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Les vrais dangers de l'université

L'entrée principale du Campus 1 de l'Université de Douala - Photo: René Jackson Nkowa
L’entrée principale du Campus 1 de l’Université de Douala – Photo: René Jackson Nkowa

L’an dernier, j’assistais une élève de la classe de terminale dans la constitution de son dossier pour un concours d’entrée dans une grande école de l’Université de Douala. J’ai dû pour cela rencontrer sa mère. Elle avait un avis tranché sur « notre Université là » et son fonctionnement, notamment sur les pratiques ésotérico-mystiques qui y seraient courantes. J’ai bien tenté de la rassurer en lui disant qu’en dix ans de fréquentation de cet environnement, je n’avais jamais été approché par quiconque, que ce soit un enseignant ou un étudiant, afin de faire partie d’une quelconque loge. Mais elle n’a pas du tout été convaincue.

L’Université de Douala est une institution qui compte environ cinquante mille étudiants inscrits. Une véritable petite ville. Et bien évidemment, dans une société aussi diversifiée, on trouve de tout. Les sectes, on en entend beaucoup parler, mais c’est une expérience que je n’ai pas personnellement vécue, donc je ne suis pas légitime pour en parler. Mais les vrais maux de notre (nos) université (s) sont bien réels et autrement plus palpables que toutes ces choses métaphysiques.

Des enseignants particulièrement distants…

Tout étudiant de faculté sait combien il est difficile d’entrer en contact avec un enseignant. Ils dressent généralement un vrai mur de Jéricho tout autour d’eux et deviennent de ce fait quasiment inaccessibles. Il m’est arrivé d’attendre un enseignant pendant des jours à la direction de ma faculté et que lorsque je le rencontre enfin, qu’il m’envoie bouler en moins d’une minute sans même m’écouter. Ceci se vérifie particulièrement pour les assistants qui dispensent les travaux dirigés. Ils sont en DESS ou en DEA pour la plupart et sont bien plus désagréables que les enseignants titulaires. Certains d’entre eux étant franchement détestés des étudiants tant ils suintent de condescendance, de suffisance et de méchanceté. De vrais terroristes. On avait du mal à croire que le fait de se retrouver devant nous leur faisait oublier les difficultés auxquelles faisaient face les étudiants qu’ils étaient encore. Les travaux dirigés étaient un vrai traumatisme pour beaucoup. Par contre, quand on avait la chance d’être tenus par des enseignants titulaires, ils se montraient bien plus attentifs et compréhensifs que leurs subalternes, malgré l’importance de leur grade (de docteur et parfois de professeur).

… et tout-puissants

Dans les premiers moments de ma vie d’étudiant, je sortais de chez moi à cinq heures trente du matin. Trente minutes plus tard, j’étais dans le gymnase réaffecté en amphithéâtre dans lequel je suivais mes cours. Il pouvait contenir à vue de nez mille cinq cents étudiants. Et nous étions près de deux mille cinq cents inscrits pour la classe. Quand tu arrivais à six heures quinze, tu n’avais déjà plus de place. Pour un cours qui était prévu pour débuter à huit heures. Et parfois, l’enseignant ne se donnait pas la peine de se présenter. Je ne compte plus ces nuits écourtées pour rien. L’absentéisme des enseignants est un vrai fléau. Quelquefois, on tournait en rond dans le campus pendant toute une journée, pour attendre des enseignants qui ne viendraient pas. Une fois, nous avons fait la remarque à un enseignant qui nous a répondu : « Ce n’est pas sur le fait de dispenser ou pas ces enseignements que je suis jugé. Ca dépend uniquement de mon bon vouloir de venir ici ou pas ».

Une administration lourde

Deux mois après mon entrée à l’université, la première liste des étudiants est publiée. Et surprise, la première lettre de mon patronyme a tout simplement été oubliée. En ont suivi de douloureux mois, six au total, pour que la situation soit régularisée. J’ai rédigé je ne sais plus combien de requêtes, fait d’interminables heures de sitting pour attendre les responsables qu’il fallait rencontrer (enseignants et administratifs), car mes notes étaient attribuées à Nkowa sans « N » qui n’était pas du tout moi. Avant de terminer ma première année, j’étais déjà essoufflé. Les noms ou les notes qui n’apparaissent pas sont monnaie courante et bien malchanceux est celui ou celle sur qui ce genre de tuile tombe. Obtenir un certificat de scolarité est un chemin de croix. Beaucoup ont loupé des stages ou des emplois à cause de ce bout de papier qui ne sortait pas après moult requêtes. Idem avec les relevés de notes et attestations de réussite. Pour les diplômes, n’en parlons pas. Ils ne sont tout bonnement plus délivrés.

Un profond déficit en infrastructures

Quelque temps après mon entrée à l’université, le pays a connu une vague de manifestations estudiantines. Des manifestations qui ont touché toutes les universités publiques, notamment l’Université de Douala et celle de Buéa (dans la région du Sud-ouest) où des étudiants avaient même été tués par les forces de l’ordre. Parmi les réclamations, figurait en bonne place « les conditions d’études descentes ». Il faut dire qu’à ce moment par exemple dans notre université, il n’y avait tout simplement pas de toilettes. Les gens se soulageaient dans les fourrés environnant les amphithéâtres et salles de cours. Il n’y avait pas d’adduction en eau. Les coupures d’électricité étaient fréquentes. Depuis, certaines choses ont évolué dans le bon sens. Mais beaucoup reste à faire. J’étais encore il y a peu dans la bibliothèque de l’Université de Douala. Les murs du rez-de-chaussée du bâtiment sont chargés d’étagères désespérément vides. Les toiles d’araignées ont pris la place laissée vacante par les livres. Quand je fréquentais encore la faculté de droit, les babillards étaient réduits à leur simple expression. Les résultats étaient collés sur des murs soumis aux intempéries. Si la pluie n’avait pas rendu totalement illisibles ces papiers, le vent les avait emportés. Ou alors ce sont des individus mal intentionnés qui les déchiraient. Si tu n’avais pas vu ta note, bonne chance pour les obtenir auprès de l’administration.

L’abus d’autorité

Il y a encore quelques semaines, je discutais avec une amie qui se retrouvait face à un dilemme. Elle n’avait pas obtenu de note de contrôle continu dans une unité de valeur. Elle a contacté son enseignant à cet effet, lequel a soumis l’attribution d’une note à un (ou plusieurs)  passage (s) dans son lit. Elle a menacé de se plaindre à l’administration et il lui a ri au nez, l’encourageant même à effectuer cette démarche. Question qu’elle-même constate qu’il ne pourrait rien lui arriver. Elle était aux abois. Ne sachant pas vraiment quoi faire : accepter en se déshonorant au passage et obtenir cette note ou alors refuser et reprendre la classe l’année prochaine. Des mésaventures similaires sont habituelles. Ces enseignants qui demandent à des étudiants des faveurs matérielles et sexuelles avant de les rétablir dans leurs droits. Certains autres agissent en amont. Ils proposent à la fille (ou de plus en plus au garçon) de devenir son partenaire sexuel en promettant à cette dernière qu’il s’assurera personnellement qu’elle obtienne de bonnes notes. On a appelé ça les NST (Notes sexuellement transmissibles).

Le tribalisme

Situation : tu te retrouves dans un bureau avec un autre camarade de classe. Vous êtes convoqués. L’autre d’emblée se met à parler en dialecte à celui dans le bureau de qui vous êtes. Lequel répond. Ils devisent ainsi pendant quelques minutes et toi tu te sens de trop. Ton camarade ressort avec le sourire aux lèvres. Toi tu commences une phrase en français. Tu te fais vertement rabrouer. Dans une autre situation, tu entres dans un bureau et les deux agents parlent leur patois. Tu dis bonjour et personne ne te répond. Ils ne se comportent même pas comme si quelqu’un était entré. Même une mouche aurait eu plus d’attention que toi.

La précarité

C’est l’un des maux principaux des étudiants de l’université. Il est de notoriété publique au Cameroun que les universités d’Etat, particulièrement celle de Douala, sont celles dans lesquelles échouent ceux qui ne disposent pas d’assez de moyens financiers. Les étudiants issus d’environnements plus nantis vont faire leurs études dans des universités privées ou à l’étranger. La conséquence en est multiple : il y a ceux qui mettent partiellement ou totalement leurs études de côté pour se lancer dans des jobs alimentaires (ce fut particulièrement mon cas) ; il y a ceux qui entament des relations prétendument amicales ou amoureuses avec leurs camarades un peu plus aisés dans le seul but de profiter du contenu de leur frigidaire ; il y a ceux qui se retrouvent dans des relations avec des personnes qui ont parfois l’âge de leurs grands-parents, tout simplement pour pouvoir avoir le droit de poursuive leurs études. Les étudiants sont ainsi la cible privilégiée de toutes sortes de rapaces qui profitent aisément de cette précarité et laissent derrière eux des grossesses indésirées et des maladies sexuellement transmissibles.

En définitive, la vie de l’étudiant dans nos universités est un parcours d’obstacles et relève parfois de la mission impossible. Beaucoup abandonnent avant d’avoir obtenu le moindre diplôme. Les conditions sont extrêmement difficiles et en sortir avec un diplôme relève du tour de force. Il faut un moral à toute épreuve, une obstination sans relâche et une forte capacité de résilience pour ne pas être broyé par cette machine froide et sans états d’âme. Il le faut pour en sortir avec quelque chose.

Pendant toutes ces années, j’ai bien entendu rencontré des responsables extrêmement bienveillants et à l’écoute, mais ils relevaient beaucoup plus de l’exception. Des exceptions confirmant une règle des plus problématiques. Et souvent dramatique.

Par René Jackson

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Commentaires

Serge
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Hum, les problèmes sont assez semblables à ceux qu'on retrouve en RDC, un manque d'infrastructures, corruption comme modus operandi e modus vivendi entre profs et étudiants (et cela vient dès les écoles...), le tribalisme aussi. En général un prof ou un doyen choisit quelqu'un de sa région comme assistant...
Mais sur la distance entre professeurs et étudiants, cela relève d'un problème culturel. En France, en Espagne, en Angleterre, aux USA, c'est pareil. J'en parlais récemment avec une collègue espagnole.
Par contre, au Brésil, le mur est brisé entre étudiants et professeurs, c'est simplement un fait culturel . On appelle nos professeurs par leur prénom et vis-versa.
On sort, on boit un coup, et parfois même un fume un joint... ;-) ah ah
Je préfère le modèle brésilien même s'il exclue une bonne partie de la population des universités (50 étudiants par promotion, maximum...) , mais université gratuite !!!

René Nkowa
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50 étudiants par promotion? Wow!

D'un autre côté... Après la fac, j'ai fait une école de commerce. Et nous étions moins de 35 dans notre promotion. Pour l'école gratuite, faut pas rêver.

L'attitude des enseignants de fac en fait semblent se limiter en fac. J'en ai eu quelques uns en école et ils y sont beaucoup plus accessibles.

Benjamin Yobouet
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C'est vraiment pathétique face à ce tableau triste que tu viens de dépeindre. Et cela n'est pas l'apanage du Cameroun, malheureusement, plusieurs africains sont concernés. Triste la vie d'un étudiant africain. Que peut-on espérer de plus quand on étudie dans ces conditions-là? Toute compte fait, je vous voudrais particulièrement "TIRER MON CHAPEAU" à tous ces étudiants qui s'en sortent malgré "TOUT". L'avenir vous appartient...!

elsa
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les universités en générales sont très riche en secte. si vous pouvez répondre a ma question de savoir pourquoi les élève de l'université choisissent t-ils la secte pour réussir dans leur vie?