
A l’occasion de la célébration du 20ème anniversaire d’Internet, il était demandé aux membres d’un forum auquel je participe de raconter leur première expérience d’Internet. Pour ma part, je me souviens très bien de ce lointain mercredi du mois de mars 2001. J’étais en seconde et ce jour-là, je suis allé sur la Toile, le réseau des réseaux pour la première fois. L’heure de surf avait coûté 1250 F CFA exactement. Il y a dix ans déjà. Depuis, de l’eau a coulé dans la rivière et Internet, qui au début était la grande inconnue est désormais omniprésente dans la vie de tous les jours, même sous nos chers tropiques. Les tarifs d’accès à Internet, quoiqu’ayant subi un dégrèvement d’importance, demeurent néanmoins assez prohibitifs. La jeunesse camerounaise a donc découvert le filon de l’Internet gratuit et tout le monde veut désormais se connecter à travers les téléphones multimédias de plus en plus nombreux. Ce qui n’est en théorie pas possible, car les opérateurs en brident l’accès, mais des petits malins s’échinent (avec succès) à contourner toutes les barrières, devenant ainsi des hackers dignes de ce nom. Pour le bonheur des jeunes.
En tant que tel, les frais de connexion à l’Internet au Cameroun restent très intéressants et la tendance est plutôt à la baisse. Le tarif de connexion moyen hors forfait est de 300 F CFA l’heure. Le forfait « illimité » varie selon les opérateurs, mais il tourne entre 5 000 et 49 000 F CFA pour les particuliers. Il y a une multitude de sous-traitants dans le secteur, mais ceux qu’on peut dire grand public (en tout cas les plus connus) sont la Camtel (l’entreprise qui gère toutes les télécommunications au Cameroun); Orange et MTN (les deux opérateurs GSM); Ringo et YooMee, deux FAI*.
Mais pourquoi dépenser pour quelque chose que l’on peut avoir gratuitement? Des hackers dignes de ce nom se sont depuis quelques temps mis à l’oeuvre en vue de contourner ou de briser les divers protocoles de protection d’accès au réseau et distribuent le produit de leur trouvaille à des amateurs de gratuité de plus en plus nombreux. Leur cible privilégiée est le WAP* des deux opérateurs de téléphonie mobile, Orange et MTN
Le combat se passe sur deux fronts: dans les rues et sur Internet.
Il devient courant dans nos quartiers de découvrir des geeks qui sont des véritables pirates informatiques reconnus. Quand le souci de la connexion se pose, il suffit de soumettre le problème à un jeune qui, s’il ne peut pas lui-même bidouiller le téléphone, connaît à coup sûr quelqu’un qui saura le faire. J’ai moi-même été à de nombreuses reprises été abordé par des gens qui avaient été dirigées vers moi par d’autres qui estimaient qu’ayant certaines aptitudes en informatique et trimballant très souvent une flopée de joujoux numériques, j’en savais quelque chose. Il faut dire que j’en savais, une pichenette simple et qui marchait était celle de faire sauter l’un des chiffres qui constituaient l’adresse IP fournie par l’opérateur. Mais depuis, cette astuce ne fonctionne plus. Et quand même elle veut bien se donner la peine de le faire, on ne peut avoir accès qu’à Facebook uniquement.
Certains en font un véritable fonds de commerce. Un jeune homme en a fait son activité principale. Il a même installé son kiosque à Bonabéri, l’un des quartiers populeux de Douala, où il s’occupe à configurer les téléphones mobiles pour qu’ils puissent accéder gratuitement à Internet en utilisant les passerelles des opérateurs de téléphonie. Il ne manque pas de clientèle et les gens se bousculent même devant son échoppe. Aucun modèle n’échappe à son expertise. Quelqu’un m’a même montré un téléphone de fabrication chinoise (oui, oui!) qu’il a réussi à configurer et qui se connecte parfaitement au Net (il est important ici de préciser que lorsque vous apportez ces téléphones chinois au service technique de ces deux opérateurs, on vous répond immuablement que ces appareils ne peuvent pas être pris en charge). Le jeune homme de Bonabéri n’est pas le seul actif dans cette besogne. Il y en a plein d’autres disséminés un peu partout dans la ville. Les frais de paramétrage dépendent du modèle de téléphone. Il paraît que pour un Samsung Galaxy, ça peut atteindre les 5 000 F CFA!
Sur Internet, la lutte est rude. Des jeunes mettent un point d’honneur à contrer la chape que veulent imposer ces opérateurs de mobile en publiant en ligne très régulièrement des codes qui permettront aux usagers d’avoir accès gratuitement au service Internet mobile. Lors de mes recherches, j’ai découvert de nombreux sites consacrés à cette activité. Il suffit par exemple d’entrer « paramètres WAP gratuit au Cameroun » dans le moteur Google pour que s’affichent une flopée de propositions de sites dédiés. Certains de leurs promoteurs se veulent même très engagés. L’un d’eux, dans une sorte de profession de foi, proclame: « Le net ne doit pas être payant mais ils nous privent de cela. Beaucoup d’opérations ont étés mises en œuvre pour vous aider. Je suis le parrain des crackers du Camer, spécialisé en conception, administration, maintenance et sécurité des réseaux informatiques […] des applications java mises à votre disposition pour vous aider dans les configurations de vos téléphones d’origine. Les gars ici c’est la famille, on doit se serrer les coudes si on veux créer la plus grande famille des crackers […] ». Beaucoup d’autres (comme celui-ci, celui-là, cet autre et enfin le plus prolifique) suivent cette voie et mettent à la disposition des aspirants mobinautes des informations très souvent fortement détaillées.
Mais ici, le travail peut s’avérer assez fastidieux car malgré le désir de simplicité que les promoteurs de ces sites veulent mettre dans les recommandations communiquées aux utilisateurs, certains termes utilisés et autres techniques peuvent demeurer énigmatiques pour le commun des mortels. Il est très souvent question des termes tels que: handler, proxy, browser, Bolt, FrontQuery etc. Et parfois, certains codes à utiliser sont tellement longs qu’ils peuvent rebuter le plus hargneux, surtout lorsqu’il s’agit de les taper avec un clavier de téléphone mobile. Mais leur travail fait beaucoup d’adeptes (et d’heureux, si on peut le dire) car il n’y a qu’à voir le nombre de commentaires déposés à la suite de leurs articles, qui feraient pâlir d’envie n’importe quel blogueur. En tout cas, moi, ils me font pâlir.
Qu’en disent les opérateurs concernés? En tout cas, officiellement pas grand chose. Ils ont en toute apparence choisi d’agir en sourdine, en employant les mêmes méthodes que ceux qui percent leur système. Le plus souvent, ils se contentent de colmater les brèches découvertes par ces hackers et interviennent aussi sur ces blogs pour adresser des menaces à leurs propriétaires et même souvent à leurs éventuels usagers. Il faut noter que le hacking est une assez vielle tradition au Cameroun. On se souvient encore de ces petits malins qui, de leur chambre, pirataient le serveur de MTN et effectuaient des transferts de crédit de communication à des prix imbattables, jusqu’à ce que le pot de roses soit découvert et que la défaillance soit réparée. A une autre époque, c’est la survie même des cybercafés qui a été remise en question, après que des pirates aient découvert un stratagème pour forcer le système qui permettait de bloquer l’accès aux machines. La grande majorité des cybercafés utilisaient le même logiciel de gestion et tous ont souffert de ce fléau jusqu’à ce qu’une mise à jour vienne y mettre une terme.
Pour l’heure, il n’est plus surprenant de croiser un jeune camerounais envoyant des mails, mettant à jour son statut sur un réseau social ou effectuant des téléchargements à partir de son téléphone mobile. Et ce en toute gratuité!
*FAI: fournisseur d’accès à Internet.
*WAP: Wireless Application Protocol.
Par René Jackson
Source image: lesnumeriques.com
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