour ceux venant de Yaoundé par Bangangté).

Moi, j’aperçois ces balises et je me prépare à la descente. Plus que quelques kilomètres à parcourir avant d’arriver à l’entrée de la ville de Bandjoun. J’aperçois enfin l’échangeur dans la pénombre de la nuit tombante. Et là, je suis rempli d’émotion. Je suis arrivé chez moi. Il n’y a pas plus chez moi qu’ici, nulle autre part.

Je descends du car, je respire une grande goulée d’air et je sens les larmes me monter aux yeux. Le vent froid et l’émoi. Le car repart, et je reste là à tout contempler. Chaque fois que j’atterris ici, c’est la même vague de sentiments qui me submerge. Je suis lié à ce lieu, à la vie à la mort. C’est ici que je mon histoire s’achèvera sans doute. Dans une boîte de 1,90m sur 0,50m et à six pieds sous terre. J’ai vécu de merveilleux moments ici. Et ce froid, il est délicieux.

Mais il commence déjà à se faire perçant. Les gouttes de pluie sur mon visage et la nuit qui envahit l’espace me sortent de ce romantisme. Mince, il est déjà dix huit heures quarante cinq ! Ce chauffeur a vraiment pris son temps. Ne sait-il pas que dans ce bled, à partir de dix neuf heures, les taximen courent se calfeutrer chez eux ? Heureusement, un phénomène déjà bien assis à Douala s’établit ici : les mototaxis. L’un de ces engins se matérialise devant moi. Son pilote demande le prix fort pour me déposer jusqu’à la maison. J’accepte. C’est ça ou se coltiner à pieds une huitaine de kilomètres sous la pluie, dans  l’obscurité et la froidure. Je suis assez chanceux. La distance qui reste à couvrir est entièrement bitumée. Une dizaine de minutes plus tard, je pose le pied…

Par René Jackson


Quand un autre mort se réveille…

Sur le banc du quartier, des histoires se racontent!

Il se dit qu’un jour, un grand homme passa l’arme à gauche. Et pour respecter le rang du défunt, il fallait faire de obsèques qui en jettent! Et qui dit obsèques dit bière (il ne s’agit pas ici de la décoction de levures et de champignons mitonnée par nos brasseurs, non! Espèce d’ivrognes) et apparats funèbres.

Les parents s’en furent donc dans une boutique de pompes funèbres. Du genre qui fait du tout-en-un, c’est à dire: cercueil, vêtements, gerbes de fleurs et corbillard. Il fut entendu que tout ça allait être fourni par notre pompe funèbre et ceci à une somme tout à fait indécente pour quelqu’un qui était déjà mort. Mais le propriétaire de notre boutique de pompes funèbres avait son idée derrière la tête…

Les obsèques eurent lieu. Grandioses! Après l’inhumation, les pleurs et victuailles habituelles, tout le monde s’en retourna chez lui.

Le propriétaire avait pris soin au préalable de dire au conducteur du corbillard de mémoriser l’emplacement de la tombe qui allait accueillir tout ce qui avait été acheté chez lui. Ce qu’il fit. Il comptait procéder à une profanation en bonne et due forme.

Un dicton dit: « un  homme mort ne connaît pas la honte ». Ou plus explicitement, un mort, qu’il soit couvert d’oripeaux royaux ou qu’il soit exposé tout nu en pleine rue n’en a cure. Ainsi, ce cadavre n’avait, tout compte fait, pas besoin de tout cet attirail! Il fallait donc l’en soulager.

En pleine nuit donc, le propriétaire des pompes funèbres, le chauffeur du corbillard et deux autres hommes se rendirent au caveau rouvrirent la fosse, exhumèrent le cercueil et refermèrent la fosse, avec à l’intérieur le macchabée. Totalement  nu. Ils emportèrent dans leur camionnette le cercueil, le costume dont était vêtu le défunt, les gants, les chaussettes et même les chaussures.

Le groupe cheminait tranquillement quand il aperçut au loin une patrouille de la police qui effectuait son contrôle de nuit. En fait, la patrouille était déjà là au moment de son  premier passage. Mais tellement occupé à ourdir son funeste plan qu’il était, il ne remarqua pas que cette patrouille risquait d’être une source d’embêtements à son retour.

La patrouille était toujours là. C’était impossible de passer avec ce cercueil derrière. Que faire? D’autant plus que ces policiers n’étaient visiblement pas prêts à partir! Après moult discussions, propositions, acceptations et refus, ils tombèrent d’accord sur une solution.

Comme je le disais précédente histoire que j’ai racontée ici, de façon générale, les gens éprouvent une peur viscérale quant à tout ce qui s’identifie à la mort et à toutes ses manifestations. Ainsi les policiers, en voyant un individu passer devant eux en pleine nuit portant un costume, chaussettes blanches aux pieds et portant des gants, tenant en mains une gerbe de fleurs et ayant sur la tête un cercueil sur lequel était posé une paire de chaussures, s’enfuirent sans demander leur reste. Le seul courageux (ou paralysé par l’effroi, c’est selon) de ces éléments qui ne bougea pas osa néanmoins poser la question: « Mais où allez-vous comme cela en pleine nuit avec un cercueil sur la tête? » Et l’homme de répondre: « En fait l’endroit où on m’avait enterré est situé dans un marécage et il y faisait terriblement froid. Là, je suis à la recherche d’un lieu plus chaud, où je pourrai enfin reposer en paix ». Sur ces mots, le policier s’évanouit et l’homme continua son chemin.

Il se dit sur le banc que c’est depuis ce jour qu’on monte la garde sur les tombes, par crainte des voleurs. La durée de cette garde varie en fonction de la résistance du bois avec lequel a été confectionné le cercueil. Mais ce sont les histoires du banc. Elles ne sont pas toujours vraies celles qu’on y raconte…

Par René Jackson.


Voyage vers l’Ouest – partie 3

Hôtel de Ville de Bandjoun

La troisième partie de l’aventure…

 

 

Le Nkam. Un nom porté à la fois par un département et par un cours d’eau. Le cours d’eau, lui, va se jeter dans la Sanaga, dont il est l’un des affluents. La Sanaga qui à son tour se jette dans l’Océan Atlantique à Kribi. Un phénomène assez unique s’y produit. Il paraîtrait que c’est le seul endroit du globe où on peut observer les eaux d’un fleuve se déverser dans la mer par l’entremise d’une chute. Mon pays est magnifique à certains égards. Déjà que nous possédons le deuxième endroit au monde où on enregistre le plus de pluviométrie au monde, sur l’un des flancs du Mont Cameroun.

Le fleuve communément appelé « Petit Nkam » constitue la frontière principale entre la province du Littoral et celle de l’Ouest. La voie l’enjambe par l’entremise d’un pont. D’ailleurs, on en construit un autre à coté. C’est vrai que l’ancien – qui est encore en service et que nous allons utiliser – est assez vieux et dangereusement étroit, au vu du gabarit souvent important des véhicules qui l’empruntent et de la vitesse à laquelle ils roulent dessus.

Le fleuve à cet endroit offre l’un des plus fantastiques paradoxes auxquels j’ai jamais eu à assister. Ces contrastes ne peuvent être classés par ordre d’intensité, car ils sont tous frappants.

Le coté Littoral du fleuve est assez plat. On remarque juste quelques montagnes éparses, jetées ci et là par une main assez diserte. L’axe contourne sans aucune difficulté celles qui se présentent à lui. Les côtes, si elles sont présentes, n’affichent pas des pourcentages supérieurs à 2%. Mais dès ce pont traversé, on se retrouve nez à nez avec une colline abrupte. Et il en sera ainsi tout au long du reste du voyage. On roulera à flanc de colline, ou on les gravira pour en atteindre le sommet et se  retrouver ainsi sur une mince corde routière où de part et d’autre, se seront des versants allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Le parcours sera alors truffé de virages. Il y en aura bien plus sur les 72 kilomètres à venir que sur les 180 premiers, car il faudra tour à tour éviter d’attaquer trop frontalement les montagnes et  tenter de contourner les vallons abrupts. Le système direction et d’embrayage des véhicules y est mise à rude épreuve. Ainsi que la précision et la dextérité des conducteurs, car pour cause de relief, la largeur de la chaussée est réduite au minimum syndical. Et vu qu’il faut croiser d’autres véhicules, certains costauds, il y a fort à faire.

 

Depuis le début du voyage, il y a une chaleur torride et assez moite dans l’habitacle de ce car. Malgré la pluie qui tombe drue dehors. Il y a des gens qui s’éventent avec des mouchoirs de poche, des magazines ou en se servant de leur main, tellement elle est étouffante, cette chaleur. Quelques kilomètres parcourus dans les méandres de la montagne et le comportement des passagers change. Les vitres qui restaient ouvertes même sous la pluie se ferment une à une. Les pull-overs ou des blousons commencent à être enfilés. Ceux qui les avaient déjà sur eux font grimper leur zip jusqu’au menton. Quelques temps plus tard, on aperçoit des mains qui se frottent l’une contre l’autre, et certaines personnes qui grelottent. Le froid sec et glacial des « grassfields » de cette fin d’après-midi pluvieux nous souhaite la bienvenue.

A Douala, le citadin est tout le temps confronté à du sable. Il y en a partout, ce sable semi-fin et cette poussière qu’il faut tout le temps enlever du sol, de ses chaussures, de ses meubles, de ses vêtements. Ce sable et cette poussière pâles qui, d’une simple pichenette de balai, de brosse à chaussure, de chamoisine ou de détergent abdiquent et se détachent sans demander leur reste. Et dans le Moungo, la terre a une couleur à prédominance noire, ceci dû au fait que c’est une région qui a subi une activité volcanique par le passé très intense. Le pont du Nkam franchi, tout cela change. La terre rougit. Et elle rougit de plus en plus au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la région. Et à une certaine altitude, elle est totalement rouge. Cette terre latéritique, extrêmement dense, très peu poreuse et pas du tout vaseuse. En comparaison avec celle de Yaoundé, elle fait moins de boue mais est plus salissante. Ici, elle est le principal matériau entrant dans la construction. Les briques sont faites de terre et d’eau. La mixture servant de jointure entre les briques est faite de terre et d’eau. Ces briques sont un solide rempart. En effet, les balles d’une arme à feu de calibre moyen ne peuvent pas les perforer. Cette terre vous embaume de ses fragrances qui, déjà bien présentes par temps sec, sont exaltées lorsqu’elle est trempée. Il règne toujours un parfum particulier dans les maisons. Mais cette terre est aussi un véritable poison. Elle sait s’accrocher. Quand il pleut, elle se tient à ton vêtement. En saison sèche, elle devient une véritable calamité. Car elle se transforme en poussière. Et ton blanc tout blanc d’il y a quelques heures est désormais un blanc à tendance orangée.

La végétation est assez luxuriante. Le paysage est  composé parfois de grands arbres (parmi lesquels prédominent les eucalyptus), d’arbres fruitiers (avocatiers, manguiers, et surtout safoutiers). On remarque aussi çà et là de hautes herbes, des petites plantations et aussi la savane, composée d’arbustes. L’odeur de la végétation y est aussi très présente, surtout de la part des eucalyptus et des fleurs de tournesol qui bordent la route. Mais ce plein assouvissement du sens de l’odorat est de temps à autres perturbé soit par les odeurs pestilentielles dégagées par le conduit d’échappement de quelque camion éprouvant toutes les peines du monde à escalader la montagne, soit par un individu qui a eu la mauvaise initiative de s’en griller une…

A suivre…

Par René Jackson


Quand un mort se réveille…

Cette histoire commence quand un homme mourut au village. Son cercueil devait être acheté dans la grande ville. Le commissionnaire pour ce cercueil n’eut d’autre choix que de louer un pick-up pour acheminer ce cercueil au village.

Chemin faisant, ils croisèrent un homme, qui, ayant appris le malheur, se rendait lui aussi au village. La cabine du véhicule étant déjà pleine, on l’envoya derrière, où trônait déjà le cercueil. Il y prit place.

Vous savez, dans nos contrées, tout ce qui a un rapport avec la mort est un objet de crainte et de mythes. Il vaut mieux se tenir loin de tout ce qui y touche. Mais ce n’était manifestement pas le cas du bonhomme assis derrière, car lorsqu’il se mit à pleuvoir dru, il ouvrit tout bonnement le cercueil et de s’y installa pour s’abriter. Le confort y était même tel qu’il en profita pour piquer un roupillon.

Le conducteur de la camionnette était doté d’une grande mansuétude, car il embarqua quatre autres personnes après la pluie. Toujours à l’arrière.

Le groupe cheminait tout tranquillement quand soudain, le cercueil s’ouvrit. Et comme s’ils n’attendaient que cela, les passagers de derrière bondirent et se mirent à s’enfuir. Le macchabée était revenu à la vie. Ils se dispersèrent dans la brousse environnante. Ceux qui étaient dans la cabine, constatant la débandade de derrière, appliquèrent à la lettre le dicton bien de chez nous qui dit: « lorsque tu vois des gens s’enfuir, enfuis-toi aussi. Et une fois en sécurité, tu pourras chercher à savoir la cause de votre fuite ». Ils ont déserté le véhicule.

Le cadavre-dormeur, au vu tohu-bohu, dût se rappeler du dicton. Parce qu’il décolla du cercueil en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Il suivit la direction qu’avait empruntée les fuyards en hurlant: « Attendez-moi! Attendez-moi! » Je vous laisse imaginer quelle fut la réaction de ces derniers…