Crédit:

Si vous êtes à Douala, prenez le bus

Copyright CitizenSide

Il n’y a pas de situation aussi problématique dans la vie d’un citadin, où qu’il soit, que de se retrouver obligé de trouver un moyen de transport en heure de pointe quand il pleut. Déjà, lorsque le climat est clément, trouver de quoi se déplacer n’est pas évident entre 7 heures et 9 heures du matin et entre 17 heures et 20 heures. Quand dans les coups de 16 heures il se met à pleuvoir, la tâche ne devient rien de moins qu’herculéenne. Pour situer le contexte, il faut savoir qu’à Douala, il n’y a rien d’aussi fluctuant que les prix des transports. Rien n’épouse autant la courbe de l’offre et de la demande. Donc, quand je me retrouve au carrefour Ndokoti sous une pluie battante et que les taxis demandent 500 francs au lieu des 200 francs normaux pour le trajet, que les moto-taximen triplent le prix de la course tout en précisant qu’ils « bâchent » (c’est-à-dire qu’ils prendront 2 passagers) tout en vous assurant un voyage en première classe sous la pluie et que les « cargos » passent de 100 francs à 300 francs, le calcul est vite fait : prendre le bus devient inéluctable.

Le bus est le moyen de transport urbain par excellence. Une ville qui se respecte se doit d’avoir une ligne de bus. Mais à Douala, le bus est le moyen de transport le plus honni. Ceci étant dû au fait que prendre le bus n’est pas une sinécure. Et les gens s’en détournent pour de nombreuses raisons : la première est la périodicité aléatoire. On ne sait jamais combien de temps on va attendre à un arrêt de bus (si celui-ci n’a pas été vandalisé). Parce que les chauffeurs, une fois en bout de ligne, cherchent à faire monter le plus de passagers possible avant de démarrer. Deuxièmement, le nombre de passagers transportés est pléthorique. Les gens se retrouvent empilés les uns sur les autres. Et quand par malheur quelque passager a décidé de colporter qui une poule, qui une chèvre ou un colis nauséabond, bonjour l’ambiance. Troisièmement les bus sont qualifiés ici « d’air peut-être », c’est-à-dire qu’il ne faudra pas être surpris si le voyage s’achève avant la destination. La ville est souvent jonchée d’épaves de bus. On ne peut pas compter le nombre qui tombe chaque jour en panne dans les rues. Certaines fois on a vu des bus se consumer tous seuls et sans raison apparente. Il faut dire qu’avec la vétusté de ce parc roulant, ce n’est guère étonnant. Les bus sont les occasions importées de la France. Des bus de marque Renault blanc et vert, ça ne vous dit rien ? Les mêmes jadis utilisés par la RATP parisienne viennent rendre l’âme dans les rues de Douala. La Socatur s’est juste contentée de mettre son nom et son logo et ne s’est même pas donné la peine de changer les couleurs de ces engins de mort. L’intention inavouée est-elle celle de donner à Douala des faux airs de Paris ? Si c’est le cas, il faut dire que ce n’est pas une franche réussite.

L’injustice étant que dans une ville comme la notre où le thermomètre se trouve le plus souvent au-delà des 30 degrés centigrades, nous sommes affublés de bus vieux, bondés et non climatisés. Alors qu’à Yaoundé où le climat est froid, les bus ont l’outrecuidance d’être climatisés. Ca c’est un autre débat.

L’autre jour donc, à cause des raisons que j’ai cité au début, j’ai pris le bus, qui a deux avantages de taille : tout d’abord les prix des voyages défient toute concurrence et ils restent fixes. Ensuite et surtout, on ne s’ennuie pas, même lorsqu’on se retrouve coincés dans un embouteillage. Parce que le bus est bondé personne ne peut bouger. La seule partie du corps dont on peut encore se servir est la bouche, principalement pour l’ouvrir et raconter n’importe quoi. Ce que je fais généralement dans ce cas est de me taire et d’écouter.

Un papa éméché : Vraiment, le bus-ci sauve les gens. Quand tu vas voir les taxis là, ils te disent que pour aller à PK 14 c’est cinq cents. Alors qu’ici avec cent francs on t’emmène.

Ancien yéyé : Mais on est serrés hein ! Ces gens-ci ne peuvent pas acheter d’autres bus ? Il y a plein de gens ici à Douala mais ils n’ont pas de bus.

Papa éméché : Alors qu’il y a des grands dans ce pays qui peuvent aussi créer leur propre compagnie de bus ici à Douala. Il y a des gens qui ont suffisamment d’argent pour le faire.

Un autre vieux : L’autre qu’on appelle Eto’o Fils, au lieu d’aller créer son truc de téléphonie là, il aurait mieux fait d’acheter les bus et les gens paient même cinquante francs pour monter dedans. Il fait quoi avec son argent ? (là, j’ai failli ouvrir ma bouche et lui dire que le capital de la société d’Eto’o ne peut même pas acheter 3 bus comme celui dans lequel nous voyagions, mais je me suis tu. Par expérience, j’ai appris qu’il ne faut pas entrer en palabre avec un vieux, même si on est sûr d’avoir raison).

Ancien yéyé : Dis donc mon frère, quelqu’un qui laisse toutes les jolies femmes que tu vois ici pour aller jongler avec une ivoirienne, tu crois qu’il peut faire quoi pour son pays ? Est-ce que tu sais même que sa société de téléphonie, il paraît que c’est une affaire qui ne marche pas… (Il est interrompu par le cri d’une femme).

Une voix au fond du bus : Qu’est ce qui se passe chérie ?

La femme : Je dis hein, c’est seulement sur moi que l’homme-ci a vu qu’il va venir se coucher ?

L’assemblée : Ah haaaaaan ! Voilà ça qui commence.

Un stentor : La mère, c’est quoi ? Tu as senti le plantain ? (éclat de rire général).

Une jeune fille: Le plantain c’est quoi?

Le stentor: Aka, fais comme si tu ne savais pas de quoi il s’agit. C’est ce que tu manges tous les soirs dans le lit avec ton chaud là.

La femme : Dis donc, lève-toi sur moi, salaud.

Le fautif : La mère excuse-moi, comme le chauffeur a ralenti, j’ai perdu l’équilibre…

Une autre voix, moqueuse : Mon frère, tu t’excuses pourquoi ? A la descente, il faudra aller prendre une bière avec elle.

Une autre femme, outrée : Il y a des gars ici dehors, quand ils montent dans le bus c’est seulement pour coller les femmes.

Un petit jeune : Si tu ne veux pas qu’on te colle dans le bus, descends et va t’acheter une voiture.

La voix moqueuse : Vous les femmes, vous aimez trop vous plaindre. On te colle tu te plains. N’est ce pas toujours une femme comme vous qui a chanté « l’homme c’est l’homme tant que ça se lève » ?

Le stentor : Tu ne sais pas si bien dire, mon frère. Attendez que je vous raconte une histoire. Une fois, toujours dans nos bus-ci, on était collés comme là maintenant. Une place s’est libérée et une femme a voulu l’occuper. Là, on s’est rendus compte qu’il y avait un liquide qui coulait sur sa jupe. Un gars avait tout bonnement profité de la promiscuité pour défaire sa braguette et planter son arme entre les fesses de la femme là. Ses fesses là n’étaient pas petites hein! Il a pris son pied comme ça, en public et en catimini. Moi je me demande toujours comment la femme là avait fait pour ne pas ressentir l’affaire du gars là. Pour ma part, elle l’avait sûrement sentie. Et avait aimé.

Une voix : Quand c’est là, elles se plaignent. Quand ce n’est pas là, elles se plaignent. Chauffeur, pardon freine encore un bon coup là, que mon frère puisse encore coller.

Une autre voix : Chauffeur, si tu freines encore comme tout à l’heure, tu auras les médailles à l’arrivée. (Coup de frein appuyé du chauffeur de bus, suivie d’une grande clameur approbatrice).

Papa éméché : Non, chauffeur, tu connais ! Tu bois quoi ? Voilà notre frère qui dort carrément sur la femme là.

La voix précédente : Le chauffeur fait ça parce qu’on lui a promis les médailles à l’arrivée. Je dis hein, depuis que tu travailles à la Socatur, on ne t’a jamais donné de médaille ? A ton âge là, tu n’as pas encore eu de médaille ? Ton cas est désespéré.

Une bimbo : On ne parle pas au chauffeur quand il….

Le stentor : S’il te plaît, reste tranquille, chérie. Il faut que le chauffeur nous explique comment il a atteint cet âge sans jamais avoir obtenu de médaille. (Le bus ralentit, assez brutalement, puis s’arrête).

La bimbo : Chauffeur, je descends.

Un courageux : Bébé, tu descends comme ça alors que je pensais qu’on allait passer la nuit chez moi…

La bimbo : Passer la nuit chez toi qu’on se connaît où ? Laissez-moi descendre. (Elle descend et le bus repart).

L’ancien yéyé : Hum, ce genre de pluie qui tombe autant en plein mois de novembre c’est du jamais vu à Douala.

Le papa éméché : Tu crois que la pluie-là est simple, mon frère ? N’est-ce pas le prince René Bell est mort l’autre jour ? Ce sont les larmes des ancêtres des Douala qui déferlent sur nous comme ça. Tu ne sais pas que ce sont leurs ancêtres qui font la pluie et le beau temps ici à Douala ? Est-ce que tu as déjà vu une goutte de pluie tomber pendant qu’ils font leur Ngondo (fête traditionnelle du peuple Sawa, ndlr)? Jamais ! Ils contrôlent les intempéries.

Sur ces entrefaites, je suis arrivé à mon point de descente. Le bus avait encore environ huit kilomètres à parcourir avant d’atteindre le bout de la ligne. Je l’ai regardé s’éloigner en secouant la tête et avec un sourire en coin.

Si vous êtes à Douala, prenez le bus. D’abord, c’est moins cher et ensuite, c’est l’un des endroits où on peut tâter le pouls de la cité et même du pays. L’un des hauts lieux où on peut juger de l’humour caustique et la « profondeur d’esprit » des camerounais. Il faut au moins ça pour oublier le marasme ambiant dans lequel on patauge.

Par René Jackson

Partagez

Auteur·e

ntrjack

Commentaires

Paul joël
Répondre

BRILLANT!!! Une fois de plus, tu as fait fort. Continue comme çà le panda.

Olivier Bédoum
Répondre

Je trouve que cette description a un ton comique et didactique, et j'ai beaucoup aimé. Cependant, cette affirmation a attiré mon attention :
"le capital de la société d’Eto’o ne peut même pas acheter 3 bus comme celui dans lequel nous voyagions". Pourriez-vous détaillé s'il vous plait?

Biteye Joseph fils
Répondre

le Capital d'une Société est une créance des associés sur cette Société et elle est différente de l'investissement qu'on peut faire dans pour la bonne marche et l'essor de celle-ci, si le capital de SET Mobile ne peut acheter 3 vieux bus l'investissement mis dans cette dernière peux créer une société de transport