L’an dernier, je suis tombé sur une émission télévisée qui parlait des difficultés de la conduite automobile en France. Il était entre autres question de la hardiesse qu’il y a à obtenir un permis de conduire dans ce pays. On doit subir au moins une année d’apprentissage, les tarifs y sont prohibitifs, les cours de pratique dans les auto-écoles sont souvent facturées à l’heure (parfois jusqu’à 60 euros de l’heure – environ 39 000 F CFA), les chances de l’obtenir s’amenuisent au fur et à mesure qu’on échoue à l’examen du permis de conduire, lequel a la réputation d’être plus difficile que le baccalauréat. Pour ceux qui l’ont obtenu, ce n’est pas la fin de la course car le permis de conduire en France est à points. Une perpétuelle épée de Damoclès plane sur le conducteur en France, prête à s’abattre au moindre oubli de clignoter avant un changement de direction. Bien heureusement, le documentaire a dévoilé une petite entourloupe qu’effectuent beaucoup de français pour avoir le fameux papier rose: obtenir le permis à l’étranger, surtout dans des pays exotiques, puis rentrer le convertir en France. Pour les besoins de l’émission, l’équipe a fait le déplacement de Dakar au Sénégal où l’un de ses membres a obtenu le permis de conduire en 3 jours de présence sur le sol sénégalais seulement! Ceci bien sûr à coups de pots-de-vin et dessous de table. Comme quoi, le Cameroun, malgré qu’il soit l’un des pays en tête de peloton de ceux les plus corrompus, a encore des leçons à prendre… Mais pas tant que ça non plus.
Il y a quelques temps, après une énième déroute académique qui ouvrait une fenêtre de plusieurs mois d’inactivité, j’ai décidé qu’il était temps de tenter d’obtenir le permis de conduire. Décision prise, je me suis rendu à l’auto-école la plus proche de chez moi. Coût de la formation: 65 000 F CFA (environ 100 euros). Dès le deuxième jour de cours, le moniteur m’a mis derrière le volant, m’a montré comment on passe les vitesses et la disposition des pédales. Après une durée exceptionnellement longue d’apprentissage (3 mois), j’ai subi les examens théoriques et pratiques du permis de conduire. Je qualifie cette durée d’apprentissage d’exceptionnelle car les élèves font le plus souvent un mois et demi de formation, parfois moins pour certains cas. Sur la fiche de présentation de mon auto-école, j’ai même vu qu’il était possible de suivre une session de formation « Express » qui autorise à se présenter à l’examen du permis de conduire après seulement 15 jours d’apprentissage.
Vient donc le moment de passer l’examen. On nous signale que les frais de dossier d’examen s’élèvent à 20 000 F CFA (environ 31 euros). Première étape: l’examen écrit qui n’est rien d’autre qu’une formalité. Les questions sont à choix multiples, trois en général. Il y a la bonne réponse et les deux autres propositions sont souvent tellement loin de coller à la question posée qu’il serait proprement ridicule de passer à côté. Seconde étape: l’examen pratique. A ce moment là, le patron de l’auto-école nous convoque et il nous conseille de préparer chacun une somme de 10 000 F CFA (environ 11 euros) pour soudoyer les membres du jury. Il nous explique que cela n’a rien d’obligatoire, mais que sans, on n’est pas à l’abri d’une note défavorable même si on a bien travaillé. Il est possible de reconduire le dossier d’examen en cas d’échec. Cette reconduction coûte les mêmes 10 000 F CFA et même là, la réussite n’est pas garantie. Donc, quel que soit le cas, on va débourser cet argent. A nous de décider de quand est-ce qu’on le fera. Moi j’ai choisi de mettre toutes les chances de mon côté dès le premier coup…
L’examen de pratique au permis de conduire au Cameroun de façon réglementaire comporte 6 épreuves: le créneau, le démarrage en côte, l’expertise, le tour de ville, le demi-tour sur route et le secourisme. On a débuté par le créneau et c’était à mourir de rire. La façon dont certains effectuaient la manœuvre poussait à se demander s’ils en avaient même déjà entendu parler avant. Ensuite il fallait passer à l’épreuve d’expertise, qui consiste normalement à énumérer certaines parties ou composantes du véhicule et à donner leur rôle. Habituellement, l’examinateur et le candidat se mettent devant le capot avant ouvert. Le premier désigne un élément. Le second doit le dénommer et dire à quoi il sert dans le fonctionnement de l’auto. Fait étrange, c’est le patron de mon auto-école qui va chercher l’examinateur. Le vieux monsieur s’assoit sur une chaise à une bonne dizaine de mètres de la voiture la plus proche. Il n’interrogera que moi et mes camarades de la même auto-école. Etant le premier dans le rang, je m’avance vers lui. « Qu’est-ce qui actionne le cataphote? », me demande-t-il. J’ai observé quelques secondes de silence croyant à la question gag. Remarquant l’air plutôt sérieux du bonhomme, j’ai répondu simplement : « les feux des autres véhicules ». C’était tout. Pas de question sur les vérifications de routine à faire sur le véhicule, ni sur le réservoir d’eau du lave-glace, encore moins sur les témoins du tableau de bord. Troisième épreuve : le demi-tour sur route. Là, l’examinateur ne nous regardait même pas, occupé qu’il était par la grande conversation qu’il entretenait avec… le patron de mon auto-école. Il ne fallait pas être un devin pour savoir que les notes attribuées étaient totalement arbitraires. Certains comme moi, les plus aguerris, effectuions le demi-tour. Les autres, principalement les filles, avançaient de quelques mètres puis revenaient sur leurs pas en marche arrière.
Après le demi-tour, on nous annonce que pour nous, l’examen est terminé. Exit le démarrage en côte, le tour de ville et le secourisme ! Une semaine après, je reçois un SMS de mon auto-école qui semble fière de m’annoncer que j’ai obtenu mon permis. Quelques jours après, je me fais remettre un récépissé qui m’autorise déjà à me mettre derrière un volant. Il faut souligner qu’ici, on n’impose pas de période de conduite accompagnée. On se retrouve tout de suite dans le feu de l’action. Finalement, dans mon auto-école, les deux qui n’ont pas pu obtenir leur permis de conduire camerounais furent de façon curieuse les deux seuls qui n’avaient pas versé les 10 000 F CFA à l’attention des membres du jury.
Que penser de tout ça ? De façon personnelle, j’ai éprouvé un profond dégoût pour la façon dont cet examen se déroule. Et très décevant pour ceux qui se sont préparés solidement pour passer un examen qui s’avère finalement être totalement biaisé et dont seuls les médiocres peuvent être fiers d’un éventuel résultat positif. Ceci dit, malgré ces conditions loin d’être dantesques, il y en a qui réussissent le tour de force de ne pas décrocher ce permis de conduire au rabais. C’est à se demander comment est-ce qu’ils font. Il est toutefois clair au vu des certaines performances le jour de l’examen que si les choses devaient se passer normalement, la quasi-totalité des candidats seraient purement et simplement recalés.
Devant les hécatombes qui se déroulaient sur les routes camerounaises, le gouvernement a entrepris il y a quelques années plusieurs initiatives parmi lesquelles trônait en bonne place la réforme de l’obtention du permis de conduire. L’examen (qui était oral et pratique) devient écrit et pratique. Il ne se déroule plus toutes les semaines à la discrétion des responsables départementaux, les dates des examens sont décidées par arrêté ministériel et ont lieu désormais une fois par mois. Malgré cela, il est toujours aussi mal organisé et les différents membres des jurys d’examens continuent à s’en mettre plein les poches, ceci au détriment de la vie des quelque 1 500 personnes qui meurent chaque année sur les routes de notre pays (trois fois plus qu’en Côte d’Ivoire, le pays au monde qui partage le plus de points communs avec le Cameroun).
Les conducteurs camerounais sont réputés pour leur incivisme notoire. Dans les rues ou sur les routes, l’avantage est à celui le plus fort, le plus pressé ou le plus malin. Une véritable jungle. Ce qui est normal, lorsqu’on sait que beaucoup de camerounais qui conduisent n’ont soit suivi qu’une formation escamotée dans une auto-école de fortune ou ne sont même jamais passés par ces centres de d’apprentissage. Cette situation n’ira pas en s’améliorant tant qu’on continuera à attribuer ces permis d’être dangereux pour soi-même et pour autrui à qui veut bien corrompre pour.
Par René Jackson
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