
J’étais très content lorsque la perspective du voyage à Dakar s’est dessinée. Pour plusieurs raisons. Baptême de l’air, premier déplacement en dehors de mon cher pays. Je me suis fait plein d’images de Dakar, cette ville sahélienne, proche de la mer, musulmane, africaine. Mais j’avais tout de même quelques appréhensions. Surtout avec les avions. On dit souvent qu’il ne faut pas avoir de mauvaises pensées en avion. Je suis d’accord. Mais quand tu entends quelqu’un annoncer que vous volez à une vitesse de 850 km/h, à 11 kilomètres du sol et que dehors il fait -40° Celsius, tu te rends alors soudainement compte de la précarité de la situation dans laquelle tu te trouverais si quelque chose devait mal tourner. Et là tu te mets à repenser à tous les épisodes de Air Crash, cette foutue émission de National Geographic dans laquelle on ne parle que d’accidents d’avions. Qu’à cela ne tienne, j’ai consulté des sites web spécialisés sur le Sénégal. Je pensais avoir toutes les informations sur mon séjour. Mais je me suis trompé. Ne dit-t-on pas que les expériences se doivent d’être vécues par soi-même ? J’ai vécu une suite de déconfitures au pays de la Téranga.
Les embrouilles ont commencé bien avant de descendre de l’avion. Le commandant de bord annonce une température de 19 degrés centigrades. J’ai négligé cette information et dès que j’eus mis le nez dehors, j’ai été saisi par un froid glacial. Mais on m’avait dit qu’il faisait chaud à Dakar non ? D’où vient tout ce froid. C’était bien parti, surtout que je n’avais pris aucun vêtement chaud. Comme si cela ne suffisait pas, pendant que j’attendais grelottant sous le froid, des dakarois qui avaient flairé l’étranger en nous sont venus nous proposer de changer notre monnaie. Je suis presque tombé dans les pommes quand le premier m’a dit qu’il le faisait en gardant 20% de la somme que je lui donnais à changer ! Je peux comprendre qu’on retienne une commission, mais jusqu’à 20% ? Tu vas au Sénégal avec les CFA d’Afrique Centrale, tu fais le change en CFA d’Afrique de l’Ouest et tu te retrouves amputé de 20% de ta fortune. Non, c’était inacceptable !
Au Sénégal, on parle français. C’est même la langue officielle. Mais la réalité est très différente de ce qu’on dit dans les brochures touristiques. Le français à Dakar, c’est surtout une affaire d’officiels. Notre premier contact fut le chauffeur qui devait nous emmener jusqu’à l’hôtel. Au début, j’ai cru comprendre qu’il parlait français. L’accent le rendait presqu’inintelligible. Ce qui fait que quand il s’est mis à parler le wolof avec son collègue, je n’ai pas su à quel moment il avait fait la transition entre les deux langues. Je n’oublierai pas ce cordonnier avec lequel je me suis retrouvé en train de faire le langage des signes, parce qu’il ne connaissait ni le mot chaussure, ni réparer. La seule chose française qu’il a su dire était : « Deux mille ! Deux mille ! Deux mille ! » Je reviendrai sur lui.
L’autre arnaque est qu’on dit que notre pauvre petit pays, le Cameroun, est plus riche que le Sénégal. Peut-être. Mais ce n’est pas ce que j’ai vu, moi ! Je n’aurais jamais imaginé qu’à Dakar il puisse avoir autant de voitures rutilantes ! Et il y en avait partout ! Quelqu’un qui vient d’ailleurs dira « bof ! » mais c’était extraordinaire pour le petit camerounais que je suis. Et puis Dakar est une si belle ville ! A mon avis, Douala et même dans une certaine mesure Yaoundé ont encore des leçons à prendre.
Dakar est la capitale d’un pays majoritairement musulman. Une arnaque de plus. Ce que j’ai vu dans les rues de Dakar c’est les mini jupes, les pantalons slim, les t-shirt moulants, les rouge à lèvres les plus éclatants, les maquillages les plus extravagants damer nettement le pion aux voiles et autres burka. J’ai failli initier une révolte quand la décision fut prise de désormais nous emmener en bus au restaurant de l’Université pour l’habituel déjeuner. Parce que les deux premiers jours, nous nous y sommes rendus à pieds. Une trentaine de minutes de marche quotidienne que je ne sentais pas, tant j’étais admiratif de la beauté et de la coquetterie des sénégalaises. N’eût été le riz que j’allais devoir manger 350 jours par an, je crois que je serais resté à Dakar.
C’était drôle : chaque fois que je devais acheter quelque chose, j’avais l’impression d’être en train de me faire plumer comme un vulgaire volatile. Je n’oublierai pas de si tôt cette mandarine (ce qu’on appelle sous d’autres cieux amandine) qui a été achetée à 250 francs ! Un prix clairement exorbitant. Des trucs qu’on achète à trois ou quatre à 100 francs à Douala. Une banane mûre revient à 100 francs (pour le même prix, chez nous, on a droit à trois bananes). Le travail de réparation de mon valeureux cordonnier de tout à l’heure ne m’aurait pas coûté plus de mille francs à Douala. Ca a été tellement dur de lui faire comprendre ce que j’attendais de lui que, bien que je sois surpris par ses frais, je ne me sentais plus la force de marchander avec lui pour qu’il revoie son prix à la baisse. La Gazelle (ce qui en apparence est la bière nationale au Sénégal) coûte mille francs. La Flag de 33 cl tourne dans la même tranche de prix. Je me demande combien coûterait une bouteille de Guinness si on en vendait.
Les transports ne sont pas en reste. A Dakar, pour emprunter un taxi, il faut prévoir au minimum cinq cents francs. Certains trajets peuvent même te coûter quatre mille. A Douala, avec cents francs, pour certaines distances, tu as ta place dans un taxi.
Au vu de tout ceci, je me suis demandé quel pouvait bien être le salaire minimum à Dakar. La vie est chère dans cette ville. Un dakarois m’a donné une explication simpliste, mais pas totalement dénuée de sens : « le problème de la cherté de la vie à Dakar est dû à l’importance de la population occidentale qui vit ici. Beaucoup de ces gens sont payés en euros et en dollars. Quand ils vont dans nos marchés, les prix qu’on leur donne sont pour eux insignifiants. Ils alimentent alors l’inflation puisque pour eux, il n’est pas difficile d’acheter ».
Ceux que je plains dans cette histoire sont les gars de Dakar. A Douala, quand ta petite vient te rendre visite, tu lui donnes deux mille francs, répartis ainsi qu’il suit : cinq cents pour le transport (même si elle habite à l’autre bout de la ville, elle y sera avec cinq cents), cinq cents pour son crédit téléphonique et mille francs pour tenir son porte-monnaie. A Dakar, ces deux mille ne suffiront même pas à la fille pour partir de l’Auberge Thialy Patte d’Oie Builders, où tu as pris une chambre, à Sacré Cœur où elle vit. A Douala tu bombes le torse quand tu donnes cinq mille francs à une nana. A Dakar, tu te sens toi-même ridicule quand tu oses offrir la même somme à une gonzesse.
Finalement, bien que la vie semble si belle à Dakar, avec ses filles superbes, ses plages, ses lieux historiques, ses routes magnifiques et ses beaux immeubles, j’ai décidé de rentrer dans la moiteur, le désordre et le perpétuel brouhaha de Douala. Mais avant de partir, il fallait que je me débarrasse de mes derniers CFA de l’Afrique de l’Ouest. Et je n’ai pas manqué de me faire arnaquer une dernière fois, pour la route. Aéroport International Léopold Sédar Senghor de Dakar, j’achète une Castel de 33 centilitres à mon ami Florian à deux mille (j’en aurais eu six pour le même prix à Douala) et pour moi-même j’ai pris un sandwich qui n’avait de sandwich que le nom. Cette usurpation qui m’a tout de même coûté mille cinq cent francs.
Pour ceux qui se plaignent du fait que je ne leur ai ramené aucun souvenir de mon séjour de Dakar, j’espère qu’enfin ils comprennent.
Par René Jackson
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