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Ne pas se faire détrousser à Douala en 5 tactiques

Source: Creative Stock Images

Douala a bien changé. Pendant plus de deux ans j’ai bossé dans une structure où je ne quittais pas mon poste avant que le soleil n’ait parcouru la moitié du chemin qui sépare le couchant du levant. Et jamais, ô grand jamais je ne fus inquiété par les personnes au caractère sanguin qui, si je me fiais à mes propres expériences, n’écumaient plus nos rues. Que nenni ! Pendant deux ans, je ne me suis pas fait braquer au boulot (ce qui est surprenant, vu qu’en face de l’officine où j’officiais, se trouvait l’un des snacks les plus courus de la ville où se retrouvaient entre autres les plus grands experts en maniement d’armes blanches en tous genres). Pendant deux ans, je suis rentré chez moi à des heures indues sans jamais avoir entendu la phrase de tous les dangers : « Hé, petit frère, viens ici ». Et dire qu’il y a des années, planait sur la ville de Douala une atmosphère de couvre-feu que personne n’avait décrété. Le conseil qui était donné était celui-ci : « si 23 heures te trouve quelque part, reste-y ». Seuls les suicidaires ou les je-m’en-fous-la-mort osaient pointer leur nez dehors à partir d’une certaine heure. Mais en restant chez soi on n’était pas plus protégé, car les délinquants, ayant écumé les rues sans trouver quelque individu à détrousser, finissaient leur course dans les demeures… N’ayant moi-même jamais été victime de la furie des maîtres de nos nuits – et de nos journées –  je vais m’appuyer sur les expériences vécues par les autres pour prodiguer les recommandations qui suivent.

Tactique n°1 : ne pas faire la cuisine

Ca semble étrange n’est-ce pas ? Mais dans certains quartiers de la ville, poser une marmite sur un foyer peut avoir de très fâcheuses conséquences. Ancienne route Douala-Edéa, au lieu dit PK11, les âmes qui habitent ce lieu passent souvent très près d’une crise d’inanition. Vous savez, nos cuisines africaines, même dans une « ville » comme celle de Douala, correspondent rarement au canevas occidental, c’est-à-dire entre quatre murs ou plus de béton, lesquels doivent être carrelés, de même que le sol ; elle doit être équipée d’une cuisinière à butane, d’un frigidaire et arrosée d’eau courante. Non, à Douala, nos cuisines n’ont pas de murs. Les repas cuisent au milieu d’une cour, à l’intérieur d’une marmite qui repose sur trois grosses pierres, marmite au dessous de laquelle un feu de bois brûle, au vu et au su de tous. Des petits malins ont pour sport favori la mise en danger l’équilibre des familles du coin en volant tout bonnement les marmites et leur contenu. Le moindre moment d’inattention de la femme qui s’éloigne de sa cuisson pour aller chercher le sel ou un condiment vaut à sa famille un jeûne forcé pour au moins la journée.

Tactique n°2 : ne pas fréquenter les prostituées

Car, si on ne chope pas une MST, on risque fort d’être victime d’un délestage net et sans bavure de ses fonds de poche. Pour ceux qui ne peuvent pas (et il y en a beaucoup) se priver des services des tapineuses, il est important de s’armer de quelques prédispositions vitales. D’abord, éviter les prostituées qui cassent exagérément les prix. Parce que si vous vous engagez avec une fille qui vous facture la passe à 200 francs (environ 0.30 euro), il y a de fortes chances que pendant que vous travaillez la bête, un individu sorte d’on ne sait où pour vous réclamer un supplément. Il faut noter qu’à ce prix là, vous ne pouvez espérer aller très loin du poteau électrique qui tient lieu de bureau pour la prostituée. D’un petit hangar ou d’un étal de commerçant des parages il faudra se contenter. Donc, payez un prix convenable et choisissez vous-même le lieu où vous irez tirer votre coup. Pendant l’acte, évitez d’éteindre et malgré l’acuité requise par la besogne sexuelle, maintenez tous les sens en éveil, car on a maintes fois vu des pantalons disparaître par la fenêtre ou même par le plafond. Et puis jamais, ô grand jamais, il ne faut s’assoupir après les hostilités auprès de la belle. Parce qu’au réveil, vous ne retrouverez ni la belle en question, ni vos chaussures, ni vos vêtements et encore moins le portefeuille ou le portable. Un chanteur camerounais en a d’ailleurs fait l’amère expérience.

Tactique n°3 : ne pas hésiter à pactiser avec l’ennemi

Pour le noctambule incorrigible, la voie du salut passe par des accointances avec les malfrats de tout poil. Une tactique loin d’être sotte s’il en est, car côtoyer la racaille, surtout celle de son quartier, c’est obtenir un contrat de non agression tacite. De plus on se dote de gardes de corps à moindre frais, car quelques cigarettes de ci, de là, ce n’est pas cher payé pour une telle protection. Mais il faut prendre soin de garder une certaine distance avec  cette caste, au risque d’y être assimilé et d’ainsi susciter le désarroi de ses proches et le regard soupçonneux des autres.

Tactique n° 4 : ne pas emprunter les taxis

Les taxis à Douala sont ce qu’étaient les trains ou les diligences dans le far-West américain: le terrain de jeu des amateurs de hold-up. A Douala, contrairement à d’autres villes, on n’emprunte pas le taxi tout seul, sauf si on veut une course où un dépôt, ce qui coûte extrêmement cher. La plupart du temps, les chauffeurs font le ramassage. Si vous empruntez un taxi en ramassage et qu’à un moment du voyage, vous vous retrouvez au milieu de deux inconnus sur la banquette arrière, commencez votre prière. A partir de là, ils ont plusieurs modes opératoires si on est tombé dans le taxi qu’il ne fallait pas. Soit une arme sort d’on ne sait où et l’ordre de vous débarrasser de tous vos biens vous est intimé ; soit vous êtes entraînés dans un lieu vague puis méthodiquement dépouillé de votre caillasse, électronique et monnaie ; soit de façon plus subtile, vous êtes imperceptiblement soulagé de vos biens, lors d’un trajet pendant lequel rien d’anormal n’aura attiré l’attention. A l’arrivée on n’a que ses yeux pour pleurer.

Tactique n°5 : ne pas prendre la rumeur à la légère

Quartier Dakar – Dakar ici est en fait le diminutif d’un marché qui s’appelle officiellement Madagascar. Un nom trop long. Comme d’ailleurs tous ceux qui proviennent de ce pays d’Afrique australe. Le coin a une très mauvaise réputation. Il est l’un de ceux dans la ville où dès le soleil couché, il vaut mieux éviter d’emmener sa petite amie, ou qui que ce soit,  prendre l’air. Un véritable quartier de racailles toutes espèces confondues. Un quartier où les mecs réussissent à ériger un barrage sur une avenue, à stopper toutes les motos qui ont eu le malheur d’emprunter ce trajet et de fouiller manu-militari leurs passagers et conducteur. En somme, un secteur à ne pas fréquenter. Je ne retins la leçon qu’après une énorme frayeur. Il y a quelques années, je fus invité à une fête qui y avait lieu. Faisant fi de toutes les interdictions, j’y suis allé. C’était à une époque où je ne ratais sous aucun prétexte une fête, invité ou pas d’ailleurs. Je n’ai pris la réelle mesure de menace que lorsque je vis l’accoutrement des videurs qui filtraient l’entrée de la salle. Il y en avait un qui avait carrément enfilé une cagoule et tenait enroulée tout autour de son bras, de son cou et de son abdomen une énorme chaîne qui devait peser facile 20 à 30 kilogrammes. A 2 heures du matin, la fête battait son plein, quand soudain il y eu un grand tumulte à l’entrée. Une poignée de secondes après, de grands malabars on envahi la salle en hurlant : « on va vous apprendre à faire une fête sans inviter les gars du quartier ». Jamais je le vis autant de bouteilles de bières – encore pleines – voler. Jamais je ne vis valser les tables de cette façon. Jamais je ne vis des chaises s’abattre aussi violemment sur des corps humains. Une bagarre d’une violence inouïe opposa les organisateurs aux assaillants. Tout y passa : casiers de boissons, couverts, lattes et planches. Certains se servaient même des bâtons de manioc pour se taper dessus. L’ambiance n’étant pas du tout celle que nous nous attendions à vivre, quelques personnes et moi nous refugiâmes dans les toilettes, avec des molosses aux trousses prêts à nous faire la fête. Ils ont essayé pendant un moment d’enfoncer la porte, puis on les a entendus s’éloigner à la recherche de victimes moins difficiles à châtier. Sortis de cette cachette un quart d’heure plus tard, j’ai quitté les lieux sans demander mon reste. Dans les échauffourées, j’avais réussi à perdre mon portefeuille qui ne contenait par bonheur aucune pièce importante mais dans lequel j’avais eu la mauvaise idée de parquer tous mes sous. Je dus me coltiner la dizaine kilomètres qui me séparaient de chez moi à pied, en pleine nuit et surtout ivre…

Par René Jackson

NB : ce billet m’a été largement inspiré par cet excellent autre de Florian Ngimbis, qui a fait un pendant pour la ville de Yaoundé.

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Auteur·e

ntrjack

Commentaires

rakotomaheninarivonimerina
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bonjour, j'ai beaucoup ri en lisant ton blog. Mais je me demande pourquoi nomme-t-on ce quartier Madagascar? Une historique particulière?

gasyimpact
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Bonsoir. Article très instructif. Merci!

@Jackson. Je serais curieux de savoir si les quartiers Dakar et Madagascar sont bien les mêmes car à priori les deux existent. Le premier dans la localité de Mvolyé et le deuxième dans celle de Messa-Azegue.

@rakotomahenina. Apparemment, le quartier Madagascar est un ancien camp de fonctionnaires qui a d’abord abrité les travailleurs malgaches à l'époque coloniale.

https://www.ongola.com/noms-histoire.htm

Bonne continuation!
G.I

René Nkowa
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Bonjour. Il s'agit de Douala ici. Pas de Yaoundé. Et à Douala les deux signifient la même chose.

Pö Osh
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Tactique 6: Éviter les motos-taxi communément appelés "ben skin" qui viennent à notre hauteur nous heller..

Ps: Pour les taxis, il a été oublié de préciser qu'il ne faut jamais accepter que le taxi man prétexte un détour par une ruelle sombre afin d'y laisser un client.. en général c'est le début de l'agression physique..

J'esperes que ma contribution vous sera utile.

koyoue franck
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Tactique 7 éviter de trop trainer devant les banques en ce moment l'air y est malsain