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La chasse au rat

 

Ah, les vacances au village dans notre enfance! C’était une tradition incontournable. Quand les grandes vacances pointaient leur nez, les parents se débarrassaient de nous en nous envoyant passer deux à trois mois auprès de leurs parents. Souvent pris de nostalgie, nous repensons aux soirées autour du feu dans la cuisine de grand-mère, se réchauffant car il faisait un froid glacial une fois la nuit tombée. Nous repensons au coucher quand les yeux piquaient horriblement une fois les paupières fermées à cause de la fumée. Nous repensons aux nuits noires, sans aucune lueur d’aucune sorte, contrairement à la ville où il y avait toujours un néon allumé quelque part. Nous repensons aux journées passées aux champs à récolter les arachides. Nous repensons aux lourdes cargaisons de melons et de maïs en épis qu’il fallait transporter à même le crâne sur des distances incroyables. Nous repensons  aux colères de la grand-mère lorsque nous piétinions les sillons qu’il allait falloir refaire, nous repensons aux baignades dans la rivière, aux escapades dans les manguiers, safoutiers, goyaviers de la concession en faisant gaffe à ne pas se faire prendre par le grand-père. Nous repensons aux chenilles brûlantes, aux coqs et poules qui réagissaient  à nos sifflotements. Nous repensons aux fois où nous revenions ivres après que grand-père ait commis l’erreur de nous envoyer tirer le si bon vin de ses raphias. Nous repensons aux voiturettes que nous fabriquions nous-mêmes du même bois de raphia. Mais le souvenir le plus impérissable était nos parties de chasse au rat (c’est vrai qu’une fois, on a dû courser un cochon qui s’était échappé de l’enclos, mais ça ne compte pas). La chasse au rat est à la fois une épreuve tactique, de patience, d’investigation et il en résultait une  indicible satisfaction quand nous parvenions à nos fins.

 

Pour cela, il fallait se réveiller aux aurores.  Chacun de nous (nous étions parfois  au nombre de sept) se plaçait à un coin de la vaste concession de notre géronte, armé de branchages et de feuilles. Nous avancions alors progressivement vers un point précis du champ, en faisant tout le bruit possible. Ceci devait avoir pour effet de repousser le (ou les) rat(s) vers une direction prédéterminée. Il ne fallait pas que l’animal sorte de la concession, auquel cas il était désormais en dehors de notre territoire de juridiction. Le point vers lequel nous nous dirigeons n’était pas choisi au hasard. Malins que nous étions déjà, nous nous étions assurés bien avant qu’il y avait une présence effective de rats et avions réussi à repérer le terrier. Et c’est en direction de l’emplacement dudit terrier que nous dirigions notre battue. Cette battue avait un objectif double: tout d’abord, elle nous permettait d’être fixés sur l’endroit où se déroulerait l’assaut final et enfin, elle permettait de multiplier les chances de succès, car les rats présents dans le champ allaient tous courir vers le terrier (tout en espérant aussi que tous partageaient le même terrier).

Une fois parvenus au point de rendez-vous, deux ou trois s’affairaient à assiéger et à détruire le terrier à l’aide de piquets, de machettes et de tout autre ustensile qui pouvait s’y prêter. Les autres se plaçaient derrière les premiers et étaient chargés d’assommer les bestioles qui tenteraient de s’échapper. Pour cela, ils étaient aussi munis de machettes, de branchages, de bâtons… Il est important de préciser que malgré toute notre volonté, nous ne parvenions que très rarement à faire une prise de plus d’un animal à chaque fois. Nous en prenions deux seulement dans les cas exceptionnels. Une fois même, le seul rat qui était dans le terrier avait réussi à s’échapper et jamais séance de chasse ne fut aussi éreintante. Cette bestiole nous fit courir à travers champs pendant près d’une heure d’horloge. A un moment donné,  notre amour-propre était mis en jeu et nous avons mis un point d’honneur à capturer cet animal. Ce que nous avons réussi à faire à bout de souffle.

Le destin des bêtes prises était funeste. Il variait selon nos envies.  Il oscillait chaque fois entre la bouilloire et la friteuse. Mais la plupart du temps, on les ébouillantait. La grand-mère était mise en alerte lorsqu’elle nous voyait disparaître armés de massues et de gourdins. Elle transférait alors son huile de friture en lieu sûr. Le mets ainsi préparé accompagnait le repas servi après. Moi, je ne participais pas à ces agapes. Ce qui m’excitait c’était la chasse. Ca me retourne le ventre chaque fois que je mange la chair d’un animal que j’ai vu mourir. Les autres se délectaient de notre prise avec un réel appétit mais sur le coup, je préférais passer mon tour. Je gardais malgré tout mes réflexes de citadin snob. J’étais souvent effaré par les choses que les petits villageois pouvaient apprécier: larves, chenilles, vers, termites ailées, grillons et j’en passe.

 

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J’avais perdu l’espoir. Depuis des années, je n’ai plus participé à aucune chasse aux rats. A aucun autre type de chasse d’ailleurs. J’ai changé de voie et je me suis dit qu’il fallait que je commence à suivre les actualités du monde, d’ici et d’ailleurs. Ces derniers temps, cette nostalgie est remise au goût du jour. J’assiste en effet en prime-time et en mondovision à une chasse aux rats, mais aux proportions humaines. Et je suis témoin des deux scénarios que nous observions lors de nos aventures dans les champs au village.

Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire a été victime de l’opiniâtreté des forces révolutionnaires de la Côte d’Ivoire. Venus du nord du pays, ils l’ont cerné à Abidjan. Il est donc allé se terrer dans un abri souterrain de l’un des palais présidentiels d’Abidjan. Après s’être regroupés tout autour de ce palais, les insurgés et les forces françaises l’ont pilonné sans ménagement. Après des jours entiers de combats, Gbagbo a été extirpé de son trou, fait comme un rat, comme on a l’habitude de le dire. En dehors de lui, d’autres hautes personnalités de son régime et des membres de sa famille, à l’exemple de sa dame de fer Simone et de son fils. Aucun de ceux qui était à l’intérieur de cet abri souterrain n’y a échappé.

L’ex-Guide de la Jamahiriya libyenne a pousse depuis bien d’années le bouchon plus loin qu’il n’en faut. Inspirés par les révolutions tunisienne et égyptienne, les libyens ont commencé à réclamer son départ en descendant dans les rues. Comme attendu, ils ont été victimes d’un répression violente. Vexés, ils ont pris les armes et ont décidé de déloger Kadhafi qu’il le veuille ou pas. Aidés par l’OTAN, ils ont effectué une lente mais sûre progression vers Tripoli, qu’ils ont finalement commencé à prendre d’assaut le vendredi 19 août dernier. Mardi, ils ont investi le quartier général de Bab-El Aziziya dans lequel se trouvait la résidence principale de Kadhafi, qu’ils ont totalement saccagé et pillé. Mais il n’était plus là. Les insurgés sont désormais à ses trousses un peu partout en Libye et se sont même payés le luxe de mettre la tête du bonhomme à prix, à hauteur de un million et sept cent mille dollars US. Il est désormais en fuite, pourchassé comme un rat des champs par les révolutionnaires libyens, mais aussi par une meute de chasseurs de primes de tout poil. Un comble pour celui-même qui exhortait il y a seulement deux jours « les habitants de Tripoli, les tribus, les jeunes, les vieux à sortir dans les rues » et « nettoyer Tripoli des rats ».

Nos rats du village sont de pauvres victimes de la barbarie qui habitait déjà nos esprits de gamins à l’époque. Une barbarie gratuite, puisqu’avec ou sans viande de rat au souper, nous étions certains d’avoir notre gamelle pleine. Les pauvres bêtes ne pouvaient être accusées que d’avoir détruit quelques plants de macabo, d’igname ou de maïs. Leurs « congénaires » humains se sont caractérisés par la vigueur et la cruauté qui émanant d’eux quand il s’est agi d’asseoir et de conserver leur pouvoir. Souvent, ne disposant plus d’aucune autre alternative, leurs concitoyens sont obligés de recourir aux mêmes moyens qu’eux, c’est-à-dire à la violence, pour entrer en possession d’une dignité qui leur est due. Cela nous conduit malheureusement à des scènes comme celles auxquelles nous avons tous été témoins avec la diffusion des  images de l’arrestation de M. Laurent Gbagbo. Il était pathétique, misérable. Comme l’un des rats agonisants que j’ai tenu à bouts de doigts un jour de mon enfance.

 

Par René Jackson

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Commentaires

David Kpelly
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J'ai trouvé la comparaison(entre la chasse aux rats des années d'enfance que nous connaissons tous et la chasse aux dictateurs effrontés) un peu osé, mais l'analyse a fini par me convaincre. Ces potentats mégalos qui s'accrochent au pouvoir finissent par se faire expulser comme des rats. Surtout que, cocasserie des cocasseries, ils ont eux-mêmes l'habitude de traiter les révolutionnaires de rats. Qui sera le prochain rat à chasser, wait and see.
Mon fils, papa est content de toi.
Amitiés

René Nkowa
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Kpelly, je ne suis pas ton fils! C'est vrai que c'est bizarre lorsque tu traites les autres de rat et qu'après on te poursuive comme un rat. :)

Armand Noumedem
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On dirait qu'on a cloné nos souvenirs de vacances ! identiques au miens ! sauf que nos techniques de chasse étaient un tantinet différentes, on avait tjrs un chien et on bloquait ou on se postait toujours a TOUTES les issues de secours (il yen a toujours) du terrier, et le chien se chargeait du boulot ingrat, celui de creuser le terrier. Bien sur au moment de bouffer, on lui lançait au mieux les os, et au pire un caillou loooool

Andriamihaja Guénolé
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Je me demandais aussi ce que faisait Laurent G. dans une histoire de chassae au rat... et j'ai compris ;)

René Nkowa
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Hé! Hé! Hé!