Ainsi s’exprime une dame âgée d’une cinquantaine d’années il y a plus d’un an. Nous étions alors plusieurs centaines de personnes alignées depuis des heures dans le hall d’une agence de mon opérateur téléphonique favori. La campagne d’identification de tous les abonnés au mobile du Cameroun venait juste d’être lancée par le gouvernement et le délai imparti pour se plier à l’exercice arrivait à son terme dans les jours qui suivaient. Cette observation lancée à la cantonade souleva un débat dans la salle entre ceux qui voyaient l’importance de cette identification et ceux qui étaient farouchement contre. « Tout ça, c’est pour avoir des noms à utiliser pour remplir leurs listes électorales » ou encore « pour plaire aux français ». Vous savez, au Cameroun, tout a un lien avec la politique. Il y a quelques mois par exemple, l’Etat a accordé une bourse aux meilleurs étudiants du Cameroun. Une première depuis plus de trente années. Des esprits retors ont voulu inciter les bénéficiaires à ne pas aller retirer cet argent car « chacun des étudiants y ayant touché doit savoir qu’il ou elle a déjà voté pour le RDPC (le parti au pouvoir) ». Il est bon de situer le contexte: les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2011. Pour en revenir à la campagne d’identification, prévue au départ pour ne durer qu’un trimestre, elle s’étale déjà sur près de deux ans, parce que certains irréductibles traînent le pas et affirment mordicus qu’ils n’iraient se faire identifier que si leur ligne était effectivement suspendue. Il faut dire que depuis, personne ne leur a fait avoir tort.
Un bip peut vouloir tout signifier.
Il n’est pas question ici de remettre en doute la nécessité de cette campagne d’identification. Elle est avant tout initiée pour la sécurité des citoyens, parcequ’elle permettra d’accoler un nom d’abonné à chaque numéro de téléphone car depuis des années, les cartes SIM se vendent comme des bonbons. Il n’est non plus question de remettre en cause l’utilité – largement avérée – de la téléphonie mobile. Mais que de fois ce petit bidule technologique a représenté une nuisance.
Commençons par la bip. Malgré les prix des appels qui ont chuté, certains ont gardé cette fâcheuse habitude de biper. Et un bip peut vouloir tout signifier. Je viens d’apprendre à mon oncle que sa nièce a accouché aujourd’hui. Il me répond « Donc, c’est pour me dire ça que sa mère me bipe toutes les trente minutes depuis ce matin? Ne peut-elle pas m’appeler? » C’est vrai que certains veulent tout simplement dire « je pense à toi », mais venant de certaines autres personnes, le bip est intraduisible. L’horreur, c’est qu’ils arrivent à toute heure du jour ou de la nuit.
Le téléphone mobile est un objet de désocialisation.
Un paradoxe est à pointer du doigt: le mobile, réputé comme étant un appareil qui met tous les proches à portée de main, représente un outil de désocialisation inquiétant. Je prends mon exemple personnel: à une époque, je passais tellement de temps au téléphone que ma relation amoureuse de l’époque en a pâti, en plus de mon téléphone qui est tombé en panne plus rapidement que prévu. Ma mère sort de ses gonds quand elle me voit pianoter sur mon mobile. Quand elle me voit le faire, elle sait qu’à ce moment, je suis enfermée dans une bulle, bien que invisible. Le téléphone a mis à mal la chaleur humaine. Un exemple: dans nos hôpitaux, il est bien de patients ne reçoivent pas de visites, car les personnes sensées le faire préfèrent leur téléphoner ou leur envoyer des SMS.
L’arnaque tarifaire.
Le porte monnaie en souffre aussi. Entre l’achat de l’appareil et le crédit qu’il faut tout le temps recharger pour assouvir notre addiction, la facture se retrouve très rapidement salée. Et je ne saurai terminer mon propos sans parler des opérateurs qui ont entraîné les abonnés dans une danse infernale qui se nomme « options tarifaires ».
Au Cameroun, les options tarifaires sont tellement nombreuses (en moyenne 10 par opérateur) que ça sent le traquenard. Beaucoup ne s’y retrouvent plus et il est impossible de savoir à l’avance combien l’appel qu’on compte effectuer va coûter. Le gouvernement oblige les opérateurs à facturer la minute d’appel à 125 F CFA (19 centimes d’euros), mais il existe des options tarifaires qui doublent allègrement ce tarif.
Avec les pannes de réseau récurrentes par endroits, l’absence d’électricité pour recharger les batteries, les vols de mobiles et tout ce qui est cité plus haut, il est clair que le mobinaute camerounais n’est pas encore sorti de l’auberge.
Par René Jackson
Source image: lepost.fr
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