Toi, le touriste qui arrive dans notre grande et belle cité équatoriale située en plein cœur du Golfe de Guinée, dans l’estuaire du Wouri, nous te souhaitons la bienvenue! Si tu arrives en avion, tu survoleras la ville et ses quartiers, tu verras les rues s’entrecroiser avec un charme assez désordonné. Si tu y pénètres par la route, tu remarqueras que bien de voies sont asphaltées. Et beaucoup d’autres pas. Si tu nous viens par la mer, sache que tu es sur le fleuve qui a donné le nom que mon pays porte. Tu remarqueras que la ville de Douala est nichée dans une plaine et que les collines les plus proches sont éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres. Mais tu verras le Mont Cameroun, le sommet le plus élevé du pays, bien qu’éloigné de cent kilomètres, étale toute sa majesté à tes yeux. Dans cette atmosphère bigarrée, caniculaire, mouvementée, je te promets que l’ambiance ne manquera pas. Mais de grâce, évite de te mettre dans encore plus de tracas en te munissant d’un plan de la ville. Ce plan te sera au mieux inutile.
« Hép! Taxi! Déposez-moi au 22 rue des Lilas acidulés, je vous prie! ». Rassure-toi, ce n’est pas ainsi que tu indiqueras ta destination à un chauffeur de taxi à Douala. D’ailleurs, on voit dans les films que là-bas à Évry, Paris ou Berlin, vous empruntez un taxi pour vous tout seul durant toute la course. Egoïstes que vous soyez! Ici, les taxis on se donne la peine de les partager avec d’autres. On y va même très souvent en surcharge d’une ou deux personnes. L’ingénieur de Toyota a fait de très mauvais calculs. On lui prouve que les voitures qu’il a conçues pour transporter un maximum de cinq personnes peuvent en fait prendre aisément sept. Et en heure de pointe, il y a des places supplémentaires pour un ou deux téméraires dans la malle arrière.
Le plan de la ville que tu consultes anxieusement et sans parvenir à te retrouver a été élaboré par les bons soins de la municipalité. Tu t’y perds. Mais ne t’avise surtout pas de demander à un passant quel chemin emprunter pour arriver à la Place de la Jeunesse que tu vois mentionnée en noir sur ton parchemin. Il te répondra qu’il ne savait pas qu’une telle place existait dans la ville. Pourtant, comme presque tout le monde à Douala, il la connaît. Car cette place est le siège du monument le plus réputé de la cité. On l’appelle communément ici le Rond point Deido. Cette place, qui est située au quartier Deido, comporte un rond-point. D’où la dénomination.
De cette façon, tu parcourras toute la ville et tu constateras que les habitants donneront aux lieux des noms carrément différents de ceux connus au cadastre. Ce qui fait qu’on a des endroits au noms aussi charmants que : le Carrefour Trois-Morts, Rond Point J’ai-Raté-Ma-Vie, La Rue de la Joie, Carrefour Tendon, Bépanda Double-balles, Quartier Non Glacé… Ne crois pas que tout ça est le fruit du hasard, non! Toutes ces dénominations ont une histoire. Le Rond Point J’ai-Raté-Ma-Vie par exemple est un lieu de la ville où pullulent les prostituées qui pratiquent des tarifs si modiques qu’elles ne peuvent qu’avoir totalement raté leur vie. La Rue de la Joie est jonchée sur toute sa longueur de bars, buvettes, cabarets et de chambres de passe où il fait bon vivre pendant toute la durée de la nuit. Il vécut au Carrefour Tendon un noble boucher, virtuose du découpage des ligaments d’animaux. A Bépanda Double-balles, un homme y fut un jour assassiné de deux coups de chevrotine dans l’abdomen. Un bar dans lequel on ne servait que de la bière non glacée donna son nom à un autre quartier. J’ai appris il y a quelques années qu’il y a un lieu appelé Carrefour Sorcier à Yaoundé. Pourquoi ce nom? Tout simplement, paraît-il, qu’un jour d’orage, une tôle se détacha d’un toit, parcourut un hectomètre de distance pour aller décapiter un homme qui cheminait tranquillement dans ce carrefour. Cet évènement était sans doute aucun l’œuvre d’un sorcier très malveillant.
Pendant ton séjour ici, tu auras tout le temps droit à ce genre de délicatesses. Tu dois aller rendre visite à un ami? Renseigne-toi bien sur un lieu, un bâtiment ou une curiosité qui constituera le point de repère. Ce pourrait être une rivière, un ravin, un arbre ou même une boutique… Ainsi, le « hép! Taxi! Déposez-moi au 22 rue des Lilas acidulés, je vous prie! » deviendra « pouvez-vous me laisser au Petit Baobab à Bonabéri? ». Le taximan te déposera effectivement au pied d’un baobab qui a été planté au beau milieu de la chaussée. Ce qu’il faut savoir c’est que dans le coin, il y a deux baobabs. Ce qui fait la différence, c’est la taille. Ne te trompe surtout pas d’épithète. Arrivé là, tu feras alors signe de ton téléphone à ton hôte (habitant quelquefois à une bonne dizaine de minutes de marche de là) qui viendra te chercher.
Tu te demandes maintenant à quoi peut bien servir ton plan? Il peut t’être utile. Quelques noms d’endroits qu’il indique sont bel et bien connus des citadins. Tu peux le garder comme souvenir de tes vacances chez nous. Ou tu peux encore, lors de tes déambulations dans nos rues, essayer de jouer au jeu du savoir-déceler-sur-mon-plan-l’endroit-où-je-me-trouve.
Bienvenue à Douala! Je te souhaite d’y passer un excellent séjour! Et surtout, ne te perds pas!
Par René Jackson
Commentaires