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A quoi sert la diaspora camerounaise?

 

Oyé! Oyé! Grande réforme politique au Cameroun! Enfin, les ressortissants camerounais vivant à l’extérieur de leur pays d’origine peuvent s’exprimer lors des élections présidentielles et des référendums. Ceci à la suite de la loi votée par le parlement et promulguée le 13 juillet dernier et du décret d’application de ladite loi signé par le Président de la République il y a deux jours. L’aboutissement d’une longue revendication des camerounais de la diaspora qui ont demandé a pouvoir jouir de ce droit civique à cor et à cris. Le grand Manitou leur avait promis de faire quelque chose pour eux et en homme respectueux de la promesse faite, il s’est exécuté. Mais de tous temps, la grande question concernant la diaspora camerounaise est celle-ci: à quoi est-ce qu’elle sert concrètement? Les réponses sont variées. Quel qu’en soit le cas tout de même, personne ne peut catégoriquement affirmer qu’elle ne sert  rien, cette diaspora. Mais il ne faut pas non plus qu’elle se donne plus d’importance qu’elle n’en a réellement.

 

L’un de mes lecteurs, lors de nos échanges de mails, a soulevé une intense réflexion au sujet de la diaspora camerounaise. Il a posé des interrogations à la pertinence plus qu’avérée auxquelles je n’ai pas pu apporter des réponses. Jusqu’à aujourd’hui. Lui-même qui est un camerounais de la diaspora, puisque vivant en France, se demandait quel était la place de l’expatrié camerounais dans la vie de notre pays.

 

Un rôle économique certain

Dans un rapport publié en 2008, la Coopération Technique Allemande (GTZ) exposait les résultats d’une étude portant sur la diaspora camerounaise en Allemagne et sa contribution au développement du Cameroun. Ce rapport [PDF], extrêmement détaillé, peut valablement servir de talon d’échantillonnage pour l’étude de la diaspora camerounaise et ce pour deux raisons: la première est qu’il est très fourni et explore presque tous les domaines relatifs aux activités des camerounais installés en Allemagne; la seconde étant que l’Allemagne constitue actuellement le pays de favori de l’immigration camerounaise, devant la France et les États-Unis. En effet, il y a officiellement un peu plus de 14 000 camerounais en Allemagne, mais dans les faits, comme beaucoup ne sont pas déclarés, leur nombre réel doit dépasser les 20 000 individus. Les services statistiques allemands estiment que les camerounais d’Allemagne effectuent des transferts de fonds d’un montant d’un million d’euros par an (environ sept cent millions de F CFA) qui servent à des travaux immobiliers, à l’équipement; à l’assistance des parents en difficulté; à payer les frais académiques des familiers au pays et autres frais divers. Les camerounais de la diaspora procèdent aussi à de nombreux investissements au Cameroun: création d’entreprises, projets immobiliers, éducatifs et culturels; mises sur pieds ou financement d’oeuvres caritatives ou sociales  locales… Quand on parcourt  la ville de Douala, une bonne partie des bâtiments privés encore en construction ou flambant neufs sont l’oeuvre d’expatriés.

Si on essaie d’extrapoler les chiffres provenant des services d’immigration allemands cette fois en tenant compte des autres pays qui accueillent des expatriés camerounais, on peut considérer que cette diaspora est à la source d’une importante rentrée de devises au Cameroun et est pourvoyeuse d’une quantité non négligeable d’investissements dans le pays d’origine.

Paradoxalement, le camerounais vivant au Cameroun n’a pas une telle perception de la contribution au développement du pays provenant de la diaspora. Pour lui, les « mbenguétaires » (c’est-à-dire camerounais occidentaux) ne participent qu’au développement de la fortune des propriétaires d’hôtels, de boîtes de nuit et des concessionnaires ou loueurs de véhicules de luxe. Parce qu’une infime minorité des camerounais de l’extérieur, quand ils atterrissent ici, se font remarquer plutôt par le train de vie dispendieux qu’il mènent pendant leur séjour, frustrant les jeunes d’ici et leur faisant miroiter le paradis plus qu’utopique que représente la vie en occident. Beaucoup tombent dans ce piège. Beaucoup d’autres par contre se moquent de ces expatriés après les avoir sucés jusqu’à la moelle en lançant un perfide: « s’ils avaient une maison au pays, ils ne dormiraient pas à l’hôtel. Incapables! »

Mais lorsqu’on creuse un tout petit peu, on déniche à foison des exemples qui démontrent  l’importance des expatriés camerounais dans la vie au jour le jour. Il suffit d’entrer dans la  demeure d’un parent d’expatrié. A l’intérieur, on peut trouver des bidules technologiques récents (téléviseurs à écran plat, ordinateurs portables dernier cri, téléphones portables de dernière génération, appareils photos numériques à haute performance) et des ustensiles immobiliers qui sont hors de prix s’il fallait les acquérir sur place. Et puis, le niveau de vie de ces maisonnées est nettement au dessus de la moyenne.

 

Un rôle politique illusoire

Le droit vote de la diaspora camerounaise est enfin accordé, après des années de revendication. Victoire! Mais une victoire qu’il va falloir très rapidement relativiser au regard des textes et des pratiques courantes au Cameroun. Que disent les textes dans leur effet?

La loi du 13 juillet 2011 relative au vote des citoyens résidents ou établis à l’étranger institue le vote des camerounais expatriés. Cette loi est accompagnée du décret présidentiel du 08 août 2011 qui en précise les modalités d’application. L’article 2 de la loi énonce que les citoyens camerounais établis ou résidant à l’étranger doivent, s’ils souhaitent voter, doivent jouir de leurs droits civiques et politiques et remplir toutes les conditions légales pour être électeurs. L’article 6 du décret d’application indique, elle, que pour s’inscrire sur une liste électorale le citoyen camerounais établi ou résidant à l’étranger doit présenter une carte consulaire en cours de validité. Une remarque doit être faite: la récurrence de l’expression citoyen camerounais. Cela n’est pas un fait du hasard. Ceci parce que la Constitution de 1996, tout comme la loi du 15 juillet 1968 (toujours en vigueur) font que le camerounais ne peut se prévaloir d’une autre nationalité. La loi du 15 juillet 1968 portant code de la nationalité camerounaise est même très claire là dessus: en son article 6, elle précise que le camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère perd la nationalité camerounaise. (Il faut donc aussi comprendre « et sa citoyenneté camerounaise »). Ce détail est d’une importance capitale car selon les chiffres, 80% des camerounais établis à l’étranger sont titulaires d’une autre nationalité. Ce qui réduit à peau de chagrin le nombre d’électeurs réglementairement admis à voter.

On peut donc se dire que cette faveur est une coquille vide. Les expatriés camerounais crient tout le temps à l’injustice. Avec raison, il faut le dire, car comme l’énonce le Docteur Maurice Nguepe dans une chronique ma foi très bien rédigée, il y a un nombre ahurissant d’incongruités dont est victime la diaspora camerounaise. L’exemple le plus patent est la nécessité d’un visa d’entrée au Cameroun pour les détenteurs d’une autre nationalité, même s’ils sont d’origine camerounaise.

Ils crient à l’injustice, mais que peuvent-ils réellement dans la sphère politique, puisqu’ils en sont de fait exclus. S’il fallait d’ailleurs tenir compte de toutes leurs voix, cela n’équivaudrait même pas à la population votante d’un quartier résidentiel d’une ville comme celle de Douala. Donc, elle serait purement symbolique.

Ils crient à l’injustice. Ils accusent de nombreux pontes du gouvernement d’être titulaires eux aussi d’une autre nationalité et de malgré tout gérer les affaires publiques. Peut-être, mais s’ils étaient si bons camerounais que ça, ils sauraient qu’au pays, l’application des lois est à géométrie variable.

Ils crient à l’injustice. Et pour cela, ils créent associations et syndicats. Le plus virulent de tous étant le fameux CODE qui a un credo clair, simple et concis: Paul Biya, dégage! Vu d’ici, ce n’est que pure fanfaronnade. Et puis les nationaux résidant au pays les considèrent comme de vils agitateurs. Beaucoup les prennent pour des personnes blasées. Le conseil qui leur est même très souvent donné est celui de revenir ici avant de mener ce combat qui est aussi le nôtre. On a besoin d’eux, mais ici. Aucune révolution populaire n’a jamais été pilotée de l’extérieur. Sinon, le Dalaï Lama aurait depuis longtemps obtenu l’indépendance du Tibet. S’ils veulent tenir leur discours tout en étant dans leurs appartements douillets quelque part en Europe ou aux Etats-Unis, cela n’engage qu’eux.

Et puis, beaucoup ici fustigent le sentiment de supériorité qu’ils affichent, comme l’a si bien détaillé mon lecteur pré-cité:

[…] les jeunes camerounais de la diaspora […] perso, je n’en attends absolument rien de bon dans l’ensemble. En gros, beaucoup sont: convaincus de bien connaître le Cameroun, convaincus de savoir mieux que les jeunes sur place ce qui est bon pour le Cameroun, sont animés d’une ambition et d’un cynisme identiques à celle de nos gouvernants actuels (le pouvoir pour le pouvoir) […] Je n’idéalise pas pour autant la jeunesse sur place mais au moins elle a l’avantage de savoir mieux que nous quelle est le réalité du Cameroun. Elle dispose de l’information. Et ça fait une vraie différence. Je pense donc qu’il y a un conflit sous-jacent entre un certain esprit d’une certaine diaspora (ne généralisons pas trop), qui pense imposer ses schémas sur la jeunesse vivant au Cameroun, et précisément la jeunesse vivant sur place. Or je pense qu’il est absolument nécessaire sur le long terme qu’émerge une voix venant des jeunes camerounais vivant sur place.

Pour résumer, je reprendrai les mots d’un citoyen qui s’exprimait candidement lors d’un vox pop récent: « Les problèmes du Cameroun se résoudront au Cameroun. Ceux qui sont à l’étranger là, tout ce qu’ils peuvent faire pour nous aider est de continuer à nous envoyer les euros ». Une camerounaise de Paris m’a d’ailleurs fait une révélation à propos des camerounais vivant dans la capitale française. Il semble que très peu ont prévu un déplacement pour le pays en fin de cette année. Les élections présidentielles qui sont prévues dans quelques mois peuvent connaître un développement fâcheux. Il ne faut pas aller au pays et risquer un séjour cahoteux. Il vaut mieux attendre d’être sûr de la portée limitée des risques avant de s’engager dans une telle escapade.

 

Par René Jackson

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ntrjack

Commentaires

Maelle Triolet - voixdecrecelle.wordpress.com
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Article très intéressant.
La double nationalite n'est donc pas reconnue au cameroun et c'est dommage.
J'espere juste qu'il n'y aura ni fraudes, ni emeutes ou troubles à l'annonce des resultats.

Donatien
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Merci Panda pour cet article ma foi tres inspire et bien documente. Tu exprime la un probleme qui est criard d'actualite. Le fait est que les expatries sont dans une situation bien difficile: ils ont des difficultes a se faire accepter dans leur pays d'immigration, et ils sont abandonnes par leur pays d'origine qui les considere comme des deserteurs. Malheureusement beaucoup sortent du pays pour avoir de meilleures possibilites pour develloper le Cameroun, car la verite est que tout est encore a construire dans nos pays africains. Il y a beaucoup de travail pour pouvoir etre reconnu a l'echelle internationale, puisque dans les statistiques internationales l'Afrique n'est pas comptee (si ce n'est que pour les pays de l'Afrique du Nord et l'Afrique du Sud). Donc il nous revient la tache d'elever nos pays africains. Cette ambition n'est cependant pas percue de la meme maniere par les membres de la diaspora et les residents au Cameroun.
Pour terminer j'aimerais que tu donnes les references des chiffres que tu as publie dans ton article. C'est juste pour ma culture personelle et je ne peut pas se permettre d;utiliser les chiffres sans en avoir teste la validite. Merci d'avance et encore felicitations pour ce billet tres important!

Raphaël
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Je n'ai pas trouvé de quoi vous écrire en privé.
Je n'ai pas encore découvert votre blog et je vous écrit pour une correction : On n'écrit pas "Oyé" mais "Oyez", du verbe ouïr à la troisième personne du pluriel. Je ne veux pas être désobligeant en vous envoyant cela en commentaire alors supprimez ce message dès que vous l'aurez lu.
Je fais moi-même des fautes même quand je me relis et je vous écris dans un but d'entraide, pas pour me moquer...

René Nkowa
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Merci pour la correction. Mais vous n'avez pas saisi le terme autrement, comme par exemple en "entendu! Entendu!"... Mais merci quand même.

Goora khoutbouzahamn
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Africanité de la Tribu Camerounaise !!!!!!