Cher Président,
Avant tout, je vais te demander comment tu vas. Chantal se porte bien? Franck, Junior et Anastasie, j’espère que par la grâce de Dieu, ils sont bien portants. Il faut croire que, car comme on dit souvent: « pas de nouvelles, bonne nouvelle ».
Excuse-moi de ne pas emprunter les canaux officiels pour te faire parvenir cette missive. Les affres de la bureaucratie sont tels dans notre cher et beau pays, que beaucoup disent que la grande majorité du courrier qui t’est destiné tu ne le vois même pas. En ayant vécu l’expérience des tracasseries administratives, je suis plutôt enclin à donner raison à ceux qui le disent. Je me suis donné le courage de coucher numériquement ces mots en voyant ce qui est arrivé à Valsero, le rappeur qui a écrit deux lettres et qui te les a faits parvenir en couchant les paroles assez dures sur des mélodies. Ce qui est arrivé à Valsero? Ou plutôt ce qui ne lui est pas arrivé. Parce que la première fois que nous avons entendu ses chansons, nous nous sommes dits: « Aïe! En voilà un pour qui ça va chauffer dans quelques semaines ». Et depuis deux ans, rien! Personne n’a touché à aucun de ses cheveux. Mais beaucoup d’autres ne peuvent en dire autant. Nyemb Popoli par exemple, qui a (encore) été molesté par les gendarmes la semaine dernière. Ou les agriculteurs qui ont été empêchés de manifester (pacifiquement) à Yaoundé. il y a deux semaines. Ou encore les citoyens qui, en février, ont été mis provisoirement aux arrêts à Douala car ils avaient osé défiler pour soutenir M. Laurent Gbagbo, alors que tu avais déjà dit que conformément à l’Union Africaine, tu reconnaissais M. Ouattara comme étant vainqueur de la présidentielle ivoirienne.
En tant que jeune camerounais, je t’écris. T’inquiète, ce n’est pas pour t’adresser une énième motion de soutien. Ceux qui le font, toi et moi savons que tu n’en as pas besoin pour te décider à te représenter ou pas à ta propre succession. Non, c’est la lettre d’un fils à son père.
Cher Président, ce qui nous fait mal plus qu’autre chose ce sont tes absences. Nous, jeunes, nous manquons de repères. Et nous sommes comme des enfants d’école qui rentrent seuls au retour le soir quand les autres camarades voient leurs parents venir les chercher. On aimerait te voir plus. Cela ne nous suffit pas d’avoir un discours le 11 février, le 19 mai et le 31 décembre, de ne te voir en public (sauf cas de force majeure) que le 20 mai! Nous voulons sentir qu’il y a un capitaine à la manoeuvre. On ne parle de toi à la télé que lorsque tu pars en Europe et quand tu y reviens. Et cela est tellement récurrent qu’on ne sait plus quand tu es là ou pas. Dans quelques jours, cela fera deux années que tu n’as plus présidé personnellement un conseil de ministres!
Cela fait désordre quand on jette un coup d’oeil à ce qui se passe tout autour. Les présidents des autres pays parlent, sortent dans la rue, tiennent des conférences de presse, accueillent des jeunes, des leaders d’opinions, des travailleurs sociaux et j’en passe. Nous on a droit qu’à des discours épistolaires deux ou trois fois dans l’année, au lieu de discussions franches, les yeux dans les yeux, à bâtons rompus avec les forces vives du pays. Certains diront que tu ne veux pas raconter n’importe quoi, mais nous, comme les enfants, on préfère un père qui passe son temps à raconter des âneries à un père absent. Nous on a droit à un quadrillage musclé des villes quand tu dois t’y rendre. Les yaoundéens ont droit au bouclage des rues, aux embouteillages, aux snipers sur les immeubles et à la brutalité de ta garde rapprochée à ta moindre sortie. Ils souffrent ainsi pour ne même pas à la fin te voir, car ton cortège passe toujours à une vitesse folle et les glaces de ta Mercedes sont toujours teintées. Toutes ces mesures n’en valent même pas la peine tu sais. Personne ici ne te souhaite aucun malheur. T’encombrer de ces bidasses à chaque fois est inutile. Ils sont même parfois harassants. Quand le Pape rend visite à un pays, il a pour habitude, dès sa descente d’avion d’embrasser le sol du pays qui l’accueille. Mais en 2009, quand Benoît XVI était chez nous, les seuls qui ont pu voir le Pape baiser le sol du Cameroun étaient les éléments de la sécurité qui l’avaient totalement encerclé dès qu’il fut au bas de la passerelle, comme s’il était là dans un pays de terroristes ou de fondamentalistes musulmans!
Pour en revenir à tes ministres, on a l’impression qu’ils font comme si tu n’étais pas là. Il faut de temps à autre frapper du poing sur la table. Les remettre dans le sens de la marche. Il faut sévir. Rends-toi compte! J’ai obtenu mon DEUG (un diplôme universitaire) en 2008. J’ai dès ce moment-là engagé les démarches pour me faire délivrer l’attestation qui devrait prouver que j’ai effectivement obtenu le diplôme. Je n’ai pu entrer en possession de ce parchemin qu’il y a quelques semaines après plus de deux années pendant lesquelles j’ai hanté le secrétariat du Doyen de mon établissement. La providence a voulu qu’avec les 25 000 emplois que tu promettais aux jeunes dans la fonction publique, tu ais enjoint à tous les chefs d’établissements publics de tous ordres de mettre à disposition des titulaires leurs parchemins. Sinon, je ne sais pas combien d’années j’aurais encore attendu avant de pouvoir entrer en possession de ce bout de papier.
Tu te demandes peut-être comment se porte le pays. Le pays va bien. Sauf que mon voisin a un bar. Il a une chaîne musicale dont il use de toute la puissance à toute heure du jour comme de la nuit. La police patrouille dans le quartier toutes les nuits et il n’a jamais été demandé à ce voisin de laisser dormir les bonnes gens des alentours. Malgré les deux plaintes qu’on a déposées, rien n’y a fait. Il se dit que le frère du propriétaire de cette buvette est sous-préfet quelque part… Mais il y a quelque chose que je vas te dire. Beaucoup de gens de ma génération ne seront pas d’accord avec moi, mais j’ai pris la décision de ne pas t’abandonner. Je vais rester au pays et tu sais pourquoi? Parce que j’ai l’intime conviction que les choses vont changer ici. Il n’appartient qu’à nous de dépasser certaines choses pour que tout marche ici. En plus, je me sens en sécurité dans ce cher pays, quoiqu’on dise. Et je sais que quelles que soient les conditions, celui qui se donne de la peine aura son pain. Je ne dis pas que tu as fait un travail extraordinaire. Loin de là. Mais avec toi, certains acquis ont été préservés. Je ne parle pas de paix, car sous la croûte, la lave bouillonne et ça peut exploser à tout moment. Il est plutôt question ici de tranquillité.
N’en déplaise aux éternels nostalgiques (qui jusqu’à aujourd’hui regrettent ton prédécesseur le Président Ahidjo), je soutiens mordicus qu’il est parti quand il fallait partir. Merci pour son travail. Trop de pouvoir est néfaste. Il serait encore resté au pouvoir que je suis sûr qu’il serait devenu un féroce dictateur (il faut d’abord voir comment il a, avec l’aide des français, massacré les indépendantistes de l’UPC). Sur quoi je me base? Il suffit de voir comment ont tourné tous les dirigeants de nos pays après l’indépendance (Mobutu, Sékou Touré et j’en passe). Toi, tu as le mérite d’avoir eu à essuyer la crise économique de la fin des années 1980 et ses conséquences, de gérer les conséquences du Vent de l’Est qui a charrié la démocratie jusque dans nos contrées. Si le grand Ahidjo était resté jusque là, je parie qu’il ne jouirait pas des souvenirs aussi dorés des camerounais. Mais, cher Président, pense tout de même à faire rapatrier sa dépouille. Il y a une partie de la population qui se sent mal à l’aise à cause de ce que cela n’a pas encore été fait.
Maintenant, il faut regarder vers le futur. Notamment vers la fin de cette année. Il y a des élections présidentielles en octobre. Beaucoup de choses se sont passées sur le Continent et ailleurs depuis le début de cette année. Ben Ali et Moubarak ont été dégagés. Des affrontements féroces cours en Libye où Kadhafi se tient à son pouvoir de toutes ses forces. Ton ami Compaoré du Burkina essuie depuis deux mois des vagues successives de mutineries. Malheureusement, tu as un lien avec tous ces gens. Comme eux, tu te distingues par la longévité de l’exercice du pouvoir. L’an prochain, ça fera 30 ans que tu présides aux destinées de notre pays. J’avoue, j’ai les tripes qui se nouent quand je pense à cette échéance. Que va-t-il se passer? Tout dépend de toi. De la décision que tu vas prendre. Depuis deux semaines, certains intellectuels disent que tu es inéligible. Pour ton parti, tu es le Candidat Naturel. D’autres encore disent que tu es trop vieux et que tu devrais passer la main. Moi, je ne saurais trop quoi te conseiller de faire. Mais je compte sur ta conscience qui sûrement t’aidera à faire le meilleur choix pour que perdure la paix (?) dans notre pays. Mais ne t’inquiète pas, tu auras ma voix s’il fallait que je vote. Parce que moi je crois plus en toi qu’à cette clique de politiciens opportunistes qui n’apparaissent qu’en période électorale pour jouer aux guignols et empocher l’argent du contribuable qu’on leur donne comme subvention pour leur campagne.
Ah, cher Président! La mort de Omar Bongo, le voisin d’en bas n’a pas fait que des heureux! Depuis qu’il est parti, tu es sous les feux de la rampe dans ta posture de doyen des chefs d’Etat. Toi qui menais ta vie pépère, tranquille, à l’ombre, sans faire de vagues, tu es désormais obligé de déférer à toutes les sollicitations. Comme dernièrement pour l’investiture d’Alassane Ouattara à Yamoussoukro. Mais une chose ma déplu: ce n’est pas que je n’aime pas ta chère épouse. Je l’apprécie même beaucoup. Mais sa coiffure a provoqué insultes et quolibets sur le fil Twitter par lequel je suivais la cérémonie. Cela ne s’est pas arrêté là. Un journaliste a carrément publié un article dans lequel il essayait, avec l’aide d’autres internautes, de deviner à quoi servirait cet amoncellement de fibres capillaires arnaché sur la tête de Chantal. C’était un véritable camouflet pour le camerounais donneur de leçons que je suis. Une honte! Je ne sais pas si tu peux essayer de voir ça avec elle. Nous y sommes désormais habitués (quoique certains camerounais continuent de se gausser de cette coiffure barbare et multicolore) mais j’estime qu’il y a encore un effort à se faire à ce niveau afin que le sommet de l’exécutif camerounais ne s’identifie pas aux yeux du reste du monde aux excentricités capillaires de la première Dame.
C’est tout ce que j’ai à te dire. Pour le moment en tout cas. J’espère que tu liras cette lettre, Cher Président. Et que surtout Dieu te bénisse et qu’il bénisse le Cameroun.
Valsero – Lettre au président
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Par René Jackson
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