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Petits moments de corruption

Source image: worldbank.org
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Ces dernières années, les rapports successifs de Transparency International (l’une de ces institutions dont on ne sait quel est le problème avec notre pays, dixit nos gouvernants) placent le Cameroun dans le peloton de tête des pays les plus corrompus de la planète. Tranparency International base ses enquêtes sur « l’indice de perception » de la corruption. Critère que j’ai toujours considéré comme de l’enfumage. La « perception » ne peut être une base objective en statistiques. Donc, j’avais toujours considéré ce critère comme étant la corruption même. Ce jusqu’à aujourd’hui. Parce que je me suis mis à réfléchir à propos de ce phénomène. Je me suis promis de ne jamais entrer dans ce système. Et le simple fait de prendre cette décision est un signe que j’y suis trempé jusqu’au cou. En en réalité, comme tout Camerounais vivant au Cameroun, je suis un corrupteur en puissance. J’ai repassé en revue toutes les fois où je me suis frotté à l’administration camerounaise. Et flûte, je me rends compte que je ne suis pas meilleur que les autres !

Année 2007 : je me rends dans un commissariat de police. Je ne dirai pas lequel. Je ne me permettrai pas de dire que c’est celui qui jouxte l’hôtel de ville de Douala. Problème de carte d’identité. Quand j’y arrive, je me fais aborder par un jeune homme qui me demande ce que je veux. Je lui dis. Il m’indique alors du doigt une dame de forte corpulence à l’intérieur du commissariat. Je vais vers elle. Elle fait le signe OK au jeune homme. Et moi je paie sept mille francs. Pour une pièce qui, selon certaines indiscrétions, ne valait pas plus de trois mille francs. A mon insu, j’avais corrompu, puisque quinze minutes après être arrivé, je repartais avec mon récépissé. D’habitude, il faut plusieurs heures.

Année 2012 : il me fallait un permis de conduire. Je me suis inscrit dans une autoécole. Après trois mois de formation, je passe avec brio l’examen écrit. Le lendemain de la publication de ces résultats, le directeur de mon autoécole nous convoque. « J’ai une information à vous communiquer. Le jury de l’examen pratique embête. Il vous faut venir déposer dix mille francs ici. Cet argent, on va le remettre aux examinateurs. Je ne vous oblige pas à le faire. Mais sachez que si vous ne le faites pas, c’est à vos risques et périls. Et si vous échouez à l’examen pratique, il faudra verser dix mille francs pour reconduire votre dossier d’examen et attendre encore au moins un mois avant de repasser l’examen ». J’ai vite fait mon calcul. Conclusion : quel que soit le choix qu’on ferait, il fallait verser cet argent. On choisirait juste quand on allait le faire.

Année 2009 : je passe quelques semaines à Yaoundé. J’étais en mode touriste. J’avais parcouru la ville et j’avais pris en photo tout ce que j’étais capable de filmer. Le problème, c’est que j’ignorais à quel point cette ville était remplie de gens paranoïaques. Les forces de l’ordre s’y comportent comme si la ville abritait à la fois Barack Obama et le pape! Yaoundé est une belle ville. Qu’il ne faut absolument pas prendre en photo. Je me rappelle des bisbilles que j’ai eues avec les vigiles du palais des sports pour la malheureuse photo de ce bâtiment que j’avais prise. Ils avaient menacé d’aller me dénoncer auprès des Chinois (qui ont construit et qui gèrent l’infrastructure).

Une fin d’après-midi, je suis en voiture, assis à côté du conducteur. Je me faisais un selfie quand le policier qui régissait la circulation au lieu-dit Carrefour Mvan, l’un des endroits les plus embouteillés de la ville, m’aperçut. Il abandonna son travail et demanda au conducteur de se garer sur le côté et m’extirpa du véhicule. « Monsieur, vous vous permettez de filmer un agent des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions ? » J’ai failli lui répondre que ces mêmes agents ne voyaient pourtant pas d’objection à aller squatter les débits de boisson pendant l’exercice de leurs fonctions, mais je me suis retenu. Je lui ai juste dit : « Chef, ce n’est pas vous que je filmais ». Il me rétorque « suivez-moi au poste ».

Une fois au poste, il se rend bien compte qu’il n’y a pas de photo de lui dans l’appareil, mais il parcourt les autres et voit toutes les photos que j’avais prises. « Jeune homme, vous voyez ? Vous ne savez pas qu’il est interdit de filmer les bâtiments publics ? Ahan ! Même l’immeuble de la BEAC ? Monsieur, vous êtes suspect ! Inspecteur  » je ne sais plus qui « , venez voir.

L’inspecteur  » je ne sais plus qui  » : Mon petit, c’est grave hein !

Moi : Mais chef, j’ai photographié ce que tout le monde peut voir en passant dans la rue ! Je ne suis pas allé filmer la salle des coffres de la BEAC (Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale) ! »

Ne voulant pas tourner inutilement autour du pot, l’agent de police me dit qu’il faut que je fasse quelque chose, sinon il sera obligé d’en référer à son chef. J’ai pensé à une amitié qui risquait de voler en éclats si je ne ramenais pas cet appareil à son propriétaire. J’ai sorti mille francs de ma poche.

Année 2013, commissariat à l’émi-immigration de Douala : j’arrive pour prendre des renseignements afin de me faire établir un passeport. J’y trouve un policier en compagnie d’un jeune homme. Il lui explique comment remplir le formulaire de demande de passeport. En même temps il répond aux diverses questions que l’homme lui pose. Je soumets aussi mes interrogations à l’agent qui répond sans sourciller. L’homme, ayant terminé, dit merci et s’en va. La minute qui suit, l’agent me dit : « Mon fils, tu vois comment les gens sont ? Il est venu là, j’ai répondu à toutes ses questions, je l’ai aidé à remplir son formulaire et il part sans rien me donner ». J’ai saisi le message. Quand il eut fini avec moi, je lui glissai cinq cents francs.

Plus je réfléchis, plus je me rends compte que j’ai donné beaucoup – trop – d’argent pour des services pour lesquels j’avais pourtant déjà payé mon dû en divers timbres. Il y a encore quelques semaines, je devais faire certifier une photocopie d’acte de naissance. J’appose un timbre communal et un timbre fiscal dessus. Ça c’est la loi qui l’oblige. Je vais au centre d’état civil où on doit le signer. L’agent prend mon dossier et me demande cinq cents francs de « frais de signature », je fais mine de protester, il me répond, pince-sans-rire, que si ça ne me convient pas, je peux toujours le signer moi-même ce papier.

La corruption ressemble en définitive à une chape sous laquelle tout le monde doit passer. Même les esprits les plus déterminés ne peuvent pas y couper. Et pourtant, ce n’est pas une fatalité. Cette propension à donner (certains proposent même de donner alors qu’on ne leur a rien demandé) est le plus souvent le fruit d’une paresse caractérisée doublée d’une certaine ignorance.

Je me souviens de cette scène dont j’ai été témoin dans un autre commissariat de police en 2009 ou 2010. Un vieux monsieur particulièrement teigneux était venu se faire établir sa carte d’identité. Il lui avait été demandé cinq mille francs. Pourtant, une note destinée aux usagers affichée sur l’un des murs de la salle d’identification fixait à mille huit cents francs les frais d’établissement de la carte d’identité. Le vieux monsieur a crié au scandale et hurlé au vol. Il a réussi à attirer l’attention des personnes nombreuses qui se faisaient racketter. Finalement, pour éviter l’esclandre, on lui a rapidement fait son récépissé. Et il a tenu à payer les mille huit cents francs, bien que finalement le service lui fût gracieusement offert.

En fin de compte, je crois que je le comprends, ce concept de « perception ».

 

Par René Jackson

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ntrjack

Commentaires

blaiso
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sacrée comme chronique. il faut alors des siècles pour éradiquer le phénomène car je sens que des fois je suis corrupteur et d'autres je suis corrompu sans m'en rendre compte. le mal est vraiment profond.

Chantal
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Profond, j'aime. Donc si je comprends bien on doit bannir les formes les plus sournoises de la corruption dans nos pays. Ne pas être trop pressé quand on besoin des services publics par exemple et puis y aller en masse pour protester efficacement