Toutes les femmes camerounaises aiment la Journée Internationale de la Femme. Elles aiment le 08 mars. Moi, personnellement, j’abhorre cette funeste journée. Mais j’aime particulièrement la journée du 9 mars. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est la journée de l’année où les faits divers sont les plus croustillants. Les femmes n’ont pas leur pareil pour mettre de l’ambiance dans leurs foyers. Et même à l’extérieur desdits foyers. Là, je scrute le moindre journal télévisé, la moindre brève radio diffusée relative à la journée du 8 mars. Cette année a été un bon cru. Le 8 mars 2011 a eu son lot d’excès, d’incidents et d’accidents.
Le pagne du 8 mars
La Journée Internationale de la Femme au Cameroun, c’est d’abord un pagne. C’est même ce pagne qui lui a donné l’ampleur qu’elle a aujourd’hui. La société camerounaise des textiles (CICAM) a flairé le bon coup il y a de cela une dizaine d’années en instituant le pagne du 8 mars. Ce filon a marché du feu de Dieu. Tellement que cette entreprise a mis un réel point d’honneur à en éditer une nouvelle mouture pour chaque édition, ce en modifiant les motifs et les couleurs. Ce pagne, aujourd’hui, n’est rien de moins que celui le plus vendu au Cameroun. Aucune femme ne veut passer pour une has been. Chaque année, le nouveau pagne est de rigueur. Et dans cette situation, certains messieurs trinquent, car tant que la formalité de l’achat du pagne pour leur dulcinée n’est pas remplie, ils vivent des moments tumultueux dans leurs foyers. Ce pagne a créé la polémique il y a trois ans car l’un des motifs représentait quatre bras dont les mains tenaient les poignets. Les femmes ont accusé les concepteurs de l’œuvre de vouloir enferrer les camerounais. Certains ont même réussi à dénicher sur ce pagne des signes représentatifs de la rose croix ou même d’une petite fille qui pleurait, traduisant soit volonté de nous contrôler dans leurs cercles ésotériques soit les larmes d’un peuple qui souffre. Alors, dans un même mouvement, toutes les femmes ont quelques jours après le 8 mars détruit les vêtements confectionnés avec ces étoffes. On était donc en droit de se dire enfin débarrassés. On ne l’a pas été. Au contraire. Les designers de la CICAM évitent désormais les dessins équivoques au grand bonheur de ces dames.
Le défilé et les agapes
Dans chaque ville, un défilé auxquelles participent les femmes est organisé pour l’occasion. Pour la ville de Douala, spécifiquement, elle concerne principalement les femmes en entreprise, car au vu de l’ampleur qu’a finalement pris cette journée, les employeurs se sont résolus à effectuer certains aménagements pour permettre à leurs employées d’être libres. Ce sont donc ces dernières qui garnissent donc en majorité les rangs pour les défilés. Les autres femmes qui exercent dans le secteur informel donnent souvent la primeur à leur activité en matinée mais n’oublient pas de se joindre aux festivités un peu plus tard.
Après le défilé, les femmes se dirigent soit au siège de leur entreprise, soit dans un restaurant de la place préalablement réservé pour partager un repas. Et en milieu d’après-midi, les vraies hostilités commencent.
Parce qu’à ce moment-là, elles prennent d’assaut tout ce qui est bar, buvette, boîte de nuit (qui ouvre exceptionnellement tôt pour la circonstance), cabaret ; où elles engagent une épreuve de beuverie à nulle autre pareille. J’ai passé une bonne partie de la soirée du 8 mars en face d’un snack. Ces femmes m’ont estomaqué. Déjà, elles étaient à peu près deux cents dans un lieu vraiment exigu. L’alcool coulait à flots. Elles dansaient de façon très obscène. Elles ont réussi à causer un embouteillage monstre à 23 heures !
Des retours cahoteux
On passe la journée du 9 mars à égrener la suite des forfaits survenus la veille ou dans la nuit. Accidents souvent mortels de la route dus à des femmes sévèrement éméchées, certaines autres retrouvées à même la chaussée ou souvent dans des caniveaux dans un état de coma éthylique avancé, des bagarres avec les conjoints souvent morts d’inquiétude pendant toute la nuit et dont le courroux grimpe en flèche quand le constat de la déchéance dans laquelle se trouve la malheureuse est fait. On ne compte pas les cas d’agressions, de viols commis souvent dans les coins les plus sordides.
Une manifestation faussée
Je suis proprement révolté par la façon dont cette Journée Internationale de la Femme est célébrée au Cameroun. En quoi consiste-t-elle réellement cette célébration ? A mon sens, quand on parle de « Journée Internationale de quelque chose», cela signifie qu’il y a un thème, un sujet sur lequel il faut réfléchir. Une réflexion qui permettra d’en ôter les zones vérolées et d’en garder les meilleures, tout en apportant des compléments nécessaires à la viabilisation du thème. Pour moi, la Journée Internationale de la Femme est tout d’abord une occasion de réflexion sur les conditions de vie de la femme en général. Au Cameroun, particulièrement, elles sont confrontées à beaucoup de difficultés: l’analphabétisme, les violences conjugales, les inégalités, la cherté de la vie, la stigmatisation. Dans mon pays, la majorité des familles reposent uniquement sur les épaules des femmes. Le mari a perdu son emploi et peine à en retrouver un autre du fait de la crise économique qui sévit depuis près de trois décennies. Il y a les enfants qu’il faut nourrir et scolariser, les frais divers et nombreux qu’il faut assumer. Dans d’autres pays, les femmes profitent de cette journée pour organiser des manifestations qui permettront d’attirer l’attention des leurs dirigeants sur l’état de détresse dans laquelle elles se trouvent. Mes concitoyennes pouvaient saisir cette opportunité pour interpeller nos gouvernants sur les problèmes qui minent leur vie de femmes. Pourquoi le panier de la ménagère devient-il de plus en plus difficile à remplir ? Que deviendront leurs enfants ? Pourquoi leurs conjoints ne retrouvent-t-ils pas un travail ? Pourquoi ce silence complice de l’Etat face aux frustrations, aux douleurs, aux malheurs dont elles sont victimes ? Les problèmes ne manquent pas. Ce qui rend alors pathétique le combat qu’elles mènent souvent pour obtenir le fameux pagne. Après, elles s’en vont au défilé chanter les louanges d’un président qu’elles rendent (en privé) responsable de tous nos malheurs. Ensuite, elles investissent les débits de boissons, boivent en veux-tu en voilà, dansent de façon éhontée, puis retournent chez elles ivres mortes et se retrouvent tabassées et/ou répudiées par des maris exaspérés.
Cette édition de la Journée Internationale de la Femme, comme toutes les autres, avait un thème. Mais combien de femmes peuvent dire quel était ce thème ? Elles préfèrent n’en retenir que le côté festif. Quelqu’un avait dit que les africains aiment trop la fête, ils ne peuvent donc pas progresser. Les camerounais sont des fêtards patentés. Toute occasion est bonne pour faire une virée dans un bar ou en boîte de nuit. Ceci aux dépens de la résolution des difficultés auxquelles on fait face au jour le jour.
La manipulation politique ne peut cependant pas être écartée de la façon dont sont menées ces célébrations au Cameroun. Pour exemple, la Journée Internationale de l’Enseignant (le 05 octobre de chaque année) prend la même direction que celle que suit la célébration du 8 mars : la journée est chômée pour les enseignants, la CICAM (une société publique) confectionne déjà des pagnes spécialement dédiés à l’occasion, il y a un défilé suivi de l’inamovible tournée des bars. Nos gouvernants savent notre penchant pour la fête. Ils l’exploitent à fond. Le métier d’enseignant, pourtant fondamental, est l’un des plus misérables au Cameroun.
Dans son allocution relative à l’occasion, la ministre en charge de la promotion de la femme a entre autres conseillé à ses sœurs de ne pas « soulever » les vêtements pendant leurs réjouissances (évitant ainsi d’exposer au vu et au su de tous leur nudité). Si on en arrive à ce qu’un ministre de la république sorte un truc pareil dans un discours officiel, cela signifie simplement que nous sommes tombés bien bas.
Par René Jackson
Photo: défilé des femmes le 08 mars 2011 au Boulevard du 20 mai, à Yaoundé
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