J’étais affalé dans mon canapé hier, la zappette à la main, parcourant distraitement les chaînes du bouquet satellite, quand je tombe sur le canal télévisé le plus regardé au Cameroun, une chaine locale. Là, je vois une femme Blanche qui parle un idiome qui ne correspond pas du tout à la couleur de sa peau. Je crois tout d’abord à un doublage. J’hausse le son et je me rends compte que le phrasé et les mouvements des lèvres sont parfaitement synchrones. Des souvenirs rejaillissent. Ben oui, cette femme Blanche qui parle ainsi la langue bangangté, avec précision et accent, est l’une des plus atypiques que j’aie connues et représente une fierté pour le camerounais que je suis! Il s’agit de la Reine Claude Njike-Bergeret, épouse du Chef traditionnel de Bangangté, le feu Pokam François Njike. Je vais partager avec toi, cher lecteur, l’histoire de celle qu’on appelle affectueusement ici la Reine Blanche.
Le groupement bamiléké est installé dans la région de l’Ouest au Cameroun, qui est situé géographiquement au sud-ouest du pays, dans ce qu’on appelle « la fesse » (la carte du Cameroun pour comprendre), est l’une de celles qui garde encore encrée dans ses mœurs une richesse culturelle criarde et qui préserve ses traditions ancestrales envers et contre tout. C’est dans ce contexte que se trouve la ville da Bangangté, qui est aussi une chefferie. La structure des chefferies bamiléké est très organisée et surtout rigoureusement hiérarchisée. A leur tête, trône un chef, entouré de multiples courtisans. Le chef est assisté d’un conseil de notables qui l’aident lors de la prise de décisions. En dessous de cette caste dirigeante, il y a les sujets de sa Majesté. Ce sont des monarchies dynastiques, le pouvoir est transmis de père en fils, que ce soit celui de chef ou celui de notable. Le chef peut avoir un nombre illimité d’épouses. Un chef nouvellement intronisé hérite de toutes les épouses de son feu prédécesseur. Il en est de même pour les notables. Pour le touriste de passage au Cameroun, c’est un endroit dont je recommande la visite (je l’ai d’ailleurs décrit ici et là).
La petite Claude Bergeret nait à Douala, au Cameroun, en 1943. Ses parents sont des missionnaires protestants français venus porter l’évangile dans nos contrées qui autrefois furent lointaines. Son père est pasteur. Quand elle a trois ans, ses parents sont détachés à Bangangté où ils fondent une école. Elle y débute sa scolarité et y vit pendant les dix années suivantes, avant le retour de sa famille à Pons, en France. Là, elle continue ses études, se marie et met au monde deux enfants, avant de divorcer. En 1974, elle revient au Cameroun où elle a ses racines, s’installe à Bangangté et reprend le poste de direction de l’école occupé par ses parents quelques années plus tôt. Quatre ans plus tard, elle épouse le Chef Pokam Njike, alors chef des bangangté et devient ainsi l’une de ses… quarante femmes.
Pourquoi ai-je épousé le chef traditionnel de Bangangté ? Parce que je l’aimais, voilà tout. Et puis, ce genre de questions, on ne se les pose pas dans mon pays (le Cameroun, ndlr), on ne se les pose pas en Afrique. Demandez donc à un africain : Que faisait cette Blanche au sein d’une chefferie polygame ? Il répondra simplement : Dieu seul le sait. Pour lui, personne n’est maître de son destin. Nul besoin d’explication, d’analyse, Dieu seul le sait. Rechercher la sagesse est bien plus important que la quête du savoir.
Ce mariage a fait des remous au sein de la communauté européenne locale, car cela allait totalement à contre-sens avec leurs valeurs. Une chrétienne, européenne et fille de pasteur de surcroît, n’allait pas épouser un bonhomme ayant déjà des dizaines de femmes et pratiquant des coutumes aussi sombres et païennes que mystiques ! Par contre, chez les autochtones, ce ne fut pas un évènement si différent des autres. Elle fut acceptée dans la famille royale, vécut parmi ses coépouses et eut deux autres enfants de cette union.
Malheureusement, elle perd son mari et quitte la chefferie pour aller s’installer près du fleuve Noun, en pleine savane, où elle développe une exploitation agricole. Elle y vit depuis près de 27 ans et travaille en compagnie de ses fils.
Personnalité très connue, elle et ses enfants sont complètement intégrés dans la société locale, où ils exécutent les mêmes travaux que les autochtones. Quand on lui demande si la vie n’est pas très ardue dans ce coin reculé du pays bamiléké, elle répond par une simplement :
Au Cameroun, on peut être encore soi-même, on peut avoir une liberté individuelle, on peut vivre en dehors des clichés et c’est ça qui me permet de vivre au-delà de ce que j’ai pu imaginer. Au Cameroun, je peux vivre dans la nature, à son contact, avec ses dangers, avec cet infini (…) Depuis 45 ans que je vis dans la brousse africaine, je la découvre chaque jour tout en restant au même endroit. Quelqu’un qui survole un paysage ne peut pas imaginer ce qu’on peut découvrir au contact de ce qui est notre seul milieu naturel. Partout ailleurs, nous sommes sous perfusion, nous ne sommes pas dans notre élément naturel. Là où vivent les citadins, je crois que personne ne peut comprendre ce que je ressens (…)
Et qui est déjà allé dans les grassfields peut la comprendre.
Parlant de sa vie en tant qu’épouse d’un chef traditionnel, elle avoue que cela n’a pas à certains moments été facile pour elle. Elle a en effet souvent été battue par son époux, ce en présence de tout le monde. Mais de façon globale, elle trouve que la vie dans la chefferie était agréable et que c’était facile d’endurer cela car elle aimait son mari. Sa famille quant à elle a refusé de la comprendre et de donner son assentiment à ce mariage. Elle profite de sa vie calme en pleine brousse pour s’adonner à l’écriture. La Reine a déjà publié trois livres : Ma passion africaine en 1997, La Sagesse de mon village en 2000 et Agis d’un seul cœur en 2009.
L’histoire de Claude Njike-Bergeret est édifiante car aujourd’hui, surtout pour nous les jeunes africains en général et camerounais en particulier, on évolue dans une logique de rejet. Rejet de toutes les traditions, des us et des coutumes de nos ancêtres qui ne représentent rien de plus que des carcans dont il faut se débarrasser. A l’époque de la recherche de la facilité, des regards tournés vers un occident qui commence à détourner les siens de nous, trouver dans les tréfonds de la savane africaine un spécimen pareil doit inéluctablement nous pousser à reconsidérer la valeur réelle, intrinsèque de notre terre, de nos coutumes, de nos traditions. Elle voue sa vie au Cameroun, au développement de sa localité et n’a pas peur de s’échiner pour avoir sa pitance. Elle effectue avec ses fils des travaux que même nous, africains, regardons souvent avec une moue dédaigneuse.
Tout ceci par amour. Ne dit-on pas qu’il peut déplacer les montagnes ? Briser les frontières ? En voici une preuve authentique ! Claude Njike-Bergeret est une reine. Reine d’un pays bamiléké. Reine d’un peuple. Amoureuse d’une terre, d’un pays, d’un homme… Elle est un exemple d’abnégation pour chacun d’entre nous. Une illustration supplémentaire en est faite dans cette surprenante et profonde interview qu’elle a donnée il y a quelques années déjà…
Je dédicace ce texte à Ziad Maalouf, journaliste à RFI. J’espère qu’il comprendra pourquoi.
Par René Jackson
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