Crédit: Camille Brodard sur Unsplash

Faire face au mal-être de l'expatriation

Par une froide fin d’après-midi d’hiver, mon avion atterrit à l’aéroport d’Orly. Le matin même, je quittais Douala et sa chaleur moite, lourde, caractéristique du mois de janvier, pour commencer cette nouvelle étape de mon existence. Après avoir récupéré mes valises, j’emprunte le taxi qui doit parcourir les 20 kilomètres qui me séparent de l’immeuble où je vais résider tout au long de ma mission pour le compte d’une organisation internationale.

Une heure et demie après mon arrivée en France, je récupère les clés de mon logement et je m’installe dans un studio blanc et vert olive. L’endroit est bien aménagé, quoiqu’un peu spartiate. Mais ce n’est pas bien grave : je vais vivre et travailler à Paris ! Cette ville qui nourrit tant de rêves, eh bien, je vais avoir la chance de l’arpenter à ma guise et de me repaître de toutes ces expériences magnifiques qui m’attendent. Je vais enfin pouvoir réaliser toutes ces choses que je n’ai pas pu faire lors de mes séjours précédents, qui n’ont duré que quelques jours à chaque fois.

Trois mois après, je n’en mène pas large

Pourtant, de prime abord, ma situation est enviable : j’ai un travail, un logement à mon nom, je vis sans difficultés particulières et je parviens même à faire l’acquisition de biens qui m’étaient inaccessibles jusque-là. Ma cheffe et mes collègues sont d’une gentillesse infinie avec moi, j’ai quelques amis aussi. Et surtout, j’en prends plein les mirettes dans cette ville qui, en toute objectivité, est très belle. Elle est minutieusement structurée. À des années-lumière du chaos permanent qu’est l’endroit où je vivais avant de débarquer en région parisienne.

Mais je me sens mal. Très mal. Un matin, alors que j’attends le métro qui doit m’emmener au bureau, je me demande si je ne dois pas faire mes valises, prendre l’avion, repartir dans le sens inverse. Je me sens aussi très seul. J’ai le moral dans les chaussettes. Les choses sont si belles ici, gigantesques, extrêmement élaborées, complexes. Mais elles sont aussi froides, impersonnelles.

Pendant la formation préalable à notre départ en mission, nous avons pourtant été prévenus : quand on arrive dans un nouveau pays, le choc des cultures peut être brutal. Et pour mon cas, il l’est, à un point que je n’aurais pu imaginer. Le jour qui se lève tard et se couche très tôt. Le soleil qui ne se donne même pas la peine de monter au zénith et rase les murs. Les journées glaciales. Le manque de chaleur humaine. En cette saison, tout est gris, même mon âme.

Chaque jour à 16h30 précises, nous devons quitter le bureau, c’est la règle. Boire un verre avec les amis ? Peu envisageable quand ils terminent leur journée de travail deux ou trois heures après moi. En réalité, personne n’est disponible à ce moment-là de la journée. Mes collègues, eux, rentrent retrouver leur famille. Moi, je rentre dans mon studio, où je vais passer de longues heures tout seul. Les week-ends peuvent aussi être longs et pour me changer les idées, je vais parfois m’asseoir dans un centre commercial pour regarder vivre les autres.

À Paris, un vélo appuyé contre une main courante – Photo de JOHN TOWNER sur Unsplash

La solitude qui broie

Quand on parle du départ, on parle très peu de la solitude et de ses affres. Ce qui est mis en avant c’est la richesse des expériences que l’on va vivre, la diversité des personnes que l’on va rencontrer ou encore la singularité des endroits que l’on va découvrir. Et quand il s’agit de pays occidentaux, on y ajoute la perspective d’un niveau de vie nettement amélioré. Par contre, on parle très peu des moments où on est tout seul et de l’impact psychologique que cette solitude peut avoir.

Cinq mois après mon arrivée, j’ai une discussion avec un ami, qui me demande ce que je compte faire quand ma mission sera terminée. Car, il y a la possibilité de rester. Dans ma tête, ce n’est clairement pas une option. Comme pour beaucoup de gens, venir à Paris était une ambition, un aboutissement. Mais après ces quelques mois d’expérience, cet aboutissement ne m’enchante plus.

Après six mois à broyer du noir, je commence néanmoins à apprécier la vie sur place. Je décide par exemple  de ne plus utiliser que des moyens de locomotion de surface, du type bus ou tramway. Ainsi, je verrais plus de lumière. Je n’emprunte le métro, ce train maussade, que lorsque j’ai du retard sur un rendez-vous. Je me mets à visiter des lieux touristiques et à voyager dans le pays.

Cette bonne humeur m’habite pendant le reste de mon séjour. En fin de compte, je réalise que j’ai énormément de chance d’être là. J’en profite autant que possible. Il n’en demeure pas moins qu’au moment où ma mission parvient à mon terme, c’est avec un sentiment mitigé que je quitte Paris et la France : normalement, j’aurais dû aimer cet endroit au point de ne plus avoir envie de le quitter, mais rien ne me donne l’envie d’y poursuivre mon séjour.

Sauter à nouveau le pas ?

Les années ont passé. J’ai encore l’occasion d’aller à Paris, pour des séjours beaucoup plus courts cette fois. C’est malgré tout une ville qui est chère à mon coeur. Il y a une certaine douceur de vivre, malgré sa frénésie. Profiter du vin, de la charcuterie, des fromages ou revoir des amis sont autant de choses agréables que je peux y faire. Et je dois reconnaître qu’il m’arrive de me demander si j’ai fait le bon choix de ne pas y vivre, compte tenu des opportunités qu’on y déniche presque à chaque coin de rue. Surtout que j’ai le sentiment que mes aptitudes ne seront jamais exploitées à leur plein potentiel à Douala, au Cameroun.

Comme je l’explique dans cet article, larguer les amarres pour aller vivre dans un nouveau pays peut être une expérience déstabilisante, car on n’a plus ses repères habituels et il faut s’adapter à un environnement différent. Serais-je prêt à le faire encore aujourd’hui ?

Cette expérience de la vie parisienne, mi-figue mi-raisin, n’a fait que conforter une idée qui m’habitait déjà : je ne serais pas forcément plus heureux ailleurs, fût-ce dans l’un des plus beaux endroits au monde. Mais les années passent et les choses changent. Actuellement, je vis quand même dans un pays où les choses ne bougent pas, qui est sclérosé. Ensuite, les enfants sont arrivés et modifient l’équation. Enfin, il y a quelque chose d’un peu plus profond, mais qui se fait sentir : j’ai besoin d’un changement qu’en définitive je ne pourrais expérimenter que dans un autre pays.

En fin de compte, le choix à faire est peut-être celui de se confronter, une fois encore, à l’ailleurs. Et pour le coup, je dispose d’un atout que je n’avais pas il y a quelques années : je ne suis plus seul, car entre-temps j’ai fondé une famille. L’expérience sera différente, mais encore faut-il que je me décide à franchir le pas…

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Auteur·e

ntrjack

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