Ca y est ! Après d’interminables débats, après de plus ou moins importantes manifestations et contre-manifestations, le mariage homosexuel et d’autres dispositions connexes ont été adoptés par l’Assemblée Nationale française. En clair, les personnes de même sexe pourront désormais se marier et adopter des enfants. Vue l’intensité du débat que cette affaire a provoqué en France, on pourrait croire que c’est un fait exceptionnel, alors qu’en réalité la France n’est pas le premier pays à avoir intégré dans ses lois le mariage gay.
Pendant que les députés et la rue s’étripaient en France, une loi similaire sur le mariage pour tous passait en Angleterre. Sans provoquer le moindre émoi et en toute normalité. Mais quand on se situe de notre point de vue, africain francophone je veux dire, ce débat est tout à fait exceptionnel puisque c’est bien la première fois que nous assistons à des empoignades pareilles sur un sujet qui touche aux fondements mêmes de la famille et de la société telle que nous l’avons toujours connue. Et forcément, ça nous pousse à nous interroger sur la façon dont on perçoit l’homosexualité dans nos sociétés africaines, face à une réalité des faits qu’on peut difficilement ignorer.
Au Cameroun, la pratique de l’homosexualité reste punie par la loi. L’actualité de notre pays reste encore alimentée par ces affaires de jeunes homosexuels présumés incarcérés et par les croisades d’avocats et d’associations des droits de l’homme qui se battent pour les faire libérer. Une chose est quasi-certaine : ce n’est pas demain la veille que l’homosexualité sera dépénalisée dans notre pays. Une question mérite tout de même d’être posée : le Cameroun est-il un pays homosexué ? Si oui, à quel point ?
Le regard de la société camerounaise sur l’homosexualité
Les discours officiels et publics restent chez nous fortement influencés par notre environnement régi par la religion, qu’elle soit chrétienne ou musulmane. Religions selon lesquelles le mariage n’est possible qu’entre un homme et une femme. La tradition va dans le même sens. Ce qui fait que nous sommes éduqués dans un environnement religieux et traditionnel où il y a l’autorité souvent écrasante du père et celle d’une ou de plusieurs mères, qui peuvent être des belles-mères, des tantes, des nourrices, etc. Un facteur qui, bien qu’il semble nous protéger contre la « dérive » d’une homosexualité assumée et acceptée, doit quand même inquiéter ceux qui la combattent dans nos contrées, car la France qui a adopté le mariage gay hier vivait dans un schéma identique au nôtre il y a encore quelques décennies. Une époque pendant laquelle l’homosexuel n’était qu’une vermine qu’il fallait exterminer.
La société camerounaise est-elle homosexuée ? La réponse est oui. Et pour ça, je vais prendre deux justificatifs d’une extrême banalité. Premièrement, l’homosexualité est réprimée. Et par principe, on ne fait pas des lois pour des circonstances qui n’existent pas. Et même si on le faisait, cette disposition permettant de faire barrage à l’homosexualité a servi de prétexte à l’arrestation de nombreuses personnes accusées d’être des homosexuels. Et parmi toutes ces arrestations, il n’y a pas que des victimes de dénonciations calomnieuses. Il y a des homosexuels confirmés.
Étant moi-même traditionaliste et un peu conservateur sur les bords, l’homosexualité est un phénomène que j’ai du mal à comprendre. Quel mécanisme psychique ou psychologique peut expliquer qu’un homme soit attiré par un homme ? Et même au niveau des sensations, je considère que le corps de l’homme est si froid, si dur et si impersonnel qu’il a besoin de celui d’une femme pour retrouver son humanité et une certaine douceur. Comment deux entités aussi dures peuvent-elles se séduire ? Et pour quel résultat ? Ne dit-on pas en physique que les corps de même nature se repoussent ? Et puis sur un plan purement technique, la fonction première de l’attirance sexuelle est la perpétuation de l’espèce. Cela vaut tant pour les animaux que pour les végétaux. Cela vaut aussi pour les êtres humains. Mais nous vivons dans un monde où les sensations comptent plus que tout et cela explique un peu la résurgence de beaucoup de phénomènes bizarres qu’on observe.
Qu’à cela ne tienne, je n’adopte pas la même posture catastrophiste de certains homophobes : celui du risque encouru par la pérennité de la race humaine. L’homme est assez intelligent pour se perpétuer, même dans une société homosexuelle. Il y a eu pires menaces pour l’humanité que des gens qui ne veulent pas coucher avec ceux du sexe opposé et on s’en est toujours sorti.
Non aux stigmatisations et aux violences contre les homosexuels
Je ne comprends pas l’homosexualité et les homosexuels, mais il y a une dimension que je considère beaucoup plus dans la perception de ce problème : celui de l’humain. Donc, je ne cautionne pas la brutalité et les stigmatisations dont sont victimes les gays, que ce soit ici ou ailleurs. Je ne comprends pas les gays mais ce n’est pas pour autant que je cracherai sur l’un d’eux ou que je participerai à une lapidation publique de l’un d’entre eux. Ceci à cause de nos traditions et de nos religions qui prônent aussi le respect des convictions d’autrui.
La société camerounaise a une perception très à elle de l’homosexualité. Qui est clairement considérée comme étant une déviance. C’est ainsi qu’on verra des gens traînés comme des bêtes de somme chez des tradi-praticiens, chez des charlatans, chez des prêtres exorcistes pour conjurer cette abomination de ce fils qui préfère se faire palper par d’autres hommes ou de cette fille qui n’a rien trouvé de mieux à faire que de disparaître entre les jambes d’autres femmes. Souvent, on considère que c’est un sortilège dont il faut débarrasser le ou la malheureux(se).
Homosexualité et politique
Depuis quelques années, l’homosexualité, surtout masculine, a acquis une autre dimension : celle d’un tremplin pour le pouvoir. Cette perception est née et s’est propagée par la tristement célèbre affaire du top 50. Une certaine presse avait eu la mauvaise idée de sortir des listes d’homosexuels présumés. La particularité de ces homosexuels étant qu’ils faisaient tous partie de l’élite politique et économique du Cameroun.
La divulgation de ces listes avait été justifiée par le seul fait que l’homosexuel le plus célèbre de l’histoire de notre pays, avait laissé cette liste qui allait être publiée post-mortem et qui contenait les noms des hautes personnalités du pays avec lesquelles il aurait eu des relations homosexuelles. Les pratiques homosexuelles ont tout de suite pris une signification ésotérique. Il est désormais courant qu’un jeune homme te dise dans la ville de Douala qu’il a refusé un job, pourtant très intéressant, parce qu’il a fait l’objet d’avances plus qu’appuyées de son boss. Dans la conscience populaire, si les patrons veulent coucher avec leurs collaborateurs, c’est dans le sombre but de capter toute l’énergie et la « chance » de ceux-ci. Qui deviendront par après des loques humaines alors que l’homme déjà puissant le sera encore plus.
Personne ne s’est jamais posé la question de savoir si ces relations n’étaient que la manifestation de la simple libido, dénuée de tout intérêt autre que sensuel. Une sorte de promotion canapé dont on savait déjà les femmes victimes de la part de leurs supérieurs. Et ces histoires qui défraient souvent la chronique, celles de jeunes hommes camerounais qui font des passes dans nos hôtels avec des Européens ne sont en fait ni plus, ni moins scandaleuses que celles de la prostitution féminine.
De toutes les façons, cette histoire de top 50 a eu pour principale résultante de faire sortir la pratique homosexuelle de la clandestinité dans laquelle elle évoluait et a fait prendre conscience aux Camerounais que c’était un fait qui existe bel et bien chez nous avec lequel il faudrait désormais composer.
Une sorte de résignation, sinon d’acceptation transparaît, surtout dans les discussions que les jeunes ont entre eux. De plus en plus de gens ont peur de se retrouver dans une relation hétérosexuelle avec un individu qui s’en sert juste pour se donner une image acceptable par la société alors qu’en réalité il est passé de l’autre côté, comme on dit souvent. Il y a des filles ou des garçons que personne ne drague, car il y a de lourdes incertitudes sur leur orientation sexuelle. Dans l’environnement universitaire, que je fréquente encore, il y a des personnes dont l’homosexualité est avérée. J’ai même appris (mais pas encore vérifié) qu’il existait déjà des bars gays à Douala.
Entre un phénomène qui existe clairement et une lutte farouche contre, la société camerounaise se cherche encore.
Par René Jackson
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