
Ruth est morte. Avec elle sont partis les rêves fantasmés de la quasi totalité de la gent masculine du quartier. Avec elle sont aussi partis les tiraillements intérieurs qui dominaient les femmes et petites amies des mâles du coin. Ruth, c’était une histoire à la Margot de Georges Brassens. D’une gentillesse d’enfant, malgré ses vingt cinq ans révolus, elle savait attirer par son sourire ravageur, par ses yeux d’une couleur vert-bleu. Elle attirait aussi par cet aura de mystère qui l’entourait perpétuellement. Personne ne savait grand chose d’elle, en dehors du fait qu’elle avait un déhanché à faire basculer le plus stoïque des hommes. Qu’elle avait une chute de hanches digne d’une bouteille de Top (si tant est qu’une bouteille de Top peut être personnifiée). Des jambes légèrement arquées lui permettaient un démarche fine et féline. D’une taille moyenne, elle avait tout partout où il fallait. Elle ne serait peut-être jamais désignée Miss Univers (et pour cause), mais elle jouissait du plébiscite dans nos coeurs tourmentés. Ruth est morte et un monde s’est effondré.
Ce qu’il est important de souligner, c’est que Ruth était Témoin de Jéhovah. Et comme tout Témoin de Jéhovah qui se respecte, il y a deux ou trois choses que Ruth respectait. Il était par exemple hors de question pour elle de s’offrir à qui que ce soit avant le mariage. Encore moins à tous ces catholiques hypocrites qui lui couraient après à longueur de journée. Chez nous, tout le monde est sensé croire en Dieu. Les pentecôtistes, les anglicans, les orthodoxes, les presbytériens, les adventistes, les évangélistes, c’est-à-dire les membres de toutes les églises chrétiennes, démontrent une foi active. Tous, sauf les catholiques. Ce sont les catholiques qui sifflent les filles qui passent tout en sifflant leur bière. Ce sont les catholiques qui sont impliqués dans toutes les bagarres qui ont lieu dans ce quartier. Ce sont les fils de catholiques qui cambriolent les boutiques de la localité une fois la nuit tombée. Ce sont les filles de catholiques qui, pimpantes à l’excès, sortent tous les soirs du quartier, une fois la nuit tombée et qui rentrent le matin beuglant des insanités, liquéfié que leur esprit est dans les pintes d’alcool. [Edit: Cela parait assez arbitraire de d’identifier tous ces gens comme étant des catholiques, mais c’est pourtant très facile: ils le revendiquent. Et pour preuve, le jour où l’Esprit Saint parvient à s’insinuer en eux, ils se dirigent automatiquement vers une église catholique. Et pour cela, ils ne respectent même pas les dispositions les plus élémentaires qui pourtant régissent ce lieu de prière, surtout dans la tenue. J’ai assisté aux cérémonies oeucuméniques d’autres confessions, mais nulle part, je n’ai vu ce que j’ai l’habitude de remarquer pendant les messes catholiques]. Ce sont les catholiques qui ne sortent jamais le dimanche, propres comme des sous neufs pour aller prier leur Seigneur. Car seule dans une église catholique, tu peux à la fois écouter -distraitement il faut l’avouer- l’homélie, admirer un joli décolleté profond à ta gauche, renifler les remugles d’un jeune homme assis à droite qui a déjà dû oublier quelle sensation avait de l’eau savonneuse sur la peau et t’étonner du bariolage complexe de la ficelle d’un string qui dépasse de la minijupe jean taille basse qui te nargue chaque fois que tu parviens à regarder devant toi. Seule dans une messe catholique tu verras la fille au décolleté vertigineux se lever au moment de la communion pour aller prendre le corps du Christ. Des fois, il faut vraiment montrer un amour indéfectible pour les seins, euh… les saints pour ne pas se laisser troubler. Je parle par expérience, car je suis un moi-même catholique.
Ruth était belle, raffinée, légèrement sexy, souriante, Témoin de Jéhovah, voulait se donner seulement à l’homme qu’elle épouserait, repoussait tous les dragueurs impénitents. Ruth est morte. Et Ruth ne fut jamais épousée. Ce qui impliquait de facto qu’elle était morte pucelle. De mémoire, jamais obsèques de Témoin de Jéhovah ne furent aussi courues dans notre patelin. Presque tous les éconduits (du moins, ceux que nous connaissions) avaient mis un point d’honneur à être présents à la veillée mortuaire. Ou plutôt dans le bar qui jouxtait la demeure des parents de Ruth. Les lamentations se noyaient dans le houblon mélangé à l’eau. L’un de ses prétendants, particulièrement marqué par le deuil, s’effondra en larmes et tint un discours qui laissa tout le monde coi: « Ruth! Ruth! Ruth de mon coeur! Te voilà partie. Où est ce que tu vas si jeune? Si tu avais voulu, je t’aurais sortie de cette misère dans laquelle tu croulais! Une simple malaria ne t’aurait pas emportée si tu avais été avec moi. Tu as refusé. Je t’ai dit ‘Ok! A défaut, donne-moi alors un peu de la chose là’. Tu as refusé. Nous tous ici, nous t’avons désirée. Tu t’es refusée à tous. On va t’enterrer. C’est la vermine qui va te déflorer. Est ce que je vaux moins qu’un asticot, Ruth? Qu’a un ver de terre de mieux que moi? Est-ce que tu sais que tu as causé un véritable gâchis? »
Depuis lors, cette intervention à la Roméo suscite railleries et commentaires sur notre banc. Ce banc qui d’ailleurs a été déserté ces dernières semaines à cause des pluies incessantes s’est l’autre soir retrouvé bondé. Et bien entendu, le référent principal était Ruth. Ca tirait dans tous les sens, jusqu’à ce que les motifs réels du jusqu’auboutisme virginal de Ruth se trouvassent analysés. Et l’argument qui battit en brèche tous les autres était le fait qu’elle ne savait pas faire l’amour.
Dans un monologue comme lui seul en a le secret (c’est-à-dire très imagé, plein d’à propos et ponctué d’exemples scientifiquement douteux), le Doyen (qui en fait est le plus récent pensionnaire du banc) a essayé de nous prouver par a+b que les filles qui clament haut et fort leur désir de conserver leur virginité sont des frigides frigorifiées qui ne sauraient satisfaire même le plus gauche des mâles. Il est rejoint dans cette position par un autre qui en veut pour preuve une expérience qu’il aurait lui-même vécue: l’une des prudes qui autrefois avait fait fureur dans le quartier avait fini, à force d’insistance et d’usure, par se départir de sa carapace et à faire descendre elle-même son caleçon. « J’ai tenté une fois. Elle faisait genre. C’était la première fois et je me suis dit que la prochaine sera la bonne. Mais les huit autres fois que j’ai été avec elle (il comptait, le bonhomme), ça allait de mal en pis. Depuis cette expérience, je me tiens à bonne distance des pucelles ». Et Doyen d’embrayer: « pourquoi, à votre avis, les gars évitent les filles vierges? ». Et une voix de répondre: « Beh! Parce qu’elles ne savent pas faire l’amour, évidemment ». S’ensuit un silence entendu que je décide de rompre. « Moi, commençai-je, je ne suis pas d’accord avec vous. Un truc est logique: vous n’allez pas demander à une fille qui ne s’est jamais déshabillée devant un mec de savoir comment pratiquer la chose. A moins qu’elle ne soit déjà dotée d’un bagage théorique conséquent. Et puis, il y a des filles vierges qui le sont par conviction. Ca existe, c’est beau et il faut apprendre à respecter cela ».
Je n’étais pas le seul de cet avis, puisque quelqu’un continua: « vous les gars de ce quartier, quand une fille refuse vos avances, vous dites des choses pas correctes sur ses moeurs sexuelles. Soit elle est pucelle, soit c’est une lesbienne. La situation de celles qui cèdent n’est pas meilleure, car ‘elles ne font jamais bien’, selon vos propres termes. Les autres veulent vérifier cela par eux-mêmes et c’est comme cela que les pauvres filles finissent par en savoir long sur la géographie génitale de chacun d’entre vous. Après, vous-mêmes les traitez encore de putes. Mais ce que je sais, c’est que chacun d’entre vous au fond veut faire sa vie avec une femme qui n’a pas été souillée par d’autres. Si tous les gars de la Terre se comportent comme vous, vous pouvez encore continuer à rêver ».
Un grand tumulte succéda à cette intervention. Les uns et les autres soutenant mordicus leur position. Personne ne réussit à infléchir les convictions opposées. Et on se sépara ainsi, en queue de poisson. Comme presque toujours, car on vient au Banc pour convaincre, et non pour être convaincu.
Dédicace à mon ami et collègue Mondoblogueur David Kpelly de Bamako au Mali. Rassure-toi, je ne te cherche pas des poux dans la tonsure. Ca m’est venu juste comme ça! 😉
* Edit: vu le nombre de réactions relatives à mes propos sur la religion catholique, je me vois obligé de remettre un passage que j’ai enlevé par crainte de mettre certains en colère. Ce qui malgré tout est arrivé. Ca va préciser certaines choses, je l’espère. Et chers lecteurs, le sujet de cet article est l’attitude des hommes envers les femmes. Merci.
Par René Jackson
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