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Ô Cameroun, pays de parieurs

 

Hier soir, il me fallait du crédit de communication dans mon téléphone portable. Il faut dire que depuis quelques temps une petite camerounaise cherche à se faire une place dans ma vie. Les échanges – notamment téléphoniques – devant être réciproques et soutenus, je dois souscrire au sacrifice de la recharge. Beaucoup plus souvent que d’habitude. Mais ça c’est une autre histoire. Donc, hier soir, j’avais besoin du crédit de téléphone. Près de chez moi, un jeune homme fait le call-box. Lui il a la particularité d’avoir fait un aménagement qui permet qu’en dehors de lui, quatre ou cinq autres personnes puissent trouver une place assise à son officine. Du coup, c’est l’un des points de villégiature favoris des jeunes du quartier. Quand j’y arrive et après avoir passé ma commande, je remarque que les garçons sont emportés dans une grande discussion. Le genre de discussion vitale dans l’existence d’un blédard oisif: DJ Arafat, je vous en avais déjà parlé ici. Les jeunes s’achoppaient sur un vers de l’une de ses chansons. Les premiers disaient que le premier mot du vers litigieux est « je », les seconds soutenant mordicus qu’il s’agit plutôt d’un « le ». Personnellement, je pensais qu’ils ne sortiraient jamais de l’auberge, vu que l’artiste a la particularité de parfois utiliser dans une même phrase deux, trois, ou parfois même quatre langues ou dialectes différents. Tout d’un coup, l’un des protagonistes demande aux autres : on met quoi ? (Ce qui en langage camerounais signifie : on parie quoi ?)

De mes longues années de gérant de cybercafé, j’ai eu l’occasion de rencontrer et de côtoyer  une grande diversité de personnes. Personnes parmi lesquelles se situe en bonne place la caste des parieurs. Internet étant devenu le référentiel absolu, je suis devenu le marabout de la connaissance doté de ma boule de  cristal : le PC connecté au Web. J’ai alors d’innombrables fois été sollicité pour dire le vrai dans des litiges. « En basket ball, comment appelle-t-on les périodes ? » « Pendant la coupe du monde de football en 1998 en France, qui portait le numéro 8 pour le Cameroun ? » « Moi je dis que Rafael Nadal est né en janvier, lui il dit en mars. Quelle est la vérité ?» « La capitale de la Californie c’est bien Hollywood non ? ». Telles sont un échantillon des nombreuses interrogations qui ont été soumises à la sagacité de mon ordinateur. Et la discussion sur le « le » ou le « je » de la chanson de DJ Arafat connut elle aussi un passage par la case cybercafé. Ca, je ne l’ai su que ce matin, en essayant de comprendre les tenants et les aboutissants de la rixe qui a eu lieu tard cette nuit dans ma rue.

Ces sollicitations n’avaient pas pour but la connaissance. Même dans l’hypothèse où la connaissance aurait une importance, elle n’était que très subsidiaire. Ce qui mobilisait autant ces personnes était le pari en espèces sonnantes et trébuchantes qui sous-tendait leur démarche. Ce qui fait qu’après avoir tranché un litige, je me retrouvais souvent en train de séparer la querelle entre le mauvais perdant ou le parieur perdant et sans le sou et le gagnant.

J’ai cessé de participer aux parties de football d’après école et à celles qu’on livrait souvent le soir dans les terrains vagues du quartier le jour où je me retrouvai avec une entorse à la cheville, la blessure la plus grave de ma carrière de footballeur de rue. Une carrière prometteuse qui fut stoppée net, à l’âge de 15 ans. Victime que je fus d’un violent tacle administré par un enfant de l’équipe d’un autre quartier contre laquelle nous jouions. Un bon mois de massage à l’eau chaude d’une douleur inouïe prodigué par mon oncle. Une démarche d’abord sur un pied, puis claudicante pendant plusieurs semaines. Et surtout cinq ou six années pendant lesquelles je ne touchai pas à un ballon. Le jour où je remis un short et des godasses, je compris que mon retrait des terrains de foot se devait d’être définitif et que je devais déjà songer à mon jubilé quand je me retrouvai en train de valser à 2 mètres au dessus du sol, suite à une savate bien sentie que j’avais reçue. Sachant que nos parties n’ont pas d’arbitre et fulminant contre un tel geste d’antijeu, je m’en allai sur-le-champ. Les règles avaient changé. J’avais d’abord tiqué quand je suis arrivé au regroupement d’avant-match, on demanda à tous les joueurs de déposer 525 francs pour participer à la rencontre. Pourquoi 525 francs ? avais-je demandé. 500 francs pour le « côté » (pari) et 25 francs pour le katika (celui qui détient les mises et qui est chargé de les reverser à la partie gagnante). C’était loin de nos parties d’antan où il suffisait d’être présent au moment de la constitution des équipes pour être sûr de jouer.

Désormais, la motivation n’est plus simplement la joie de participer à une partie de foot, mais aussi les paris d’argent qui font que ces matchs deviennent de véritables boucheries. Je m’en suis éloigné en constatant amèrement que ce n’était pas qu’au niveau international et professionnel que l’argent avait détruit le foot.

Flairant ce goût non encore assumé de la part des camerounais pour les paris, de grandes multinationales se sont installées au Cameroun. Parmi lesquelles la société des paris hippiques, la nommée Pari Mutuel Urbain Camerounais. Une véritable conspiration impérialiste qu’elle fut et continue d’être, cette entreprise. Installée au pays à quelques encablures de la dévaluation du franc, il fallait profiter de la détresse annoncée des camerounais pour déployer devant eux ce véritable miroir aux alouettes qu’est le fait de parier sur des canassons qu’on ne verrait jamais des yeux. Qu’on ne jugerait donc jamais sur pièce. On ne pouvait se fier qu’aux côtes produites par des gens payés par le PMUC, c’est-à-dire forcément faussés. Une arnaque organisée. En clair, on donnait la possibilité aux camerounais qui s’appauvrissaient déjà deux fois plus et qui pour la majorité ne travaillaient plus la possibilité de s’appauvrir encore plus. Pendant longtemps, le pari hippique a représenté le seul espoir pour de nombreux camerounais. Un espoir savamment entretenu par le PMUC qui affichait chaque mois environ 2 gagnants millionnaires. 50 malheureux millions distribués par mois pour combien de milliards récoltés dans la même période ?

L’espoir est toujours là. Mais depuis deux ans, il n’est plus l’apanage du seul PMUC. On parle de plus en plus de Parifoot, qui est devenu la nouvelle coqueluche de la jeunesse. Je suis effaré par l’aptitude qu’ont désormais de jeunes gens de 15 ans à peine, capables qu’ils sont de décrypter les côtes les plus serrés et les plus compliquées. Il y a quelques semaines je mes suis retrouvé à Yaoundé avec l’un de mes cousins, 22 ans, « valideur » patenté à Parifoot. Il a essayé de m’expliquer pendant une bonne heure la mathématique complexe et incompréhensible qu’il fallait maîtriser pour devenir riche. Il m’a raconté comment un jour il a perdu près de trois millions à cause d’un seul but, alors qu’il avait parié sur dix matchs. Il gardait néanmoins l’espoir car il savait qu’il allait un jour remporter le pactole.

L’interrogation que j’ai toujours eue à propos de ces paris sur les matchs de foot est celle-ci : comment des camerounais pouvaient-ils se retrouver en train de parier sur des matchs de deuxième division thaïlandaise, birmane, japonaise, jamaïcaine, surinamienne ou équatorienne ? Des championnats lointains qui normalement n’intéressent personne, en dehors de ceux qui y évoluent.

Le Cameroun représente une terre d’avenir pour le pari, quel qu’il soit. Du plus informel au plus institutionnalisé. Le pari est inscrit dans le génome camerounien. Pour ceux qui en doutent, j’ai un petit exemple. L’autre jour, je me divertissais devant un jeu vidéo de combat. J’ai remarqué qu’au début de chaque round, ma filleule de âgée de 6 ans qui me regardait jouer me mettait au défi en utilisant des termes de circonstance : « tonton, ton adversaire va te battre. On parie quoi ? »

Par René Jackson

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ntrjack

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