Je ne sais pas où je vais passer la journée et la nuit du 8 mars. Je ne peux pas rester chez moi. Cela est d’autant plus embêtant que je suis dans le money time, l’un de ces moments où pour sauver ses ambitions, chaque minute vaut son pesant de cacahuètes. Les barmen de mon secteur font un tapage musical ignoble à toute heure du jour et de la nuit. On n’a jamais fait de réunion. Les jeunes donnent une mauvaise image au quartier parce qu’ils jouent aux cartes – le ndjambo*, qu’on l’appelle ici – au vu et au su de tout le monde. Il n’y a jamais eu de réunion à ce propos. Des individus bagarrent tous les jours dans la rue armés de machettes et de gourdins, zéro réunion. A l’entrée du quartier, des détrousseurs ont sévi. Il n’y a jamais eu de réunion pour résoudre ce problème. Le 8 mars c’est bientôt ? Depuis deux semaines il y a des réunions tous les soirs au domicile du chef du quartier. Hier j’apprends qu’il y aura un grand concert dans ma rue. A moins de cinquante mètres de chez moi. Le podium a d’ailleurs commencé à être monté. Pour mon plus grand désarroi. Où est-ce que je vais passer la journée et la nuit du 8 mars ?
Passer cette journée et cette nuit dehors ? Hors de question ! Le 8 mars est l’une des journées de l’année les plus tumultueuses dans notre ville. On dit communément ici que « c’est le jour où l’homme fait la cuisine, le ménage, s’occupe des enfants et les femmes boivent le Viagra ». Et avant de se retrouver sous la couette, la femme de Douala va suivre un long chemin de croix avec trois stations principales : le défilé, le lieu des agapes et le snack ou la boîte de nuit car, Ô chance, le 8 mars tombe un vendredi. Quoi, c’est la période du carême ? Jésus lui-même sait ce que nous les femmes endurons. Il ne va pas nous en vouloir si pendant une seule journée on se laisse aller!
Je ne le dirai jamais assez : je suis contre la façon dont on célèbre la journée internationale de la femme au Cameroun. Il y a un détournement intellectuel qui a été opéré à la barbe de tout le monde, ou presque. Le 8 mars est la Journée Internationale de la Femme. Son sens a totalement été galvaudé. La preuve : on entendra partout dans nos rues ce jour là : bonne fête aux femmes ! Non, ce n’est pas la fête de la femme, mais sa Journée Internationale. Entre les deux il y a une grosse nuance !
Pour moi, il est temps que la femme se réapproprie cette journée. Parce que vu la façon dont on la célèbre, il y a lieu de leur rappeler qu’elles ont de réels problèmes qu’il faut résoudre. Au lieu d’aller soulever leurs kabas** offrant à la vue de tous ceux et celles qui les environnent leurs bourrelets, de boire de façon totalement irraisonnée, puis de se faire tabasser ou répudier par leurs époux courroucés le 9 au matin. Elles feraient beaucoup mieux de se préoccuper de leurs malheurs. D’ailleurs, je vais vous en rappeler quelques uns, mesdames, car nous les hommes, dans notre immonde perversité, nous avons mis sur pied des stratagèmes drôlement bien pensés pour complètement vous avilir.
La dot : C’est la genèse des embrouilles. Hier, je regardais la bande-annonce d’une émission à la TV dans laquelle on relatait les péripéties d’un chinois qui s’en allait tout bonnement s’acheter une épouse au Vietnam. Ca m’a fait penser à notre fameuse dot. Chez nous, on n’expose pas des femmes qu’on achète comme des fruits au marché, mais c’est tout comme. Il y a des tribus dans lesquelles, sous le prétexte de la tradition, les femmes sont acquises à prix d’or. Je prends pour témoin les milliers de camerounais qui chaque année se saignent pour leurs épousailles. Souvent, quand le fiancé se présente chez sa dulcinée pour demander sa main, on lui dit de repasser. Entre-temps on bat le rappel des troupes familiales et on dresse une liste dans laquelle même les chiens doivent recevoir quelque chose du prétendant. Et dans nos communautés, quand le gars a fini de dépenser ses millions pour une bonne femme, la famille dit à la fille : « Va ! Et qu’on ne te revoie plus ici. Dorénavant, tu appartiens à la famille de ton mari ». Les marchandises vendues ne sont ni reprises, ni échangées. Et ton mari reçoit un blanc seing pour faire de toi ce qu’il veut. Tu es une chose qu’il a achetée. Pour ceux qui ne me croient pas, voilà un texte édifiant dans lequel tout est raconté en détail.
La violence conjugale: C’est la suite presque logique de la dot. Chez nous, malheur à la fille qui a fait de longues études. Plus la petite pousse à l’école, plus ce sera compliqué pour elle de trouver un mari, puisque les enchères suivent la même courbe que le niveau intellectuel. Pour celles qui malgré cela ont réussi à ferrer quelqu’un, la vie n’est pas plus rose car pour un homme, il n’existe pas d’épine plus douloureuse au pied qu’une femme. Et encore plus quand, juchée au dessus de ses diplômes, elle cherche à le ridiculiser. Le monsieur se rappelle alors ce que lui a coûté cette langue de fiel et n’a d’autre solution que d’utiliser ses poings pour montrer qui commande. Et lorsqu’elle se plaint, la société lui dira « c’est ton mari non ? Il faut supporter ». Mais c’est oublier que même celles vivant en concubinage sont elles aussi molestées par leur compagnon. La société là encore couvre. Chez nous, l’homme a encore tous les droits. Et c’est déplorable. Le plus malheureux dans tout cela est que les victimes elles-mêmes trouvent ça normal. On a même réussi à leur instiller dans l’esprit que si leur compagnon ne les bat pas, cela signifie qu’ils n’ont pas d’amour pour elles.
Le viol : « Tu vois le monsieur qui passe là ? La semaine dernière on l’a surpris en train de violer la fille de son voisin, une petite âgée six ans. Quand on l’a tenu en respect, il a donné trente mille francs à son voisin qui l’a laissé partir », m’a-t-on dit un jour. Dans d’autres pays, les violeurs d’enfants sont les personnes les plus persécutées. De nombreuses filles, adolescentes et femmes sont violées chaque jour à Douala. Ces sordides histoires alimentent quotidiennement la rubrique faits divers de nos journaux. Et cela passe dans l’indifférence totale. Le peu de plaintes restent sans suite. Et même lorsqu’ils sont appréhendés, les délinquants sont vite relâchés.
La loi : c’est peu dire que les lois camerounaises ne plaident pas pour les femmes. Prenons l’exemple de l’adultère, qui fait partie des causes de divorce. Notre réglementation dit que l’époux peut demander le divorce s’il prouve que sa femme a eu une relation avec un autre homme. Mais que la femme qui estime que son mari la cocufie doit prouver que le bonhomme a eu une relation suivie avec une femme et qu’il a commis l’acte d’adultère plusieurs fois en un même lieu. Traduction : si moi je trompe mon épouse dans la même chambre d’hôtel avec des femmes différentes, je suis tranquille. Et si j’ai une liaison avec une femme autre que la mienne et s’on s’envoie en l’air chaque fois en un nouveau lieu, je n’ai aucun souci à me faire. Et question de montrer que l’homme possède vraiment sa femme, si celle-ci veut sortir du pays, elle doit présenter une autorisation dûment délivrée par ce dernier.
Les femmes sont aussi victimes d’attentats contre leur féminité dans le seul but de satisfaire ou de protéger la libido masculine. Malgré le fait qu’on n’en parle presque pas, l’excision est bel et bien pratiquée au Cameroun. Et même en plein centre de la capitale Yaoundé, où c’est un véritable business. « L’excision est la forme de mutilation génitale féminine la plus répandue au Cameroun. Elle consiste à enlever le clitoris et la petite lèvre du vagin. Cette opération se fait à vif, sans anesthésie et avec un canif ou une lame de rasoir. Très souvent, les exciseurs utilisent le même outil pour tous les cas ». Les buts sont folkloriques : « Ils [les hommes] font exciser les femmes pour leur ôter le plaisir. Ils disent que, sans plaisir, les femmes n’auront pas envie de tromper leurs maris et ils nous obligent à nous y soumettre». Les jeunes filles subissent aussi le fléau du repassage des seins : elles se font littéralement écraser la poitrine dès la puberté, parce qu’il ne faut pas attirer les yeux des hommes. Conséquences : des traumatismes tant psychologiques que physiques et une augmentation exponentielle des risques de cancer du sein.
Et cette liste n’est pas exhaustive.
Tout ça pour dire que ne laissez pas les hommes une fois de plus vous voler votre journée en agissant de façon à conforter l’avis de ceux qui disent qu’il faut vous mater. Vous ne devez pas vous contenter d’une étoffe et de quelques bières. Vous devez sortir dans la rue, manifester votre mécontentement à cor et à cris, demander qu’on vous protège, qu’on ne vous batte plus, qu’on ne vous viole plus, qu’on ne vous achète plus comme du bétail, qu’on ne vous excise plus, qu’on ne repasse plus les seins de vos filles ! Indignez-vous contre tout cela.
Et indignez-vous contre un système qui fait que la plupart des familles reposent sur vos frêles épaules. Le mari ne pouvant plus trouver un travail et les enfants diplômés devenus des chômeurs professionnels !
Mais ce n’est pas demain la veille qu’elle arrivera chez nous, cette indignation. Autant mieux prêcher dans le désert. Et puis vous allez sûrement dire « encore un homme qui veut nous dicter notre conduite ». Je ferais mieux de me taire et de trouver un endroit tranquille ou je passerai cette journée Internationale de la Femme.
Par René Jackson
Ndjambo: jeu de cartes où il y a des mises d’argent et réputé pratiqué par des jeunes peu recommandables.
Kaba: robe ample traditionnelle, très prisée par les femmes au Cameroun
Commentaires