La scène se déroule le mercredi 19 octobre dernier devant les locaux abritant les studios du groupe de presse Equinoxe. Ce groupe, réputé pour ne pas y aller du dos de la cuillère avec le régime en place et de ce fait souvent réprimandé par celui-ci recevait une visite d’importance: celle du ministre de la communication. Mais la présence des véhicules des forces de l’ordre composant le cortège ministériel ont eu un effet pervers: ils ont attiré les badauds et les inévitables conducteurs de moto-taxis. En une poignée de minutes, plusieurs centaines de ces engins étaient parquées devant le bâtiment. Une rumeur avait voulu que les forces de l’ordre soient venues sceller. Les conducteurs de moto-taxis regroupés sur les lieux entendaient donc intervenir si cette éventualité se confirmait. Il faut noter que la TV et surtout la Radio Equinoxe jouissent d’un important capital de sympathie dans la classe populaire car le franc-parler de leurs journalistes est apprécié. Et il est à préciser que la dernière fermeture de ces chaînes en février 2008 avaient été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase et les fameuses émeutes que le Cameroun avaient connues alors avaient éclaté la semaine d’après.
Les moto-taximens s’apprêtaient donc à riposter contre une nouvelle fermeture des antennes de ces médias. La façon dont Equinoxe avait couvert les élections présidentielles qui s’étaient tenues quelques jours avant et le climat de tension latente qui régnait encore justifiant une nouvelle attaque du gouvernement. Mais la visite du porte-parole du gouvernement avait un tout autre objet, autrement plus honorifique, puisqu’il venait en personne présenter les félicitations du gouvernement camerounais à cet organisme de médias pour la manière hautement professionnelle avec laquelle il avait couvert la campagne présidentielle et le scrutin. Au moment de quitter les lieux, au vu de la foule, le personnel de la chaîne a dû au préalable calmer la colère qui montait en expliquant que le ministre était là non pas pour suspendre les émissions, mais pour féliciter la maison pour son travail. Malgré cela, le ministre, dès qu’il est apparu, a essuyé une salve d’insultes et de quolibets. Il a finalement pu partir, mais ayant sûrement eu quelques sueurs froides.
Pour la réponse à la question de l’intitulé, la réponse OUI serait pleinement valable. Ils représentent un danger réel. Et ce à plusieurs niveaux.
Au niveau politique tout d’abord, si on ne peut pas affirmer qu’ils ont une grande importance, ils représentent une menace pour le régime en place car ils sont les laissés pour compte du système. Aucun conducteur de moto-taxi ne s’était à priori destiné à cette activité. Ils ne s’y sont lancés que parce qu’il n’y avait plus d’autre issue. Ce qui fait qu’ils ont la dent dure contre les dirigeants de notre pays, qui sont selon eux les responsables de leur situation. Lorsqu’on approche l’oreille ou qu’on participe à leurs conversations, ils flagellent à l’envi « les gens de Yaoundé ». La colère s’accentue encore plus dans le milieu, car la profession compte de plus en plus de diplômés de l’enseignement supérieur qui n’ont pas pu trouver de débouchés après leurs études. Il semble que les autorités aient saisi l’enjeu. Il existe donc une tolérance qui malheureusement n’est pas pour améliorer la situation.
Parce que les conducteurs de moto-taxi deviendraient des chômeurs si l’activité était interdite d’une part et parce que d’autre part le métier absorbe une quantité importante d’individus (c’est le « corps » de métier qui emploie le plus dans la ville de Douala), il est par conséquent vital pour les autorités, qui ne parviennent plus à créer des emplois, de laisser faire. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les conducteurs de moto jouissent d’une impunité qui frise parfois le scandale. Il suffit de parcourir les rues de Douala pour s’en rendre compte: tout ce qui signalisation routière, c’est-à-dire feux tricolores, signalisation verticale et horizontale concerne tous les usagers, sauf les conducteurs de moto. Ils ne se formalisent pas des indications données par les agents de police qui régulent la circulation pendant les embouteillages. Les contrôles routiers, ils ne savent pas ce que c’est, puisqu’il n’y sont jamais soumis. Le casque de protection, n’en parlons même pas. Ce n’est que légende.
Le code de la route est une énigme pour eux. Je suis à maintes reprises monté à l’arrière de ces engins et entendu leur conducteurs clamer l’inutilité du passage par une auto-école, car sans y être allés même une seule fois ils savaient manier leur machine. Comme si déplacer un véhicule était la seule chose qu’on inculquait aux élèves des auto-écoles. Il en résulte un incivisme notoire et des comportements routiers extrêmement dangereux.
Cette sorte de tolérance administrative a permis aux conducteurs de ces motos d’adopter sans se poser de question une conduite plus que cavalière: il n’est pas rare qu’en pleine rue deux « collègues » stoppent leur moto au milieu de la chaussée pour régler leurs comptes séance tenante, à force de coups de poings, faisant fi de l’embouteillage occasionné par eux.
L’un des aspects les plus dangereux de ce métier est leur esprit de corps et de solidarité. Un conducteur de moto en difficulté peut en toute occasion et en tous temps compter sur le soutien de ses collègues. Malheur à un automobiliste qui renverse une moto ou à un policier qui ose en invectiver un. Le téléphone arabe fonctionne à merveille chez eux et j’en veux pour preuve qu’ils ont réussi à deux reprises à bloquer la ville de Douala, chaque fois après qu’un membre des forces de l’ordre ait abattu l’un des leurs. Ils prennent aussi très à coeur leur rôle de justiciers des rues. Un épisode banal a un jour viré à l’émeute. Des agents de la fourrière municipale s’apprêtaient à remorquer une voiture. Les conducteurs de moto qui étaient présents sur les lieux leur ont demandé pourquoi ils emmenaient ce véhicule, qui selon eux était parfaitement stationné. Le ton est monté et le conducteur du camion, dans une manoeuvre, a bousculé les motos. Le sang des moto-taximens n’a fait qu’un tour: ils ont détruit et incendié le camion sur place.
Cette activité, malgré tout le bénéfice qu’elle procure au domaine de l’emploi, a un effet pervers sur ce même emploi. Etant une activité facile d’accès et à la rémunération immédiate, elle récolte le plébiscite chez les chercheurs d’emploi, surtout non qualifiés. Aux dépends des autres métiers, au premier chef desquels l’artisanat. J’étais en grande discussion avec un menuisier récemment et il était inquiet car il se demandait s’il allait trouver quelqu’un à qui laisser son atelier. Il était sur le point de prendre sa retraite et avait toutes les peines du monde à trouver des apprentis. Il m’a expliqué que les derniers qu’il avait eus l’ont abandonné pour enfourcher des motos. Un garagiste qui exerce dans le voisinage appuya ces propos, car lui-même il endure ce fléau.
A long terme, ce métier sera un danger de santé publique encore plus important car en dehors des nombreux accidents que l’on enregistrera et dans lesquels sont impliquées les motos, on dénombrera tout un lot d’autres méfaits. Car ce métier est malgré toutes les apparences très difficile. Beaucoup de conducteurs de moto-taxis sont sur le pont pendant de nombreuses heures dans la même journée. Ils subissent les intempéries sans broncher car le climat qui règne sur la région de Douala n’est pas pour aider. Le soleil le plus abrupt peut céder la place en quelques minutes à l’orage le plus violent et vice-versa. On ne parle même pas des poussière et des émissions des moteurs des autres véhicules qu’ils absorbent, car ne disposant d’aucune protection. Nul doute que d’ici quelque années, on enregistrera beaucoup plus que d’habitude dans nos hôpitaux des maladies oculaires, respiratoires et même dermatologiques.
Au delà de toute cette analyse, une question m’occupe l’esprit: quelles décisions prendront les dirigeants camerounais lorsque la profession, si on peut l’appeler ainsi, arrivera à saturation? Ce moment arrivera bien un jour, car à l’allure où les choses évoluent, il y aura bientôt plus de motos à Douala que de passagers à transporter.
Par René Jackson
Commentaires