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Il n’y aura pas d’effet domino

Je me suis fait tailler en petites pièces sur ce blog après un récent article que j’y ai publié dans lequel je soulignais que les africains n’avaient pas à se chercher des boucs émissaires qui seraient responsables de la misère dans laquelle se trouvait le Continent. J’y soutenais la thèse selon laquelle nous, africains, étions pleinement à l’origine de nos malheurs et qu’une impérieuse prise de conscience individuelle et collective s’imposait. Les réactions ont été passionnées, certains de mes lecteurs me traitant même d’enfant de la France. Soit. Les évènements n’ont pas tardé à me donner raison. Le peuple tunisien a pris ses responsabilités. Les gens ont envahi la rue et l’un des régimes dictatoriaux les plus encadrés est tombé. Depuis quelques jours, l’Egypte a pris le relais et on est très probablement en train de vivre les dernières heures du Rais Hosni Moubarak à la tête de ce pays.

Ca chauffe en Afrique du nord, et on craint que cette fureur populaire ne se propage dans les autres dictatures arabes du Maghreb et du Moyen-Orient. Les observateurs évoquent aussi un effet domino qui pourrait atteindre les pays plus au sud du continent. Je m’inscris vigoureusement en faux à cette dernière hypothèse. Les crises tunisienne et égyptienne ne rencontreront pas d’écho en Afrique noire, ceci pour de nombreuses raisons.

Tout d’abord pour des raisons culturelles. Une grande portion de l’Afrique subsaharienne (plus précisément l’Afrique centrale et une partie de l’Afrique australe) est peuplée par le groupement ethnique Bantou. Et chez les Bantous, la situation de chef est sacrée. On n’y touche pas. Le chef est respecté et surtout craint par tous ses sujets, en apparence du moins. C’est pour cela qu’on remarque que dans ces régions là, le pouvoir ne connait pas d’opposition et est généralement plébiscité lors des consultations électorales.

La structure politique et l’organisation de nos sociétés ne permettent pas des contestations de grande ampleur comme celles dont on est témoin actuellement en Afrique du nord. Nos dirigeants sont très ingénieux. Ils ont organisé leur règne de telle façon qu’il y aura toujours une partie de la population qui s’opposera à une tentative de renversement d’un pouvoir en place. Les cartes sont savamment distribuées, la considération ethnique étant en première ligne. Au Cameroun par exemple, l’Opération Epervier (mise en place pour permettre l’assainissement des mœurs publiques) actuellement en cours a permis de mettre aux arrêts des dizaines d’anciens hauts-commis de l’Etat. Le constat a été fait que plus de 80% des personnes impliquées dans ces massifs détournements de deniers publics étaient originaires de la région natale du Chef de l’Etat et celles environnantes. Ce qui a poussé il y a deux ans à peu près un collectif de personnes originaires de ces régions à adresser un mémorandum au président de la république pour attirer son attention sur le fait que cette Opération Epervier était en train d’ôter à leurs régions toutes leurs élites. Ce collectif s’étonnait aussi du fait que ce ne soient que les enfants de ces régions là qui étaient visés par les arrestations. La réponse est très simple : ce ne sont que les enfants de ces régions-là justement qui occupent la quasi-totalité des postes stratégiques du pays. Ainsi s’il y a une tentative de renversement du pouvoir actuel au Cameroun, il se trouve qu’il y a au moins trois régions (sur les dix que comptent le pays) qui s’y opposeront fermement. On ne tirera pas tous dans le même sens.

Ensuite, les africains n’ont pas l’esprit révolutionnaire. Une révolution comporte une grande part d’organisation. Les preuves montrent à l’envi que nous ne sommes pas organisés. Et la peur du pouvoir dont il est question plus haut fait le reste. Il y a deux ans, une bonne partie de l’Afrique de l’ouest et centrale s’est soulevée dans ce qu’on a appelé les « émeutes de la faim ». Les causes de ces soulèvements étaient en tous points similaires à celles qui ont conduit à l’agitation actuelle en Afrique du nord. L’issue de ces manifestations de 2008 pouvaient être les mêmes que celle de la Tunisie. Il n’en a rien été. En février 2008, au Cameroun, on en était à notre quatrième jour de manifestations qui avaient déjà embrasé les plus grandes villes du pays. Il y avait déjà des pancartes brandies dans les rues qui demandaient le départ du président Biya, en place à ce moment-là depuis un peu plus de vingt-cinq ans. Il y avait déjà eu des morts, des affrontements avec les policiers, un déploiement de l’armée, le couvre-feu était décrété. Au soir du 28 février, dans un discours très offensif, il nous enjoignait de cesser tout cela et accusait les « apprentis-sorciers » d’instrumentaliser le peuple. Ce discours montrait un évident déphasage entre le message que son peuple voulait passer et ce que lui il comprenait. Les termes qu’il avait employés ne pouvaient qu’envenimer la situation. Mais que s’est-il passé dès le lendemain ? Les gens ont recommencé à vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était. Et quand on demandait aux camerounais, pourquoi  le mouvement d’humeur s’était arrêté, la réponse était mécanique : « Le chef a parlé. Vous voulez qu’on fasse comment ? »

Les soulèvements populaires n’ont jamais mené nulle part car dès qu’ils se retrouvent confrontés à l’opposition des forces de l’ordre, ils se liquéfient littéralement. Quand on a l’impression qu’ils donnent un résultat, c’est juste parce qu’elles ont fait l’objet de récupération par groupe de quelques opportunistes (comme en Guinée Conakry avec le départ de Dadis Camara et à Madagascar et la récupération d’un ras-le-bol populaire par M. Andry Rajoelina). Et très peu de personnes chez nous sont capables de mettre leur vie en jeu pour défendre une cause qu’elles estiment juste, alors que quand on parle de révolutions, on parle aussi de pertes en vies humaines.

Mais il n’en demeure pas moins que les évènements en Tunisie et en Egypte vont faire naître des idées dans les esprits et peut-être faire sortir les populations d’Afrique de l’attentisme dans lequel elles semblent se complaire. Le risque zéro n’existe pas. De toutes les façons, les motivations ne manqueraient pas : régimes despotiques, misère chronique, manque d’emplois, inégalités, injustices. Et peut-être que les peuples d’Afrique noire sont restés dans cette mollesse parce qu’il n’y avait tout simplement pas eu un exemple suffisamment proche d’eux et de leurs réalité pour les inspirer. Maintenant, on sait que des descentes dans la rue peuvent faire basculer un ordre établi aussi puissant que ceux des régimes tunisien et égyptien. L’idéal serait que nous ne soyons pas obligés d’en arriver jusque là et que les personnes qui dirigent nos pays soit se mettent résolument au service de leur nation comme ils l’ont promis sous serment, soit qu’ils laissent à d’autres les fauteuils qu’ils occupent depuis trop longtemps déjà.

Mais mon avis est que nos dictateurs peuvent encore couler des jours heureux. Malheureusement, il n’existe pas encore chez nous des Mohamed Bouazizi pour allumer la flamme de la révolution.

Par René Jackson

Source image: wizzblog.com

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Commentaires

An'ry
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Ton article est selon moi pertinent en de nombreux points. J'adhère...

Andriamihaja Guénolé
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Oui, en Afrique il y a la culture et autres mais je pense qu’il y aussi un début à tout ! Comme un début à la révolution peut-être ! Et j’espère un effet domino pour l’avenir !!!
Ça n’a rien avoir mais il faut déjà quand même savoir jouer aux dominos !