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Les assassins en blouse blanche

Ce matin, mon quartier s’est réveillé dans un branle-bas général. Entendre des cris et des hurlements à cinq heures trente du matin n’est pas une chose commune dans la petite communauté que constitue le pâté de maisons dans lequel je vis.  Que s’est-il passé?

Une jeune femme habitant le quartier, enceinte et presque à terme, s’est rendue hier soir dans une clinique obstétrique dans le quartier voisin. Elle a été prise de violentes douleurs (probablement dues à sa grossesse) en pleine nuit et s’est dirigée vers cet office de santé. Mal lui en a pris. Elle y est arrivée, a essayé d’expliquer son problème. Aucune ouïe ne lui a prêté quelque attention que ce soit. Les infirmières de garde étaient là, commérant dans un bureau attenant à la salle d’attente dans laquelle se trouvait la jeune femme en détresse. Elle hurlait. La douleur devait être intense. Elle implorait que quelqu’un vienne s’occuper d’elle. Personne ne sourcillait. Une malade hospitalisée là , n’en pouvant plus, est sortie de son lit et s’est dirigée vers les infirmières pour leur demander si elles n’entendaient pas les supplications de la femme. Leur réaction a été d’une rare violence: « Toi, on ne t’a rien demandé! Rentre dans ta chambre sinon tu termineras la nuit hors de cet hôpital. Celle-là, elle est obligée de crier? Qu’elle continue! On ne sait même pas qui l’a envoyée ici! »

Quelques minutes après, les cris ont cessé. Tout est redevenu calme. On n’entendait plus que les chuchotements de ces infirmières qui elles aussi quelques temps après ont remarqué que le vacarme avait cessé. A ce moment, et seulement à ce moment là, elles ont cherché à s’enquérir de ce qui avait amené la perturbatrice jusqu’à elles. En entrant dans la salle d’attente, elles ont trouvé la jeune femme inanimée à même le sol, flottant dans une mare de sang. Le médecin chef, sorti de son lit et arrivé en catastrophe, ne put que constater les décès de la jeune femme et de son bébé. La nouvelle a fait le tour du quartier comme une trainée de poudre. Les cris entendus au petit matin étaient ceux des habitants du coin et des voisins de l’infortunée qui s’apprêtaient à aller en découdre avec ces infirmières. La police, alertée, a vite fait de garder ces dernières en lieu sûr.

Cette histoire, bien réelle, n’est malheureusement pas un cas isolé. Les centres hospitaliers sont devenus pour de nombreux camerounais le chemin qui mène directement à la morgue. Ce qui fait dire à certains qu’il faut se tenir le plus loin possible des hôpitaux au Cameroun pour espérer faire de vieux os. Ceux qui fréquentent le hôpitaux se retrouvent très souvent confrontés au mépris que leur affiche très souvent le personnel hospitalier. Un personnel, qui à maintes égards, ne mérite plus porter ce qualificatif d’« hospitalier ».

Le système de santé au Cameroun est calamiteux. Arrivez dans un hôpital avec une urgence, il y a toute une batterie de paperasse qu’il faudra remplir et surtout, il faudra prouver que les soins à prodiguer pourront être supportés. Et la preuve doit être fournie séance tenante, généralement sous forme de caution, en espèces sonnantes et trébuchantes. Tant que l’entente n’est pas faite, le malade peut mourir sur vos bras, les médecins ne broncheront pas. L’hôpital n’est tout simplement pas accessible aux personnes les plus démunies de la société, qui, en désespoir de cause, sont obligées de se rabattre sur les charlatans et leurs médicaments frelatés qui sont vendus un peu partout dans les rues ou chez les marabouts qui ne sont le plus souvent que des escrocs.

Si, par miracle, un centre de soins accepte de prendre en charge le patient sans accord financier préalable, l’hôpital se réserve le droit de retenir le malade jusqu’à ce que les frais soient payés, même longtemps après sa guérison.

Le comportement de nos médecins en général est aberrant. Le cas de ceux exerçant dans le public est catastrophique. Un jour, une pathologie m’a forcé à me rendre à l’Hôpital Laquintinie de Douala, qui est le plus important  établissement de santé de la ville (et aussi celui qui a la plus mauvaise réputation). J’arrive au service de chirurgie à huit heures du matin. Le personnel est déjà là, fourmillant. Une véritable surprise, vu que ces gens généralement n’arrivent qu’à dix ou onze heures du matin à leur boulot. Mais très vite, dans les conversations, je comprends cette soudaine empathie: le Ministre de la Santé de l’époque effectuait une visite le  jour même dans l’hôpital. Il arrive dans le service où je me trouvais vers dix heures (en passant, c’était un moment exceptionnel pour moi. Je n’avais jamais vu un ministre de mes propres yeux. On les prenait toujours pour des personnes très lointaines, qu’on ne voyait qu’à la télé. Et là, il se trouvait à moins de dix mètres de moi). Il salue les médecins et infirmières présents, discute quelques minutes avec eux, puis quitte la salle pour se rendre dans un autre service. Dès qu’il a eu le dos tourné, les médecins sont rentrés dans leurs bureaux, ont enlevé leur blouse, ont enfourché leurs mallettes et sont partis. A onze heures, il n’y avait plus âme soignante qui vive sur les lieux. Les malades, hagards, ne sachant plus qui ils attendaient là, étaient obligés de s’en aller.

Dans les cliniques privées, la situation n’est guère meilleure. Parfois, vous vous retrouvez sous la responsabilité de quelqu’un qui ne sait superbement rien de la pratique de la médecine et qui est censé vous sauver la vie. Et conséquemment, on se retrouve avec des drames comme ceux de ce matin.  La police a su anticiper sur la foule. Ca ne se passe pas souvent comme cela  et le personnel « soignant » paie quelques fois cash ses turpitudes. Il y a quelques années, un gendarme a abattu de son arme à feu une sage-femme à l’Hôpital Central de Yaoundé, parce que cette dernière avait refusé de s’occuper de son épouse qui avait par la suite perdu l’enfant qu’elle portait en son sein. Ce fait divers en son temps avait défréyé la chronique. Il s’en est suivi une promesse de mesures, qui ne sont malheureusement toujours pas arrivées.

Parfois, on se demande si ces gens se souviennent qu’ils ont fait le serment d’Hippocrate. D’ailleurs, faudrait-t-il qu’ils l’aient déjà fait, ce serment…

Par René Jackson

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Commentaires

NathyK
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Malheureusement, il s'agit là de scènes récurrentes dans notre grand pays. C'est pourquoi je me trouve à le fuir comme la peste. J'y étais il y a 2/3 ans pour mes stages d'internat mais quelle ne fut pas mon désarroi de constater avec amertume que le sens moral des médecins et du personnel soignant est à son plus bas niveau... les malades sont rabroués et insultés, les étudiants et nouveaux médecins sont humiliés et minimisés, et surtout ceux venant de l'étranger... chacun voulant s'affirmer comme le Maitre des lieux, les je-sais-tout, les commandants, même les infirmiers se sont substitués aux médecins. C'est le Texas ! Le système camerounais a perdu beaucoup de valeurs morales et le sens de l'éthique. L'hospitalité, l'humilité, la solidarité ont disparus depuis des lustres. La médecine est devenu du business pur et simple, d'où les mallettes et les rdv dans les cliniques privées... Chacun se cherche! Et ceci n'est que l'un des symptômes d'un système politico-économique gangrené jusqu'à la base. Que voulez vous ? La population est en danger !!!

Shilo MM
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Moi je dirais même que le serment d'Hippocrate aujourd'hui s'est transformé en une simple récitation par les hommes en blouse blanche, la plupart d'entre-eux font le contraire de ce que dit ce serment. Moi je ne cesserai de condamner les autorités qui, censés appliquer la loi, sont devenus aussi des spectateurs....

Andriamihaja Guénolé
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Je suis d’accord avec vous sur l’intolérable comportement de certains personnels de santé mais il faut tout d’abord comprendre pourquoi ils agissent comme ça !! Et pour vous parler succinctement de ce qui se passe à Madagascar, il y a quelques mois les médecins se sont mis en grève ! Pourquoi, parce qu’ils gagnaient moins que ceux qui avaient un cycle d’étude moins long ! En effet, il y a des fonctionnaires qui ont fait que cinq ans d’études supérieures, mais qui gagnent beaucoup plus que les médecins qui ont au moins étudié durant 8 longues années ! Ce n’est pas que cinq années c’est rien mais qu’il faut quand même mettre de la logique dans les choses !
Ensuite, ce qui installe des situations inconfortables dans les milieux hospitaliers sur le continent, des fois, on se croit capables de tout car il y a des médecins qui sous-estiment les personnels paramédicaux comme les infirmiers et autres alors que ce sont des « acolytes » incontournables !
Ce que je propose comme solution c’est que nos états révisent leur stratégie dans le domaine de la santé ! Revoir les indemnisations et salaires des personnels de santé pour qu’ils « n’aillent pas chercher ailleurs » et donne l’impression au public qu’ils se fichent complètement des problèmes des patients ! En un mot, motiver ! Motiver ces gens de santé dont on a grandement besoin !
Je ne suis certainement le premier à proposer cela ! Bien d’autres ont eu cette idée avant moi ! Mais certains états font la sourde oreille !
Ah les états ! C’est bien là que les choses se compliquent !!!

Kpelly
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Que dire, mon cher! C'est super révoltant. on eût dit que tous ces foutus
pays africains, francophones surtout, ploient sous une légendaire
malédiction. Les mêmes problèmes partout! Tuer des citoyens si gratuitement
Ah, cette Afrique-là!

Ameth DIA
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On dirait que les "sages" femmes ont une mauvaise réputation un peu partout en Afrique. C'est vraiment flippant de constater que la situation est pareille dans plusieurs pays. Comme quoi mieux vaut rester loin des hôpitaux pour vivre plus longtemps.

Boukari Ouédraogo
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c'est comme ça dans nos hôpitaux. Les femmes sont le plus souvent plus cruelles entre elles

Cyril
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Je ne connais que trop bien ce problème. Ma femme a été hospitalisée à l'hopital de Deido pour des maux de ventres. Après quatre jours d'hospitalisation, ma femme me dit qu'elle n'a vu aucun membre du personnel et qu'on va lui faire une prise de sang, seul examen médical envisageable tant le matériel technique est inexistant. Le lendemain, "résultats" des examens sanguins : rien d'anormal (si tant est que ces prélèvements sanguins ont jamais été analysés). "Madame vous pouvez donc rentrer chez vous". Elle rentre avec son mal de ventre intact. Le lendemain, 19/09/2012, j'apprend par sa mère que ma femme est morte. Elle avait 24 ans (je ne compte moi-même que 28 printemps) et aucun antécédant médical. Le Camer est mon pays d'adoption, j'avais appris la langue Douala pour elle, mais le Cameroun m'a aussi tout pris. J'ai toujours souris à la moindre évocation de quoi que ce soit qui touche de près ou de loin le Camer, aujourd'hui c'est l'inverse, je ne suis même pas sûr de pouvoir retourner un jour dans ce pays que j'ai tant aimé.