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Pourquoi les Lions Indomptables ne font plus rêver

Un Lion à terre

Les Lions Indomptables du Cameroun, l’équipe nationale de football, traverse une période de disette depuis qu’elle a atteint le stade de la finale pendant la Coupe des Confédérations 2003 (compétition au cours de laquelle le joueur Marc-Vivien Foé trouva la mort au Stade Gerland à Lyon). Depuis l’épopée de 1990, chaque Coupe du Monde à laquelle a participé le Cameroun a été une pilule difficile à avaler pour les fans de cette équipe. Les éliminatoires de la CAN 2012 sont lancées et après trois matchs, la qualification du Cameroun pour cette compétition est grandement remise en cause, car il accuse déjà cinq points de retard sur le premier de sa poule qui est le Sénégal.  La responsabilité des débâcles successives de cette équipe tant sur le plan continental qu’international se doit d’être établie. Le Cameroun dispose d’excellents joueurs de foot qui évoluent dans les plus qrands championnats d’Europe. Leur talent ne fait plus de doute. Mais la plupart du temps, on a l’impression que l’équipe est condamnée à ne fournir que de mauvais résultats. Le problème ne se pose pas au niveau de la qualité des joueurs, mais se situe au niveau des responsables administratifs qui ont la charge de cette (ces) équipe(s) nationale(s).

 

Les « joueurs du Président »

On a l’habitude de dire que le football est le plus grand parti politique au Cameroun. Ceci est en quelque sorte vrai car c’est le sport le plus populaire et le plus pratiqué dans ce pays. Mais il se pose un problème : le football est devenu un objet de politique et de propagande. La sphère politique s’est très tôt insinuée dans la gestion de ce sport au Cameroun. Ceci dès que l’équipe a commencé à connaitre ses premiers succès, pendant les années 1980 (2 CAN gagnées et 2 participations à la Coupe du Monde). Ici, on se souvient tous des « joueurs du président » (les joueurs dont le chef de l’Etat exigeait et obtenait l’intégration dans l’équipe) Cela a tout d’abord été le cas de Roger Milla en 1990 pour le Mondial italien, ensuite de Patrick Mboma  pour la Coupe d’Afrique 2006. Il faut noter que ces choix du président se sont avérés à chaque fois judicieux, car ces joueurs qui avaient les faveurs du grand manitou ont ces fois-là porté l’équipe sur leurs épaules. Quelquefois, le Président de la République intervient même dans le choix des sélectionneurs. Ainsi, il s’est dit dans les coulisses que lorsque l’équipe se cherchait un coach en 2009, le sujet a grandement été abordé avec M. François Fillon, alors premier ministre de la France, qui avait effectué une courte visite au Cameroun en mai de cette année-là. Il aurait recommandé à M. Biya de donner des instructions afin que ce soit un technicien français qui soit choisi. Cette manœuvre mettant de fait à côté d’éminents entraîneurs comme Löthar Matthaüs ou même encore José Mourinho qui avaient manifesté leur intérêt. Quelques semaines plus tard, le président de la République du Cameroun lors d’un déjeuner à Paris rencontrait M. Paul Le Guen qui allait par la suite devenir le sélectionneur des Lions indomptables.

Le conflit entre le ministère des sports et la Fédération Camerounaise de Football (Fécafoot)

Mais les interventions directes du Chef de l’Etat camerounais ne sont pas la véritable plaie qui gangrène le football au Cameroun. Ce qui le fait couler sont les conflits de compétence qui opposent la Fécafoot au ministère des sports.
Au Cameroun, il existe un Ministère des Sports (dont l’appellation connait des déclinaisons au gré des remaniements, mais la fonction restant la même). Mais ce dont on a souvent l’impression, c’est que ces ministres s’occupent principalement du football – surtout de ses  équipes nationales – au détriment des autres sports. Le slogan qui est souvent brandi est qu’ « au Cameroun, il n’y a pas de sports mineurs ». A d’autres. Il y a un sport majeur, le football, dont le ministre s’occupe personnellement, et les autres sports. Exemple : pendant qu’on dépensait des centaines de millions de francs CFA pour mettre les joueurs de l’équipe nationale de foot aux petits soins pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud, une autre équipe nationale, de basket celle-là, tirait le diable par la queue. Les joueurs manquaient d’équipements pour préparer une compétition où ils allaient représenter leur pays,  se faisaient expulser des aires d’entrainement qu’ils utilisaient, buvaient de l’eau puisée on ne sait où. Un autre exemple plus parlant : pendant les Jeux Olympiques de 2008 à Beijing, alors que Françoise Mbango Etonè s’apprêtait à concourir pour la finale du triple saut féminin, les officiels camerounais sont partis avec le bus alloué à l’équipe. Elle a glané sa médaille d’or toute seule et est rentrée au village olympique en… taxi ! Harassée, elle a dernièrement obtenu la nationalité française.

Pour revenir à notre sujet, on a maintes fois vu des ministres des sports délaisser pendant des jours ou même des semaines leur bureau à Yaoundé pour accompagner l’équipe nationale de football lors d’une compétition internationale. Il se constitue alors Chef de délégation et pendant le séjour, il ne fait rien d’autre qu’embêter les joueurs. La Fécafoot, elle, est alors cantonnée à jouer le rôle de faire-valoir. Contrairement à ses attributions, ce n’est pas elle qui gère l’équipe nationale de football. On a assisté à des batailles rangées où le Ministre des sports essaie d’imposer tel ou tel choix quant à la gestion de cette équipe et que la fédération s’y oppose avec véhémence.

Le capharnaüm de la Fécafoot

Souvent, on ne peut pas en vouloir à au Ministre de tutelle d’intervenir dans un domaine en principe réservé à la Fédération, car cette dernière est une maison qui connaît de fréquents soubresauts. Une guerre d’influence y fait rage. Beaucoup de responsables fédéraux ont des intérêts dans les clubs de football locaux. Alors, les coups bas fusent : retraits des points, rétrogradations, annulation de licence de certains joueurs amateurs, sanctions financières. Pour les observateurs, la mainmise qui dure depuis déjà une bonne décade de Coton Sport de Garoua sur le championnat d’élite au Cameroun n’a rien de fortuit, car le Président de la Fécafoot est aussi le président de ce club de football.

La corruption et le favoritisme y battent leur plein. Il est de réputation ici qu’un joueur ayant arrosé d’argent certaines personnes aura sa place bétonnée au sein de l’équipe. Jusqu’à une époque récente, ce n’étaient pas les performances qui déterminaient une présence ou non au sein de l’équipe nationale, mais l’importance du pot-de-vin.  Un talentueux footballeur avait un jour donné un témoignage édifiant. Curieux du fait qu’il n’ait jamais été convoqué au sein des Lions Indomptables, il appelle le siège de la Fédération. Le responsable qu’il a eu au bout du fil lui a rétorqué sans ambages : «  tu as déjà donné combien pour jouer à l’équipe nationale ? »

Des joueurs mésestimés…

Le climat autour de l’équipe lors de la préparation de grandes compétitions n’aident pas toujours à espérer des résultats. Beaucoup d’efforts ont néanmoins été accomplis ces dernières années. L’équipe se déplace par vol spécial, crèche dans de luxueux hôtels, profite de bonnes infrastructures pour s’entrainer (à l’étranger, pas au Cameroun).  Et chaque joueur reçoit sa prime. Auparavant, c’était un véritable traumatisme que d’être sélectionné au sein des Lions. En 1994 pour le Mondial aux USA, l’équipe arrive sur place  quelques heures seulement avant son premier match ! Pour une histoire de primes non payées. Bis repetita en 2002, où l’équipe arrive au Japon avec 5 jours de retard sur la date prévue. Au moment de s’envoler pour l’Asie, les joueurs exigent le paiement préalable de leurs primes. Ce qu’ils n’obtiennent pas sur l’instant. Ils refusent donc de monter dans l’avion. Pendant ce temps, le comité d’accueil japonais attend les camerounais en vain. Là, le ministre décide de procéder à une attribution à la tête : 15 millions pour celui-ci, 5 pour celui-là, 30 millions pour un autre. Quand l’avion de la compagnie aérienne nationale peut enfin décoller, toutes les autorisations de survol accordées sont arrivées à expiration et doivent être renégociées. Ce qui  prend deux jours.  Il a finalement fallu encore deux jours supplémentaires pour rallier le Japon, après des escales forcées dans certains pays d’Europe et d’Asie centrale. Je n’oublierai jamais cet auditeur congolais d’Africa N°1 qui avait pleuré à chaudes larmes sur les antennes de cette radio en évoquant le gâchis qu’avait été la campagne camerounaise pendant la Coupe du Monde Corée-Japon.

…aux joueurs superstars.

Nous ne sommes plus à l’époque où tous les joueurs de l’équipe nationale proviennent des clubs de foot camerounais. Il existe désormais une grande disparité entre les membres de cette équipe : d’une part il y a la Superstar que nous connaissons tous et d’autre part, on a ceux qui viennent pour essayer d’obtenir son autographe, le toucher, le voir. Pas pour jouer ensemble. Sinon, pourquoi il leur devient alors si compliqué de lui faire parvenir une passe en cours de match ? Et on en arrive à des niveaux où tout se dit à cause de quelques montres de plusieurs milliers d’euros offertes par la Superstar à ses coéquipiers. On accuse même la Superstar d’influencer les membres de la Fédération et même le Ministre qui laissent alors passer ses frasques. Et du coup, lorsque certains refusent de marcher comme la Superstar l’entend, ils sont derechef bannis et on assiste à des naufrages comme celui qui a eu lieu en Afrique du Sud où le Cameroun a perdu tous ses matchs et fini classé bon dernier de la compétition !

Et l’avis des camerounais ?

Ils regardent tout ça désormais d’un œil désabusé. Ils assistent impassibles à la valse des entraineurs. Ils savant que ce n’est pas ces derniers qui sont responsables de ce fait, mais le système qui dirige le football au Cameroun. Nous, on aimerait bien taper sur les coachs, mais lorsqu’on a conscience que la présence de certains joueurs leur est souvent imposée par la hiérarchie, on ne peut pas leur en vouloir quand ça foire. Le Sénégal nous a battus samedi dernier. Pour ce match, deux joueurs sont arrivés en dernière minute et il semble qu’ils n’avaient pas été convoqués par le sélectionneur. En même temps, deux autres étaient convoqués à la présidence de la République. D’ailleurs, ce match contre le Sénégal n’intéressait pas grand monde. Beaucoup de camerounais souhaitent même que cette équipe soit éliminée, car disent-ils, « à quoi ont servi toutes les victoires qu’on a enfilées ? Il n’y a même pas un stade de football digne de ce nom dans notre pays pour prouver 6 participations à la Coupe du Monde dont un quart de finale; quatre coupes d’Afrique remportées et une médaille d’or olympique de football».

 

Par René Jackson

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Commentaires

Ouédraogo
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Bonne analyse. Cela explique en partie pourquoi les Lions Indomptables ne font plus rêver. Mais, les autres équipes ont aujourd'hui évoluer. Les dirigeants ne semblent pas prendre cette donnée en compte. Ce qui crée plus de re rivalités entre les équies africaines.
Le principal problème, c'est l'ingérence des hommes politiques dans le football. Il faut toujours laisser la fédération et son sélectionneur faire leur travail. Ensuite, on pourra les juger.
Pour l'équipe du Cameroun, la Superstar s'est toujours defoncée pour l'équipe. Je me rappelle que lors des éliminatoires de la CAN 2010, le Cameroun était dos au mur. L'homme a été parmi ceux qui se sont le plus battu pour que les Lions blessés, réagissent.

Puka
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Les Lions indomptables du Cameroun, participe à la construction de notre pays. Les victoires des lions, sont celle de notre politique sportive, de ce fait, il est urgent d’une prise en main de ce secteur du sport camerounais, qui a toujours fait notre fierté. Son avenir y en dépend.