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Eau de caniveau à boire!

 

Des enfants ramassant de l'eau sale dans ma rigole

Je ne mangerai plus jamais le poisson braisé de ma voisine. Non, plus jamais ! Un véritable crève-cœur. Dans ma rue, il y a trois grilleuses de poisson, installées depuis des lustres et ne nous donnant pas vraiment de choix car elles avaient tout en commun : elles ne braisaient que du maquereau, le faisaient toutes très mal et pratiquaient des prix proprement indécents. Puis, il y a six mois, ma voisine la plus proche s’est mise à faire du poisson braisé. L’un des plus exquis qu’il m’ait été donné de manger. D’abord, son poisson (du maquereau mais aussi du bar) était dodu, pas comme ceux émaciés que les autres vendaient. Ensuite son piment, le mets qui fait que le poisson cuit à la braise devienne le poisson braisé, était délicieux. Généralement, les grilleuses de poisson ne maîtrisent pas l’art du piment. Quelquefois, j’ai acheté du poisson et le piment qui l’accompagnait était préparé de la façon la plus archaïque qui soit : il était écrasé et servi au client tel quel, sans assaisonnement aucun. Et dans ce cas au lieu de savourer le poisson, on se retrouvait palais en feu, les larmes dégoulinant des yeux et la morve pendouillant au dessus des lèvres. Le piment de ma voisine par contre contenait un savant mélange de piment bien sûr, mais aussi de diverses épices et assaisonnements qui faisaient le ravissement des  gourmets. Le prix de sa marchandise était plus qu’acceptable. Il aurait été plus élevé qu’il ne poserait aucun problème chez sa clientèle, vu le délice qu’elle en tirait et le prix qu’elle avait l’habitude de payer pour une qualité moindre. Non, c’était tout bénéfice, et le succès ne se démentait pas. Les autres grilleuses étaient carrément désertées alors que les rangs n’en finissaient pas devant la voisine. Parfois, j’étais de la partie. Mais ça c’était avant. Car je ne mangerai plus de son poisson.

 

Ma voisine commence à vendre son poisson braisé à partir de 18 heures, en début de soirée. Femme entreprenante, à midi, elle n’est pas grilleuse, mais gargotière. Elle prépare à manger. Je ne suis pas très au fait de ses menus, mais d’après ce que j’ai pu observer de la cinquantaine de mètres qui séparent la véranda où elle mène ses activités de ma demeure, il y a très souvent au menu du riz, du plantain mûr cuit à la vapeur, de la sauce aux arachides ou à la tomate, de la viande et du poisson. Je n’ai jamais eu envie de manger ces mets de mi-journée. Et si tant est que j’eusse déjà ressenti l’envie d’y goûter, je peux affirmer avec certitude aujourd’hui que cette envie, je ne l’aurai plus jamais ! Ah non, plus jamais ! Et de plus, je regarde les gens qui savourent ces plats tous les midis d’un œil ahuri. Et là, je comprends enfin le sens de ce constat hautement sociologique qu’avait lancé, l’air de rien un observateur avisé : les camerounais, il n’y en a pas un pour sauver les autres.

Et que diable il avait raison. J’ai dans mon voisinage direct 3 bars, une boulangerie, un salon de coiffure pour femmes, un petit restaurant (spécialisé dans la vente d’omelettes-spaghettis-mayonnaise-lait chaud/Nescafé), un cordonnier, un recycleur d’appareils électroniques et une foule de voisins. Vous vous demandez peut-être pourquoi je me mets tout d’un coup à parler de mon voisinage. C’est que tout ce beau monde a un point en commun. En dehors de faire partie du voisinage. Ce qu’il faut tout d’abord savoir, c’est que je n’aurais probablement jamais rédigé ce billet sans les errances de la société nationale en charge de la fourniture en eau potable, la bien nommée Camerounaise Des Eaux. Cette entreprise, quand elle ne s’évertue pas à mettre en débet les principes qui nous sont inculqués dès la petite enfance (un ancien directeur général avait voulu nous convaincre que « malgré qu’elle ait cette couleur jaunâtre, qu’émane d’elle une petite odeur de rouille et qu’on peut observer des particules en suspension, cette eau n’en est pas pour le moins très potable »), elle nous enlève tout bonnement l’opportunité d’étudier cette eau « potable » par des CDI, entendez « coupures à durée indéterminée ». A la télé, on voit qu’à Yaoundé, la capitale du Cameroun, des camions citerne effectuent la distribution de l’eau chaque matin, car dans certaines zones, les robinets sont à sec depuis des mois. Si la situation est aussi grave dans la capitale de notre pays, je n’ose pas imaginer le calvaire des gens de ce qu’on appelle l’arrière-pays. Mais dans mon quartier, il n’y a pas – encore – ce problème.

Dans la frénésie des préparatifs du concert qui a eu lieu à la saint Sylvestre dans ma rue, les organisateurs lors de leurs travaux, ont cassé l’un des tuyaux qui alimentent le quartier en eau. Et en bon camerounais, ils n’ont ni pris la peine de réparer la fuite, ni d’appeler la société concessionnaire pour signaler le problème. Ou peut-être l’ont-ils fait et les agents de la Camerounaise des Eaux traînent le pas. Toujours est-il qu’a l’heure tardive où je tape ces mots, j’entends croasser les grenouilles qui prolifèrent dans les endroits humides, preuve que cette fuite d’eau continue  d’arroser les parages. Cette fuite est située en amont de ma demeure, à une centaine de mètres. L’eau emprunte une rigole qui passe devant chez moi et qui débouche sur une sorte de crevasse d’une trentaine de centimètres de profondeur. Elle s’accumule là, puis continue son chemin.

Mes voisins donc, en dehors d’être tous mes voisins, ont un autre point commun : cette crevasse. La braiseuse de poisson, aux heures pendant lesquelles elle effectue son activité, envoie ses bambins recueillir de l’eau dans cette crevasse. Ce qu’elle en fait ? Elle s’en sert pour rincer les couverts avec lesquels elle sert ses clients. Elle fait la même chose à midi, lorsqu’elle vend ses plats de nourriture. Ca, c’est pour ce que je vois. Souvent, en matinée, ses bambins toujours, viennent y ramasser de l’eau. Ce qu’ils en font ? Je ne le sais pas. Mais il ne serait pas étonnant que cette eau serve à la cuisson de nos fameux plats et/ou à la préparation de notre si bon poisson braisé. Souvent, les employés de la boulangerie se munissent de seaux, viennent en puiser, puis bifurquent derrière leur officine. Ce qu’ils en font, je ne le sais pas. La coiffeuse, elle aussi, de son petit seau, écope de temps à autres et s’engouffre dans son salon. Ce qu’elle en fait, je ne le sais pas. Mais il se dit qu’elle a depuis perdu des clientes, courroucées de s’être fait laver les cheveux avec une eau tirée d’un caniveau. Le gérant du bar juste en face lui s’en sert pour des causes plus nobles : le nettoyage de ses latrines inondées par l’urine des clients. Quand il ne l’utilise pas pour son ménage matinal. Le tenancier du petit restaurant y va aussi de son petit récipient. Le cordonnier n’est pas en reste.

J’en discutais dernièrement avec la respectable dame qui m’a incité à en parler sur mon blog. Elle me dit : « si tu n’étais pas aussi lève-tard, tu assisterais chaque matin à un spectacle désolant ici. Tu verrais, non pas seulement des enfants, mais aussi des personnes mûres s’aligner pour ramasser de l’eau ici. Parfois, des passants stupéfaits me demandent ce qu’ils font de cette eau. Je réponds toujours qu’ils ne la puisent pas juste pour le plaisir de le faire». Il faut comprendre ici qu’elle sert à la lessive, au ménage et à d’autres choses qu’il m’est difficile d’énumérer.

Cette eau est dangereuse. Les grenouilles qui croassent y vivent. Elles y sont même nées. Elles doivent sûrement être de la centaine de têtards que j’ai observés dans cette crevasse il y a quelques semaines. Entre la fuite et la crevasse, il y a un débit de boisson et les buveurs ne se gênent souvent pas pour uriner dans la rigole. C’est toujours dans cette même rigole que le gérant du bar déverse les restes des boissons non terminées, que les cabots abandonnés qui pullulent dans le quartier viennent boire et que les canards viennent s’ébattre.

Est-ce la pauvreté ? Est-ce de l’inconscience ? Est-ce du désespoir ? Est-ce de la paresse ? Je ne saurai quelle réponse donner. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a quelque chose de pas très normal dans cette histoire. Ceci d’autant plus qu’à moins de quinze mètres de là, il y a une borne fontaine qui attend juste une petite réhabilitation, que le quartier a la chance d’être encore approvisionné en eau courante et qu’à une quelques centaines de mètres, un forage fournit de l’eau en abondance et gratuitement. Mais bon, quand on interpelle un compatriote sur des questions d’hygiène et de salubrité, il rétorquera aussi immanquablement que laconiquement que « la saleté ne tue pas l’homme Noir ». Je doute fort que les âmes des dizaines de camerounais qui ont perdu la vie lors de la terrible épidémie de choléra qui a sévi l’an dernier soient du même avis.

Chers lecteurs, vous vous demandez peut-être ce qu’il en est de moi. Je vais être franc. J’utilise aussi cette eau. J’ai mis en place un système ingénieux qui permet l’arrosage sans effort et à peu de frais de mon petit jardin.

 

Par René Jackson

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ntrjack

Commentaires

Tankya
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Si tu ne l'utilises que pour ton jardin, passe encore.

Mais pour répondre à ta question, je crois que c'est cumulativement par ignorance, par négligence, par paresse et par manque de moyen que tes voisins y vont chacun de son petit récipient, puiser de l'eau douteuse dans cette rigole.

C'est déplorable, c'est triste mais comme on dit au qwat': "On va faire comment, man?!"

LEKEMO
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..."...quand on interpelle un compatriote sur la question d'Hygiène et de Salubrité ,il retorque: La Saleté ne tue pas l'Homme Noir..." Il est vrai qu'un organise constament inondé développe une mémoire immunitaire et est plus réactive face à une prochaine exposition à un déterminant antigénique reconnu comme molécule étrangère,donc Non-Self,par le Complexe Majeur d'Histocompatibilité MHC1.
Ton si interpellant billet nous renvoie tous de nouveau face aux problèmes de Santé Publique dans nos cités d'Afrique, qui dit santé publique dit aussi hygiène et salubrité publique qui passent par l'action singulière de chaque citadin des villes d'Afrique soit en environnement publique que privé,dans son domicile.
Il existe tout une connection épidémiologique entre les diverses maladies d'intérets sociales. La Prophilaxie passe également par chaque action singulière qui,la somme de chaque action personnelle renvoie à une meilleur hygiène dans nos villes et une santé pour tous.
Cet eau"perdue" pouvait bien comme toi mon cher Jackson etre utilisé pour des fins plus "saines".
Nul doute que l'apport des pouvoirs publiques et annexes privés mettra les conditions pour un meilleur équilibre dans nos écosystèmes qui au fil des années se dégradent et se polluent. Vous rappellez-vous encore de ces années de novembre et de décembre à Deido ou autre quartier de notre Douala où au soir venu nos éclairages publiques étaient inondés de criquets et sauterrelles? Il ya bien d'indices qui interpellent,ramènent et rappellent sur la conscience du dégradement progressif de notre environnement d'Afrique .
Une politique écologique s'impose aujourd'hui dans nos villes et grands villages.
Pourrions-nous un jour commencer réellemet la différenciation tout simplement de nos ordures ménagères et urbaines?
PROTEGEONS NOS VILLES AFRICAINES POUR NOS ENFANTS.

polycarpe
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je vois que c'est très dangereux de laisser les enfants boire l'eau des caniveaux,c'est une mauvaise habitude pour les noirs qui dit toujours que les noirs résistent à la mal propreté, moi je ne peux pas accepter cela.