Ô innocence, ô insouciance, où êtes-vous? Où êtes-vous passés depuis? Ô pudeur, ô honte, ô honneur, pourquoi avez-vous foutu le camp? Cela avait commencé par une démultiplication des débits de boisson, qui naissent et se répandent de façon totalement incontrôlée. Ces lieux qui auparavant fermaient avant 10 heures du soir font maintenant concurrence farouche aux night clubs et autres discothèques. Y a-t-il encore des gens qui sortent en boîte à Douala. Je ne crois pas, puisque plus personne n’en parle. Il y a encore quelques années, les seuls lieux de (ré)jouissances dans notre chère ville se nommaient « Khéops », « Jet Set », « Blue Note », qui étaient tous des boîtes de nuit dignes de ce nom, c’est-à-dire avec des videurs à l’entrée, petite porte close, contrôle des identités, insonorisations… Aujourd’hui, on parle de « Club Facebook », « Connexion », « 10 étoiles », qui sont des snack-bars en bonne et due forme. Ils ne sont désormais plus seulement le repaire des braqueurs qui y ourdissaient leurs funestes desseins, mais aussi des lieux de jouissance libidinale incontrôlée. Ces bars ne sont plus seulement des bars, mais aussi des clubs de strip-tease. On les appelle les bars « sans caleçon »!
Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il y a quelques jours, en traversant la place du marché qui se trouve à un jet de pierres de chez moi, je tombai devant un petit tableau jadis noir posé à même la chaussée sur lequel était rédigé à la craie et d’un main très peu précise: « Ne ratez pas les mercredis ‘sans caleçon’ en compagnie des plus belles filles d’ici et d’ailleurs »! Derrière ce tableau se trouvait un snack. C’est ce snack qui organisait des soirées « sans caleçon » au vu et au su de tous les revendeurs, revendeuses, ménagères qui arpentent ce marché tous les jours, mais aussi des policiers, gendarmes et encore plus grave, au vu et au su des enfants qui nombreux passent par là!
Phénomène particulièrement récent, le « sans caleçon » (qui dans le contexte des activités nocturnes se rapporte à tout ce qui est gogo dancing et striptease, mais que le jargon étend à l’érotisme, à la pornographie et à la prostitution) se répand désormais comme une trainée de poudre dans la ville de Douala. Il y a encore quelques années, il fallait vraiment chercher pour trouver une boîte à strip-tease dans la ville. Et pour le peu qui existait, l’accès n’y était pas des plus évidents. Depuis, les bars ont supplanté les boîtes de nuit et toutes les activités vicieuses qui y étaient cantonnées ont été transférées vers les nouveaux lieux de villégiature des fêtards de la ville: vers les bars.
Ainsi, le phénomène « sans caleçon » s’est démocratisé. Tout le monde peut désormais y avoir accès et jouir de voir des nymphes se tortiller autour de mâts, se mettre nues et dévoiler la face cachée de la vie, pour paraphraser quelqu’un. Tout le monde, même moi. Pour les besoins de ce billet (et rien que pour lui), je me suis fait violence et j’ai pénétré une fois de plus dans cet univers que j’avais découvert il y a quelques mois à Yaoundé. Rien de mieux pour cela qu’un samedi soir entre amis. On n’a pas eu besoin de chercher trop longtemps (et pour cause) pour tomber sur un bar qui promettait pompeusement « la présence d’Aphrodite, la plus belle fée du pays qui [allait] nous dévoiler les secrets du mont de Vénus ». Condition requise pour accéder aux turpitudes: acheter une bière ou un soda. Une fois installés nous avons tout d’abord été émoustillés par des jolies filles qui dansaient de façon lascive, mais toutes habillées. L’endroit n’était dissimulé des passants et des voisins que par une simple haie tissée de lanières de bois et à l’opacité douteuse.
Quelques temps après, la partie la plus intéressante a commencé par un défilé d’une dizaine de filles qui, selon une voix qui crachait dans le haut parleur, seraient celles qui nous occuperaient pendant les heures qui suivraient. Aphrodite, elle, serait le clou du spectacle. Pendant près de deux heures donc, les différentes filles nous ont servi des prestations d’un mimétisme simple: trémoussements, figures de gymnastique sur les mâts, figures érotiques. A un moment donné, soutien gorge et petite culotte finissaient pas disparaître et l’affiche de l’extérieur prenait alors tout son sens. Les filles se retrouvaient bel et bien sans caleçon. Pour la fin, elles passaient entre les tables prendre le billets qu’on voulait bien leur donner. Et comme promis, aux petites heures du matin, Aphrodite montait sur l’estrade. Force était de constater qu’elle n’avait pas usurpé son surnom. A la différence des autres, elle était arrivée déjà toute nue. Et son show était bien plus endiablé que les précédents, car les voyeurs assis au premier rang en ont eu pour leur argent. Elle a dévoilé les moindres secrets de sa féminité. Après avoir chauffé l’assistance à blanc, elle est descendue de son podium, est allée choisir un homme avec lequel elle est remontée sur son piédestal. Puis elle a entamé avec lui un corps à corps qui ne laissait pas de place au doute, ceci sous les hurlements d’une foule surexcitée…
On peut désormais sans se tromper dire que l’érotisme et même la pornographie ont fait leur nid dans la cité capitale économique du Cameroun. En dehors de ces bars à strip-tease qui essaiment un peu partout dans la ville, il faut noter que l’accès à ce type de « divertissement » est de plus en plus facile. Les bouquinistes exposent en premier plan les revues X et érotiques. Les vendeurs de DVD et de CD piratés qui abondent dans nos rues exposent les images suggestives imprimées sur les étuis des films pornographiques au milieu de ceux des films qu’ont qualifiera de plus conventionnels et des CD musicaux. Autrefois, par contre, ils ne les dévoilaient pas ainsi. La phrase de passe pour avoir des films érotiques auprès des vendeurs de DVD piratés était celle-ci: « il n’y a pas d’autres films dans le carton? » Le vendeur traînait alors le client à l’arrière de son étal et ouvrait un carton dans lequel effectivement se trouvaient des films qui promettaient monts et merveilles. Internet, qui fait rentrer le monde dans nos maisons et dans nos poches n’est pas pour arranger les choses, car d’un simple clic, on peut avoir accès à des bibliothèques contenant des milliers de photos et vidéos X de tous calibres. Vous comprendrez que je ne fournisse aucun lien ici. La télé par satellite n’est pas en manque. En dehors de quantité de films diffusés à toute heure du jour et de la nuit dits « softs » mais qui explicitent le sexe, il est de notoriété publique (là, je vais dévoiler un secret qui n’en est plus vraiment un, sauf peut-être pour les parents qui, s’ils ne sont pas déjà eux-mêmes des vicelards invétérés, se demandent pourquoi leurs rejetons veillent souvent si tard devant le téléviseur) que vers les minuit, une chaîne de TV généraliste est remplacée par une autre qui diffuse des films rien de moins que pornographiques.
Que disent les autorités administratives à ce sujet? Pour le moment, rien. Il n’en a pas toujours été ainsi. On se souvient qu’il y a quelques années, une opération lancée dans le deuxième arrondissement de la ville s’était donné pour but de mettre un terme à l’exhibitionnisme auquel se livraient de plus en plus les filles et femmes de Douala. Toute personne traversant ce secteur en décolleté, string à l’air, soutien-gorge dehors, taille-basse impudent et autres accoutrements disgracieux était interpellée et mise en cellule sans autre forme de procès. Comme il fallait s’y attendre, les voix des femmes s’élevèrent, criant à la discrimination et à la misogynie. Selon leurs termes, on ne devait pas empêcher aux filles de s’habiller aussi légèrement, car « à Douala il fait très chaud, il faut laisser le corps respirer ». Et puis, elles avaient selon elles le droit de disposer de leur corps comme bon le leur semblait. L’opération moeurs propres ne fit pas long feu. Les filles devraient pourtant faire attention, car une étude récente a démontré que beaucoup de viols dans la ville de Douala étaient provoqués et/ou facilités par le port de vêtements indécents.
Concernant les bars où exercent les filles olé-olé, en 2008 une décision du préfet du Wouri, département dans lequel se situe la ville de Douala, avait ordonné la fermeture de tous les clubs de striptease. Ces lieux ont effectivement été fermés. Leurs propriétaires sont descendus dans la rue en arguant qu’ils employaient des dizaines de camerounais et payaient leurs impôts. Depuis, l’activité a repris du poil de la bête.
L’office national de radio et de télédiffusion a à un moment donné pris la décision de passer à la censure tous les programmes diffusés. Cela s’est manifesté par l’interdiction de diffuser toute image équivoque ou toute chanson aux propos grivois. Ce qui a été une véritable catastrophe pour les musiciens camerounais qui, pour l’écrasante majorité, avaient pour fonds de commerce principal les vicissitudes de l’entre-jambes. Les clips vidéos, de plus en plus scandaleux, passèrent eux aussi à la trappe. Tout cela malheureusement fut d’une portée limitée, la chaine nationale de télé ayant été délaissée depuis longtemps au profit des chaînes par satellite.
Il n’est plus compliqué de trouver un coin dans notre belle cité où se payer du bon temps. Entre gogo danseuses qui ne se font plus prier pour se mettre totalement à poil et les rues agrémentées de filles portant des shorts et des jupes dangereusement raccourcis, on peut dire que l’avenir de l’érotisme s’annonce des plus radieux. Pour les bonnes adresses, je ne suis pas celui qu’il faut consulter, mais pour le régal des yeux, j’ai découvert il y a quelques temps lors de mes déambulations sur la Toile qu’une discothèque sélect de la ville offre à voir des images ma foi très agréables (-16 ans, s’abstenir).
Par René Jackson
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