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Portrait

LE PANDA EN CHAIR ET EN OS

ARTICLE PUBLIE SUR L’UN DES BLOGS DE L’ATELIER DES MÉDIAS PAR ZIAD MAALOUF, LE 21 AVRIL 2011 A YAOUNDÉ.


J’ai rencontré René Jackson sur internet. Je coordonne depuis maintenant six mois une communauté de blogueurs et René est l’un d’entre eux. Il est d’ailleurs très talentueux. Sa plume est élégante, précise, drôle. Il parle, sur son blog, de son pays, le Cameroun, du continent africain et de l’actualité mondiale. Que ce soit dans ses articles ou au cours des conversations en ligne qu’il a avec les autres blogueurs de la communauté, il dégage une personnalité forte, vive, déterminée et moqueuse. Son avatar, un panda énervé adepte du Kung Fu, ajoute une touche bonhomme et pince sans rire à son profil numérique. J’ai donc rencontré René Jackson sur internet et depuis quelques jours, j’ai la chance de le voir en chair et en os.

Je suis à Yaoundé, capitale de son pays, où nous nous sommes retrouvés avec une dizaine de blogueurs. Ils sont du Burundi, de Mauritanie, de Centrafrique, du Togo, du Mali, René, lui, vient de Douala, la capitale économique du Cameroun à quelques heures de route – des heures éprouvantes à en juger par son état de fatigue quand il est arrivé. C’est moi qui l’ai accueilli à l’hôtel (où j’étais arrivé la veille au soir) et immédiatement j’ai senti un décalage entre le personnage que j’ai connu en ligne, et le René timide et assez distant qui m’a salué.
– Doit-on t’appeler René? Jackson? Jack?
– C’est comme vous voulez….
Pour moi ce sera René donc, j’aime bien ce nom légèrement désuet et je trouve cela assez chic de s’appeler René Jackson, deux prénoms tellement différents.
Et ce patronyme d’ailleurs, Nkowa, que signifie-t-il? René n’en sait rien, c’est du Bamiléké, sa langue maternelle qu’il parle assez couramment, mais pour lui ça a toujours été un nom de famille, rien d’autre. Enfin si, Nkowa c’est aussi la croix de René.

Il y a sept ans, quand il est sorti du lycée, après un parcours sans ratures, René est allé chercher son nom sur les listes des « première année » en droit à l’université de Douala. Pas de Nkowa… Il a quand même commencé les cours, tentant parallèlement de comprendre et réparer cette omission. C’était le début d’un long et absurde combat. Un jour, un camarade de classe lui apprend qu’il a vu son nom sur les listes des première année mais qu’il est écrit Kowa et non Nkowa. Un tout petit n manquait… René a mis un an à réparer cette erreur et ses conséquences immédiates, comme le fait que les notes obtenues par Kowa étaient celles de Nkowa et devaient être prises en compte… Mais ce n’était pas fini. Depuis cela, chaque année, René a dû se battre pour recevoir le quitus de l’université. Ce document lui permet de payer ses frais de scolarité, étape indispensable pour passer les épreuves annuelles. Tous les ans donc, alors que ses camarades révisent ou s’installent dans la salle d’examen, lui attend, des heures durant et jusqu’au dernier moment, que l’administration retrouve et lui transmette ce quitus. Il doit ensuite courir à la banque pour payer ses frais avant de pouvoir, exténué et découragé, s’asseoir à la table d’examen. Et même lorsqu’il finit par passer les épreuves, les affres bureaucratiques lui réservent encore des surprises. L’an dernier, ses notes aux examens ont carrément disparu sans que personne ne lui donne d’explication, l’obligeant recommencer l’année entière. Le résultat de toutes ces absurdités c’est qu’après sept ans de fac, René est encore en troisième année de droit public.

Enfin c’est une des raisons de ce retard (ou de cette lenteur). L’autre est d’ordre financier. Comme le dit René, il vient d’un milieu plutôt modeste. Au moment de son entrée à l’Université, ses deux parents ont perdu leur emploi le même jour. Un hasard (ils ne travaillaient ni dans le même domaine, ni dans la même entreprise) qui a obligé René à trouver un boulot pour subvenir à ses besoins. Il pointe donc, tous les après-midi sauf le dimanche, à 15h00, dans un cyber Café pour ne débaucher qu’à 23h00. Un job et des horaires très fatigants qui expliquent, eux aussi, ses longues années à l’université.

Au cyber, René vend des tickets, aide à naviguer et règles les petits soucis. Il lit, quand il a du temps, des articles et se documente sur toutes sortes de questions. Cela lui permet d’écrire des billets de blogs renseignés sur la crise en Libye, la partition du Soudan ou la laïcité en France. J’imagine la patience qu’il faut pour vivre le cauchemar administratif que René a subi et le raconter calmement, sans émotion, sans rage, comme il l’a fait devant moi. Je réalise aussi qu’il faut une grande détermination et beaucoup de courage pour, en plus de son job et de ses études, mettre régulièrement en ligne des articles travaillés et fouillés comme les siens.

Quand il est sorti du lycée, René « rêvait » de devenir diplomate. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’est inscrit en droit. Sept ans plus tard, ses projets ont changé. Il veut désormais se lancer dans le commerce ou le contrôle de qualité. Je m’étonne de ces attirances un peu terre à terre…il m’explique que la vente c’est son truc et que le contrôle de qualité aussi. Il aime vérifier, améliorer, optimiser.

A l’avenir René voudrait voyager aussi. Il songe à l’Australie; pour la distance et l’immensité. Il voudrait également aller aux Etats-Unis « pour vivre en vrai ce [qu’il voit] tous les jours à la télévision ». Et il rêve aussi d’un avenir meilleur pour lui, pour sa famille et pour son pays qu’il ne souhaite pas quitter. Il aime la tranquillité du Cameroun. « Au Nigéria voisin, il peut y avoir 200 morts à cause d’une histoire d’orange. Ici c’est un beau pays avec une certaine paix sociale ». S’il en avait le pouvoir (ou l’opportunité?) il sait en tous cas ce qu’il changerait au Cameroun : « la bureaucratie et ses tracasseries administratives, elles m’ont trop coûté jusqu’à maintenant ».

Rencontrer René  m’a amené à m’interroger sur l’image que l’on peut donner de soi en ligne. A n’en pas douter, la distance, le clavier, l’écran et l’absence de regard lui permettent de se révéler, de montrer une part de sa personne qu’il dissimule au quotidien. D’abord dérouté par ce personnage taiseux et discret, à bien des lieues du Panda taquin que j’avais rencontré en ligne, je réalise au fil de nos discussions et du temps passé ensemble, que René est un rêveur. Un rêveur déterminé qui médite et attend sagement son heure, espérant secrètement que sa déveine le quitte définitivement. Un rêveur qui, selon plusieurs témoins, se révèle sur les pistes de danse du club de strip tease où, presque chaque nuit depuis notre arrivée à Yaoundé, les blogueurs combattent leur insomnie collective. Enfin, ça c’est une autre histoire que,  René ou un autre de nos blogueurs noctambules daignera, je l’espère, raconter un jour.

 

Par Ziad Maalouf, journaliste à RFI.

Commentaires

Limoune
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Hihihihihihi. Ressenti partagé quand on rencontre la chair et l'os de René Jackson. Bonne route et continue de rêver ;)

Serge
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touchant et tellement vrai...

pascaline
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Je venais faire un tour ici pour piquer des idées de design et je tombe là dessus... Je n'avais jamais lu cet article que j'aime beaucoup, c'est touchant comme le Panda! Par contre cette photo est d'un kitch absolu à faire pâlir tous les collectionneurs de photos de chat (et Dieu sait qu'il doit y en avoir!)