Quelqu’un, je ne sais plus qui, avait dit que les voyages forment la jeunesse. Chez nous, on dit plus simplement qu’il faut marcher pour voir les choses. Oui, il faut marcher pour voir les choses. Et souvent quand on marche, on voit des choses, certes, mais parfois des mythes qu’on prenait pour des vérités toutes faites s’effondrent comme un château de cartes. C’est peu dire que j’ai une autre perception de certaines choses après les presque trois semaines que je viens de passer en dehors de mon Triangle national natal pour faire quelques petites expériences en Hexagone. Tout est histoire de géométrie et de perception du monde. Ce qui est sûr, c’est que je suis beaucoup moins bête maintenant qu’auparavant.
Le premier mythe qui est tombé est celui-ci : pour moi, en dehors des démonstrations, des meetings aériens et des défilés de fête nationale, il était impossible d’avoir en même temps dans son champ de vision plusieurs avions dans les airs. Mais en France, j’ai parfois vu, en regardant dans le ciel, cinq avions. Il n’était pas difficile de les repérer, parce que la plupart laissaient derrière eux de longues volutes blanches. J’ai fait mes recherches. Les météorologues appellent ça des traînées de condensation (ou contrails). Donc, ce que j’avais jusqu’alors toujours bêtement pris pour des navettes spatiales traversant le ciel de Douala n’était en fait que de vulgaires avions volant à très haute altitude. Deuxième mythe qui s’effondrait. Du coup, j’ai beaucoup moins compris le slogan d’Air France « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Parce que le ciel français est une vraie autoroute et qu’il est difficile de rester zen quand on croise d’autres avions de si près.
Non, les Blancs ne sont pas tous des géants. La télévision nous trompe méchamment ! J’en ai la preuve. J’ai procédé à une mesure en prenant en compte un référentiel universel : ma propre taille. Moi qui à Douala fais partie de la classe des petits, à Nice j’avais l’impression d’être Gulliver cher les lilliputiens ! Bon, là j’exagère un peu. Mais enfin je jubilais ! D’un autre côté, c’était bizarre quand même… Une précision tout de même à ce sujet : ce qui est vrai à Nice ne l’est pas forcément à Paris. Je n’ai d’ailleurs pas compris pourquoi.
Autre chose : la France est un pays où l’obésité serait endémique. Oui, mais en dehors de la petite dizaine de personnes jouissant d’un embonpoint frôlant la morbidité que j’ai rencontrées, j’ai vu des personnes plutôt menues, minces même pour la majorité. Ce autant à Nice qu’à Paris. Ou peut-être, je ne suis pas allé là où il fallait pour en voir…
Je ne dis pas qu’il n’y a pas de racisme en France. Mais ce que je dis c’est qu’on en a peut-être une perception exagérée vue d’ici. Il est vrai que j’ai remarqué des regards curieux. Mais j’ai aussi eu quelques discussions plus que courtoises avec ce qui est souvent considéré dans une société comme étant la frange la moins progressiste : les très vieilles dames. Et puis j’ai trouvé les Français très courtois. Contrairement à ce qu’en disent beaucoup de touristes qui passent par la France. Mais ceci n’est bien entendu qu’un avis bien personnel.
Et puis, contrairement à ce qu’on peut imaginer, il n’y a pas des flics partout, à chaque coin de rue. Ou des voitures qui fendent tout le temps la circulation à toute allure, sirènes hurlantes. Ceci est toujours bon à prendre, surtout pour nos sportifs fuyards et sans-papiers. Autre bonne nouvelle pour eux : en trois semaines, je ne me suis jamais fait contrôler par la police. Vous pouvez vous balader en paix. Mais en priant tout de même, pour ne pas tomber sur un contrôle inopiné ou au faciès.
Pour stigmatiser nos jeunes – filles surtout – qui s’habillent de façon soi-disant indécente, le discours est le même : « Vous vous habillez comme les Blancs que vous voyez dans les clips vidéos et les films là, mais sachez que dans la vraie vie, ils ne se fagotent pas comme ça ! » Balivernes ! Accrochez un soleil dans le ciel, faites disparaître les nuages, marchez dans la rue et vous aurez l’impression d’être dans un clip de Snoop Doggy Dogg, les contorsions et les poses lascives en moins ! Les Françaises m’ont retourné comme un crêpe. Désormais, je serai l’ardent défenseur de la jupe pas plus basse que le quart supérieur de la cuisse. Je serai le pourfendeur de cette quasi-vérité qui chez nous fait de la femme sexy et aguichante un danger public. Je sais que je me fourvoie compte tenu de certains de mes précédents propos ici même, mais ne dit-on pas que seuls les imbéciles ne changent pas d’avis ?
Je me suis copieusement rincé les yeux. Vive les femmes presque dénudées !
Vive les femmes, ce d’autant plus qu’elles peuvent servir à autre chose qu’à être des mères et des tams-tams. Oui, elles peuvent conduire des bus, des taxis, des camions, des autobus et même des tractopelles. J’en connais qui ici ne monteraient pas dans un engin piloté par une dame. Je ne peux pas conduire un autobus ou un tractopelle, donc je respecte la prouesse. Alors, je n’ai jamais hésité, respectueux d’une maxime qui m’était chère : faire le maximum de trucs que je ne pourrai pas faire chez moi. Donc j’ai toujours préféré, dans la mesure du possible, emprunter un taxi ou un bus conduit par une femme. Ou peut-être c’est notre cher machisme bantou qui reprenait le dessus : une vraie femme est celle qui est au service d’un homme.
Dans tous les cas, suivant cette même logique qui était celle de profiter de tout ce que je pouvais quand j’en avais encore la possibilité, je me suis copieusement gavé de fromage, camembert et assimilés – ces choses qui ne font pas partie de notre ration alimentaire en temps normal.
Donc, il n’y a pas de travail qui reste la propriété des hommes. L’inverse est aussi vrai. Puisque j’ai croisé des prostitués. Notez l’absence de l’ « e » muet. Transsexuels certes, mais mâles dans une autre vie. On vit dans un monde sans frontières, autant mieux l’assumer. Complètement.
Une dernière découverte que j’ai faite : la Syrie est capable de produire autre chose que des dictatures sanguinaires. Elle est capable de fabriquer autre chose que des rebelles jusqu’au-boutistes, de perpétrer des massacres aux gaz chimiques, des bombardements et j’en passe. La Syrie n’est pas capable que de ça ! La Syrie a d’autres facultés que je ne soupçonnais pas. Une en particulier. Ça je l’ai découvert de façon totalement fortuite un soir, sur le toit d’un immeuble, lors d’une pause cigarette. Et moi qui me félicitais de n’avoir rien trouvé qui aurait pu me pousser à prendre la décision de devenir un clandestin, je suis presque tombé de haut. Un appel au reniement de ses origines fait de chair et d’os !
Je sais ce que vous allez dire : Panda, tu aimes trop les femmes ! Il faut bien aimer quelque chose dans la vie. Et c’est mieux d’aimer les belles femmes que d’être amateur de coups foireux en tous genres. Et puis j’ai une nationalité dont il faut urgemment soigner la réputation. En tant que Camerounais, c’est un devoir pour moi d’aimer les jolies femmes. Le contraire serait un acte de trahison envers la patrie !
Par René Jackson
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