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Ambiance Shaba

Tout finit par arriver. Après avoir toujours regardé les prestations – en dents de scie – de l’équipe nationale du Cameroun à la télévision, j’ai finalement eu l’opportunité de me déplacer pour une enceinte afin de les voir évoluer sous mes yeux. C’est ainsi que le 14 juin dernier, je me suis retrouvé au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé pour assister à mon premier match des Lions Indomptables. Et le spectacle fut à la hauteur de mes attentes parce que j’avais choisi pour ce moment historique de regarder cette rencontre Cameroun – Mauritanie depuis le mythique « Shaba ». Avec tout ce que ça implique comme ambiance et désagréments.

Pour fixer le décor, une précision s’impose. Le terme shaba dans le langage urbain au Cameroun désigne un chef-lieu de tumulte, de turpitudes, généralement fréquenté par des âmes têtues, récalcitrantes, réfractaires au système d’ordre et de valeur en vigueur. Le shaba désigne en même temps cet endroit le plus animé et le plus joyeux de l’assistance. Le shaba c’est le bien et le mal à la fois. Le shaba c’est le ying et le yang. Ainsi, chaque salle de classe de chaque collège a son shaba. Chaque amphithéâtre aussi. En faculté de droit, nous avions utilisé un magnifique jeu de mots pour désigner membres des séants du shaba en adéquation avec notre statut de juristes en herbe: les juges du fond. Parce que le shaba est toujours localisé au fond de la classe, de l’autobus, de l’amphi…

Le Shaba du stade Ahmadou Ahidjo occupe les deux étages supérieurs de la tribune orientée ouest. A l’opposé de la tribune officielle. Les conditions y sont rustiques. Les gradins ne sont pas couverts et ceux qui s’y installent sont soumis aux éventuels changements d’humeur du climat. Il n’y a pas non plus de sièges. Les places sont délimitées et les numéros inscrits à la peinture à même le béton. L’absence de sièges n’est cependant pas une mauvaise nouvelle compte tenu de l’ambiance qui peut très vite y devenir délétère. Ces sièges étant alors susceptibles de devenir des projectiles à la force de nuisance beaucoup plus importante que les sachets pleins d’eau que j’ai vus voler pendant ce match.

Une heure avant le début de la rencontre, je m’installai dans le chef d’œuvre de vétusté qu’est ce stade, après avoir franchi une barrière où était agglutinée une grappe de policiers, puis traversé un terrain broussailleux large d’une cinquantaine de mètres afin d’atteindre les escaliers qui devaient me faire parvenir aux gradins. En face de moi de là où j’étais assis, à droite, les projecteurs étaient tombés à quelques mètres de la base du pylône au sommet duquel ils auraient normalement dû se trouver. Les projecteurs du pylône situé à gauche étaient bien à leur place, mais leur orientation prouvait qu’il y a bien longtemps qu’ils avaient cessé d’éclairer la pelouse et même le stade. Les infrastructures autour du terrain avaient un air peu ragoûtant. La piste d’athlétisme étant parsemée de grosses tâches brunes. Vus de l’endroit où je me trouvais, les bancs de touche semblaient réduits à leur plus simple expression. Ils avaient l’air particulièrement inconfortables. En plus, les joueurs et les techniciens n’auraient pas été épargnés en cas d’averse.

L’aire de jeu par contre était dans une condition irréprochable. Bien tondue et uniforme, bien loin du terrain piégeux qui rendait complètement aléatoires les trajectoires des balles il y a encore quelques années. Un diamant dans un écrin poisseux.

Le Shaba, lui était déjà chaud. Les drapeaux étaient déployés et les groupes de danse s’agitaient au rythme des tam-tams. Une population hétéroclite était présente en ces lieux, mais avec une prépondérance d’individus à l’air pas du tout rassurant. Beaucoup de jeunes flânaient avec le torse nu, dévoilant des cicatrices, stigmates d’un passé tumultueux et signes qu’ils ne rechigneraient pas à provoquer ou à participer à la baston s’ils en avaient l’occasion. Mais je n’étais pas trop inquiet. J’avais choisi le match contre la Mauritanie, qui n’est pas un foudre de guerre. L’affiche n’allait pas attirer les foules. En plus le Cameroun marcherait sur son adversaire du jour. Sauf que la rencontre ne s’est pas déroulée telle qu’on l’aurait prévue.

Pendant les soixante premières minutes de jeu, les spectateurs du Shaba ne se sont contentés que de quolibets à l’endroit des acteurs – Camerounais – sur la pelouse, de réinterprétations sexuellement explicites d’airs à la mode et de gausseries l’endroit des spectateurs assis de l’autre côté du terrain. Ceux-là avaient beau avoir payé leur billet jusqu’à vingt fois plus cher que la somme ridicule que nous avions déboursée, ils se feraient proprement griller par le soleil de l’après-midi. Mais au fur et à mesure que la fin du match approchait et que les Lions Indomptables peinaient à trouver le chemin des buts Mauritaniens, la tension montait.

Des projectiles se sont mis à fuser, principalement des sachets en plastique remplis d’eau. L’un d’entre eux, provenant du haut de la tribune explosa sur un jeune homme assis quelques mètres devant moi. Il se retrouva détrempé. Et un adolescent de réagir: « tu portes les chemises blanches cintrées pour venir au Shaba? Tu croyais que tu allais à un mariage? Ashouka*! Quand nous on s’habille en guenilles vous croyez que c’est parce que nous sommes des nanga boko*, n’est-ce pas? La prochaine fois que tu veux venir au match en chemise cintrée, va t’asseoir là-bas » dit-il en pointant du doigt la tribune officielle. Son commentaire provoqua une hilarité générale.

Les projectiles eux par contre n’ont pas cessé de s’abattre sur nous. Certains, excédés, ont commencé à les retourner aux envoyeurs. La situation aurait pu virer à la bataille rangée si quelqu’un n’avait pas entonné un « Eto’o! Eto’o! Eto’o! » bigrement salvateur, de suite repris par tout le monde. On se rappelait à notre bon souvenir ce joueur que nous étions pourtant bien contents de voir partir de l’équipe nationale il y a encore un an. Puis ce fut au tour de l’entraîneur d’avoir l’honneur des chants perfides, après avoir été copieusement conspué. Les joueurs n’ont pas été en reste. Chaque fois que l’un d’eux touchait au ballon, un tombereau de sifflets s’abattait sur lui, alors que des applaudissements nourris accompagnaient chaque bonne action mauritanienne.

A la quatre-vingt cinquième minute, certains supporters exaspérés ont commencé à quitter les gradins, désespérés par cette équipe plusieurs fois championne d’Afrique qui n’arrivait pas à mettre un but à une sélection inexistante sur la mappemonde du football.

Et au moment où on ne s’y attendait plus, un attaquant Camerounais a profité d’un heureux concours de circonstances pour marquer un but totalement chanceux. Le Shaba a explosé de joie. Ouf! Enfin! Il était plus que temps. Mais le malheureux buteur a eu la mauvaise idée de venir devant notre tribune qui avait passé le match à l’injurier pour nous demander de nous taire. Mal lui en a pris car d’autres sachets d’eau ont décollé, cette fois vers sa direction. Accompagnés par d’autres insultes et huées.

Sur ces entrefaites, l’arbitre a mis un terme à la rencontre. La majorité des occupants de notre tribune a vite fait de vider les lieux, parfois au pas de course. Il ne fallait pas s’éterniser là, de peur d’être la victime des détrousseurs qui profitent toujours de ces grands rassemblements de personnes pour effectuer leurs basses besognes. Nous avons vite fait de quitter le Shaba et ensuite le stade.

Ashouka: bien fait pour toi

Nanga Boko: enfant de la rue

Par René Jackson

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Auteur·e

ntrjack

Commentaires

georges
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Bonjour,

Petite précision, le shaba fait référence à la province du Katanga qui a été plusieurs fois en guerre en RDC

René Nkowa
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Cher Georges, historiquement, le Shaba fait référence au Katanga (et à beaucoup d'autres choses). Mais je me suis limité dans cet article à l'usage purement urbain camerounais qui en est fait.

Merci.

Serge
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Cela va de soi puisque l'article parle du Cameroun... :)

Idriss yaya
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la richesses