Crédit:

L'Islam a tout compris

 

Des obsèques qui valent de l'or

Ibrahim Ag Bahanga, un chef rebelle touareg qui s’était notamment fait connaître par l’attaque des garnisons de Manaka et de Kidal (au Mali) en 2006 pour revendiquer l’amélioration des conditions de vie et le développement du Nord-Mali, est décédé vendredi dernier en fin d’après-midi dans un accident de voiture. Mort sur le coup, il a été inhumé séance tenante. Il est vrai que les rites funéraires musulmans, qui peuvent paraître assez radicaux pour un observateur externe, ont au moins le mérite d’abréger grandement les choses. Et suscitent une certaine envie et admiration chez beaucoup, surtout dans les traditions à la fois bantoues et chrétiennes, chez lesquelles les obsèques peuvent durer des semaines parfois. Ceci au grand dam des poches et des comptes en banque des parents proches ou lointains et amis.

 

En effet, prises en gros, les traditions funéraires musulmanes sont très simples: les morts doivent être enterrés dans un simple linceul (cela varie aussi en fonction des pays. Dans certains, la législation impose d’inhumer le corps dans un cercueil). Le cadavre doit être enterré avec la tête en direction de la Mecque. Après avoir subi un lavage de purification, il doit être inhumé dans un délai allant d’un minimum de quelques minutes et d’un maximum de 48 heures après le décès. La tombe ne doit porter aucun artifice. En dehors d’une pierre tombale simple au possible indiquant l’identité du défunt, tout est superflu (et donc interdit). Et l’exhumation est fortement prohibée.

Tout cela est l’opposé des pratiques qui ont cours dans la société camerounaise (à l’exclusion des musulmans, bien entendu). Tout est célébré avec faste, les deuils aussi (et surtout, pourrait-on dire). Le programme est généralement le suivant: quand la personne décède, on dépose sa dépouille à la morgue. Puis s’en suit la préparation des obsèques qui elles ont lieu en début de week-end. Jeudi et vendredi sont les jours de mise en bière et de levée de corps. Après une veillée mortuaire, le corps est transféré vers le lieu d’inhumation (généralement le village d’origine) pour une inhumation dans la journée du samedi.

Jusqu’à il y a quelques années, il semblait être convenu que les obsèques  devraient se dérouler pendant le week-end suivant le décès, sauf s’il survenait après le mercredi, auquel cas il était remis à la semaine suivante. Une inhumation n’intervenait plus de deux semaines après le décès qu’exceptionnellement. Depuis quelques temps, c’est totalement l’inverse.

Il devient de plus en plus courant qu’on « oublie » des corps à la morgue. Dernièrement, ma chère maman me dit qu’elle voyagera pour un enterrement au village. Je lui demande: « à l’enterrement de qui? » Je ne me souvenais pas d’un décès récent dans la famille. Elle s’est mise en colère et m’a reproché d’avoir oublié que l’un de ses  grand-oncles était disparu. Elle m’a par la suite donné raison quand je lui ai rappelé que cela faisait près de deux mois qu’il était mort et que j’avais sérieusement eu le temps d’oublier cet évènement, d’autant plus que je le connaissais à peine.

Alors qu’auparavant, les séjours prolongés à la morgue étaient réservés à des personnes d’un certain rang ou titulaires de titres honorifiques, les raisons de ces rendez-vous retardés avec la dernière demeure sont désormais diverses: le plus souvent, on attend que l’un ou les parents du défunt expatrié(s) (fils, frère, oncle, père…) revienne au pays, ce qui peut souvent durer le temps nécessaire au concerné pour réunir les autorisations et l’argent pour participer à la circonstance. Parfois aussi, ce sont les querelles au sein de la famille du défunt qui retarde les obsèques. Le corps est alors en lieu sûr et laisse tout le loisir aux gens de se lancer dans d’interminables empoignades. Parfois même, les escarmouches se poursuivent lors des obsèques. On a ainsi été témoins il y a quelques années d’une bagarre générale lors d’une levée de corps à la morgue de l’hôpital Laquintinie de Douala. Le combat était si intense que la dépouille s’est finalement retrouvée à même la chaussée et il a fallu que les forces de l’ordre interviennent pour disperser les bagarreurs. Dans d’autres cas, le décès pousse à effectuer des travaux qui auraient dû l’être pendant que le défunt était en vie. On a ainsi vu des maisons entières sortir de terre et être terminées entre le moment de la mort et l’inhumation. Certains fois, ce sont des travaux de réhabilitation qui remettent les obsèques à plus tard.

Le faste et les excès ne sont pas en reste. Les obsèques nécessitent d’engager d’énormes sommes d’argent. On peut citer à tout va l’investissement dans une tombe carrelée, dans la meilleure chorale, dans la mise à disposition de la plus haute autorité religieuse pour la cérémonie oeucuménique, dans un cercueil qui peut parfois valoir plusieurs millions de francs et surtout dans une collation aux dimensions gargantuesques. Une fois même, l’un des plus importants hommes d’affaires du pays s’est carrément vu offrir un corbillard de six roues à l’occasion des obsèques de sa mère! Les cérémonies simples on presque disparu de la circulation et il n’est pas rare dans la ville de Douala que les rues soient coupées en plusieurs endroits par des tentes et des chaises. Ce fléau dénoncé à maintes reprises et même un temps interdit se répète immuablement tous les week-ends. Ce qui cause souvent des embouteillages monstres. Le plus terrible étant que ces tentes sont le plus souvent désertées par les personnes qu’elles sont sensées accueillir qui préfèrent plutôt aller se réfugier dans les buvettes situées dans les parages.

Il faut souligner que dans le contexte camerounais, les termes « obsèques » et « funérailles » ne sont pas similaires comme le veut le langage soutenu. Ici, ils ont des significations très différentes. Les obsèques désignent tout ce qui survient dans l’immédiateté du décès (morgue, levée de corps, veillée mortuaire, cérémonies religieuses, inhumation) alors que les funérailles désignent la cérémonie traditionnelle qui a lieu à la suite des obsèques, parfois même plusieurs décennies après. Les funérailles ainsi définies sont une autre occasion d’effectuer des dépenses supplémentaires et elles peuvent durer jusqu’à une semaine dans certaines régions! Les plus téméraires vont jusqu’à exhumer les restes de parents morts depuis même avant leur naissance pour les remettre en terre à un endroit estimé plus conforme.

Les obsèques représentent ainsi, en dehors de la douleur des proches, une formidable occasion de dépenses considérable, qui contribue à accroître la détresse des uns et des autres les risques de précarité. J’ai vu un père, un simple employé d’une boulangerie, débourser près de 4 millions de francs pour pouvoir récupérer le corps de son fils séquestré dans une morgue. Les musulmans témoins de circonstances pareilles doivent ricaner intérieurement. C’est vrai que leurs rites funéraires simples et expéditifs sont de plus en plus enviés. Mais elles s’avèrent bien pratiques, surtout au Moyen Orient. Les palestiniens par exemples apprécieraient beaucoup moins d’avoir à veiller sur des cadavres pendant des jours entiers. En l’état actuel, ils  ont la possibilité de ramasser les victimes des raids israéliens, de faire un petit tour rapide au cimetière pour procéder à une inhumation rapide, puis retourner au front affronter les chars de Tsahal avec leurs ridicules (et bigrement efficaces)  lance-pierres…

 

Par René Jackson

Partagez

Auteur·e

ntrjack

Commentaires

David Kpelly
Répondre

Mon fiiillsss!!!
Bizarrement, on dirait que vous faites au Kamer les mêmes choses qu'au Togo. Les funérailles, c'est toute une fête, la fête des funérailles. Mais qu'on ne se méprenne point, mon fils, les proches et la famille du défunt ne perdent pas, ils gagnent plutôt! Les invités offrent des enveloppes, c'est un business!
Amitiés

Charles Lebon
Répondre

Salut Jacques!
J'entends de plus en plus de discours condamnant ce que tu appelles les obsèques qui sont "une formidable occasion de dépenses considérable, qui contribue à accroître la détresse des uns et des autres les risques de précarité".

Ceci n'est vrai que dans un contexte où les gens s’endettent pour se monter "grand" à cette occasion. Sur ce plan je suis d'accord avec toi.

De ce fait, il faudrait reconnaitre que c'est la pauvreté qui nous fait tenir ce discours. Car en soi il n'y a pas de mal de dépenser de l'argent si tu en as suffisamment.

Dans la perspective ethnologique, les rites, funérailles qui entoure un mort, répondent à une logique ou le faste et l'abondance occupent une place assez symbolique. Il serait un peu long que je détaille cette logique dans ce commentaire. Peut-être, je te le promets, je consacrerai un article sur la logique des "fêtes pompeuses" qui entoure un mort dans nos cultures et traditions.
Que nous n'ayons plus les conditions matérielles pour assurer de telles fastes, je crois, c'est un autre débat.

Mais le dommage aujourd'hui est que toutes les dépenses qui sont faites autour d'un mort, se font en méconnaissance même de cette logique ethnologique.

Amitiés!

Abdou
Répondre

L'islam aussi respecte les femmes RDV sur https://lebanas1.blogspot.com
Réné blogueurs camerounais et nous seront toujours là. Tiens moi au courant des avancées je ne fais plus parti de facebook