Je dois dire deux choses d’emblée. La première est que j’ai eu du mal à rédiger ce billet. En fait je me suis retenu de l’écrire pendant plusieurs semaines. Je ne savais pas trop comment aborder le sujet. Je ne crois d’ailleurs pas avoir jusqu’ici trouvé la bonne approche. Mais je n’ai pas pu y résister. Secundo, je tiens à signaler dès maintenant aux personnes bien pensantes (les patriotes protecteurs parangons de l’image du Pays, les féministes réactionnaires de tout poil et les extrémistes) avec qui j’ai souvent eu maille à partir sur cet espace qu’elles ne vont pas du tout aimer ce qui va suivre.
Pour ceux et celles qui n’ont toujours pas compris, je vais parler des relations un peu alambiquées que les jeunes Camerounaises entretiennent avec la pornographie. Si après cette phrase vous êtes encore là, c’est à vos risques et périls.
Comment considérions-nous les femmes lorsque nous étions plus jeunes ? Comme des modèles de vertu. On nous a instillé dans l’esprit que c’étaient des choses toutes fragiles dont nous serions responsables plus tard. Quand nous les épouserions. Quand nous les procréerions. Et quand nous nous en servirions comme second bureau. Les hommes en devenir que nous étions serions leur héros. Mais nous devrions aussi les mener à la baguette. Parce que la femme est tout, sauf docile. Et elle a la langue qui tue, disait-on, la virilité. On devait montrer qui est le chef. En Bantous que nous sommes, nous ne devrons ployer dans une face à une dame sous aucun prétexte.
Nous avions donc, entre autres missions, celle de « protéger le modèle de vertu et de probité que représentent les femmes » de tout ce qui pouvait corrompre leur esprit. Comme de la sexualité. Parce qu’en tant qu’hommes, nous sommes par définition des pervers. Du coup, avant de parler de certaines choses, on devait s’assurer qu’il n’y ait aucun hominidé de genre féminin dans les parages.
Mais ça c’était avant.
Parce qu’aujourd’hui, ce sont ces êtres fragiles qui vous entraînent sur les chemins glissants (sans mauvais jeu de mots) du stupre. Exemple : il y a environ deux ans, j’avais réussi, à force d’usure, à trainer une jeune Camerounaise dans un restaurant de Douala. Une panthère en puissance, mais ça je ne l’ai appris que plus tard et ce à mes dépens. Pendant que nous étions en train de manger, elle dit :
« Jack, est-ce que tu sais qu’à côté il y a un sans caleçon ? » (Entendez par là un bar de strip-tease).
Moi, me préparant assez hypocritement à monter sur mes grands chevaux de pourfendeur de la débauche, prêt à pointer un doigt accusateur sur ces endroits qui pervertissent notre société (et ce malgré mes nombreux forfaits), la demoiselle m’a couché au tapis avec un : « je suis déjà partie là-bas avec des amies. C’était bien, j’avais beaucoup aimé. J’étais en classe de première. Après, je suis allée au sans caleçon qui est à… » Et là, elle m’a sorti une liste longue comme un bras de bars de strip-tease qu’elle avait déjà visité. Elle a fini avec : « si tu veux on peut y aller après ».
La ligne de démarcation entre ce qui est réservé aux hommes et ce qui est du giron des femmes s’estompe lentement, mais sûrement. Beaucoup d’hommes sont inquiets, car ils sont perdus par cet état de fait. Il y a encore quelques années, le fait de se réunir tout autour d’une revue interdite au moins de dix-huit ans était le passe-temps des hommes. Mais j’ai vécu il y a quelques semaines la scène qui m’a inspiré ce billet : une huitaine de jeunes femmes avaient les yeux rivés sur l’écran d’une tablette numérique, gloussant comme des poules prêtes à pondre. Elles étaient fascinées. Curieux, j’ai jeté un œil par-dessus leurs épaules. Les images ne prêtaient à aucune équivoque. J’ai été presqu’enseveli sous un tombereau d’insultes quand j’ai émis ma petite observation.
« Cessez de croire que vous êtes les seuls à avoir le droit de regarder ça. Nous aussi on peut ».
C’est ce que j’appellerai l’égalité entre les sexes. Nivellement vers le bas ? Ou bien nivellement vers le haut ? Ce n’est pas à moi d’en juger.
Et WhatsApp fut.
Ce logiciel pour téléphones intelligents est très en vogue chez les jeunes. Il y a un peu plus d’un an, à force de sollicitations, je me suis inscrit sur ce réseau. Et tout de suite, j’ai reçu des invitations pour faire partie des groupes de discussion. Trois fois sur quatre, c’étaient dans des groupes créés par des filles. Et là, ça parlait de tout. De vraiment tout. Et surtout de choses que la bienséance m’interdit de retranscrire ici. Et nul besoin de dire que les filles de ces groupes de discussion participaient activement et se révélaient particulièrement inspirées. Et parfois même, elles accompagnaient leurs arguments textuels par d’autres arguments, bien plus parlants, en images et en sons. Je parie que de petits malins ont conservé beaucoup de choses. Et qu’on assistera dans un proche avenir à des suicides de jeunes Camerounaises liées à WhatsApp. Si ce n’est déjà le cas.
Fatigué d’avoir mon champ de vision tout le temps pollué par des échanges salaces entre de jeunes gens que je ne connaissais ni d’Adam, ni d’Eve pour la plupart, j’ai quitté ces groupes. Mais mal m’en a pris car ce qui devait se produire se produisit.
L’affaire de l’année.
En juin dernier et pendant deux à trois mois, Yaoundé a eu des airs d’Hollywood. Un scandale sexuel dans lequel notre star nationale fut l’un des principaux protagonistes. Les sites web et autres réseaux sociaux n’en ont eu que des bribes. Pour avoir la substance même de toute cette affaire, il fallait être introduit dans les bons groupes sur WhatsApp. De haute lutte, j’ai enfin pu réintégrer l’un d’entre eux et là j’ai été ébahi ! Les dames n’ont plus rien à nous envier dans ce domaine, mes chers messieurs !
L’un des constats que je tire de toutes mes pérégrinations sur internet ces dernières années est que la langue de la Camerounaise s’est déliée. Elle n’a plus froid aux yeux (ni nulle autre part d’ailleurs) et ose dire tout haut ce qu’elle veut et ce dans un langage extrêmement fleuri. L’épicurisme est devenu son affaire. Et toi le jeune homme qui refuse de parler de ces choses car plein de respect pour ta personne ou pour la leur, tu passes pour un largué, un has-been tout à fait inintéressant. Toutefois certains ont observé que le sexe est devenu un moyen comme un autre d’affirmation de soi pour les jeunes Camerounaises. Et elles n’hésitent plus à l’agrémenter de quelques artifices, disons-le, pornographiques.
Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Une amie me disait ceci il y a dix ans, avant l’explosion que nous connaissons d’Internet et des réseaux sociaux : « quand j’entre dans la chambre d’un gars pour la première fois, je la fouille dès que j’en ai l’occasion. Si je ne tombe pas sur des revues du genre que tu peux très bien imaginer, je comprends que le mec a un problème et je me casse vite fait».
A l’époque, mon esprit encore naïf avait pensé qu’elle évoquait des revues de nihilisme ou d’odontostomatologie. Mais avec les années, j’ai finalement compris qu’il s’agissait de tout autre chose.
Par René Jackson
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